Publicité de l’alcool sur les réseaux sociaux : condamnation de “your best riflon”
Publicité de l’alcool sur les réseaux sociaux : condamnation de “your best riflon”
Ce point juridique est utile ?

Présenter sous un jour favorable, la consommation d’alcool sur les réseaux sociaux (Instagram) est illicite et expose à une condamnation.   Le terme “riflon”, qui n’existe pas dans la langue française, courante ou argotique, est utilisé par les éditeurs de comptes de réseaux sociaux pour désigner le pastis de marque “Ricard”.

Affaire “your best riflon”

Il s’ensuit que la dénomination même d’un compte “your best riflon”, pouvant se traduire par “ton meilleur riflon”, ou “votre meilleur riflon” vante les mérites de cette boisson et doit, ainsi, être regardée comme constitutive d’une propagande directe au sens de la loi Evin.  Il en est de même de la présence du logo de l’alcoolier.

Propagande directe ou indirecte

C’est encore le cas de la description d’un  compte Instagram qui précise : “Plus jaune que l’or et plus brillant que le soleil, nous sommes Riflon” accompagné d’un émoji représentant un verre rempli d’un liquide jaune.

Sont également constitutives de propagande directe ou indirecte, les publications relatives à une “Miss Riflon ” rappelant celle des reines de beauté, et tenant, de sa main droite, un bouquet de fleurs jaunes et de la main gauche, deux bouteilles de pastis de la marque “Ricard”, ainsi que sa légende, rédigée en ces termes “Oyé oyé la Riflonnerie. C’est avec une grande émotion que nous vous annonçons la grande gagnante du Concours Miss YourBestRiflon 2021. Toutes nos félicitations à @lena_gourtay première Dauphine de Bretagne élue à la majorité Riflonnée. Contrairement à une élection présidentielle, @lena_gourtay sera (sic) tenir ses promesses faites en campagnes et vous proposera une année haute en couleurs jaunes sûr (sic) un air Anissée. Lén ! Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne nous chaque jour notre Riflon quotidien; pardonne”,

Mentions limitatives autorisées

L’article L. 3323-4 du code de la santé publique autorise, concernant la publicité ou la propagande directe ou indirecte de boissons alcooliques, les mentions suivantes, à l’exclusion de tout autre : le degré volumique d’alcool, l’origine, la dénomination , la composition du produit, le nom et l’adresse du fabricant, les agents et les dépositaires et le mode d’élaboration, les modalités de vente et le mode de consommation du produit, les références relatives aux terroirs de production, les distinctions obtenues, les appellations d’origine contrôlées, les indications géographiques, les références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Le conditionnement ne peut être reproduit que s’il est conforme aux dispositions précédentes.

Message sanitaire obligatoire  

Dans tous les cas, la publicité ou la propagande, directe ou indirecte, doit être assortie d’un message à caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Il en résulte que si la publicité ou la propagande directe ou indirecte pour des boissons alcooliques est en principe licite, elle doit intervenir dans le seul respect des dispositions précédentes. Tel n’était pas le cas en l’espèce.

En effet, il est relevé qu’aucune des publications faisant la propagande directe ou indirecte du pastis de la marque “Ricard” n’est assortie du message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Au surplus, certaines d’entre elles ne se limitent pas à vanter les qualités objectives de cette boisson, mais sont accompagnées de messages ou bien mettent en scène des situations hyperboliques ou humoristiques.

Ces contenus sont donc illicites en ce qu’ils contreviennent aux dispositions de la loi Evin relatifs à la publicité ou la propagande directe ou indirecte en faveur de boissons alcooliques

Caractère dommageable des publications

Le caractère dommageable des publications en cause résulte de leur caractère illicite puisqu’elles ont pour effet d’exposer les utilisateurs du réseau social “Instagram” à de la propagande en faveur de boissons alcooliques contrevenant aux prescriptions légales, adoptées dans un impératif de santé publique.

Notion de caractère illicite au sens de la LCEN

A noter qu’un compte de réseau social ne peut être déclaré illicite dans sa globalité. Les  publications doivent être analysées isolément. Le compte, indifféremment de son objet, n’est que le support des contenus dénoncés par la demanderesse comme illicites. Toute demande de suppression doit être examinée en s’appuyant sur les références dans l’ordre visuel, telles qu’elles apparaissent,

Aux termes de l’article 20, alinéa 1 de la LCEN : “toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée”

L’article L. 3323-2 du code de la santé publique précise que la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques, sont autorisées notamment : “9°) sur les services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés ou fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code des sport, sous réserve que la propagande ne soit ni intrusive, ni interstitielle”.

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TRIBUNAL

JUDICIAIRE

DE PARIS

JUGEMENT RENDU SELON LA PROCEDURE ACCELEREE AU FOND

le 20 mai 2022 N° RG 22/52829 – N° Portalis 352J-W-B7G-CWOK C par Y Z, Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal, N° : 1/MM

Assistée de Minas X, Faisant fonction de Greffier. Assignation du : 24 Mars 2022

DEMANDERESSE

A s s o c i a t i o n A S S O C I A T I O N N A T I O N A L E D E PREVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE […]

représentée par Maître François LAFFORGUE de la SELARL TEISSONNIERE TOPALOFF LAFFORGUE ANDREU ASSOCIES, avocats au barreau de PARIS – #P0268

DEFENDERESSES

S.A.R.L. FACEBOOK FRANCE […]

Société META PLATFORMS IRELAND LIMITED […]

représentées par Maître Bertrand LIARD du LLP WHITE AND CASE LLP, avocats au barreau de PARIS – #J0002

DÉBATS

A l’audience du 15 Avril 2022, tenue publiquement, présidée par Y Z,Vice-Présidente, assistée de Minas X, Faisant fonction de Greffier,

Nous, Président,

Après avoir entendu les conseils des parties comparantes,

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTION ET MOYENS DES PARTIES

Par acte d’huissier en date du 24 mars 2022, L’ASSOCIATION NATIONALE DE PRÉVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE, ci-après désignée ANPAA, a fait assigner devant le président du tribunal judiciaire de PARIS, selon la procédure accélérée au fond, la société à responsabilité limitée FACEBOOK FRANCE et la société de droit irlandais FACEBOOK IRELAND Ltd, aux fins de voir :

ordonner aux sociétés défenderesses, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, de retirer les publications du compte Instagram

“yourbestriflon”, visées expressément au dispositif de l’assignation,

ordonner aux sociétés défenderesses de communiquer, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir, les coordonnées de l’éditeur du compte Instagram “yourbestriflon”,

condamner in solidum les sociétés défenderesses à lui payer la somme de 5.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner in solidum les sociétés défenderesses aux dépens.

A l’audience du 15 avril 2022, l’ANPAA soutient oralement ses conclusions écrites aux termes desquelles elle se désiste des demandes dirigées à l’endroit de la société FACEBOOK FRANCE, laquelle n’héberge pas le site internet Instagram”.

Elle modifie oralement le champ de sa demande de suppression, telle que dirigée contre la société FACEBOOK IRELAND Ltd, devenue META PLATFORMS IRELAND Ltd, qui ne concerne plus seulement les contenus expressément visés au dispositif de ses écritures mais l’ensemble du compte “your best riflon”. Elle précise également que sa demande aux fins d’identification du ou des éditeurs du compte, concerne les données définies à l’article 2 du décret d’application du 20 octobre 2021.

En réponse, la société META PLATFORMS IRELAND Ltd, soutient oralement des conclusions écrites par lesquelles elle demande au juge de : In limine litis

déclarer l’assignation nulle pour vices de forme lui ayant causé griefs,

se déclarer incompétent au profit des tribunaux de Dublin, en Irelande, Sur la demande de suppression :

débouter l’ANPAA de sa demande de retrait des publications litigieuses, A titre subsidiaire

examiner les publications litigieuses individuellement et, dans le cas où certaines d’entre elles seraient déclarées illicites, prendre acte que la fourniture préalable par l’ANPAA des adresses URL de chacune de ces publications est indispensable à l’exécution de la mesure de retrait,

dire n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte,

Sur la demande de communication de données :

déclarer l’ANPAA irrecevable en sa demande ;

débouter l’ANPAA de sa demande,

A titre subsidiaire

dans le cas où il y serait fait droit, limiter la mesure aux informations d’identification de base des utilisateurs (BSI) dans la mesure où ces données existent et lui sont raisonnablement accessibles,

dire n’y avoir lieu au prononcé d’une astreinte, En tout état de cause

débouter l’ANPAA de ses demandes accessoires,

condamner l’ANPAA à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

condamner l’ANPAA aux dépens.

Par application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux écritures des parties pour l’exposé des moyens qui y sont exposés.

A l’issue des débats, il est indiqué aux conseils des parties que la décision sera rendue par mise à disposition au greffe le 13 mai 2022, prorogé au 20 mai 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il sera donné acte à l’ANPAA de son désistement d’instance et d’action à l’endroit de la société FACEBOOK FRANCE, laquelle est étrangère au litige ayant conduit à la saisine du présent juge.

II. Sur les exceptions de procédure :

Sur la régularité de l’assignation :

L’article 54 du code de procédure civile dispose que la demande initiale, formée par assignation, doit notamment contenir, à peine de nullité, pour les personnes morales, leur forme, leur dénomination, leur siège social et l’organe qui les représente légalement. Ces dispositions imposent également que soit mentionné l’objet de la demande tandis que l’article 56 du même code précise qu’elle doit, au surplus, contenir un exposé des moyens au soutien de cette demande, en fait et en droit.

Le défaut de telles mentions constitue un vice de forme au sens de l’article 114 du même code, de sorte que la nullité n’est acquise qu’à charge pour la partie qui s’en prévaut de justifier d’un grief subsistant. L’existence du grief allégué est appréciée souverainement par le juge.

En l’espèce, la dénomination sociale de la demanderesse figurant dans l’assignation délivrée à la défenderesse n’est pas incorrecte : elle y est en effet désignée comme “l’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie” suivi de son acronyme “ANPAA”, conformément à ses statuts adoptés en assemblée générale le 18 janvier 2014. Cette dénomination a été approuvée par arrêté du ministériel en date du 2 avril 2015, publié au journal officiel le 8 avril 2015.

Il n’est pas justifié d’une modification ultérieure des statuts, ou de leur approbation par le ministre de l’intérieur, concernant la dénomination de l’association, laquelle se présente effectivement, pour des raisons, dit- elle, de simplification de sa communication extérieure comme

“l’association addiction France”. Il est d’ailleurs remarqué que, selon le communiqué publié sur son site, intitulé “En 2021 l’ANPAA devient… Association Addictions France”, elle n’utilise pas les termes de dénomination sociale ou de titre, mais “d’identité visuelle”. Il est au demeurant relevé que la défenderesse se contredit en tentant de démontrer l’existence d’un quelconque grief ; en effet, tout en affirmant ne pas être en mesure d’identifier son adversaire, c’est à son initiative qu’est produit le communiqué sus visé, de sorte qu’elle ne peut ignorer que l’ANPAA et l’association Addictions France sont la même personne.

Il est encore avancé que l’assignation ne contiendrait pas l’objet de la demande ainsi que l’exposé des moyens développés au soutien de celle- ci, en fait et en droit.

Cependant, sa seule lecture révèle sans équivoque qu’elle a deux objets: soit d’une part, contraindre la défenderesse à supprimer des contenus d’une page qu’elle héberge sur le réseau social “Instagram”, et d’autre part, obtenir la communication des données en sa possession permettant d’identifier directement ou indirectement les éditeurs de cette page.

L’assignation précise également que les demandes sont fondées sur les dispositions combinées de l’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique , ci-après désignée LCEN et les articles L. 3323-2 et suivants du code de la santé publique ci-après désigné loi Evin . Les moyens qui y sont développés peuvent être ainsi synthétisés : les publications figurant sur la page “your best riflon” feraient la promotion de boissons alcooliques en violation des prescriptions de la loi, et serait ainsi illicites, et l’hébergeur du site aurait l’obligation de les supprimer et d’en identifier les auteurs. L’assignation comprend donc un exposé des moyens en fait et en droit.

Ainsi l’irrégularité de l’acte introductif d’instance n’est pas démontrée et il y lieu d’écarter les exceptions de nullité.

Sur la compétence territoriale :

L’article 56 du code de procédure civile dispose que la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure la partie défenderesse, ou, en matière délictuelle, celle du lieu du fait dommageable ou du lieu où le dommage a été subi.

La défenderesse estime que ces dispositions seraient inapplicables à la cause, s’agissant d’un litige entre parties demeurant dans deux Etats distincts de l’Union Européenne.

Il convient de relever que les dispositions de l’article 56 sont en parfaites concordance avec les dispositions du règlement UE n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, qui prévoit en son article 4, que la juridiction compétente est, en principe, celle du lieu où demeure la partie défenderesse, mais, par exception, l’article 7 autorise la demanderesse a assigner la partie défenderesse, en matière délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou du lieu où le dommage a été subi.

La société META soulève l’incompétence des juridictions françaises au profit des juridictions irlandaises, puisque son siège social est établi en Irlande. Cependant, tant en application du droit national que du droit européen, la demanderesse pouvait légitimement l’attraire devant les juridictions françaises.

La coloration délictuelle du litige n’appelle pas de discussion particulière. En effet, l’exposition à des contenus qui seraient prohibés par la loi française, présente un caractère dommageable.

Les contenus poursuivis sont manifestement à destination d’un public français, puisqu’ils sont tous rédigés en langue française, et consacrés à une boisson alcoolique marseillaise anisée de type pastis. Leur accessibilité sur le territoire français est en outre établie par le procès- verbal de constat en date du 21 mai 2021, l’huissier de justice y indiquant s’être connecté à la page “Instagram” dédiée depuis de son étude, laquelle est située sur le territoire national. Le lieu de survenance du dommage, s’il était avéré, se situe donc en France.

Le lien de rattachement avec le territoire national étant établi, et le réseau social “Instagram” étant accessible en n’importe quel endroit de ce territoire, l’exception d’incompétence territoriale sera rejetée.

II. Sur les demandes principales:

Sur la demande de suppression du compte contenant les publications poursuivies :

Selon l’article 6.I.8 de la loi LCEN, “le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne”

La charge de la preuve que les conditions prévues par ces dispositions sont remplies repose sur la demanderesse. Il lui appartient de prouver que le contenu est hébergé par un service de communication au public en ligne (1), qu’il est prohibé par la loi française (2) et qu’il lui est personnellement dommageable (3).

(1) sur la publication du contenu sur un service de communication au public en ligne :

Il est constant que le réseau social “Instagram”, détenu par la défenderesse, est un service de communication au public en ligne. Or, le procès-verbal de constat déjà mentionné démontre l’existence d’une page hébergée sur ce réseau social ” intitulée “yourbestriflon”, dont l’adresse URL est “www.instagram.com/yourbestriflon”.

Cette page, qui peut être trouvée en tapant les mots clés “ your” “best”

“riflon” dans la barre de recherche, est décrite comme privée, mais peut- être visualisée en s’y abonnant, démarche effectuée par l’huissier.

Il est relevé qu’il ne revient pas à la demanderesse de prouver que ce compte était en ligne à la date de l’audience, sauf à imposer l’exigence irréaliste de faire procéder à des opérations de constat d’huissier durant celle-ci, ou au juge de procéder lui-même à ces constatations en ligne. Il lui suffit de démontrer qu’il était accessible sur un service de communication au public en ligne, à charge pour la défenderesse, qui affirmerait qu’il ne le serait plus à la date de l’audience, d’en justifier.

C’est encore à tort, que la défenderesse prétend que la preuve serait insuffisante de l’hébergement de ce compte sur le réseau social

“Instagram”ou de la publication des différents contenus publiés par et sur ce compte, sous prétexte que l’huissier n’aurait pas réalisé de captures d’écran isolées de chacun des posts, sur lesquelles seraient visibles leurs adresses URL respectives. Les captures d’écran figurant aux trois pages constituant le document 11 annexé au procès-verbal permettent de voir l’ensemble des mentions et posts, dont il est manifeste qu’ils figurent sur une même page, avec la présentation caractéristique du réseau social, tandis que la première page de ce document, précise le nom du réseau social, celui du compte, et son adresse URL, les pages suivantes s’inscrivant dans sa continuité.

La première condition est ainsi remplie.

(2) – sur le caractère illicite du contenu

Aux termes de l’article 20, alinéa 1 de la LCEN : “toute publicité, sous quelque forme que ce soit, accessible par un service de communication au public en ligne, doit pouvoir être clairement identifiée comme telle. Elle doit rendre clairement identifiable la personne physique ou morale pour le compte de laquelle elle est réalisée”

L’article L. 3323-2 du code de la santé publique précise que la propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des boissons alcooliques, sont autorisées notamment : “9°) sur les services de communications en ligne à l’exclusion de ceux qui, par leur caractère, leur présentation ou leur objet, apparaissent comme principalement destinés à la jeunesse, ainsi que ceux édités par des associations, sociétés ou fédérations sportives ou des ligues professionnelles au sens du code des sport, sous réserve que la propagande ne soit ni intrusive, ni interstitielle”.

Il convient donc de retenir le moyen soulevé en défense, selon lequel les publications doivent être analysées isolément. Le compte, indifféremment de son objet, n’est que le support des contenus dénoncés par la demanderesse comme illicites. La demande de suppression sera ainsi examinée en s’appuyant sur les références dans l’ordre visuel, telles qu’elles apparaissent, sur le document 11 annexe D du procès- verbal de constat d’huissier, publication par publication. La numérotation suivante sera adoptée par le tribunal à des fins de motivation :

– n°1 : le logo

– n°2 : le nom du compte

– n°3 : la description du compte

Puis, selon l’ordre visuel dans lequel elles apparaissent, les différentes photographies ou extraits photographies figés de vidéos, n° 4 à 30.

Les publications n°4, 8, 12, 19, 24 et 32 ne comportent aucune référence expresse ou implicite, à une boisson alcoolique, et ne sauraient dès lors être constitutives de propagande directe ou indirecte au sens de la loi Evin.

La publication n°11, laquelle représente le tableau de la Cène, est reproduit au constat dans un format de taille si petite qu’il est impossible de déterminer si le personnage central du Christ et ses apôtres seraient bien en train de consommer du pastis de la marque “Ricard”. Cette publication ne peut, en l’état, être regardée comme constitutive de propagande.

La publication n°18, qui semble extraite d’une vidéo – ce qu’indique la présence d’un logo en haut à droite avec une petite flèche – représente une consommatrice d’une boisson de couleur jaune, qu’elle parvient à boire sans se servir de ses mains. Cependant, les bouteilles, situées en arrière plan, ne peuvent être distinguées, tandis qu’il n’est pas certain, même si probable vu l’objet du compte, que ce liquide soit effectivement du pastis ou toute autre boisson alcoolique. Les mêmes observations sont formulées concernant les publications n°26, qui représente un homme souriant avec une gavroche sur la tête et un verre à la main et n°28, qui représente deux hommes, également souriants, deux verres pleins étant posés devant eux.

La publication n°25, extraite d’un reportage, représente deux enfants, assis, l’un derrière l’autre, avec le surtitre “ le pastis, je sais pas si c’est de l’alcool” pour faire référence à une boisson alcoolique, n’en vante pas les mérites. Cette photographie a, certes, été extraite de son contexte à des fins humoristiques ; pour autant, cet effet ne tient pas à la mention de cette boisson, ou au doute exprimé sur ses effets néfastes, mais repose sur la naïveté de l’enfant qui la prononce.

En revanche, il est relevé que le terme “riflon”, qui n’existe pas dans la langue française, courante ou argotique, est manifestement utilisé par les éditeurs du compte pour désigner le pastis de marque “Ricard”. Il s’en suit que la dénomination même du compte (n°2), “your best riflon”, pouvant se traduire par “ton meilleur riflon”, ou “votre meilleur riflon” vante les mérites de cette boisson et doit, ainsi, être regardée comme constitutive d’une propagande directe au sens des dispositions susvisées. Il en est de même de la présence de son logo, lequel figure sur les publications n°1, n°6, n°27 et n°30 . C’est encore le cas de la description du compte (n°3), qui précise : “Plus jaune que l’or et plus brillant que le soleil, nous sommes Riflon” accompagné d’un émoji représentant un verre rempli d’un liquide jaune.

Sont également constitutives de propagande directe ou indirecte, les publications suivantes :

– n°5, sur laquelle figure une jeune femme, arborant une écharpe

“Miss Riflon 2021″ rappelant celle des reines de beauté, et tenant, de sa main droite, un bouquet de fleurs jaunes et de la main gauche, deux bouteilles de pastis de la marque “Ricard”, ainsi que sa légende, rédigée en ces termes “Oyé oyé la Riflonnerie. C’est avec une grande émotion que nous vous annonçons la grande gagnante du Concours Miss YourBestRiflon 2021. Toutes nos félicitations à @lena_gourtay première Dauphine de Bretagne élue à la majorité Riflonnée. Contrairement à une élection présidentielle, @lena_gourtay sera (sic) tenir ses promesses faites en campagnes et vous proposera une année haute en couleurs jaunes sûr (sic) un air Anissée. Lén ! Que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne. Donne nous chaque jour notre Riflon quotidien; pardonne”,

– n°7, 9, 13 à 17, 20 à 23, 29, 31 et 33, sur lesquelles figurent des objets dérivés de la marque “Ricard”, et plus précisément, des véhicules aux couleurs de la marque et portant son nom et parfois son logo, ou stationnés devant une enseigne de la marque de manière évidente, une fusée, une tasse et distributeur, un bateau, un avion, un plateau, une carafe et des verres, sur lesquels sont également reproduits les nom et logo de la marque,

– n°10, 15, sur lesquelles figurent des bouteilles de pastis de la marque “Ricard”.

Or, l’article L. 3323-4 du code de la santé publique autorise, concernant la publicité ou la propagande directe ou indirecte de boissons alcooliques, les mentions suivantes, à l’exclusion de tout autre : le degré volumique d’alcool, l’origine, la dénomination , la composition du produit, le nom et l’adresse du fabricant, les agents et les dépositaires et le mode d’élaboration, les modalités de vente et le mode de consommation du produit, les références relatives aux terroirs de production, les distinctions obtenues, les appellations d’origine contrôlées, les indications géographiques, les références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit.

Le conditionnement ne peut être reproduit que s’il est conforme aux dispositions précédentes.

La publicité ou la propagande, directe ou indirecte, doit être assortie d’un message à caractère sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé.

Il en résulte que si la publicité ou la propagande directe ou indirecte pour des boissons alcooliques est en principe licite, elle doit intervenir dans le seul respect des dispositions précédentes. Tel n’est pas le cas en l’espèce.

En effet, il est relevé qu’aucune des publications faisant la propagande directe ou indirecte du pastis de la marque “Ricard” n’est assortie du message sanitaire précisant que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé, à l’exception de la publication n°3 correspondant à la description du compte.

Au surplus, certaines d’entre elles ne se limitent pas à vanter les qualités objectives de cette boisson, mais sont accompagnées de messages ou bien mettent en scène des situations hyperboliques ou humoristiques. Cela est notamment le cas des publications n°1, 2, 3, 5, 6, 13, 14, 22 et 33.

Ces contenus sont donc illicites en ce qu’ils contreviennent aux dispositions de la loi Evin relatifs à la publicité ou la propagande directe ou indirecte en faveur de boissons alcooliques.

(3) l’existence d’un dommage :

Le caractère dommageable des publications en cause résulte de leur caractère illicite puisqu’elles ont pour effet d’exposer les utilisateurs du réseau social “Instagram” à de la propagande en faveur de boissons alcooliques contrevenant aux prescriptions légales, adoptées dans un impératif de santé publique.

La publicité ou la propagande est en effet encadrée afin de limiter leur impact incitatif sur les consommateurs actuels, futurs ou éventuels. Ce dommage ne peut que s’étendre à la défenderesse, dont l’objet social est

“de promouvoir et contribuer à une politique globale de prévention des risques et des conséquences des usages, usages détournés et mésusages d’alcool […]”.

La troisième condition est ainsi remplie.

Il est néanmoins relevé la difficulté d’exécution résultant de l’absence d’adresse URL connue, pour chacune des publications. A ce titre, il appartiendra à la demanderesse de communiquer à la défenderesse un procès-verbal de constat isolant les publications numérotées par le juge : 1, 2, 3, 5, 6, 7, 9, 10, 13 à 17, 20 à 23, 27, 29 à 31 et 33. Cette communication peut intervenir concomitamment ou postérieurement à la signification du jugement. Puis, la défenderesse disposera d’un délai de deux mois pour procéder à la suppression des publications, à l’expiration duquel commencera à courir une astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard durant trois mois, que le juge estime nécessaire à la correcte exécution de sa décision.

Sur la demande d’identification du ou des éditeurs du compte :

Aux termes de l’article 6-II de la LCEN : “Dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article détiennent et conservent les données de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires.

Elles fournissent aux personnes qui éditent un service de communication au public en ligne des moyens techniques permettent à celles-ci de satisfaire aux conditions d’identification prévues au III.

Un décret en Conseil d’État pris après avis de la CNIL définit les données mentionnées au premier alinéa et détermine la durée et les modalités de leur conservation ».

Le décret n°2021-1362 du 20 octobre 2021, pris en son article 2, prévoit:

“ Les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur au sens du 1° du II bis de l’article 34-1 du code des postes et des communications électroniques, que les personnes mentionnées à l’article 1er sont tenues de conserver jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité du contrat de l’utilisateur sont les suivantes :

1° Les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ;

2° La ou les adresses postales associées ;

3° La ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ;

4° Le ou les numéros de téléphone”

La procédure accélérée au fond autorisée par l’article 6.I.8 concerne

“toutes les mesures propres à faire prévenir ou cesser un dommage causé par le contenu d’un service de communication au public en ligne”

Il s’en suit, d’une part, que les demandes formées sur ce fondement ne sont pas limitées à la suppression de contenus illicites, de sorte que la fin de non recevoir soulevée par la défenderesse tirée du défaut de pouvoir juridictionnel du juge statuant selon la procédure accélérée au fond doit être écartée.

D’autre part, il appartient au juge de déterminer, souverainement, les mesures légalement admissibles destinées à prévenir ou faire cesser le dommage causé par ces contenus.

Or, en l’espèce, il convient de relever que le comportement adopté par le ou les éditeurs du compte “your best riflon” a consisté à d’abord se montrer réceptifs aux démarches de la demanderesse, avant de ne plus y donner suite et de persister à publier des contenus de cette nature, ainsi que la publication d’un communiqué. Celui-ci indique tout en évoquant une volonté de se mettre en conformité avec les dispositions légales, précise néanmoins ; :” On fera tout pour continuer la passion et les valeurs du jaune, car on le sait tous : le riflon c’est pas qu’un alcool, c’est un art de vivre [emoji coeur jaune]” outre l’objet même du compte, qui est de “regrouper une communauté autour de la bonne humeur et de cette passion partagée” pour le pastis et la marque “Ricard”.

Dans ces conditions, la seule suppression des contenus illicites ne permet pas de prévenir le dommage causé par la publication, ultérieure, de contenus de même nature.

A ce titre, la mesure d’identification sollicitée par la demanderesse est proportionnée aux enjeux de santé publique en présence, sans que la défenderesse ne puisse lui opposer la possibilité de se diriger vers le fournisseur de messagerie électronique ou tout autre intermédiaire technique.

Concernant les données auxquelles sera circonscrite la mesure, il convient de souligner qu’en sa qualité d’hébergeur, la société META est tenue de conserver les données visées par le décret, auxquelles ses conditions d’utilisation sont supposées se conformer. Cependant, afin d’éviter toutes difficultés d’exécution, la mesure ne concernera pas l’adresse postale associée au compte, puisque la défenderesse affirme et démontre qu’elle ne la sollicite pas de ses utilisateurs.

Sur les demandes accessoires

La défenderesse succombant, elle sera condamnée aux dépens.

En équité, elle sera encore condamnée à payer à la demanderesse la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant selon la procédure accélérée au fond, par jugement contradictoire, mis à disposition après débats en audience publique et en premier ressort,

Constate le caractère parfait du désistement du L’ASSOCIATION NATIONALE DE PRÉVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE de son désistement d’instance et d’action à l’endroit de la société à responsabilité limitée FACEBOOK FRANCE,

Dit qu’il emporte extinction de l’instance et d’action entre les parties susvisées,

Déclare L’ASSOCIATION NATIONALE DE PRÉVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE recevable en toutes ses demandes;

Déclare l’assignation délivrée le 24 mars 2022 régulière ;

Se déclare territorialement compétent afin de connaître du litige ;

Ordonne à la société META PLATFORMS IRELAND Ltd de supprimer les contenus illicites numérotés par le tribunal, dans l’ordre visuel du procès-verbal de constat d’huissier du 21 mai 2021, n°1, 2, 3, 5 à 7, 9, 10, 13 à 17, 20 à 23, 27, 29 à 31 et 33, mis en ligne sur la page

“your best riflon” hébergée sur le réseau social “Instagram”, accessible à l’adresse URL www.instagram.com/yourbestriflon et ce, dans le délai de deux mois à compter de la communication d’un procès-verbal de constat par tel huissier de justice du choix et aux frais de L’ASSOCIATION NATIONALE DE PREVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE, au sein duquel les publications sus visées seront identifiées, isolément, par leur adresse URL, puis sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard durant trois mois,

Ordonne à la société META PLATFORMS IRELAND Ltd de communiquer à la L’ASSOCIATION NATIONALE DE PRÉVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE les données de nature à identifier le ou les éditeurs du compte “your best riflon” qu’elle héberge, et a minima : les nom et prénom, la date et le lieu de naissance ou la raison sociale, ainsi que les nom et prénom, date et lieu de naissance de la personne agissant en son nom lorsque le compte est ouvert au nom d’une personne morale ; la ou les adresses de courrier électronique de l’utilisateur et du ou des comptes associés le cas échéant ; le ou les numéros de téléphone – ce dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement, puis sous astreinte provisoire de 100 euros par jour de retard durant trois mois,

Déboute les parties de toutes demandes plus amples ou contraires,

Condamne la société META PLATFORMS IRELAND Ltd à payer à L’ASSOCIATION NATIONALE DE PREVENTION EN ALCOOLOGIE ET ADDICTOLOGIE la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société META PLATFORMS IRELAND Ltd aux dépens,

Rappelle que l’exécution provisoire est de droit,

Fait à Paris le 20 mai 2022

Le Greffier, Le Président,


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