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15 janvier 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
23/56805
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 23/56805 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2WCS
N° : 1/MC
Assignation du :06 Septembre 2023
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 15 janvier 2024
par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assistée de Marion COBOS, Greffier.
DEMANDERESSE
COMITE NATIONAL CONTRE LE TABAGISME (CNCT), prise en la personne de son Président, M.[P] [T], professeur émérite de médecine
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me William WORD, avocat postulant au barreau de PARIS – #C1992 et par Me Hugo LÉVY, avocat plaidant au barreau de RENNES
DEFENDERESSE
Société J WELL FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Jean-baptiste THIENOT, avocat au barreau de HAUTS-DE-SEINE – #NAN701
DÉBATS
A l’audience du 20 Novembre 2023, tenue publiquement, présidée par Anne-Charlotte MEIGNAN, Vice-Président, assistée de Marion COBOS, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,
EXPOSE DU LITIGE
Le Comité National contre le Tabagisme (ci-après CNCT) est une association reconnue d’utilité publique ayant pour mission de veiller au respect de la législation luttant contre le tabagisme et ses méfaits pour la santé publique.
La SAS J WELL FRANCE est un fabricant français de dispositifs électroniques de vapotage et de produits e-liquides associés. Cette société est éditrice d’un site internet accessible en France aux adresses “https://x-bar.co” sur lequel elle commercialise ses produits, utilisant également les comptes Tik Tok, Facebook et Instagram.
Exposant que la société J WELL FRANCE se livre à la promotion de produits de vapotage nicotinique en violation du code de la santé publique, de surcroît à destination d’un jeune public, le CNCT a, par exploit délivré le 6 septembre 2023, fait citer la SAS J WELL FRANCE devant le président du tribunal judiciaire de Paris statuant en référé, sur le fondement des articles 835, alinéa 2 du code de procédure civile, L.3513-4 et L.3513-18, L.3515-3 du code de la santé publique, aux fins de la voir condamnée au paiement d’une provision de 50.000€ outre la somme de 10.000€ au titre des frais irrépétibles.
A l’audience du 20 novembre 2023, le CNTC conclut à la recevabilité de son action et sollicite, pour le surplus, le bénéfice de son acte introductif d’instance.
En réponse, la société J WELL FRANCE sollicite de :
– à titre principal, déclarer irrecevable le CNCT en sa demande et rejeter celle-ci,
– à titre subsidiaire, minorer la provision,
– en tout état de cause, écarter l’exécution provisoire de la décision et condamner le CNTC à lui verser la somme de 10.000€ au titre des frais irrépétibles ainsi qu’aux dépens.
Conformément aux dispositions des articles 455 et 446-1 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des moyens, il est renvoyé à l’acte introductif d’instance, aux écritures des parties, ainsi qu’aux notes d’audience.
MOTIFS
A titre liminaire, il sera rappelé que les demandes aux fins de « juger » ne revêtent pas les caractéristiques de la prétention au sens de l’article 4 du code de procédure civile, raison pour laquelle ces demandes n’ont pas été reprises dans l’exposé du litige et il n’y sera pas répondu dans le dispositif de la présente décision.
Sur la recevabilité de l’action
Sur le fondement des articles 31 et 32 du code de procédure civile et des statuts du CNTC, la défenderesse soulève le défaut d’intérêt légitime du requérant aux motifs qu’une demande de provision, seule demande formée en l’espèce, ne participe pas à la prévention contre le tabagisme. Elle en conclut que l’action de l’association, qui ne peut reposer sur une présomption d’intérêt à agir, n’est pas conforme à ses statuts.
En réponse, le CNCT fait valoir qu’il a pour objet social d’agir auprès des pouvoirs publics pour obtenir le respect des mesures de nature à réduire le tabagisme ; que l’article L.3515-7 du code de la santé publique est inséré au sein du titre 1er relatif à la lutte contre le tabagisme dans lequel se trouve également l’article L. 3515-3 11° qui sanctionne pénalement l’interdiction de la publicité en faveur des produits du vapotage prévue à l’article L. 3513-4.
A ce titre, le CNTC rappelle que la Directive 2014/40/UE du 3 avril 2014 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres en matière de fabrication, de présentation et de vente des produits du tabac et des produits connexes, dispose, dans son considérant 43, que “Les cigarettes électroniques peuvent devenir le point d’entrée d’une dépendance à la nicotine et favoriser au bout du compte la consommation de tabac traditionnel”.
En vertu de l’article 122 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
L’article 31 du même code dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
En l’espèce, il résulte de ses statuts que le CNTC « a pour but la prévention du tabagisme et la lutte contre la consommation de tabac et ses méfaits sous toutes ses formes ».
L’article L.3515-7 du code de la santé publique rappelle que les associations dont l’objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans à la date des faits, peuvent exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions du présent titre.
Cette disposition est insérée dans le titre 1er “Lutte contre le tabagisme” du livre V de la troisième partie du code de la santé publique, au sein de laquelle l’ordonnance 2016-623 du 19 mai 2016 portant transposition de la Directive 2014/40/UE du 3 avril 2014, a ajouté un chapitre 3 consacré “aux produits de vapotage” à la suite du chapitre 2 relatif aux produits du tabac.
L’article L.3513-4 inséré dans ce chapitre 3 interdit toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage, la violation de cette interdiction étant constitutive d’une infraction pénale sanctionnée par l’article L. 3515-3 11°, qui relève du titre 1er “Lutte contre le tabagisme”.
Il se déduit de ces dispositions que la réglementation des produits du vapotage et les dispositions qui en sanctionnent la violation font partie du dispositif de lutte contre le tabagisme, au même titre que la réglementation relative aux produits du tabac.
En conséquence, le CNCT en tant qu’association dont l’objet statutaire comporte la lutte contre le tabagisme, se voit attribuer par la loi le droit d’agir au sens de l’article 31 du code de procédure civile pour lutter contre la publicité ou propagande illicite en faveur des produits du vapotage. Il se voit également attribuer, du fait des dispositions de l’article L.3515-7 précité, le droit d’exercer les droits reconnus à la partie civile pour les infractions aux dispositions du présent titre, et, en conséquence, le droit de se voir accorder une provision au titre du préjudice résultant d’une atteinte aux intérêts qu’il est tenu de défendre, en raison de la violation de l’article L.3513-4 du code de la santé publique.
Le moyen tiré de la fin de non-recevoir sera dès lors rejeté.
Sur la demande de provision
Sur le fondement des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le CNTC sollicite la condamnation de la société J WELL FRANCE à lui verser une provision à valoir sur des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du fait du contenu manifestement publicitaire des sites qu’elle édite, en contrariété avec la loi.
L’Association estime en effet que la violation par la société J WELL FRANCE du code de la santé publique, en procédant à une promotion prohibée d’un dispositif de vapotage sur son site internet, sa page Instagram, son compte Tik Tok et sa page Facebook, afin de susciter, notamment auprès d’un public jeune, le désir d’acquérir ces produits, porte atteinte de manière manifeste aux intérêts qu’elle a pour mission de défendre, dans la lutte contre le tabagisme et la protection de la santé publique.
Invoquant plusieurs procès-verbaux de constat d’huissier, elle conclut que l’obligation à réparation sur le fondement du droit de la responsabilité civile est non sérieusement contestable, les contenus relevés par le Commissaire de justice étant manifestement illicites, incitatifs et excédant la simple présentation des produits, ces derniers étant, en substance et selon elle, associés à des plages de sable blanc, des fruits frais et sains et décrits de façon élogieuse.
En réponse, la société J WELL FRANCE fait observer qu’il existe une distorsion entre les faits présentés par le CNCT dans les motifs de son assignation, et ceux rappelés dans le dispositif ainsi que dans les constatations effectuées par le Commissaire de justice, ce qui l’empêche de comprendre avec l’évidence requise en référé le périmètre exact des actes qui lui sont reprochés, concluant ainsi au caractère sérieusement contestable de l’étendue des prétentions adverses.
Par ailleurs, elle conteste avoir manqué de manière manifeste aux dispositions légales, rappelant d’une part, les effets bénéfiques de la cigarette électronique dans l’arrêt du tabac, et d’autre part, le fait que le caractère publicitaire ou non de chaque contenu relève d’un débat au fond, une partie d’entre eux ayant en outre été supprimée depuis l’introduction de l’instance.
Elle rappelle qu’à la différence du tabac, la commercialisation en ligne des produits de vapotage est autorisée, ce qui nécessite de pouvoir présenter les produits offerts à la vente, de sorte que le fait de considérer toute présentation ou communication du produit comme un acte de promotion conduit, selon elle, à porter atteinte à la liberté de commerce et d’industrie : que dès lors, le caractère illicite des contenus doit être apprécié au regard de l’exigence d’équilibre entre plusieurs libertés fondamentales, appréciation qui ne relève pas du juge des référés.
En tout état de cause, la défenderesse estime que les neuf mentions relevées par le Commissaire de justice sur son site internet, qui depuis, ont été supprimées, constituent la simple description des produits destinés à renseigner le consommateur sur les caractéristiques objectives et essentielles de ses produits, le CNTC ne démontrant pas en quoi ces mentions dépasseraient la simple présentation nécessaire de ses produits. A ce sujet, elle rappelle qu’il est licite d’ajouter des arômes dans la composition des e-liquides, la saveur de l’arôme constituant une caractéristique du produit dont il est licite qu’elle fasse état.
Concernant les sites Tik Tok, Instagram et Facebook, la défenderesse expose en substance que ces sites ont eu peu de visibilité, qu’ils ont été supprimés et que le compte Instagram était à destination des professionnels et dès lors, non soumis à l’interdiction de la publicité ; qu’en outre, il n’est pas démontré que les contenus excédaient la simple présentation des produits.
Enfin, la défenderesse estime qu’il existe une contestation sérieuse sur le montant de la provision sollicitée, compte tenu de la suppression des différents comptes, de leur faible audience et de l’absence de tout élément justifiant le montant sollicité.
Aux termes des dispositions de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
L’octroi d’une provision suppose le constat préalable par le juge de l’existence d’une obligation non sérieusement contestable au titre de laquelle la provision est demandée. Cette condition intervient à un double titre : elle ne peut être ordonnée que si l’obligation sur laquelle elle repose n’est pas sérieusement contestable et ne peut l’être qu’à hauteur du montant non sérieusement contestable de cette obligation, qui peut d’ailleurs correspondre à la totalité de l’obligation.
Une contestation sérieuse est caractérisée lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
L’article 1240 du code de procédure civile dispose que tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
L’article L.3513-1 du code de la santé publique dispose que sont considérés comme produits du vapotage:1° Les dispositifs électroniques de vapotage, c’est-à-dire des produits, ou tout composant de ces produits, y compris les cartouches, les réservoirs et les dispositifs dépourvus de cartouche ou de réservoir, qui peuvent être utilisés, au moyen d’un embout buccal, pour la consommation de vapeur contenant le cas échéant de la nicotine. Les dispositifs électroniques de vapotage peuvent être jetables ou rechargeables au moyen d’un flacon de recharge et d’un réservoir ou au moyen de cartouches à usage unique ;
2° Les flacons de recharge, c’est-à-dire les récipients renfermant un liquide contenant le cas échéant de la nicotine, qui peuvent être utilisés pour recharger un dispositif électronique de vapotage.
Aux termes de L. 3513-4 du même code, la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage est interdite.
Ces dispositions ne s’appliquent pas :
1° Aux publications et services de communication en ligne édités par les organisations professionnelles de producteurs, fabricants et distributeurs des produits du vapotage, réservés à leurs adhérents, ni aux publications professionnelles spécialisées dont la liste est établie par arrêté ministériel signé par les ministres chargés de la santé et de la communication ; ni aux services de communication en ligne édités à titre professionnel qui ne sont accessibles qu’aux professionnels de la production, de la fabrication et de la distribution des produits du vapotage ;
2° Aux publications imprimées et éditées et aux services de communication en ligne mis à disposition du public par des personnes établies dans un pays n’appartenant pas à l’Union européenne ou à l’Espace économique européen, lorsque ces publications et services de communication en ligne ne sont pas principalement destinés au marché communautaire ;
3° Aux affichettes relatives aux produits du vapotage, disposées à l’intérieur des établissements les commercialisant et non visibles de l’extérieur.
Toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur de produits du vapotage.
L’article L. 3515-3 dudit code dispose également qu’est puni de 100.000 euros d’amende :
« 11° Toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, en faveur des produits du vapotage en méconnaissance de l’interdiction prévue à l’article L. 3513-4 ; »
Il ressort de ces dispositions que dans le cadre de la lutte contre le tabagisme, toute publicité tendant à promouvoir les produits du vapotage est interdite.
Ainsi, toutes formes de communication commerciale incitative, quel qu’en soit le support, ayant pour but ou pour effet de promouvoir, directement ou indirectement, le produit à travers la diffusion d’informations qui iraient au-delà de ce qui est strictement nécessaire pour en présenter de manière objective, dans le cadre de sa commercialisation, ses caractéristiques essentielles au sens du code de la consommation, sont interdites.
Il n’y a donc pas lieu de se livrer à une appréciation des effets bénéfiques du vapotage, allégués par la défenderesse, compte tenu des dispositions précitées très claires concernant précisément le vapotage, quelque soit ses effets réels ou allégués. En l’état du droit, la publicité des produits de vapotage reste prohibée.
De la même manière, le juge des référés n’a pas à se livrer à une appréciation de l’équilibre entre l’interdiction de la publicité prescrite par la loi et la liberté du commerce et de l’industrie, le texte de répression du code de la santé publique n’ayant pas été soumis à une censure constitutionnelle et ce contrôle n’appartenant pas au juge des référés.
En outre, la lecture combinée des articles L.3513-4 et L.3515-3 du code de la santé publique se suffisant, il n’y a pas lieu d’examiner les faits à l’aune du texte de répression de l’article L.3515-3 du code qui renvoie aux dispositions de l’article L.3513-18 lequel, en effet, ne concerne que l’étiquetage des unités de conditionnement, emballage extérieur ainsi que le produit du vapotage lui-même, et ce, dans la mesure où le requérant n’allègue pas que ces éléments seraient publicitaires.
Enfin, les écritures du CNCT décrivent précisément les mentions dont il estime qu’elles ont un caractère publicitaire, de sorte que la défenderesse a été mesure de présenter ses moyens de défense, argument qui, en tout état de cause, n’aurait pu caractériser la contestation sérieuse.
La publicité est définie par le Larousse comme l’activité ayant pour but notamment d’inciter à l’achat d’un produit.
La propagande est définie comme toute action sur l’opinion organisée en vue de répandre une opinion, une doctrine.
En l’espèce, l’association CNCT produit un premier procès-verbal de constat dressé par Maître [E] le 20 juillet 2023 sur le site internet édité par la société J WELL FRANCE qui met en scène un ensemble de cigarettes électroniques et produits de recharge, posé sur une plage de sable, devant la mer, à côté de fruits frais et colorés, un slogan « Click & Puff Mangue, menthe, un été au frais » accompagnant l’image. En page 16 du constat, figure le slogan « X-Bar s’associe à BO Vaping pour une version pop et colorée ».
En page 17, le Commissaire de justice relève sur le site internet la présence d’une caution de professionnels et de particuliers sous le titre « Avis dithyrambiques de professionnels et de particuliers » : il est ainsi repris des extraits de « témoignages » tels que :
« Le concept est presque parfait (…) Je pense que pour arrêter de fumer c’est vraiment ce qu’il faut », « Cela change ma vie », « Je conseille particulièrement ce petit X-BAR aux vapoteurs débutants pour se familiariser avec la vape tout en les aidant à arrêter de fumer », « Me permet de réduire considérablement la cigarette classique », « Je suis en handicap et j’ai des traitement morphinique (…) je ne sais pas si c la vapo mais il et vrai que j’ai moins de migraines et les douleur son plus contrôlé ».
Aucune de ces mentions et avis n’a pour vocation de décrire les caractéristiques des produits proposés à la vente, les slogans et avis de professionnels ou particuliers ayant pour unique objet de vanter le produit et d’inciter à l’achat, notamment en présentant la cigarette électronique comme une aide à l’arrêt du tabac ou ayant des effets sur la survenue des migraines, le graphisme autour de chaque cigarette électronique, fait de fruits frais et de glaçons n’ayant en outre, manifestement pas pour objet de décrire le produit mais de le mettre en valeur dans un cadre publicitaire.
Sans qu’il soit besoin d’examiner de façon exhaustive l’ensemble des mentions, il sera retenu, à titre d’exemple, que sous l’onglet Nouveautés, il est indiqué que X-Bar est « la meilleure marque de vapotage au monde. Nous proposons des eliquides originaux de bon goût, une technologie de pointe et un design époustouflant. (…) nos eliquides sont fabriqués à partir des meilleurs ingrédients », description qui offre une présentation moderne et d’excellence de la marque, dans un cadre évidemment publicitaire.
De la même manière, l’onglet intitulé « Bonbon » ne se contente pas de préciser que la vaporette a une saveur bonbon, mais accompagne la description de la phrase suivante « Tout le monde a une petite envie de bonbons de temps en temps. (…) », qui fait appel au ressort régressif de chaque consommateur et de la phrase « Sucrée et savoureuse », qualificatifs ne pouvant décrire le produit puisqu’il s’agit d’un ressenti subjectif de la saveur.
Il ressort ainsi de cet onglet, ainsi que de ceux relatifs aux autres saveurs, que la défenderesse commercialise ses produits en faisant référence à des aliments sucrés ou à des saveurs gourmandes telles que “strawberry milkshahe”, “fizzy melon” “ice mango” ou encore “pink lemonade”, lesquelles sont des désignations de nature incitative, exacerbées par les slogans accompagnant les saveurs.
Ainsi et par exemple, sous l’onglet « menthe » ; il est indiqué : « Elle procure une sensation rafraîchissante et revigorante qui laisse une sensation de fraîcheur en bouche (…) la menthe fraîche est une saveur classique qui ne se démode jamais». Sur ce point, la phrase relative aux caractère indémodable de la menthe fraîche ne saurait avoir pour objet de décrire le produit, mais uniquement d’en vanter les mérites, notamment ceux d’une saveur qui traverse le temps.
Il est également fait la promotion des bienfaits pour l’environnement, en raison de la possibilité de conserver la batterie et de réutiliser une cartouche préremplie neuve, « une X-Bar mais en plus écologique et plus économique (…) fait aussi du bien à votre porte-monnaie » et c’est à juste titre que le requérant souligne que l’association d’un produit du vapotage à une conscience écologique constitue une forme de promotion commerciale.
Concernant l’usage des réseaux sociaux, le constat d’huissier établi le 25 juillet 2023 par Me [E] fait état de vidéos postées sur Tik Tok. Le visionnage de celles-ci permet de les qualifier, avec l’évidence requise en référé, de publicités en faveur de la cigarette électronique.
Ainsi, l’une de ces vidéos met en scène des jeunes gens dans la rue, prétendument interrogés sur les caractéristiques de la cigarette électronique qu’ils viennent de tester, deux jeunes gens affirmant que c’est « frais » « grave frais », l’un d’eux précisant « d’habitude on en prend c’est pas aussi frais que ça », et une jeune femme affirmant qu’elle pourrait, après avoir testé la cigarette électronique, se convertir à son usage alors qu’elle fume depuis un an.
Sur une autre vidéo, qui incite d’autres jeunes gens interrogés dans la rue à donner « une info sur la vape et gagne un cadeau », se trouve une jeune fille qui porte une casquette X-BAR. A la fin de la vidéo, le groupe de jeunes gens, dont la question se pose de savoir s’ils sont majeurs, invite le « follower » à force voix, à s’abonner.
Ces deux vidéos ont incontestablement un caractère publicitaire, la marque X-BAR figurant sur la vidéo, les personnes interrogées vantant le produit, des cadeaux étant évoqués et une invitation à
s’abonner étant hurlée en fin de vidéo.
Enfin, deux autres vidéos mettent en scène les produits de la défenderesse avec une musique contemporaine et entraînante, qui favorise le processus d’achat.
Me [E] a aussi constaté, le 25 juillet 2023, en se connectant sur le site Facebook la présence des mêmes photographies de produits de vapotage posés sur une plage, l’un des produits étant associé à une jeune femme souriante, écoutant de la musique et dansant sur celle-ci.
Sur la page de profil Instagram de l’usager @xbar_club, le constat effectué le 25 juillet 2023 permet de noter la présence, autour des produits de vapotage, de photographies de jeunes femmes souriantes voire hilares en bikini sur la plage, associant ainsi le produit à la fête, à l’été et aux vacances. Ce compte n’est pas à destination des professionnels mais bien à destination des consommateurs, au contraire du compte Frenchlab.co, et pour lequel aucun fait de publicité ne peut être reproché à la défenderesse.
L’accès à ce compte consommateur peut d’ailleurs être effectué par l’invitation, sur le site internet, à le consulter :« T’es sur Insta ? Plongez dans l’univers palpitant de @xbar_club sur Instagram, un lien animé en permanence. Rejoignez-nous pour vivre une excitation continue, découvrir les dernières actualités sociales, participer à des tests exclusifs et bénéficier d’avantages ».
L’ensemble des éléments relevés par les constats d’huissier et vidéos ne se limitent pas à renseigner le consommateur sur les caractéristiques objectives et essentielles des produits de vapotage, relativement à leur nature, composition, utilité, conditions d’utilisation ou modalités de vente, mais constituent, avec l’évidence requise en référé, des messages publicitaires promotionnels pour encourager à consommer les produits vendus sur le site.
Dès lors, la violation manifeste de l’interdiction de toute publicité en faveur desdits produits prévue par l’article L. 3513-4 3° du code de la santé publique est caractérisée.
Cette violation occasionne un préjudice certain à l’association CNCT, dont l’objet social est « la prévention du tabagisme et la lutte contre la consommation de tabac et ses méfaits sous toutes les formes », en ce compris la publicité ou la propagande illicite en faveur des produits du vapotage. L’article 2 de ses statuts précise qu’elle poursuit son but en s’inspirant notamment des orientations préconisées par l’OMS qui invite à lutter contre la publicité en faveur des inhalateurs électroniques de nicotine notamment.
De ce fait, il n’est pas sérieusement contestable que les agissements fautifs de la société J WELL FRANCE ont porté atteinte à l’objet social et à la mission de l’association CNCT.
La société est ainsi contrainte à une plus forte vigilance sur internet, ayant en l’espèce été amenée à faire dresser plusieurs constats d’huissier de justice, et à renforcer son action, ce d’autant que le jeune public est particulièrement visé par ces communications.
Il y a lieu de considérer que l’obligation à réparation n’est pas sérieusement contestable. Il y a néanmoins lieu de tenir compte du fait que la plupart des mentions litigieuses a été supprimée tel que cela résulte du constat d’huissier dressé par Me [W] le 15 novembre 2023.
Dès lors, il sera accordé à l’association CNCT une provision à valoir sur des dommages-intérêts en réparation d’un préjudice moral à hauteur de 10.000 euros.
Sur les demandes annexes
Succombant à titre principal, la société J WELL FRANCE sera condamnée aux dépens de l’instance.
Supportant les dépens, elle sera condamnée à payer à la CNCT la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, compte tenu notamment du coût des différents constats d’huissier.
En vertu de l’article 514-1 du code de procédure civile, le juge ne peut écarter l’exécution provisoire de droit lorsqu’il statue en référé. Dès lors, il ne sera pas fait droit à la demande.
PAR CES MOTIFS,
Statuant par décision mise à disposition au greffe après débats en audience publique par ordonnance contradictoire et en premier ressort,
Rejetons le moyen tiré de la fin de non-recevoir ;
Condamnons la SAS J WELL FRANCE à payer à l’association Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) la somme de 10.000 euros à titre de provision à valoir sur des dommages-intérêts ;
Condamnons la SAS J WELL FRANCE aux dépens de l’instance ;
Condamnons la SAS J WELL FRANCE à payer à l’association Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) la somme de 5000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Rappelons que la présente décision est exécutoire par provision.
Fait à Paris le 15 janvier 2024
Le Greffier,Le Président,
Marion COBOSAnne-Charlotte MEIGNAN