Publier l’identité d’un directeur de publication sur Twitter : légal ou non ?

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Publier l’identité d’un directeur de publication sur Twitter : légal ou non ?
Ce point juridique est utile ?

Les dispositions de l’article 223-1-1 du code pénal punissent le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer.

Toutefois, n’est pas illicite la communication d’informations diffusées au moyen d’un Tweet et qui consistent en des données qui sont publiques, pour être relatives au poste de directeur de publication (s’agissant de ses nom, prénom et qualité de “rédacteur en chef”) et correspondre aux données que lui-même communique sur son propre compte X (s’agissant de la photographie mise en regard de la Une vilipendée en l’occurrence).

En l’absence de communication d’éléments extérieurs au message lui-même, dont le contenu à lui seul ne permet pas d’indiquer que la diffusion de ces données déjà disponibles par ailleurs, aient eu pour objectif d’exposer le demandeur à un risque d’atteinte à sa personne ou à ses biens, il est ainsi insuffisamment démontré, en l’espèce, que le message incriminé constitue un dommage caractérisé par la commission du délit de mise en danger par communication de données personnelles.

La demande de suppression du message litigieux ne saurait donc être ordonnée à ce titre.

Résumé de l’affaire

L’affaire concerne une assignation délivrée à la société Twitter International Unlimited Compagny (TIUC) par le directeur de la publication de la société Ouest-France pour des propos diffamatoires et la mise en danger de données personnelles dans un tweet publié par un compte sur Twitter. Le demandeur demande la suppression du tweet, des dommages et intérêts, ainsi que la communication des données d’identification du titulaire du compte. La société défenderesse conteste les demandes et demande le rejet de celles-ci. La décision finale sera rendue le 24 avril 2024.

Les points essentiels

Contexte de l’affaire

Après une série d’attaques coordonnées revendiquées par le Hamas en Israël, une riposte armée a été décidée. Un article intitulé “Gaza sous les bombes” a été publié dans Ouest-France, suscitant des réactions sur les réseaux sociaux.

Sur le caractère illicite du dommage et les mesures propres à y mettre fin

La demande de suppression du message incriminé et de communication des données d’identification de l’internaute a été examinée. Les principes de proportionnalité et de respect des droits fondamentaux ont été pris en compte.

Demande de suppression des comptes litigieux

La demande de suppression du message incriminé a été rejetée, car les propos tenus ne constituaient pas un abus manifeste de la liberté d’expression. La demande de suppression pour mise en danger par communication de données personnelles a également été rejetée.

Demande de communication de données

La demande de communication des données d’identification de l’internaute a été rejetée, faute de démonstration d’un dommage justifiant une telle mesure.

Demande de dommages et intérêts

La demande de dommages et intérêts pour préjudice moral a été rejetée, la société hébergeur n’ayant pas retiré promptement le contenu litigieux, qui n’était pas manifestement illicite.

Autres demandes

Le demandeur supportera les dépens de l’instance et sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile a été rejetée.

Les montants alloués dans cette affaire: – [C]-[S] [W] : 0 euros
– [C]-[S] [W] : entiers dépens de l’instance

Réglementation applicable

– Article 6 I 8 de la LCEN
– Article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme
– Article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme
– Article 6 I 2 de la LCEN
– Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881
– Article 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881
– Article 223-1-1 du code pénal
– Article 6 II de la LCEN
– Article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques
– Article 700 du code de procédure civile

Texte de l’Article 6 I 8 de la LCEN:
“Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.”

Texte de l’Article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme:
“Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.”

Texte de l’Article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme:
“Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.”

Texte de l’Article 6 I 2 de la LCEN:
“Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services sont des hébergeurs.”

Texte de l’Article 29 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881:
“La diffamation non publique envers un particulier est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe.”

Texte de l’Article 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881:
“La diffamation non publique envers un particulier est punie de l’amende prévue pour les contraventions de la 1re classe.”

Texte de l’Article 223-1-1 du code pénal:
“Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende.”

Texte de l’Article 6 II de la LCEN:
“Dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.”

Texte de l’Article 700 du code de procédure civile:
“Le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, l’une des parties, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.”

Avocats

Bravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Maître Jean-Pierre MIGNARD de la SELARL LYSIAS PARTNERS
– Me Imrane GHERMI
– Maître Karim BEYLOUNI de la SELARL KARIM BEYLOUNI AVOCAT

Mots clefs associés & définitions

– Attaques coordonnées
– Hamas
– Victimes civiles
– Prises d’otages
– Riposte armée
– Article “Gaza sous les bombes”
– Réseau social X
– Diffamation
– Liberté d’expression
– Données personnelles
– Hébergeur
– Contexte du conflit israélo-palestinien
– Politique
– Procédure de signalement
– Responsabilité civile
– Dommages et intérêts
– Dépens de l’instance
– Attaques coordonnées: attaques planifiées et exécutées en collaboration entre plusieurs individus ou groupes
– Hamas: organisation politique et militante palestinienne
– Victimes civiles: personnes non combattantes touchées par un conflit armé
– Prises d’otages: action de capturer des personnes pour obtenir des concessions ou des avantages
– Riposte armée: réponse militaire à une attaque ou une agression
– Article “Gaza sous les bombes”: texte journalistique traitant des bombardements à Gaza
– Réseau social X: plateforme en ligne permettant la communication et le partage d’informations entre utilisateurs
– Diffamation: action de porter atteinte à la réputation d’une personne par des propos mensongers ou diffamatoires
– Liberté d’expression: droit fondamental permettant à chacun de s’exprimer librement
– Données personnelles: informations concernant une personne identifiée ou identifiable
– Hébergeur: entreprise ou service en ligne qui stocke et met à disposition des données sur internet
– Contexte du conflit israélo-palestinien: ensemble des éléments historiques, politiques et sociaux entourant le conflit entre Israël et la Palestine
– Politique: ensemble des actions et des décisions prises par les gouvernements et les institutions
– Procédure de signalement: démarche permettant de signaler un contenu illicite ou problématique sur internet
– Responsabilité civile: obligation de réparer un préjudice causé à autrui
– Dommages et intérêts: somme d’argent versée en réparation d’un préjudice subi
– Dépens de l’instance: frais engagés lors d’une procédure judiciaire

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

24 avril 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
24/51424
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS

N° RG 24/51424 – N° Portalis 352J-W-B7H-C3SYV

N° : 1/MM

Assignation du :
10 Janvier 2024

[1]

[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:

JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND
le 24 avril 2024

par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,

Assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDEUR

Monsieur [C]-[S] [W], directeur de la publication et président du directoire de la société Ouest-France,
[Adresse 1]
[Localité 2]

représenté par Maître Jean-Pierre MIGNARD de la SELARL LYSIAS PARTNERS, avocats au barreau de PARIS – #P0113 et Me Imrane GHERMI, avocat au barreau de PARIS – #P0113

DEFENDERESSE

Société TWITTER INTERNATIONAL UNLIMITED COMPANY
One Cumberland Place
Fenian Street-2 D02 AX07
DUBLIN – IRLANDE

représentée par Maître Karim BEYLOUNI de la SELARL KARIM BEYLOUNI AVOCAT, avocats au barreau de PARIS – #J0098

DÉBATS

A l’audience du 05 Mars 2024, tenue publiquement, présidée par Delphine CHAUCHIS, Première vice-présidente adjointe, assistée de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties,

Vu l’assignation délivrée le 10/01/2024 à la société Twitter International Unlimited Compagny (TIUC), selon la procédure dite accélérée au fond, par [C]-[S] [W], directeur de la publication et président du directoire de la société Ouest-France, pour l’audience du 05 mars 2024 devant le président du tribunal de Paris à qui il demande, au visa des articles 6 I 8 de la loi pour la confiance en l’économie numérique du 21 juin 2004 (LCEN) modifiée, 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, 223-1-1 du code pénal et 839 et 481-1 du code de procédure civile:

– de juger que les propos, reproduits en gras et soulignés, contenus dans le tweet mis en ligne le 10 octobre 2023 par le compte X (anciennement Twitter) “[B]” @chacha28011, accessible à une adresse visée dans l’acte introductif d’instance, sont illicites en raison de leur caractère diffamatoire au sens des articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 :
“ Le rédacteur en chef d’Ouest-France, [C]-[S] [W], assume son islamo-gauchisme et son antisémitisme le plus abject.
“Gaza sous les bombes” ?!
Honte de ces traîtres à la solde de l’Etranger !
A Ouest-France, pas de grève chez les journaleux.”

– de juger que ce tweet est illicite en raison de la mise en danger par communication de données personnelles du demandeur, au sens de l’article 223-1-1 du code pénal,
– de juger que [C]-[S] [W] subit un dommage occasionné par le contenu du tweet,

En conséquence :

– d’ordonner à la société défenderesse de supprimer le tweet mis en ligne le 10 octobre 2023 par le compte X (anciennement Twitter) “[B]” @chacha28011, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,

– d’ordonner à la société défenderesse de communiquer dans les huit jours à compter de la notification de l’ordonnance à intervenir, les données nécessaires à l’identification du titulaire du compte X (anciennement Twitter) “[B]” @chacha28011 (adresse IP, adresse postale, nom, prénom et e-mail), sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard,

– de condamner la société défenderesse à verser la somme de 2.500 euros au demandeur à titre de dommages et intérêts,

– de condamner la société défenderesse à verser au demandeur la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Vu les conclusions en défense de la société TIUC, déposées à l’audience du 05 mars 2024, qui demande à la juridiction, au visa des articles 6 de la LCEN, du décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021 et 34-1 du code des postes et des communications électroniques :

– de débouter [C]-[S] [W] de sa demande de suppression de la publication mise en ligne le 10 octobre 2023 par le compte X @chacha28011,

– de débouter [C]-[S] [W] de sa demande de dommages et intérêts,
– de juger non légalement admissible la demande de communication de l’adresse IP de connexion du compte @chacha28011 et de débouter [C]-[S] [W] de sa demande à ce titre,
– de limiter le périmètre des demandes de communication de données sollicitées par [C]-[S] [W] – s’il venait à faire droit aux demandes de communication de données- aux seules données d’identification relatives à l’identité civile visées aux articles 2 et 3 du décret susvisé et L.34 II bis 1° et 2° du code des postes et des communications électroniques collectées par la société TIUC lors de la création du compte @chacha28011,
– d’ordonner à [C]-[S] [W] de réserver l’usage des informations qui lui seront communiquées le cas échéant aux seuls besoins de la poursuite d’une infraction pénale,
– de débouter [C]-[S] [W] de sa demande d’astreinte,
– de débouter [C]-[S] [W] de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– de dire que chaque partie supportera la charge de ses dépens.

Les conseils des parties ont été entendus en leurs observations à l’audience du 05 mars 2024.

À l’issue de l’audience, il leur a été indiqué que la présente décision serait rendue le 24 avril 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS

Sur les faits :

Après que, le 7 octobre 2023, a été menée une série d’attaques apparaissant coordonnées, dans différents lieux du territoire d’Israël, revendiquées par le Hamas, ayant pris la forme de graves violences perpétrées à l’encontre de civils et de prises d’otages au termes desquelles plus de mille citoyens israéliens ont trouvé la mort, une riposte israélienne armée a été immédiatement décidée.

C’est dans ce contexte qu’est intervenue la publication, le 8 octobre 2023, dans le journal Ouest-France, d’un article dont la présentation était faite en Une du quotidien, le titre “Gaza sous les bombes” surplombant la photographie de personnes marchant dans les décombres, notamment une femme portant un enfant dans les bras (article non communiqué).

Le 10 octobre 2023, à 11h40, un internaute a publié un message, sur le réseau social X, sous le nom de compte “[B]” (@chacha28011) reproduisant, d’un côté le portrait de [C]-[S] [W], directeur de la publication et président du directoire de la société Ouest-France, tel que celui-ci apparaît sur la photographie de profil correspondant à son propre compte sur le même réseau social (@fx_lefranc), d’autre part la Une du journal Ouest France précitée.
Surplombant ces deux images, l’internaute a rédigé le commentaire suivant :

“ Le rédacteur en chef d’Ouest-France, [C]-[S] [W], assume son islamo-gauchisme et son antisémitisme le plus abject.
“Gaza sous les bombes” ?!
Honte de ces traîtres à la solde de l’Etranger !
A Ouest-France, pas de grève chez les journaleux.” (Procès-verbal de constat d’huissier du 11 octobre 2023, versé par le demandeur -sa pièce n°2).

C’est dans ces conditions que [C]-[S] [W] a sollicité la communication des données d’identification de l’internaute s’exprimant au moyen du compte @chacha28011 ainsi que la suppression du message incriminé et la condamnation de la société TIUC à lui verser des dommages et intérêts.

Sur le caractère illicite du dommage et les mesures propres à y mettre fin

Aux termes de l’article 6 I 8 de la LCEN, le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.

Il convient néanmoins de rappeler qu’une mesure ne peut être ordonnée à ce titre que si elle est justifiée par le dommage, qu’elle est légalement admissible, et qu’elle ne cause pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée de l’auteur des propos, à son droit à la protection de ses données personnelles, garantis par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’à son droit à la liberté d’expression, garanti par l’article 10 de la même Convention.

S’agissant de droits fondamentaux, il revient au juge d’apprécier l’illicéité et la gravité du dommage visé à l’article 6 I 8 afin de déterminer si les mesures sollicitées de suppression de compte, de suppression de contenus et d’identification de leur auteur, par nature attentatoires au droit à la liberté d’expression et au droit à la vie privée de ce dernier, sont nécessaires et proportionnées au but légitime poursuivi.

Il sera rappelé que la demande portée auprès du président du tribunal judiciaire, saisi sur le fondement des dispositions de l’article 6 I 8 de la LCEN, tendant à voir prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne, qui ne relève pas d’une recherche de la responsabilité de l’hébergeur en cause, n’est pas conditionnée à une demande préalable de retrait du contenu auprès dudit hébergeur, même si cet élément peut le cas échéant être pris en compte dans le cadre de l’appréciation du caractère proportionné de la mesure sollicitée.

C’est au regard de l’ensemble de ces principes qu’il convient d’apprécier si, en l’espèce, le dommage invoqué en demande est de nature à justifier la suppression du contenu litigieux.

Il convient également d’examiner la nécessité d’ordonner la communication des données d’identification sollicitées au regard des mêmes principes et circonstances de la cause.

En l’espèce, la société TIUC, en charge de l’hébergement, de l’exploitation et du contrôle de la plateforme X au Royaume-Uni, dans les Etats de l’AELE et dans l’Union Européenne, a le statut d’hébergeur, tel que définit à l’article 6 I 2 de la LCEN (“personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services”). En cette qualité, elle doit être considérée comme un intermédiaire technique susceptible de contribuer à la mise en oeuvre des mesures visées par l’article 6 I 8 précité.

Le dommage invoqué est lié à la commission alléguée du délit de diffamation publique envers un particulier tel que prévu et réprimé par les articles 29 alinéa 1er et 32 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881, ainsi que du délit de mise en danger par communication de données personnelles tel que défini et réprimé par l’article 223-1-1 du code pénal, par un internaute dont l’identité reste masquée, publiant sur le réseau social X sous le nom de compte [B] (@chacha28011) au préjudice de [C]-[S] [W]. L’objet des délits ainsi allégué est constitué du message ci-avant décrit.

Quant à la demande de suppression des comptes litigieux :

Sur la demande de suppression en raison du caractère diffamatoire du message incriminé :

Il sera rappelé que lorsque la cause de la demande présentée au président du tribunal judiciaire tient au caractère diffamatoire des propos publiés sur un site donné, l’existence du dommage ne peut s’évincer du seul caractère diffamatoire des propos en cause, le délit de diffamation n’étant pas constitué lorsque la preuve de la vérité est rapportée ou lorsque l’excuse de bonne foi – laquelle suppose notamment des éléments sérieux de nature à accréditer l’allégation litigieuse – est reconnue à son auteur.

Dans la mesure où l’action engagée devant le tribunal en application des dispositions de l’article 6 I 8, oppose non pas la personne qui allègue le dommage à la personne qui l’aurait causé, mais la première à l’hébergeur du contenu critiqué, aucun débat contradictoire n’est rendu possible pour évaluer la réalité de l’atteinte.

Dans ces conditions, seul un abus caractérisé de la liberté d’expression peut justifier que le juge prenne des mesures telles qu’un retrait de contenu, même partiel, ou la fermeture d’un support de diffusion de propos ou le blocage d’un site internet, celles-ci devant être adaptées et proportionnées au dommage dont la réalisation ou l’imminence est reconnue dès lors qu’elles portent atteinte à la liberté fondamentale qu’est la liberté d’expression.

En l’occurrence, la demande de suppression du message litigieux est motivée par le fait que celui-ci comporte des propos imputant à [C][S] [W] d’avoir choisi le camp des “traitres à la solde de l’Etranger”, soit celui des palestiniens, en décidant de consacrer la Une du journal dont il est le directeur de publication à un article titré “Gaza sous les bombes”, ce qui lui vaut d’être qualifié, par le titulaire du compte émetteur, d’antisémite et d’islamo-gauchiste.

Il n’est pas contesté que la publication du message litigieux est intervenue dans le contexte ci-avant exposé de riposte israélienne à l’attaque menée sur le territoire d’Israël par le groupe Hamas le 7 octobre 2023, évènements suscitant légitimement une importante couverture médiatique.

Il est établi, par ailleurs, que le titulaire du compte X @chacha28011 se présente sur ce dernier, créé en août 2022 et suivi par plus de 4.200 personnes, comme un “Médecin en exil dans [sa] propre ville, [Localité 3]” et mentionne son soutien au parti Reconquète!, situé à l’extrême droite de l’échiquier politique (cf procès-verbal de constat d’huissier versé par le demandeur).
La société défenderesse démontre également qu’entre le 7 et le 14 octobre 2023, il a émis plus de 200 messages sur le réseau social dont plus de 140 concernaient le conflit israélo-palestinien (sa pièce n°4). Au nombre de ces messages, figure le suivant, publié le 10 octobre 2023 également : “Ce sont les choix des termes et des photos qui heurtent. Quand ils n’ont même pas condamné les terroristes”.

L’analyse des propos litigieux, ainsi replacés dans leur contexte, conduit à constater que, pour exprimer, par le message litigieux, une critique du choix éditorial réalisé par le journal Ouest-France ayant mis en avant, en Une, les bombardements subis par les populations civiles de Gaza et non les actes terroristes commis la veille sur les civils israéliens, l’utilisateur du réseau social vise directement le rédacteur en chef du journal, [C]-[S] [W], qui assumerait ainsi “son islamo-gauchisme et son antisémitisme le plus abject”, et remet en cause, en outre, la qualité du travail effectué par le quotidien composé de “journaleux”.

Si outranciers que soient les propos employés par le titulaire du compte @chacha28011, et alors qu’il n’est pas envisageable de trancher la question du caractère diffamatoire de ces derniers à l’encontre de [C]-[S] [W] en l’absence de leur auteur, il convient de considérer que ceux-ci ne constituent pas un abus manifeste de la liberté d’expression dès lors, en particulier, qu’ils sont intervenus dans un contexte marqué par les évènements récents ci-avant décrits où doit être reconnu à toute personne un intérêt légitime à s’exprimer sur ce sujet, et notamment sur la manière dont le conflit est traité par les médias dont le demandeur est une figure importante, et qu’ils ont été publiés sur un compte X qui affiche ouvertement une dimension politique.

Il n’y a donc pas lieu d’ordonner la suppression des propos litigieux, en l’absence de démonstration de la nécessité d’une telle mesure en l’espèce.

La demande de [C]-[S] [W] à ce titre sera donc rejetée.

Sur la demande de suppression en raison de la commission du délit de mise en danger par communication de données personnelles :

Les dispositions de l’article 223-1-1 du code pénal punissent le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer.

Il résulte de l’analyse des éléments du dossier que les informations diffusées au moyen du message litigieux consistent en des données qui sont publiques, pour être relatives au poste de directeur de publication occupé par le demandeur d’une part (s’agissant de ses nom, prénom et qualité de “rédacteur en chef”) et correspondre aux données que lui-même communique sur son propre compte X (s’agissant de la photographie mise en regard de la Une vilipendée en l’occurrence) d’autre part.

En l’absence de communication d’éléments extérieurs au message lui-même, dont le contenu à lui seul ne permet pas d’indiquer que la diffusion de ces données déjà disponibles par ailleurs, aient eu pour objectif d’exposer le demandeur à un risque d’atteinte à sa personne ou à ses biens, il est ainsi insuffisamment démontré, en l’espèce, que le message incriminé constitue un dommage caractérisé par la commission du délit de mise en danger par communication de données personnelles.

La demande de suppression du message litigieux ne saurait donc être ordonnée à ce titre.

Quant à la demande de communication de données

Il sera rappelé que l’article 6 II de la LCEN prévoit que, dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

S’agissant de la communication de données d’identification et de connexion d’utilisateurs de comptes et de l’adresse électronique afférente, il sera relevé que cette mesure peut être considérée comme de nature à prévenir ou faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne dès lors que les données obtenues pourront le cas échéant être utilisées pour diligenter une procédure à l’encontre de l’auteur du contenu dommageable, afin de voir prescrire toute mesure de nature à faire cesser, ou à sanctionner, le dommage.

En l’espèce, pour les mêmes raisons que celles ayant conduit au rejet de la demande de suppression du message publié sur le compte @chacha28011, il est insuffisamment démontré l’existence d’un dommage justifiant qu’il soit porté atteinte, au moyen de la transmission de données d’identification du titulaire dudit compte sur le fondement de la procédure accélérée au fond ici choisie, au droit au respect de la vie privée et au droit à la protection des données de l’auteur des propos litigieux.

Cette demande sera donc rejetée.

Sur la demande de dommage et intérêts :

En application des dispositions de l’article 6 I 2 de la LCEN, les hébergeurs de contenus ne peuvent voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de leurs services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère manifestement illicite ou des faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

[C]-[S] [W] sollicite la réparation, par la société TIUC, du préjudice moral subi par le fait que le message litigieux est demeuré accessible sur le réseau social X, pour ne pas avoir accédé à sa demande de retrait formulée selon la procédure de signalement proposée par cette société datant du 24 octobre 2023.
La société TIUC s’y oppose dès lors qu’en l’absence de contenu manifestement illicite en l’espèce, elle n’avait pas obligation de retirer promptement la publication litigieuse sur notification.

Le demandeur prouve avoir procédé au signalement du contenu litigieux le 24 octobre 2023 (sa pièce n°3).
Néanmoins, en considération de l’analyse rendue nécessaire en l’espèce tant des circonstances ayant motivé la publication des propos incriminés que du sens et de la portée de ceux-ci, au regard du contexte spécifique dans lequel ils s’inscrivent tel que détaillé ci-avant, il ne saurait être considéré que la société hébergeur a ici engagé sa responsabilité en ne donnant pas immédiatemment suite au signalement effectué auprès d’elle par le demandeur, le message en cause ne recelant pas, dans ces conditions, un contenu manifestement illicite.

La demande de dommages et intérêts formée par [C]-[S] [W] sera donc rejetée.

Sur les autres demandes :

[C]-[S] [W], qui succombe, supportera les dépens de l’instance.

Il ne sera pas fait droit, en conséquence, à sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement par mise à disposition au greffe, contradictoirement et en premier ressort,

Rejetons l’ensemble des demandes de [C]-[S] [W],

Condamnons [C]-[S] [W] aux entiers dépens de l’instance,

Fait à Paris le 24 avril 2024

Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISDelphine CHAUCHIS


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