Publicité en faveur du tabac : la CJUE saisie

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Publicité en faveur du tabac : la CJUE saisie

Saisine de la CJUE

La Fédération des fabricants de cigares a obtenu du Conseil d’Etat la saisine de la CJUE pour question préjudicielle sur le nouveau dispositif d’interdiction de publicité sur les conditionnements des produits du tabac (illégalité de l’article R. 3512-30). La CJUE devra notamment déterminer si toutes les marques de tabac sont interdites sur les conditionnements ou seules celles qui présentent un caractère attractif (bénéfique sur la santé ou le mode de vie, effets en termes de perte de poids, attractivité sexuelle, statut social, féminité, masculinité ou l’élégance …). La CJUE devra également déterminer si les nouvelles interdictions sont proportionnées et si le dispositif présente une clarté et une visibilité juridique suffisantes.

Le nouveau dispositif légal

Au sens de l’article L. 3512-21 du code de la santé publique (transposition de la directive 2014/40/UE),  l’étiquetage des unités de conditionnement et tout emballage extérieur ainsi que le produit du tabac proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément ou dispositif qui contribue à la promotion d’un produit du tabac ou incite à sa consommation ; ressemble à un produit alimentaire ou cosmétique.  Les éléments interdits comprennent notamment les messages, symboles, noms, marques commerciales, signes figuratifs ou autres. L’article R. 3512-30 du code de la santé publique énumère les types de messages, symboles, marques, dénominations commerciales, signes figuratifs ou autres considérés comme des éléments et dispositifs qui contribuent à la promotion d’un produit du tabac.

Liberté d’entreprendre et au droit de propriété

Sur la légalité de l’article R. 3512-30 du code de la santé publique, les juges suprêmes ont considéré que parmi les droits et libertés garantis par la Constitution et le droit de l’Union européenne, figurent le droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Le Conseil d’Etat a recherché si l’article 13 de la directive ne contrevient pas à ces principes fondamentaux du droit de l’Union européenne.

L’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce que toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général.

La propriété intellectuelle est aussi protégée par ce droit de propriété. Quant à l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il prévoit que : ” Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Il est jugé de façon constante par la CJUE que le droit de propriété garanti par la charte, dont fait partie le droit de propriété intellectuelle n’est pas une prérogative absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union européenne. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de propriété, à condition qu’elles répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti.

Par un arrêt du 10 décembre 2002, British American Tobacco (Investments) Ltd et Imperial Tobacco Ltd, C-491/01, la Cour de justice a jugé que s’il est vrai que cet article entraîne l’interdiction, limitée à l’emballage des produits du tabac, d’utiliser une marque qui incorpore un élément indiquant qu’un produit du tabac particulier est moins nocif que les autres, il n’en demeure pas moins qu’un fabriquant de produits du tabac peut continuer, malgré la suppression de cet élément descriptif sur l’emballage, à individualiser son produit par d’autres signes distinctifs et que la directive prévoit, en outre, un délai suffisant entre son adoption et la mise en application de l’interdiction qu’elle pose. Eu égard à l’objectif d’intérêt général poursuivi, elle en a déduit l’absence de violation du droit fondamental de propriété.

Ensuite, le 1 de l’article 11 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne énonce que : ” Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières “. Quant à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il prévoit que : ” 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. () / 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, () à la protection de la santé () “.

Ainsi qu’il résulte de l’arrêt de la Cour de justice du 4 mai 2016, Philip Morris Brands SARL et a. c/ Secretary of State for Health, C-547/14, la liberté d’expression et d’information protégée par l’article 11 de la charte, comme par l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, couvre l’utilisation, par un entrepreneur, sur les emballages et les étiquettes des produits du tabac, de mentions telles que celles faisant l’objet de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2014/40. Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés consacrés par celle-ci doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et ne saurait être admise, dans le respect du principe de proportionnalité, que si elle est nécessaire et répond effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. Si, par le même arrêt, la Cour de justice a constaté que l’examen de la question qui lui était renvoyée, portant notamment sur l’interdiction d’apposition sur l’étiquetage des unités de conditionnement, sur l’emballage extérieur, ainsi que sur le produit du tabac proprement dit, des éléments et des dispositifs mentionnés à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2014/40, même lorsqu’ils comportent des informations matériellement exactes, ne révélait aucun élément de nature à affecter la validité de cette disposition au regard de l’article 11 de la charte et du principe de proportionnalité, elle n’était pas saisie de la question de la validité, au regard des mêmes principes, du paragraphe 3 de l’article 13, qui mentionne les noms et marques commerciales parmi les éléments et dispositifs susceptibles d’être interdits. En outre, selon l’article 16 de la Charte de l’Union : ” La liberté d’entreprise est reconnue conformément au droit de l’Union et aux législations et pratiques nationales “.

Par son arrêt du 4 mai 2016, Pillbox 38 (UK) Ltd c/ Secretary of State for Health, C-477/14, la Cour de justice a jugé que la protection conférée par l’article 16 de la charte comporte la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre. La liberté d’entreprise ne constituant pas une prérogative absolue, mais devant être examinée au regard de sa fonction dans la société, elle peut être soumise à un large éventail d’interventions de la puissance publique susceptibles d’établir, dans l’intérêt général, des limitations à l’exercice de l’activité économique. Toute limitation de l’exercice de cette liberté doit être prévue par la loi, respecter son contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

Enfin, selon une jurisprudence constante de la Cour de justice, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union européenne, exige que les actes des institutions de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs. Lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. Quant au principe de sécurité juridique, il exige, notamment, qu’une réglementation de l’Union européenne permette aux intéressés de connaître sans ambiguïté l’étendue de leurs droits et de leurs obligations afin d’être en mesure de prendre leurs dispositions en connaissance de cause.

Périmètre de la question préjudicielle

En l’espèce, il résulte de la combinaison des dispositions des paragraphes 1 et 3 de l’article 13 de la directive du 3 avril 2014 que les Etats membres doivent interdire l’utilisation sur les unités de conditionnement, sur l’emballage extérieur, ainsi que sur le produit du tabac proprement dit, de certains éléments et dispositifs, dont les noms et marques commerciales, lorsque, en particulier, ils donnent aux consommateurs une impression erronée quant aux caractéristiques ou effets d’un produit, ressemblent à un produit alimentaire ou cosmétique ou suggèrent des effets bénéfiques sur la santé ou le mode de vie, ce que le considérant 27 de cette directive illustre en évoquant des effets en termes de perte de poids, d’attractivité sexuelle, de statut social, de vie sociale ou de ” qualités telles que la féminité, la masculinité ou l’élégance “.

En outre, l’article 24 de la directive permet aux Etats membres de maintenir ou d’instaurer, sous certaines conditions, de nouvelles exigences, en ce qui concerne la standardisation des conditionnements des produits du tabac, pour les aspects qui ne sont pas harmonisés par la directive.

Ces dispositions soulèvent, en premier lieu, une question sérieuse d’interprétation des dispositions des 1 et 3 de l’article 13 de la directive, relative à la portée des interdictions qu’elles prévoient lorsque celles-ci sont susceptibles de s’appliquer à des marques et pourraient conduire à en condamner l’usage sur les conditionnements de produits du tabac. En particulier, la question se pose de savoir si ces dispositions doivent conduire à proscrire l’utilisation, sur les conditionnements, de noms de marque au seul motif qu’ils évoquent certaines qualités, telles celles évoquées par le considérant 27 de la directive, y compris, le cas échéant, lorsque la marque a acquis une notoriété qui l’a rendue indissociable du produit qu’elle désigne.

En deuxième lieu,  la CJUE devra déterminer si les interdictions prévues répondent à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union européenne, à savoir la protection de la santé, eu égard, d’une part, à la nocivité pour la santé de la consommation de tabac et de l’exposition à la fumée du tabac et, d’autre part, à la vulnérabilité des consommateurs de produits du tabac en raison de la dépendance engendrée par la nicotine, se pose la question de savoir, d’une part, si ces interdictions sont nécessaires, dans le respect du principe de proportionnalité, à la poursuite de cet objectif et, d’autre part, si elles sont suffisamment claires pour mettre les opérateurs en mesure de prendre leurs dispositions en connaissance de cause et si, le cas échéant, leur mise en oeuvre suppose l’instauration de procédures particulières, permettant aux importateurs et aux fabricants de connaître la position des autorités compétentes des États membres sur la conformité de leurs marques aux exigences de la directive, en leur offrant une occasion adéquate d’exposer leur cause.

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