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L’Autorité de la concurrence (Avis 19-A-18 du 31 décembre 2019) a émis les plus grandes réserves sur les projets de décrets du Gouvernement modifiant les codes de déontologie de certaines professions de santé.
Les six projets de décret modifient les dispositions des codes de déontologie relatives à i) la communication d’informations au public concernant les prestations de soins, les prestations hors soins, les honoraires, les documents professionnels, les annuaires professionnels et les plaques professionnelles ; ii) l’interdiction d’exercer la profession comme un commerce et ses dérivés ; iii) l’installation, le départ ainsi que la modification du lieu ou du mode d’exercice professionnel ; iv) la question du référencement numérique.
Sur la forme, les projets de décret comportent de nombreuses dispositions dont l’ordonnancement et la rédaction sont difficilement compréhensibles et incohérents, notamment sur la communication commerciale. Sur le fond, les projets comportent des restrictions injustifiées à la communication des professionnels de santé sur leur activité.
L’Autorité considère que les dispositions projetées ne sont pas justifiées objectivement au regard des impératifs de santé publique, et instituent dès lors des limitations disproportionnées aux principes de libre concurrence, de libre prestation de service et de libre exercice des professions de santé. Elles sont, par ailleurs, susceptibles d’être contraires à la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique et à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.
Par un arrêt Vanderborght du 4 mai 2017, la Cour de justice, saisie d’une question préjudicielle relative à la loi belge applicable aux chirurgiens-dentistes, a en effet jugé qu’une règlementation nationale concernant la publicité en matière de soins dentaires était contraire à la directive sur le commerce électronique ainsi qu’à l’article 56 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après « TFUE ») relatif à la libre prestation de services, dès lors qu’elle conduisait à interdire de manière générale et absolue, l’usage, par les professionnels de santé, de toute publicité relative à des prestations de soin, par voie d’écrit ou par voie électronique.
La Cour de justice, s’appuyant notamment sur les articles 8 § 1 de la directive sur le commerce électronique, qui dispose que « Les États membres veillent à ce que l’utilisation de communications commerciales qui font partie d’un service de la société de l’information fourni par un membre d’une profession réglementée, ou qui constituent un tel service, soit autorisée sous réserve du respect des règles professionnelles visant, notamment, l’indépendance, la dignité et l’honneur de la profession ainsi que le secret professionnel et la loyauté envers les clients et les autres membres de la profession », et 2 de ladite directive, aux termes duquel il faut entendre par communication commerciale : « toute forme de communication destinée à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services, ou l’image d’une entreprise, d’une organisation ou d’une personne ayant une activité commerciale, industrielle, artisanale ou exerçant une profession réglementée », a précisé que le principe d’autorisation des communications commerciales en ligne concernait, dans les limites exposées ci-après, l’ensemble des professions réglementées, en ce inclus donc les professions de santé concernées par le présent avis.
Dans son appréciation, la Cour de justice a toutefois tenu compte des particularités du secteur de la santé, mettant en avant notamment la nécessité de préserver le lien de confiance entre patients et professionnels, la protection de la santé publique et la dignité de la profession. Elle a ainsi estimé que « s’agissant de la nécessité d’une restriction à la libre prestation des services (…), il doit être tenu compte du fait que la santé et la vie des personnes occupent le premier rang parmi les biens et les intérêts protégés par le traité et qu’il appartient, en principe, aux États membres de décider du niveau auquel ils entendent assurer la protection de la santé publique ainsi que de la manière dont ce niveau doit être atteint. Celui-ci pouvant varier d’un État membre à l’autre, il convient de reconnaître aux États membres une marge d’appréciation ».
La Cour de justice a confirmé sa jurisprudence Vanderborght par une ordonnance du 23 octobre 2018, rendue à l’occasion d’une question préjudicielle sur la compatibilité d’une disposition de l’article R. 4127-215 du CSP français interdisant aux dentistes « tous procédés directs ou indirects de publicité » avec l’article 8 § 1 de la directive sur le commerce électronique. La Cour de justice a rappelé le principe de libre utilisation des procédés de communication commerciale par les professions réglementées, sous réserve du respect des règles de déontologie, et indiqué que la défense de cet objectif ne saurait entraîner une interdiction per se de l’usage des procédés publicitaires par les membres de ces professions.
Le Conseil d’État a également publié, le 3 mai 2018, une étude relative aux « Règles applicables aux professionnels de santé en matière d’information et de publicité ». Dans cette étude, le Conseil d’État constate tout d’abord l’impossibilité de maintenir en l’état la réglementation française interdisant par principe la publicité pour les professionnels de santé, compte tenu notamment (i) de la jurisprudence précitée de la Cour de justice, (ii) des attentes des patients concernant l’information sur la nature et la qualité des soins, leur coût, les spécialités des praticiens, etc., (iii) des évolutions technologiques et (iv) de la concurrence subie par les praticiens de la part d’organismes non soumis aux mêmes règles en matière de communication (notamment les centres de santé).
Le Conseil d’État préconise donc d’introduire dans le CSP, à l’instar par exemple du dispositif retenu pour les vétérinaires, un principe de libre communication d’informations par les professionnels sur leurs compétences et pratiques à destination du public, en l’encadrant, de manière à ce que les juridictions disciplinaires fassent une application plus souple des principes de confraternité et d’interdiction de la concurrence déloyale. Il propose, à cette fin, de (i) maintenir l’interdiction d’exercer comme un commerce et d’autres principes déontologiques tels que la dignité ou la protection de la santé des personnes, (ii) d’ imposer par des dispositions expresses que la communication soit loyale, honnête et ne fasse état que de données confirmées et, enfin, (iii) d’exiger que les messages soient diffusés « avec tact et mesure », ne soient pas trompeurs et n’utilisent ni procédés comparatifs, ni témoignages de tiers.
S’agissant des modalités de la communication, le Conseil d’État suggère (i) de laisser aux ordres le soin de définir, « par voie de recommandation », les supports de communication pouvant être admis et (ii) de maintenir les règles relatives aux plaques professionnelles, à l’absence de caractère commercial des locaux ou véhicules, à la limitation des annonces payantes dans la presse, notamment lors de l’installation d’un professionnel ou de changements dans son mode d’exercice, à l’interdiction du référencement numérique payant ou gratuit opéré à des fins commerciales et à l’interdiction de la sollicitation personnalisée ou du démarchage.