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L’ANPAA, association reconnue d’utilité publique depuis 1880 et agréée d’éducation populaire depuis 1974, dont l’objet est, en particulier, de promouvoir et de contribuer à une politique globale de prévention des risques et des conséquences de l’alcoolisation et des pratiques addictives par tous les moyens en son pouvoir et notamment par l’appel à l’opinion et par une action constante auprès des pouvoirs publics et des autres décideurs, par l’éducation à la santé de chacun et par la formation de relais dans tous les milieux et par une aide, des soins et un accompagnement médico-psycho-social justifie de l’existence du préjudice moral direct que lui cause le non-respect des dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
En effet, les efforts qu’elle fournit, notamment financiers et humains, de manière désintéressée pour promouvoir ses objectifs deviennent inutiles dès lors que ne sont pas respectés les textes pertinents qui visent à la prévention des risques et des conséquences de l’alcoolisation et des conduites addictives ; que ses efforts malmenés par le non-respect des textes limitant la publicité en faveur des boissons alcooliques sont également de nature à générer un sentiment de découragement auprès de ses membres.
En réparation d’une publicité illicite en faveur de l’alcool, l’ANPAA peut donc être indemnisée (50 000 euros en l’espèce).
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COUR D’APPEL DE VERSAILLES
1re chambre 1re section
ARRÊT DU 15 JUIN 2021
N° RG 20/02757
N° Portalis DBV3-V-B7E-T4ZX
AFFAIRE :
S.A.S. KRONENBOURG
C/
L’ASSOCIATION NATIONALE DE PRÉVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE (ANPAA)
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Février 2017 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 15/14239
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
— Me Claire RICARD,
— la SELARL CABINET BOURSIN-JANSSEN
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE JUIN DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d’appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d’un arrêt de la Cour de cassation (CIV.1) du 20 mai 2020 cassant et annulant l’arrêt rendu par la cour d’appel de PARIS le 13 décembre 2018
S.A.S. KRONENBOURG
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 775 614 308
[…]
[…]
représentée par Me Claire RICARD, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622 – N° du dossier 2201020
Me Eric ANDRIEU de la SCP PECHENARD & Associés, avocat plaidant – barreau de PARIS, vestiaire : R047
****************
DÉFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
L ‘ A S S O C I A T I O N N A T I O N A L E D E P R É V E N T I O N E N A L C O O L O G I E E T ADDICTOLOGIE (ANPAA), association régie par la loi de 1901, reconnue d’utilité publique, agissant poursuites et diligences de son président en exercice domicilié audit siège
20 rue Saint-Fiacre
[…]
représenté par Me Virginie JANSSEN de la SELARL CABINET BOURSIN-JANSSEN, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : C.316 – N° du dossier 20070056,
Me François LAFFORGUE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocat plaidant – barreau de PARIS, vestiaire : P0268
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 12 Avril 2021 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anna MANES, Présidente chargée du rapport et Madame Nathalie LAUER, Conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
FAITS ET PROCÉDURE
L’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie (ci-après ‘l’ANPAA’), association reconnue d’utilité publique, a fait dresser le 17 septembre 2015 un procès-verbal de constat, décrivant plusieurs films publicitaires d’animation musicale accessibles à partir du site de la société Brasseries Kronenbourg et consacrés à la bière Grimbergen.
Par acte d’huissier de justice du 6 octobre 2015, l’ANPAA a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris, la société Brasseries Kronenbourg (désormais dénommée, la société Kronenbourg) afin de voir déclarer illicites au regard de l’article L.3323-4 du code de la santé publique et d’ordonner le retrait du site français de la société Brasseries Kronenbourg à l’adresse http://www.grimbergen.fr, la diffusion de :
— films intitulés : « La légende du Phoenix » et « les territoires d’une légende »,
— un jeu intitulé « Le jeu des territoires »,
— diverses publicités, portant comme slogan, « l’intensité d’une légende », suivi d’un verre de bière avec le nom de Grimbergen Blonde ou Blanche ou Rouge ou Poire.
Par jugement du 9 février 2017, le tribunal de grande instance de Paris a :
— dit illicites les publicités en faveur de la boisson alcoolique Grimbergen parues sur le site
www.grimbergen.fr, éditées par la société Kronenbourg et constituées par :
* le film intitulé « la légende du Phoenix »,
* le film intitulé « les territoires d’une légende »,
* le jeu intitulé « le jeu des territoires »,
* les publicités portant le slogan « l’intensité d’une légende »,
En conséquence,
— ordonné le retrait du site www.grimbergen.fr :
* le film intitulé « la légende du Phoenix »,
* le film intitulé « les territoires d’une légende »,
* le jeu intitulé « le jeu des territoires »,
* les publicités portant le slogan « l’intensité d’une légende »,
— dit que chaque retrait interviendra sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision et ce pendant 60 jours,
— débouté les parties de l’ensemble de leurs demandes plus amples ou contraires,
— condamné la SA Kronenbourg à payer à l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamné la SA Kronenbourg aux dépens qui seront recouvres conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
— prononcé l’exécution provisoire de cette décision.
La société Kronenbourg a interjeté appel de ce jugement le 13 février 2017.
Par un arrêt du 13 décembre 2018, la cour d’appel de Paris a :
— infirmé le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a débouté l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie de sa demande de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
— débouté l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie de ses demandes ;
— condamné l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie à payer à la société Kronenbourg la somme de 6 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de première instance et d’appel.
Par un arrêt rendu le 20 mai 2020 (pourvoi n° 1912278), la Cour de cassation a :
— cassé et annulé, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 décembre 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
— remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Versailles ;
— condamné la société Kronenbourg aux dépens ;
— en application de l’article 700 du code de procédure civile, rejeté la demande formée par la société Kronenbourg et l’a condamnée à payer à l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie la somme de 3 000 euros.
C’est dans ces circonstances que la société Kronenbourg a saisi la cour d’appel de Versailles par déclaration du 24 juin 2020.
Par ses dernières conclusions notifiées le 3 mars 2021, la société Kronenbourg demande à la cour, au fondement de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique, de :
— infirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté l’ANPAA de l’ensemble de ses demandes de dommages et intérêts ;
— dire et juger que :
‘ le film intitulé « la légende du Phoenix »,
‘ le film intitulé « les territoires d’une légende »,
‘ le jeu intitulé « le jeu des territoires »,
‘ les publicités portant le slogan « l’intensité d’une légende »,
qui figuraient sur le site www.grimbergen.fr ne constituent pas des publicités illicites en faveur d’une boisson alcoolique ;
— débouter l’ANPAA de l’ensemble de ses demandes ;
— condamner l’ANPAA à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
— condamner l’ANPAA aux entiers dépens.
Par ses dernières conclusions notifiées le 2 mars 2021, l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie demande à la cour de :
— confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :
— dit illicites les publicités en faveur de la boisson alcoolique Grimbergen parues sur le site www.grimbergen.fr, éditées par la société Kronenbourg et constituées par :
* le film intitulé « la légende du Phoenix »,
* le film intitulé « les territoires d’une légende »,
* le jeu intitulé « le jeu des territoires »,
* les publicités portant le slogan « l’intensité d’une légende »,
— ordonné le retrait du site www.grimbergen.fr :
* le film intitulé « la légende du Phoenix »,
* le film intitulé « les territoires d’une légende »,
* le jeu intitulé « le jeu des territoires »,
* les publicités portant le slogan « l’intensité d’une légende »,
— dit que chaque retrait interviendra sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la signification de la présente décision et ce pendant 60 jours,
— condamné la société Kronenbourg à lui payer à la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
Y ajoutant,
— faire interdiction à la société Kronenbourg de faire usage du slogan « L’intensité d’une légende » sur tout support publicitaire et sous astreinte de 5 000 euros par jour et par infraction constatée,
— infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande de versement de dommages et intérêts,
Statuant à nouveau,
— condamner la société Kronenbourg à lui payer la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi,
En tout état de cause,
— condamner la société Kronenbourg à lui régler la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel ainsi qu’en tous les dépens.
La clôture de l’instruction a été ordonnée le 18 mars 2021.
SUR CE, LA COUR,
Sur la portée de la cassation et les limites de la saisine
Les dispositions des articles 624, 625 et 638 du code de procédure civile prévoient respectivement que la portée de la cassation est déterminée par le dispositif de l’arrêt qui la prononce ; qu’elle s’étend également à l’ensemble des dispositions du jugement cassé ayant un lien d’indivisibilité ou de dépendance nécessaire ; que sur les points qu’elle atteint, la cassation replace les parties dans l’état où elles se trouvaient avant la décision cassée et que l’affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l’exclusion des chefs non atteints par la cassation.
Se fondant sur les dispositions des articles L.3323-2 et L.3323-4 du code de la santé publique et son arrêt du 1er juillet 2015 (1re Civ., pourvoi n° 14-17.368, Bull. 2015, I, n° 166), la Cour de cassation a indiqué qu’il résultait de ces dispositions que si la publicité pour les boissons alcooliques est licite, elle demeure limitée aux seules indications et références spécifiées à l’article L. 3323-4 précité, et présente un caractère objectif et informatif, lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.
Dès lors, selon la Cour de cassation, en retenant que les mentions ne doivent être purement objectives que lorsqu’elles sont relatives à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui laisse la place à l’imagination des concepteurs des messages publicitaires lorsque la communication porte sur d’autres éléments, tels que l’origine, la dénomination ou la composition du produit, d’une part ; en ajoutant, lors de l’examen du contenu des films et du jeu litigieux, que la communication sur les origines et la composition du produit n’a nullement à être objective et peut parfaitement être hyperbolique, d’autre part, l’arrêt attaqué a violé les textes susvisés.
L’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris 13 décembre 2018 a, par voie de conséquence, été cassé et annulé dans toutes ses autres dispositions de sorte que, en application des dispositions des 624, 625 et 638 du code de procédure civile, les parties sont replacées dans l’état où elles se trouvaient avant la décision cassée et l’affaire sera de nouveau jugée en fait et en droit dans les limites de la saisine.
Il résulte des écritures ci-dessus visées que le débat devant cette cour de renvoi se présente dans les mêmes termes qu’en première instance, chacune des parties maintenant ses prétentions telles que soutenues devant les premiers juges. L’ANPAA ajoute en outre une demande tendant à faire interdiction à la société Kronenbourg de faire usage du slogan ‘L’intensité d’une légende’ sur tout support publicitaire et sous astreinte de 5 000 euros par jour et par infraction constatée.
A titre liminaire,
La cour rappelle que l’article 954 du code de procédure civile oblige les parties à énoncer leurs prétentions dans le dispositif de leurs conclusions et que la cour ne statue que sur celles-ci.
A cet égard, la cour constate que l’ANPAA qui sollicite dans le corps de ses écritures d’ordonner en outre l’interdiction de la diffusion des films publicitaires ‘la légende du Phoenix’ et ‘les territoires d’une légende’ sur tout support (pages 14, 15) ne reprend pas cette demande dans le dispositif de ses dernières conclusions de sorte que la cour ne saurait statuer sur de telles ‘demandes’.
En revanche, l’ANPAA sollicite nouvellement en cause d’appel d’interdire à la société Kronenbourg de faire usage du slogan ‘L’intensité d’une légende’ sur tout support publicitaire et sous astreinte de 5 000 euros par jour et par infraction constatée.
Sur le droit positif
Rappelant les principes gouvernant la publicité sur les alcools, la société Kronenbourg soutient que l’article L.3323-4 du code de la santé publique constitue une limite au droit de faire de la publicité et ne peut dès lors être interprété au-delà de la lettre même du texte, de la manière excessive et rigoriste qui est celle de l’ANPAA. Selon elle, l’interprétation proposée par son adversaire porte atteinte non seulement à la loi Evin, mais plus généralement au principe de la liberté du commerce et de l’industrie et à la liberté d’expression tel qu’énoncé aux dispositions de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Elle fait valoir que la publicité en faveur des alcools est autorisée ; que, par nature, la publicité est destinée à donner une image valorisante d’un produit et à inciter à son achat ; que ce raisonnement a été suivi par la cour d’appel de Versailles dans un arrêt du 3 avril 2014 ; que cette analyse a été validée par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er juillet 2015, rejetant le pourvoi formé contre l’arrêt ainsi rendu (1re Civ., 1 juillet 2015, pourvoi n° 14-17.368, Bull. 2015, I, n° 166).
La société Kronenbourg soutient, se fondant sur l’arrêt du 1er juillet 2015 susvisé, qu’il est impossible de reprocher à une publicité d’être incitative puisque c’est la fonction même de la publicité et que les décisions ayant sanctionné des campagnes en faveur de l’alcool sur ce terrain sont éminemment critiquables et méconnaissent la séparation des pouvoirs en amenant le juge à statuer au-delà de ce qu’a prévu le législateur.
De même, elle prétend qu’il est impossible de reprocher à la publicité d’être valorisante comme le fait l’ANPAA, qui, selon la société Kronenbourg, se fonde sur des arrêts de la Cour de cassation (Crim., 29 novembre 2005, pourvoi n° 05-81.189, Bull. crim. 2005, n° 312 ; Crim., 19 décembre 2006, pourvoi n° 05-87.268, Bull. crim. 2006, n° 321
) qui n’ont pas le sens ou la portée que son adversaire leur prête.
Elle souligne que le législateur a entendu prohiber la consommation excessive d’alcool, que certes le but qu’il poursuit est également d’éviter toute incitation à une consommation excessive ou une incitation vers les populations à risque particulier, mais ajoute que l’incitation en elle-même est consubstantielle à la publicité et que dès lors que la publicité en faveur des alcools n’est pas interdite, le juge ne peut lui reprocher son caractère incitatif comme l’a fait le jugement.
La société Kronenbourg fait en outre valoir que la loi n’impose pas que toute publicité en faveur d’un alcool soit objective ; que prétendre le contraire revient à dénaturer les dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique, qui n’imposent pas une telle contrainte, une telle lecture serait manifestement en contradiction avec la notion même de publicité. Selon elle, l’article L.3323-4 du code de la santé publique impose l’objectivité relativement à la couleur, aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, mais, s’agissant des autres éléments autorisés par le texte, l’objectivité n’est pas requise.
Elle affirme que la publicité ne peut se résumer à une simple information, son caractère incitatif lui étant consubstantiel et non simplement accidentel ou accessoire. Elle conteste l’analyse que propose l’ANPAA qui consiste à réduire la publicité en faveur des alcools à la publicité légale, ce qui
constitue, selon elle, un contresens total, la publicité sur les alcools étant, par nature, une activité commerciale. Elle s’insurge donc contre l’interprétation de l’ANPAA qui limite le message publicitaire à celui de communiquer une information au consommateur lui permettant de se forger une opinion objective sur les caractéristiques d’un produit. Elle rappelle la définition du terme ‘publicité’ donnée tant par les dictionnaires Larousse, Le Robert et Wikipédia que par la directive 84/450/CEE du 10 septembre 1984 et le décret n° 92-280 du 27 mars 1992 relative à la publicité et au parrainage audiovisuel qui met en avant l’objectif commercial de cette activité, à savoir vendre un produit ou un service, grâce à des moyens incitatifs.
Elle ajoute que la notion même de publicité impose une certaine liberté de création et une publicité peut donc avoir recours à un fond attrayant (Crim., 15 mai 2012, pourvoi n° 11-83.686). Elle en conclut que la Cour de cassation dans son arrêt du 20 mai 2020 s’est livrée à une interprétation erronée des textes de loi en ce qu’elle a pu écrire, de manière injustifiée, après avoir cité littéralement les dispositions des articles L.3323-2 et L.3323-4 du code de la santé publique, qu’ ‘Il en résulte (sic) que, si la publicité pour les boissons alcooliques est licite, elle demeure limitée aux seules indications et références spécifiées à l’article L.3323-4 précité et présente un caractère objectif et informatif (1 ère Civ. 1er juillet 2015, pourvoi n°14-17.368, Bull.2015, I, n°166) lequel ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.’ Selon elle, la simple lecture de l’article L.3323-4 prouve que l’objectivité n’est requise que pour les références ‘relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit’.
La société Kronenbourg ajoute qu’il n’est pas possible de tirer argument de l’avis de l’avocat général devant la Cour de cassation qui indiquait qu’il ‘n’était pas nécessaire’ d’utiliser le terme ‘objectif’ pour le terroir, les distinctions, les appellations d’origine ou les indications géographiques qui sont des notions en elles-mêmes objectives parce que, ce faisant, l’avocat général opère une extrapolation de la loi alors que ce texte, de nature pénale, doit être interprété strictement.
L’appelante soutient donc que la Cour de cassation a rendu un arrêt de règlement ce qui est inacceptable. Elle conteste le bien-fondé des explications de l’ANPAA sur la réforme de la motivation et de la rédaction des décisions de la Cour de cassation alors que la citation d’un ancien arrêt, sans la moindre explication ou analyse, revient en réalité à en faire des arrêts de règlement.
Elle sollicite que la cour d’appel saisie du présent renvoi résiste à cette injonction injustifiée et erronée donnée par la Cour de cassation et reprenne à son compte l’interprétation incontestablement exacte retenue par la cour d’appel de Paris, dans l’arrêt cassé, interprétation réitérée par deux arrêts subséquents rendus dans une autre composition (le 9 mai 2019 dans une affaire opposant en particulier l’ANPAA et la société Baron Philippe de Rotschild n° RG 17/14362 – n° Portalis 35L7-V-B7B-B3YXD et le 14 novembre 2019 dans une affaire opposant la société Heineken à l’ANPAA n° RG 17/18804 – N° Portalis 35L7-V-B7B-B4HG2
). Par voie de conséquence, elle invite cette cour, au regard de ces principes, à
réformer le jugement et à dire que les mentions figurant sur les publicités litigieuses ne contreviennent pas aux dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
L’ANPAA poursuit la confirmation du jugement et rétorque que l’article L.3323-4 du code de la santé publique encadre strictement l’autorisation faite à la publicité pour des boissons alcooliques en listant de manière exhaustive les supports autorisés de publicité et définit strictement l’exercice de cette activité dans ce domaine particulier.
Concernant spécifiquement la publicité de boissons alcooliques sur internet, l’ANPAA fait valoir que la publicité et la propagande liée à des boissons alcooliques sont bannies des sites internet destinés à la jeunesse et aux sites sportifs étant précisé que les publicités ou propagandes ne peuvent pas apparaître de manière spontanée.
Rappelant les dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique, elle soutient qu’il ressort incontestablement de ces dispositions que le contenu de la publicité ou de la propagande de boissons alcooliques est également strictement encadré par la loi et doit se limiter à la description intrinsèque et objective du produit. Elle ajoute, se fondant sur deux arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation que toute publicité présentant une boisson alcoolique de manière valorisante est interdite ( Crim., 29 novembre 2005, pourvoi n° 05-81.189, Bull. crim. 2005, n° 312 ; Crim., 19 décembre 2006, pourvoi n° 05-87.268, Bull. crim. 2006, n° 321)
ce d’autant plus, selon elle, que la
publicité faite à ce type de boisson doit nécessairement comporter un message à caractère sanitaire qui précise que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.
L’ANPAA ajoute que l’argument des publicitaires ou des producteurs, désireux de contourner ces règles impératives, selon lequel l’essence même de la publicité est d’être incitative, de valoriser le produit afin de donner au consommateur l’envie de l’acheter et de le consommer, est erroné à plusieurs égards.
D’abord, parce que la loi en a décidé ainsi pour des motifs de santé publique de sorte qu’identifier cette publicité à n’importe quelle publicité est juridiquement vain.
Ensuite, parce que la publicité n’est pas par essence incitative, mais peut aussi être informative ; elle souligne que c’est au regard de ce but, à savoir l’information du citoyen, que le terme ‘publicité’ doit en l’espèce être entendu. Elle rappelle que le sens premier du mot ‘publicité’se réfère au mot ‘peuple’ et son suffixe exprime la qualité de ce qui est rendu public ; il en est ainsi de la publicité des débats judiciaires. Elle insiste sur le fait que lorsqu’un acte quelconque est l’objet d’une publicité, il n’a pas vocation à déterminer nécessairement le comportement de quiconque, mais à informer tous ceux qui doivent l’être. Elle soutient donc que le terme ‘incitatif’ est une fonction accessoire, accidentelle, surajoutée à l’information, mais qui n’est pas nécessaire à son existence. Cette fonction accessoire a seulement permis à des acteurs économiques d’instrumentaliser cette information publique pour entraîner le consommateur, par mille artifices de manipulation, à la consommation.
Elle insiste sur le fait que cette distinction est capitale en la matière parce qu’elle permet d’établir avec certitude, contrairement à ce qu’allègue la société Kronenbourg, qu’une publicité peut être informative sans être incitative, et cela sans pour autant perdre sa nature publicitaire. A cet égard, elle fait valoir que la chambre criminelle de la Cour de cassation, en matière de publicité mensongère, rappelle constamment que constitue une publicité, au sens des dispositions de l’article L.121-1 du code de la consommation, tout moyen d’information destiné à permettre au client potentiel de se faire une opinion sur les résultats attendus, sur les caractéristiques, du bien ou du service proposé (par exemple, Crim., 15 mai 2012, pourvoi n° 11-83.301). Elle observe que lorsqu’une publicité va au-delà de l’information, pour opérer une incitation à consommer, elle adopte un langage réfléchi, elle use de termes, d’images, de sons choisis et ce dans le seul but de manipuler le consommateur ; le message élaboré croise ainsi, dans l’esprit du public, une idée associée au confort, à la convivialité, au partage, à la valorisation de soi, il ne s’agit pas d’une rencontre fortuite de causalités, mais bien d’un dessein précisément poursuivi et atteint. Elle affirme que cette fonction manipulatrice de la publicité est exactement ce que le législateur a voulu amputer à la publicité en faveur des boissons alcooliques, en la cantonnant dans un rôle d’information objective et descriptive. Selon elle, le législateur a entendu borner la poursuite des intérêts économiques privés, portés par la publicité, par les exigences de la poursuite de l’intérêt général, porté par la loi.
Enfin, elle soutient que l’argument tiré de la nature de la publicité est inopérant car le législateur, quand il ne l’interdit pas, est parfaitement en droit d’apporter des limitations à l’expression de cette dernière partout où la santé publique ou l’ordre public l’impose. Elle rappelle la ratio legis de la loi Evin qui tend à lutter contre la consommation excessive d’alcool et les moyens mis en oeuvre pour y parvenir, à savoir, l’interdiction de la vente aux mineurs, la limitation de la disponibilité en interdisant le vente dans certains endroits comme les stations service, les distributeurs automatiques et la restriction de la publicité.
S’agissant de la restriction de la publicité, elle souligne que cette restriction constitue un levier d’action de la lutte contre l’alcoolisme de sorte qu’il est évident que le législateur a entendu limiter la publicité aux messages informatifs et objectifs. Selon elle, les débats parlementaires confirment son propos en ce que le ministre de la Santé et de la Famille a clairement indiqué, à l’occasion d’une séance au sénat le 19 juillet 2005, que l’esprit du texte tenait en trois mots clés : description du produit, et non valorisation de ses effets ; indications objectives, et non pas subjectives ; fins informatives, et non pas incitatives.
Elle rétorque que l’arrêt de la Cour de cassation n’est ni un arrêt de règlement, ni un arrêt contra legem, mais au contraire est caractéristique du droit positif en matière de publicité pour les boissons alcooliques à savoir une conception stricte de la publicité et une application rigoureuse par la Cour de cassation.
L’ANPAA sollicite donc la confirmation du jugement et l’adoption de l’interprétation des dispositions claires et sans ambiguïté de l’article L.3323-4 du code de la santé publique. Elle demande en outre de prononcer l’interdiction du slogan ‘l’intensité d’une légende’ sur tout support publicitaire.
Sur le caractère illicite du film publicitaire ‘La légende du Phoenix’
Pour dire illicite le film publicitaire ‘La légende du Phoenix’, le premier juge a retenu qu’il ne respectait pas le critère d’objectivité imposé par les dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique en associant la consommation d’une boisson alcoolique à l’animal légendaire du phoenix qui, même s’il représentait l’emblème de la marque Grimbergen, ne faisait aucunement référence objective aux caractéristiques gustatives du produit ou à son origine historique, mais valorisait la consommation de cette boisson en l’associant à un oiseau imaginaire aux pouvoirs exceptionnels. Selon le premier juge, de tels films délivraient un message qui ne se limitait pas aux indications autorisées par la loi et, par là, constituaient une incitation directe à consommer de la bière ; par voie de conséquence, il a ordonné le retrait des films ‘la légende du phoenix’ sur le site internet ‘www.grimbergen.fr’ sous astreinte.
‘ Moyens des parties
La société Kronenbourg poursuit l’infirmation du jugement de ce chef et rappelle qu’on ne peut reprocher à une publicité de valoriser le produit pour lequel elle est diffusée, ni d’être incitative, ni lui imposer d’être objective.
Elle fait valoir que le film retrace l’histoire de Grimbergen, une abbaye située en Belgique, fondée en 1128, en partie détruite au 16e siècle, restaurée à partir de 1629. Elle précise que dès le 16e siècle, le phoenix figure déjà dans les armoiries et sceaux des abbés de l’Abbaye de Grimbergen (pièce 18) et est associé à la devise ‘Ardet nec consumitur’. Elle explique que ces symboles ont été choisis car l’Abbaye, brûlée à plusieurs reprises à la suite de guerres civiles ou de guerres de religions, a toujours été reconstruite. Elle soutient donc que le film décrit l’histoire de l’Abbaye et vient expliciter le choix qu’elle a fait de son emblème et de sa devise. Selon elle, le phoenix est devenu très naturellement et très légitimement l’emblème de la marque de bière Grimbergen en raison de ses pouvoirs de régénérescence.
Elle ajoute que cet animal légendaire figure sur les produits Grimbergen depuis au moins 1958 tout comme la devise ‘Ardet nec consumitur’ et qu’il s’agit d’une référence très explicite à l’origine historique du produit, c’est-à-dire à un élément autorisé par l’article L.3323-4 du code de la santé publique pour la publicité en faveur des alcools puisque aucune objectivité n’est exigée par cette disposition.
Elle rétorque à l’ANPAA qui lui oppose que la bière Grimbergen n’est plus brassée entre les murs de l’Abbaye et que le produit actuel n’a plus aucun lien objectif avec celle-ci que le fait que cette bière
soit produite dans une brasserie à Obernai est sans influence, le propos de Kronenbourg n’étant pas de fournir une indication géographique sur le lieu de fabrication du produit, mais bien une référence à son origine, indication d’autant plus légitime qu’elle est particulièrement originale et permet d’identifier ce produit par rapport à ceux de ses concurrents. Elle ajoute que les pères de l’Abbaye de Grimbergen entretiennent en outre des liens étroits avec Carlsberg qui a permis un développement international de la bière Grimbergen (pièces 12 et 18 attestations du Père Karel Stautemas et de l’Abbé Erik de Sutter) ; qu’ils sont également étroitement impliqués dans le développement et l’approbation des recettes de bières de la marque de sorte que le lien étroit entre l’Abbaye, son histoire et la bière Grimbergen est démontré.
Selon la société Kronenbourg, le film ne contient pas d’autres éléments que la description de cette origine historique ; il évoque, selon elle, d’abord la signification du symbole du phoenix, ensuite les différentes étapes de la création puis des destructions successives de l’Abbaye, une abbaye créé en 1128 par Saint Norbert et ses disciples dans un petit village des Flandres au Nord de Bruxelles, ravagée par les guerres, reconstruite et restaurée à de nombreuses reprises, intégrant la brasserie ; en conclusion du film, il est indiqué que la bière a su résister au fil des siècles, ce qui montre le lien étroit entre l’histoire de l’Abbaye et celle de la bière et le film n’a d’autre but que de retracer l’origine historique du produit.
La société Kronenbourg ajoute qu’il s’agit d’une pratique très fréquente en la matière puisque de très nombreuses marques d’alcool utilisent leur emblème ou logo dans le cadre de leur communication publicitaire et font référence à l’origine du produit. A titre d’illustration de son propos, elle cite, en particulier, Johnnie Walker : l’homme qui marche ‘une belle allure depuis 1820’ ; la veuve X ‘depuis 1810, Madame X appose sa signature sur ses bouteilles’, de Chivas ‘A story of brothers’.
Elle soutient qu’il est absurde de prétendre, comme le soutient son adversaire, que le film litigieux ne poursuivrait pas d’autre but que de valoriser le produit en l’associant à un animal légendaire, qu’il laissait croire au consommateur que sa consommation lui procurerait des pouvoirs exceptionnels, aurait des effets sur sa santé ou sa forme alors que l’objet de la communication de Grimbergen est seulement de rappeler l’origine historique du produit.
Elle demande donc l’infirmation du jugement de ce chef et affirme que ce film est conforme aux dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
L’ANPAA sollicite la confirmation du jugement dont les motifs, selon elle, ne souffrent d’aucune critique.
Elle invoque le constat du 17 septembre 2015 dressé par l’huissier de justice mandaté par elle (pièce 3) et rappelle que la Cour de cassation sanctionne les publicités pour une boisson alcoolique qui ne la présentent pas de manière objective et informative. Elle en conclut que tout élément relatif à la publicité d’un tel produit ne doit faire état que de mentions purement objectives se rapportant à celles énumérées et définies à l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
Elle conteste la présentation faite par la société Kronenbourg de la finalité de ce film qui serait de retracer ‘l’histoire de Grimbergen’, ce qui est inexact dès lors que ce film porte, dans ces trois premiers épisodes, sur l’histoire de la représentation de l’animal légendaire qu’est le phénix pour les civilisations antiques perses, grecques et romaines.
Or, elle relève que la société Kronenbourg précise elle-même que l’Abbaye de Grimbergen n’a été fondée qu’en 1128 de sorte que les trois premiers épisodes de ce film publicitaire ne sauraient se rattacher à l’origine de la bière Grimbergen rendant ainsi le film litigieux illicite.
En outre, elle observe que la société Kronenbourg indique également que la brasserie de l’Abbaye de Grimbergen a été fondée en 1629 de sorte que les épisodes intitulés ‘1152’ et ‘1566’ (4 et 5) n’ont
aucun lien objectif avec les origines de la boisson alcoolique Grimbergen.
Concernant l’épisode 6 intitulé ‘1798’, l’ANPAA précise qu’il évoque la restauration de l’Abbaye et son démantèlement durant la Révolution, mais qu’il n’est nullement question, dans cet épisode, des origines de la boisson alcoolique.
Enfin, l’ANPAA mentionne que l’épisode 7 intitulé ‘la bière’ évoque la boisson alcoolique et sa recette, qu’il y est mis en exergue les ‘saveurs inattendues’ de cette boisson ce qui, selon elle, ne consiste pas en une référence objective aux qualités gustatives de la boisson alcoolique Grimbergen, mais au contraire constitue un commentaire subjectif et laudatif.
L’ANPAA souligne en outre que le film litigieux évoque également le slogan de l’Abbaye de Grimbergen ‘Ardet nec consumitur’ pour tenter de justifier le lien entre ce film publicitaire et l’origine du produit. Cependant, selon elle, outre le fait que ce slogan n’est pas une indication objective de l’origine de la bière Grimbergen, son utilisation renvoie à l’imaginaire du phoenix, oiseau légendaire renaissant de ses cendres, afin de donner une image valorisante de la consommation de cette boisson qui donne à penser qu’elle permettrait de se régénérer.
Elle indique encore que le film se termine par les paroles ‘Une bière au caractère unique est née de cette Abbaye et de son histoire légendaire’ ce qui démontre de plus fort que cette assertion tend à opérer un rapprochement entre l’origine de la boisson alcoolique Grimbergen et l’histoire de l’Abbaye du même nom alors que, outre le fait que l’histoire de cette abbaye n’a en aucun cas le caractère légendaire que lui affuble ce film publicitaire puisque de nombreuses abbayes ont été détruites et reconstruites dans leur histoire, ce film tente de faire croire que le prétendu caractère de la bière proviendrait de l’histoire de l’Abbaye.
Selon l’ANPAA, ce raisonnement est dénué de tout fondement objectif, ni même objectivable et dès lors ne répond aucunement aux critères définis par l’article L3323-4 du code de la santé publique et ce d’autant moins qu’elle intègre le terme ‘légendaire’, qui par définition comporte une part d’irréel, d’affabulation et d’enjolivement autour de faits qui ont pu se produire. La notion de légende, qui se définit comme un récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique, ne renvoie pas à une mention objective de l’origine de la bière Grimbergen de sorte qu’elle constitue une mention illicite.
Elle insiste sur le fait que cette référence au caractère prétendument unique de la bière Grimbergen n’est pas une référence objective et informative sur les caractéristiques gustatives de cette boisson et constitue donc une mention illicite.
De plus, l’ANPAA fait valoir que, contrairement à ce que soutient la société Kronenbourg, la représentation du phoenix et l’apposition du slogan ‘Ardet nec consumitur’ n’ont aucun lien avec l’origine historique de la boisson alcoolique Grimbergen, peu important que ces éléments aient été déposés à titre de marque. En effet, l’ANPAA observe que la bière en question est produite par un industriel, les procédés de fabrication actuels de la bière Grimbergen n’ont plus aucun lien avec celles de l’Abbaye du même nom. Elle souligne que cette bière n’est plus fabriquée dans une abbaye mais sur un site industriel, à Obernai ; qu’il est donc abusif de communiquer sur l’histoire d’une abbaye qui n’a plus aucun lien avec le producteur de la boisson alcoolique Grimbergen ; que le seul lien qui existe est le nom de la bière qui est commun à celui de l’Abbaye. (Pièce n°11)
Elle prétend que l’utilisation d’une marque sur une publicité en faveur de boissons alcooliques n’est possible que si celle-ci respecte la loi Evin et opère un rapprochement entre la présente espèce et l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 31 mai 1995 (Crim., 31 mai 1995, pourvoi n° 94-82.989, Bull. crim. 1995 N° 201
) où la haute juridiction a rappelé que la licéité d’une marque ne l’autorise pas à
s’affranchir des règles instaurées par la loi Evin. Elle en conclut, au fondement de cette jurisprudence, que l’utilisation d’une devise est soumise au respect des mêmes principes.
Selon l’ANPAA, il est patent que le film finalement insiste sur le symbole du Phoenix et sur les vertus régénératrices auxquelles il est assimilé et, ce faisant, la société Kronenbourg ne se réfère ni à l’origine, ni à la dénomination, ni au mode d’élaboration ou aux modalités de vente et au mode de consommation de la boisson alcoolique Grimbergen ni à ses qualités gustatives et olfactives.
Par voie de conséquence, elle soutient que ce film publicitaire, qui contient de nombreux mentions et visuels le rendant illicite ne pouvant pas être rattaché à une indication, par nature objective et informative, relative à l’origine du produit, doit être retiré du site www.grimbergen.fr. Elle sollicite donc la confirmation du jugement de ce chef.
‘ Appréciation de la cour
Selon l’article L.3323-4 du code de la santé publique (soulignée par la cour), ‘la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à l’indication du degré volumique d’alcool, de l’origine, de la dénomination, de la composition du produit, du nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires ainsi que du mode d’élaboration, des modalités de vente et du mode de consommation du produit.
Cette publicité peut comporter des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine telles que définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés. Elle peut également comporter des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.
Le conditionnement ne peut être reproduit que s’il est conforme aux dispositions précédentes.
Toute publicité en faveur de boissons alcooliques, à l’exception des circulaires commerciales destinées aux personnes agissant à titre professionnel ou faisant l’objet d’envois nominatifs ainsi que les affichettes, tarifs, menus ou objets à l’intérieur des lieux de vente à caractère spécialisé, doit être assortie d’un message de caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.’
L’analyse de ce texte enseigne que la publicité autorisée pour les boissons alcooliques est limitée à certaines de ses caractéristiques à savoir :
* le degré volumique d’alcool,
* l’origine,
* la dénomination,
* la composition du produit,
* le nom et de l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires,
* le mode d’élaboration,
* les modalités de vente et
* le mode de consommation du produit.
L’ensemble de ces éléments est facilement descriptible et en définitive se réfère à des caractéristiques objectives.
Cet article précise en outre que la publicité peut comporter des références relatives aux
* terroirs de production,
* distinctions obtenues,
* appellations d’origine telles que définies à l’article L. 115-1 du code de la consommation ou aux indications géographiques telles que définies dans les conventions et traités internationaux régulièrement ratifiés.
Les quatre éléments énumérés ci-dessus renvoient manifestement à des caractéristiques objectives du produit. Ainsi, un terroir de production fait référence à une zone géographique particulière ; les distinctions renvoient aux récompenses dont le produit a pu bénéficier ; les appellations d’origine sont définies par renvoi à l’article L. 115-1 du code de la consommation et enfin les indications géographiques se réfèrent aux conventions et traités internationaux.
Le texte indique encore que la publicité peut également faire état de la couleur, de l’odeur et du goût de la boisson alcoolique mais dans ce cas, il est précisé que ces références devront être objectives. La précision relative à l’objectivité apparaît ici manifestement nécessaire parce que, à l’inverse des autres éléments susmentionnés, la description de la couleur, de l’odeur, du goût d’un alcool prête à la mise en exergue d’éléments subjectifs, poétiques, discutables à l’inverse des éléments ci-avant énumérés.
Il s’ensuit que ce texte doit être compris comme définissant de manière stricte et limitée le champ de la publicité en faveur des boissons alcooliques aux seules indications et références spécifiées à l’article L.3323-4 du code de la santé publique. La publicité ainsi autorisée doit présenter un caractère objectif et informatif qui ne concerne donc pas seulement les références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.
Il convient en outre de rappeler que l’objet du présent litige ne porte pas sur la licéité du choix par la société Kronenbourg de cet animal légendaire qui figure sur les produits Grimbergen, ni sur celle de la devise ‘Ardet nec consumitur’, mais sur la licéité de ce film publicitaire au regard des exigences de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
Or, la description faite du film ‘La légende du Phoenix’ par l’huissier de justice (pièce 3) et le visionnage de ce film par la cour montre à l’évidence qu’il n’a pas pour ambition de fournir des informations objectives et informatives sur le produit, ce qui n’est du reste pas soutenu par la société Kronenbourg. Il est patent que ce film publicitaire ne se limite pas aux caractéristiques objectives énumérées à l’article L.3323-4 de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a ordonné son retrait, sous astreinte, du site www.grimbergen.fr. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le caractère illicite du film publicitaire ‘Les territoires d’une légende’
Le tribunal a déclaré illicite le film ‘les territoires d’une légende’ aux motifs que ce film, en faisant survoler par un phoenix, emblème de la marque Grimbergen, différents territoires, ne faisait aucunement référence objective aux caractéristiques gustatives du produit, ou à son terroir d’origine, mais valorisait la consommation de cette boisson auprès d’un public jeune en l’associant à des territoires imaginaires, dont le visuel rappelait sans équivoque, ceux du générique de la série ‘Games of Thrones’.
‘ Moyens des parties
La société Kronenbourg poursuit l’infirmation du jugement de ce chef et soutient, outre les raisons développées précédemment sur l’objectivité de la publicité et la valorisation du produit, que le film
fait bien référence à l’origine du produit et à sa composition et qu’il n’est pas possible de considérer que toutes références aux mentions visées à l’article L.3323-4 du code de la santé publique devraient être objectives sans dénaturer ce texte.
Elle soutient qu’en identifiant les territoires de la marque Grimbergen pour chaque produit de sa gamme et en les rattachant à son histoire, qui est indissociable de l’Abbaye de Grimbergen, elle a inscrit sa communication dans le respect des dispositions de l’article L.3323-4 susvisé. Elle précise qu’aujourd’hui encore tout nouveau produit de la gamme doit recevoir l’agrément de l’Abbaye de Grimbergen et les Pères de l’Abbaye sont étroitement impliqués dans le développement des recettes (pièces 12 à 18).
Elle ajoute que le film montre un phoenix survolant des territoires composés de végétaux qui correspondent aux ingrédients entrant dans la composition des différentes variétés de la gamme Grimbergen puis pénètre dans l’Abbaye de Grimbergen.
Elle insiste sur le fait qu’il doit être constaté que ce film se rattache aux éléments autorisés par l’article L.3323-4 du code de la santé publique ; d’abord, le phoenix, l’Abbaye et son vitrage font référence à l’origine historique du produit ; ensuite les différents paysages traversés se rattachent à la composition du produit, à savoir le rouge pour la Grimbergen rouge, la couleur brune pour la Grimbergen ambrée, le blanc pour la Grimbergen blanche et le blond pour la Grimbergen blonde. Elle ajoute que la référence au produit est confirmée par le plan final dans lequel sont présentées quatre bouteilles des différents produits de la marque (Rouge, ambrée, blanche et blonde) ainsi qu’un verre dans un décor où apparaissent de manière accessoire deux globes terrestres et une bibliothèque qui ne font que rappeler la spécificité de cette bière d’Abbaye. La société Kronenbourg prétend que le tribunal s’est trompé quand il lui a reproché de ne pas faire des références ‘objectives’ parce que selon elle le texte ne l’exige pas.
La société Kronenbourg prétend qu’il ne peut être interdit à un industriel d’user de sa liberté de communication en exigeant, au-delà de la loi Evin, que ses campagnes soient purement informatives sans aucune liberté de création publicitaire.
Elle conteste les allégations de son adversaire, suivi sur ce point par le tribunal, selon lesquelles ce film s’inspire, voire plagie la série ‘Games of Thrones’ et le fait que quelques internautes aient pu abonder dans ce sens ne saurait lier la cour. Elle ajoute que les titulaires des droits sur cette série n’ont pas critiqué ce film de sorte que les attaques ainsi développées par l’ANPAA sont dénuées de toute pertinence.
Elle ajoute que le film n’est pas particulièrement destiné aux jeunes et qu’en tout état de cause, il faut être majeur pour accéder au site de Grimbergen comme l’a constaté l’huissier de justice mandaté par l’ANPAA (pièce adverse 3 page 6).
Elle indique que les développements de l’ANPAA relatifs à Facebook sont hors de propos, puisque Facebook n’est pas un site destiné à la jeunesse et qu’il bloque systématiquement l’accès aux pages concernant les boissons alcooliques pour les internautes ayant moins de 18 ans (pièces 1 et 5).
Elle demande dès lors l’infirmation du jugement en ce qu’il a déclaré illicite le film ‘les territoires d’une légende’.
L’ANPAA poursuit la confirmation du jugement de ce chef et rétorque que le film litigieux a été décrit dans le constat dressé à sa demande par un huissier de justice le 17 septembre 2015 (pièce 3). Elle soutient que ce film s’inspire, voire plagie, le générique de la série à grand succès ‘Games of Thrones’, comme l’ont relevé de nombreux internautes (pièces 15 à 20) et, en outre, qu’il comporte des éléments ne constituant pas des références objectives et informatives à l’origine du produit. Elle précise que le visionnage du générique de la série à succès et celle du film publicitaire sur la
plate-forme de vidéos Youtube permettra de constater leur quasi-identité (pièce 3).
Elle ajoute que l’interprétation que la société Kronenbourg fait du texte de l’article L.3323-4 du code de la santé publique selon laquelle il ne saurait lui être reproché de ne pas faire des références ‘objectives’ au produit alcoolique, objet de la publicité, n’est pas conforme au droit positif de sorte qu’elle ne peut qu’être condamnée.
Elle en conclut que ce film publicitaire ne saurait être déclaré licite que s’il contient des références objectives à l’origine et la composition du produit ce qui n’est manifestement pas le cas en l’espèce. Les références au phoenix, à l’Abbaye et au vitrail ne sont pas, selon elle, des références à l’origine du produit, mais à la congrégation qui a jadis créé la recette d’une bière et désormais la sous-traite à la société Kronenbourg pour qu’elle soit produite dans les usines d’Obernai.
Pareillement, les paysages traversés par le phoenix durant son vol ne constituent pas des références objectives et informatives sur la composition du produit. Elle ajoute que, à supposer que cette composition pourrait être considérée comme une allégorie, la vitesse du film empêche l’internaute de pouvoir identifier les éléments de décor pouvant entrer dans la composition de la bière. En outre, elle rappelle que ce procédé publicitaire est prohibé par l’article L. 3323-4 précité qui permet uniquement l’indication, précise et objective par nature, de la composition du produit dans les publicités pour les boissons alcooliques.
Dans ces conditions, elle demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a déclaré illicite le film publicitaire litigieux et ordonné, sous astreinte, son retrait du site Grimbergen.fr.
‘ Appréciation de la cour
Selon le constat de l’huissier de justice mandaté par l’ANPAA et conformément au visionnage de ce film par la cour, il apparaît que le film publicitaire ‘Les territoires d’une légende’ est un film d’animation musicale d’une durée de 57 secondes qui s’ouvre sur un blason au nom ‘Grimbergen’ sur lequel un rapace pose lourdement sa patte ; qu’apparaît en gros plan l’oeil de cet oiseau qui s’envole au-dessus d’une carte présentant des territoires ; qu’au fur et à mesure de l’envol de cet oiseau, les décors se construisent les uns à la suite des autres, sous forme de paysages ou de monuments, pour présenter quatre verres de bière aux couleurs différentes (rouge, brune, blanche, jaune) portant le blason Grimbergen agrémenté du Phoenix jaune, chacun dans un décor particulier ; qu’un territoire survolé porte le nom de la ‘Cascade blanche’ ; que le film se termine par la sortie de terre d’une Abbaye dont un vitrail représente un phoenix ; qu’ensuite, le spectateur est projeté à l’intérieur de l’Abbaye dans laquelle vole un phoenix qui se pose en criant et en déployant ses ailes, au pied d’un verre de bière au nom de ‘Grimbergen’ ; que la scène finale présente quatre bouteilles de bière, blanche, rouge, blonde et ambrée avec un verre empli de bière ; que sur le côté gauche apparaissent une bougie et de vieux manuscrits ainsi qu’un appareil astronomique et il est proposé de ‘tester la bière Grimbergen’.
Le visuel de ce film sans constituer un plagiat du générique de la série culte ‘Games of Thrones’ présente toutefois de fortes ressemblances tant en ce qui concerne la musique qui l’accompagne, que la construction des plans, le survol des territoires, les décors qui se construisent au fur et à mesure… ce film est manifestement esthétique, attractif et destinée à donner une image valorisante de la bière Grimbergen et à inciter à sa consommation.
Un tel film publicitaire ne respecte dès lors manifestement pas les exigences de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique qui limitent la publicité en matière de produit alcoolique aux seules caractéristiques objectives qui y sont énumérées. En effet, les différents plans qui sont montrés ne constituent ni des références objectives ni informatives sur la composition du produit. Par exemple, il est incontestablement impossible de discerner aisément, s’agissant de la bière rouge, les fruits rouges qui l’aromatiseraient à savoir, aux dires de l’appelante, fraise, airelle rouge et sureau ; de même,
s’agissant de la bière blanche, la bergamote, les épices florales ; de même, s’agissant de la bière ambrée, le caramel et la réglisse.
Il s’ensuit que ce film, qui ne se veut pas informatif, contrevient aux dispositions de l’article L.3323-4 de sorte que c’est à bon droit que le premier juge a ordonné, sous astreinte, son retrait du site www.grimbergen.fr. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur le caractère illicite du jeu des territoires
Pour déclarer illicite le ‘jeu des territoires’ en ligne et ordonner son retrait du site www.grimbergen.fr sous astreinte, le tribunal a retenu que l’objectif qu’il poursuivait consistait à inciter principalement les jeunes à consommer cette boisson en s’adonnant à une activité ludique et dérivative.
‘ Moyens des parties
La société Kronenbourg poursuit l’infirmation du jugement de ce chef et soutient que le code de la santé publique n’interdit pas, par principe, la mise en place d’un jeu en ligne ; qu’il n’interdit pas plus toute incitation à la consommation d’alcool, mais prohibe seulement l’incitation à la consommation excessive d’alcool.
En l’espèce, selon elle, ce jeu ne pousse pas à l’excès puisqu’il s’agit d’un jeu en ligne gratuit, qui n’implique aucun achat, qui n’offre aucune donation et ses éléments sont directement liés à la composition du produit et à son origine historique.
Elle souligne que ce jeu a pour seule vocation de permettre aux internautes de se distraire au moyen d’un certain nombre d’animations liées aux décors évoquant chacune des bières de la gamme Grimbergen. C’est ainsi que le plateau de Kriek, montrant des cerises, renvoie à Grimbergen Kriek qui a un goût de cerise et permet de retrouver un verre de Grimbergen Kriek ; que l’écorce ambrée évoque la bière ambrée, ses malts torréfiés et ses notes de caramel et permet de découvrir un visuel de bière ambrée ; que la cascade blanche évoque la fraîcheur l’eau, ingrédient principal de la bière, et la couleur de la bière blanche ; que l’Abbaye du phoenix évoque les origines historiques du produit ; que les montagnes rouges évoquent la bière rouge de Grimbergen et présentent un visuel de verre qu’il faut reconstituer ; que la crête enneigée présente l’image d’un verre de bière et l’image de l’Abbaye de Grimbergen et renvoie à la fraîcheur de l’eau qui trouve sa source dans les montagnes vosgiennes ; que la vallée verdoyante permet de retrouver des visuels de produits (verres, pack ou bouteille), mais également de ses ingrédients (orge et houblon) ; que la réserve de Grimbergen évoque les produits de la marque.
Selon la société Kronenbourg, ce jeu permet d’évoquer les spécificités de chacune des bières de la gamme en les illustrant au travers de visuels de produits et d’éléments participant à sa composition ou à ses caractéristiques olfactives et gustatives, à son mode de consommation ou à son origine historique. Elle admet que la technique employée est ludique, mais elle prétend que rien ne l’interdit dès lors que le contenu est conforme à l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
Elle ajoute que l’ANPAA ne justifie pas, par ses productions, l’argument selon lequel ce jeu serait principalement destiné à la jeunesse. En outre, elle rappelle qu’il faut être majeur pour accéder au site de Grimbergen, ce qui démontre que le jeu n’est pas principalement destiné aux jeunes. Enfin, selon les termes d’une étude réalisée par le CNC la moyenne d’âge des joueurs de jeux vidéo est de 31 ans (Pièce n°4).
Par conséquent, elle demande à la cour de retenir que le jeu est conforme aux dispositions de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique et d’infirmer le jugement de ce chef.
L’ANPAA poursuit la confirmation du jugement de ce chef et rétorque qu’il résulte du procès-verbal dressé par l’huissier de justice (pièce 3) que ce jeu met en scène une carte reproduisant des territoires fictifs sur lesquels il est possible de cliquer pour accéder à plusieurs jeux différents ; que la description faite du jeu par l’huissier de justice met en évidence l’existence de nombreuses mentions non autorisées par l’article L. 3323-4 du code de la santé publique. Ainsi, en est-il des dénominations de chacun des territoires qui sont fictifs. Elle ajoute que ces dénominations sont en outre illicites car elles ne se rattachent pas à une indication objective de la composition du produit, de sa couleur ou de ses qualités gustatives. Elle souligne également que la finalité de ces jeux tend à retenir l’attention de l’internaute en lui permettant d’associer la bière Grimbergen à une parenthèse ludique et ainsi que ces jeux sont en mesure d’attirer un public de jeunes adultes, qui en est particulièrement friand. Elle fait enfin valoir que l’activité ludique et récréative que constitue ce jeu entre en contradiction avec la position de la Cour de cassation selon laquelle toute publicité présentant une boisson alcoolique de manière valorisante est interdite ( Cass. Crim. 29 novembre 2005, n° 05-81.189 et Cass. Crim. 19 décembre 2006, n°05-87.268).
L’intimée en conclut que le jugement déféré ne pourra qu’être confirmé de ce chef.
‘ Appréciation de la cour
Dans son constat du 17 septembre 2015, le jeu des territoires est ainsi décrit :
* la page d’accueil du jeu montre une carte reproduisant des territoires fictifs sur lesquels il est possible de cliquer pour accéder à plusieurs jeux différents ;
* neuf territoires figurent sur cette carte : la cascade blanche, la crête enneigée, le plateau de Kriek, l’écorce ambrée, les montagnes rouges, la vallée verdoyante, la réserve de Grimbergen et A VENIR ;
* le jeu est accessible en cliquant sur la ‘Cascade blanche’ et invite à cliquer sur un maximum de fleurs dans le temps imparti ; un score de points acquis apparaît et on propose à l’internaute de retenter sa chance pour améliorer son score et de sauvegarder son score en s’inscrivant avec son adresse mail et un mot de passe ;
* en cliquant sur ‘la crête enneigée’, l’huissier de justice indique qu’ ‘apparaît un fonds montagneux et au milieu un verre de bière Grimbergen on me propose d’appuyer le plus vite possible sur la barre espace pour tenter de retirer le calice du rocher.’ ; qu’en cliquant sur ‘Je joue’ et en utilisant la barre d’espacement un verre de bière, rempli à raz bord, le liquide étant surmonté d’une mousse dépassant le bord du verre ; l’huissier de justice ajoute que le jeu lui indique qu’il reste encore deux essais et qu’il peut publier sur le site Facebook ou découvrir le site Grimbergen.
De telles indications, en particulier fictives, ne sont manifestement pas conformes aux exigences de l’article L. 3323-4 du code de la santé publique puisqu’elles ne fournissent pas des informations objectives sur l’origine du produit ou le terroir de production de celui-ci.
En outre, comme le retient le tribunal, l’objectif poursuivi par ce jeu consiste à inciter principalement le jeune public à consommer cette boisson en s’adonnant à une activité ludique et dérivative, ce que la loi prohibe. S’agissant de l’argument selon lequel, le jeu avertit le public de l’obligation d’être majeur pour y jouer, il n’apparaît ni sérieux ni dissuasif ; en effet, il suffit de cliquer sur le carré ‘oui’ (à la question ‘plus de 18 ans’) sans aucun autre contrôle ou frein pour jouer de sorte qu’un mineur peut très aisément jouer.
Le jugement en ce qu’il dit illicite ce jeu et ordonne son retrait sous astreinte sera dès lors confirmé.
Sur le caractère illicite des publicités portant le slogan ‘l’intensité d’une légende’
Pour déclarer illicites les publicités portant le slogan ‘l’intensité d’une légende’ et ordonner leur retrait sous astreinte, le tribunal a retenu que si la notion d’ ‘intensité’ se référait au goût de la bière, qui aurait un goût intense, en revanche, la référence à la notion de ‘légende’ n’avait aucun rapport avec le goût, l’origine ou le terroir de la bière. Il a relevé que l’association ‘intensité d’une légende’ ne renseignait pas sur l’origine historique de la bière de l’Abbaye de Grimbergen comme le soutenait la société Kronenbourg, mais créait une association d’idées chez le consommateur entre la consommation de la bière Grimbergen et le fait de vivre un moment unique, magique, exceptionnel.
Il en a conclu que ces publicités incitaient à la consommation et allaient manifestement au-delà des limitations autorisées par les dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
‘ Moyens des parties
La société Kronenbourg poursuit l’infirmation du jugement de ce chef et rappelle que la loi ne fait nullement interdiction à la publicité sur les boissons alcooliques d’être incitative puisqu’elle autorise la publicité dont la fonction est précisément d’inciter à l’achat des produits d’un annonceur ; que la seule interdiction est l’incitation à la consommation excessive d’alcool.
Elle prétend, au surplus, que la légende se rattache directement à cette bière dont elle a démontré l’origine particulièrement originale qui l’autorise à être considérée comme une légende parmi les produits de sa catégorie.
Elle soutient que ce slogan ‘l’intensité d’une légende’ se rattache tout à la fois aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit et à son origine historique de sorte qu’il est conforme aux dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
L’ANPAA poursuit la confirmation du jugement et relève que la notion de ‘légende’ qui se définit comme un récit à caractère merveilleux, où les faits historiques sont transformés par l’imagination populaire ou l’invention poétique, ne renvoie pas à une mention objective de l’origine de la bière de sorte que, conformément aux motifs du jugement déféré, ce slogan est illicite au regard des exigences de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
‘ Appréciation de la cour
C’est par d’exacts motifs, pertinents et circonstanciés, adoptés par cette cour, que le premier juge a déclaré le slogan ‘l’intensité d’une légende’ illicite et ordonné le retrait des publicités portant ce slogan sous astreinte.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur la demande de l’ANPAA aux fins de faire interdiction à la société Kronenbourg de faire usage du slogan ‘L’intensité d’une légende’ sur tout support publicitaire
‘ Moyens des parties
Pour justifier du bien-fondé de cette demande, l’ANPAA fait valoir que la société Kronenbourg a utilisé ce slogan dans de nombreuses publicités diffusées par voie de presse comme le démontrent les pièces 36, 38, 39 et 40 qu’elle verse aux débats.
La société Kronenbourg s’oppose à cette demande générale d’interdiction de ce slogan alors que les pièces produites n’en démontrent pas le bien-fondé.
‘ Appréciation de la cour
Pour justifier le bien fondé de sa demande, l’ANPAA verse aux débats les pièces suivantes :
* la pièce 36 constituée de deux photocopies distinctes, la première montre une page recto verso du quotidien ’20 minutes’ ne contenant aucune publicité relative à la bière Grimbergen, la seconde montre une page recto d’une publicité pour la bière blonde Grimbergen contenant le slogan litigieux ; la cour constate cependant que, s’agissant de cette seconde photocopie, aucune référence, aucune mention ne permet de rattacher cette publicité au journal figurant sur la première photocopie susmentionnée ; il ne peut donc être retenu que cette publicité a été diffusée par le truchement de ce quotidien ;
* la pièce 38 constituée encore de deux photocopies distinctes, la première montre une page recto de l’hebdomadaire ‘Le courrier International’, la seconde montre la photocopie d’une page recto d’une publicité pour la bière blonde Grimbergen contenant le slogan litigieux ; cependant, pour les mêmes motifs que ceux énoncés antérieurement, il ne peut être retenu que cette publicité a été diffusée par le truchement de cet hebdomadaire ;
* la pièce 39 constituée encore de deux photocopies distinctes, la première montre une page recto du quotidien ’20 minutes’, la seconde montre la photocopie d’une page recto d’une publicité pour la bière blonde Grimbergen contenant le slogan litigieux ; cependant, pour les mêmes motifs que ceux énoncés antérieurement, il ne peut être retenu que cette publicité a été diffusée par le truchement de ce quotidien ;
* la pièce 40 constituée encore de deux photocopies distinctes, la première montre une page recto du supplément du journal ‘Le Monde’, la seconde montre la photocopie d’une page recto d’une publicité pour la bière blonde Grimbergen contenant le slogan litigieux ; cependant, pour les mêmes motifs que ceux énoncés antérieurement, il ne peut être retenu que cette publicité a été diffusée par le truchement de ce journal.
Il découle de ce qui précède que la demande de l’ANPAA ne saurait être accueillie.
Sur la demande de dommages et intérêts formée par l’ANPAA
Pour rejeter la demande de dommages et intérêts formée par l’ANPAA, le premier juge a retenu que cette dernière ne démontrait pas l’existence du préjudice qu’elle alléguait.
‘ Moyens des parties
L’ANPAA poursuit l’infirmation du jugement de ce chef et fait valoir qu’elle est une association reconnue d’utilité publique depuis 1880 et agréée d’éducation populaire depuis 1974 ; que son but est de promouvoir et de contribuer à une politique globale de prévention des risques et des conséquences de l’alcoolisation et des pratiques addictives par tous les moyens en son pouvoir et notamment par l’appel à l’opinion et par une action constante auprès des pouvoirs publics et des autres décideurs, par l’éducation à la santé de chacun et par la formation de relais dans tous les milieux et par une aide, des soins et un accompagnement médico-psycho-social.
Elle rappelle avoir également pour objectif de veiller à l’amélioration et à l’application de la législation en la matière et d’exercer ses droits reconnus de partie civile.
Elle ajoute développer ses actions de prévention sur l’ensemble du territoire car, outre son siège national, elle est présente sur presque tout le territoire français. Elle indique ainsi agir auprès des publics de tout âge (enfants, jeunes, adultes et seniors) et dans tous les milieux (scolaires, extra-scolaire, sécurité routière, jeunes et adultes sous main de justice, femmes enceintes, etc…).
En conséquence, elle soutient être fondée, en raison de sa mission éducative et de sauvegarde de la santé publique et particulièrement auprès des jeunes populations, à solliciter l’interdiction des publicités pour les boissons alcooliques qui ont pour effet d’inciter à la consommation excessive de
boissons alcooliques.
Elle fait valoir qu’agir contre les addictions nécessite une démarche globale tantôt au plus proche de l’individu, tantôt en considérant son environnement ; que ce dernier point justifie et légitime les mesures d’encadrement de la vente et de la promotion des boissons alcooliques telles que prévues par la loi Evin et le code de la santé publique ; que son action vise de ce fait à faire respecter la loi et pour y parvenir, qu’elle veille à ce que les publicités en faveur des boissons alcooliques respectent la neutralité et ce pour garantir une cohérence globale du dispositif. Dans le cas contraire, toutes ses actions s’en trouvent fortement perturbées par les contradictions que ne manqueront pas de constater les personnes qu’elle rencontre dans le cadre d’actions de prévention, de soin ou de réduction des risques.
Elle rappelle que l’alcool est la deuxième cause de cancers après le tabac ; que les effets néfastes de l’alcoolisme engendrent un coût social important ; que 55% des femmes victimes de violence de leur compagnon déclarent que leur partenaire était sous l’emprise de l’alcool au moment des faits ; que la publicité sur internet a eu une incidence directe incontestable sur la consommation alcoolique des jeunes.
Elle indique que les tribunaux qui sanctionnent les publicités illicites en faveur des boissons alcooliques admettent l’existence du préjudice subi par elle en raison de ces faits illicites. Elle prétend que ces faits illicites remettent en cause tous ses efforts en matière de prévention et d’action contre les effets sur le public de la consommation abusive de ce produit ; que ces publicités illicites, largement diffusées, contrarient les objectifs qu’elle poursuit et lui cause un préjudice direct et distinct qui sera réparé par l’allocation de la somme de 70 000 euros.
La société Kronenbourg poursuit la confirmation du jugement de ce chef et rétorque que l’ANPAA ne justifie toujours pas en cause d’appel l’existence du préjudice qu’elle allègue.
‘ Appréciation de la cour
L’ANPAA, association reconnue d’utilité publique depuis 1880 et agréée d’éducation populaire depuis 1974, dont l’objet est, en particulier, de promouvoir et de contribuer à une politique globale de prévention des risques et des conséquences de l’alcoolisation et des pratiques addictives par tous les moyens en son pouvoir et notamment par l’appel à l’opinion et par une action constante auprès des pouvoirs publics et des autres décideurs, par l’éducation à la santé de chacun et par la formation de relais dans tous les milieux et par une aide, des soins et un accompagnement médico-psycho-social justifie de l’existence du préjudice moral direct que lui cause le non-respect des dispositions de l’article L.3323-4 du code de la santé publique.
En effet, les efforts qu’elle fournit, notamment financiers et humains, de manière désintéressée pour promouvoir ses objectifs deviennent inutiles dès lors que ne sont pas respectés les textes pertinents qui visent à la prévention des risques et des conséquences de l’alcoolisation et des conduites addictives ; que ses efforts malmenés par le non-respect des textes limitant la publicité en faveur des boissons alcooliques sont également de nature à générer un sentiment de découragement auprès de ses membres.
En réparation, il lui sera alloué la somme totale de 50 000 euros.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement relatives aux dépens et aux frais irrépétibles.
L’arrêt de la cour d’appel de Paris ayant été cassé et annulé en toutes ses dispositions, y compris les
dépens et l’article 700 du code de procédure civile, conformément aux dispositions de l’article 639 du code de procédure civile, il y a lieu de statuer sur les dépens afférents à la décision cassée. La société Kronenbourg, partie perdante, les supportera. Elle sera également condamnée aux dépens du présent appel et ses demandes fondées sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
L’équité commande de condamner la société Kronenbourg à verser à l’ANPAA la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire, mis à disposition,
Dans les limites de sa saisine,
Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 9 février 2017 (RG 15/14239),
Vu l’arrêt du 13 décembre 2018 de la cour d’appel de Paris (RG 17/03352),
Vu l’arrêt de la Cour de cassation du 20 mai 2020 (pourvoi n° 19-12.278),
INFIRME le jugement en ce qu’il rejette la demande de dommages et intérêts de l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie ;
Le CONFIRME pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE la société Kronenbourg à verser à l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts ;
REJETTE la demande de l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie aux fins d’interdire à la société Kronenbourg de faire usage du slogan ‘L’intensité d’une légende’ sur tout support publicitaire ;
CONDAMNE la société Kronenbourg aux dépens d’appel ;
CONDAMNE la société Kronenbourg à verser à l’Association nationale de prévention en alcoologie et en addictologie la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toutes autres demandes.
— prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
— signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,