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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le quatorze mai deux mille deux, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller CHANET, les observations de la société civile professionnelle Le GRIEL, et de la société civile professionnelle LYON-CAEN, FABIANI et THIRIEZ, avocats en la Cour ;
Vu la communication faite au Procureur général ;
Statuant sur le pourvoi formé par :
– X… Hugues,
contre l’arrêt de la cour d’appel de GRENOBLE, chambre correctionnelle, en date du 28 mars 2001, qui, pour provocation à la discrimination raciale, l’a condamné à 10 000 francs d’amende, a ordonné la publication et l’affichage de la décision, et a prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
” en ce que l’arrêt attaqué a déclaré Hugues X… coupable du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;
” aux motifs que ” le second paragraphe (de l’article incriminé) affirme que les repreneurs des commerces qui se voient contraints de fermer en raison de l’insécurité et des charges sont repris par des commerçant ” extra-européens ” profiteurs puisque prospérant grâce aux aides publiques qui leur sont distribuées de manière discriminatoire, au détriment des français de souche “, que ” c’est donc bien un groupe de personnes qui est visé par l’article d’Hugues X… “, que ” le troisième paragraphe vient affiner la pensée du scripteur et ne laisse aucun doute sur la nature du groupe visé par l’article en sa globalité ” et que ” si le second paragraphe peut se rapporter à un groupe constitué de repreneurs ” extra-européens ” des commerces désertés pour cause d’insécurité et de charges trop lourdes, par les aborigènes, profiteurs, gros consommateurs des aides publiques qui leur sont attribuées de manière discriminatoire, le troisième paragraphe concerne le groupe pris dans sa généralité, composé d’une population de confession musulmane, constituant un danger pour les autochtones qui se retrouvent colonisés et martyrisés sur leur sol, tels les 20 % de serbes habitants le Kosovo ” ;
1) ” alors que, contrairement à ce qu’estime la cour d’appel au prix d’une extrapolation, dans les deuxième et troisième paragraphes de l’article incriminé, Hugues X… ne s’en prend nullement à la ” population de confession musulmane ” de Villefontaine, mais ne fait que dénoncer la ” ghettoïsation ” que connaît cette ville et attirer l’attention de ses habitants sur les dangers de cette situation en citant l’exemple du Kosovo colonisé par les musulmans albanais ;
” aux motifs que ” ces deux paragraphes, nécessairement associés, constituent un appel à la haine et à la violence, le troisième paragraphe étant particulièrement incitatif dès lors que par référence aux événements du Kosovo où ” le peuple colonisé par 80 % de musulmans est devenu une terre d’Islam !, les 20 % de yougoslaves sont martyrisés sur leur sol “, il est demandé aux habitants de Villefontaine de méditer sur cet exemple pour éradiquer la ghettoïsation, lorsqu’ils auront changé de maire “, que ” le dernier paragraphe constitue également un appel à la haine et à la violence, invitant les villardiens à rester maîtres chez eux ” et que ” cet article qui invite les villardiens à rester maîtres chez eux en éradiquant la ghettoïsation des ” extra-européens “, donc à une action de force envers ces derniers décrits comme ceux qui prospèrent grâce à la manne de ” la discrimination positive ” et profitent de la désertion des commerces pour les reprendre, nécessairement à bon compte, caractérise le délit de provocation à la haine à l’égard d’un groupe de personnes d’origine ” extra-européens ” et de religion musulmane, délit exclusif de bonne foi ainsi que le rappelle le premier juge ” ;
2 alors que la seule crainte d’un risque de racisme ne saurait priver les citoyens de la liberté d’exprimer leur opinion sur les difficultés relatives à l’immigration, dès lors que les propos tenus ne dépassent pas les limites d’un débat légitime ; qu’en l’espèce, l’article incriminé dénonce la ” ghettoïsation ” de Villefontaine, notamment par la reprise de commerces par des ” extra-européens ” grâce à l’octroi d’aides publiques, et attire l’attention des habitants de cette ville sur les dangers de cette situation et la nécessité d’y mettre fin par un changement de politique municipale ; que, contrairement à ce que considère la cour d’appel, au prix d’une dénaturation des termes de l’article, il n’invite nullement les villardiens à ” une action de force ” envers les ” extra-européens ” de religion musulmane et ne comporte même aucune provocation à la discrimination ou à la haine et qu’en particulier, la proposition selon laquelle la ” ghettoïsation ” de Villefontaine doit être éradiquée et les villardiens doivent rester maîtres chez eux est l’expression de la légitime revendication de toute personne attachée au maintien de l’unité nationale et de la paix sociale ;
” aux motifs qu’” il est vain pour Hugues X… d’arguer du droit de la libre expression de pensée “, que, ” comme le soutient Hugues X… un élu a la possibilité de s’exprimer sur les sujets de sociétés et notamment sur l’insécurité, il n’en demeure pas moins, aux termes de la loi et d’une jurisprudence constante, que ce droit de libre expression reconnu à tout citoyen (l’élu étant un citoyen comme les autres) comporte des limites imposées par la loi, qu’elle soit nationale ou européenne “, et que ” l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit expressément dans son second paragraphe, que l’exercice de la liberté d’expression comportant des devoirs et des responsabilités, peut être soumis à certaines conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment dans la protection des droits d’autrui, ce qui est l’objet de l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 ” ;
3) ” alors qu’aux termes du paragraphe 1 de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, ” toute personne a droit à la liberté d’expression “, que la condamnation prononcée contre Hugues X… sur le fondement de l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 ne constitue une mesure nécessaire, dans une société démocratique, ni à la sécurité nationale, à l’intégrité nationale ou à la sûreté publique, ni à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, ni à la protection de la santé ou de morale, ni à la protection de la réputation ou des droits d’autrui au sens du paragraphe 2 de ce même texte et que seul un besoin social impérieux dans l’un de ces domaines autorise une limitation de la liberté d’expression, ce qui n’est pas le cas en l’espèce ” ;
Attention qu’il résulte de l’arrêt attaqué que la Fédération départementale de l’Isère du MRAP a fait citer Hugues X… devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881 à raison d’un article qu’il a rédigé dans le numéro de la revue municipale de Villefontaine publié en janvier 2000 et intitulé ” Villefontaine, c’est Minguettes sur Isère ” ;
Attendu que, pour confirmer le jugement ayant déclaré le prévenu coupable des faits retenus à la prévention, les juges se prononcent par les motifs reproduits au moyen ;
Attendu qu’en cet état, la cour d’appel a justifié sa décision ;
Que, d’une part, le délit de provocation prévu et réprimé par l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, est caractérisé lorsque, comme en l’espèce, les juges constatent que, tant par son sens que par sa portée, le texte incriminé tend à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes à raison d’une origine ou d’une religion déterminée ;
Que, d’autre part, le texte précité entrant dans les restrictions prévues au paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, la méconnaissance du principe de la liberté d’expression affirmé par le paragraphe 1er dudit article ne saurait être invoquée ;
D’où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
CONDAMNE Hugues X… à verser la somme de 1 200 euros à la Fédération départementale de l’Isère du MRAP au titre de l’article 618-1 du Code de procédure pénale ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L. 131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Chanet conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Lambert ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;