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AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze avril deux mille cinq, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire MENOTTI, les observations de Me CARBONNIER, et de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l’avocat général COMMARET ;
Statuant sur les pourvois formés par :
– LE PROCUREUR GENERAL PRES LA COUR D’APPEL DE MONTPELLIER,
– L’ASSOCIATION LIGUE CONTRE LE RACISME ET L’ANTISEMITISME (LICRA), partie civile
contre l’arrêt de la cour d’appel de MONTPELLIER, chambre correctionnelle, en date du 30 mars 2004, qui, dans la procédure suivie, sur la plainte de l’Association La Ligue Contre le Racisme et l’Antisémitisme, a débouté celle-ci de ses demandes après relaxe de Jean X… du chef de provocation à la discrimination raciale ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
I – Sur le pourvoi du Procureur général près la cour d’appel de Montpellier :
Attendu que le pourvoi, formé le 5 avril 2004, plus de 3 jours après le prononcé de l’arrêt contradictoire, est irrecevable comme tardif en application de l’article 59 de la loi du 29 juillet 1881 ;
II – Sur le pourvoi de la LICRA :
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881, 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
“en ce que l’arrêt attaqué a relaxé Jean X… du chef de provocation à la haine ou à la discrimination raciale ;
“aux motifs que les faits dénoncés ne caractérisent pas l’infraction de provocation à la haine ou à la discrimination raciale ;
que les propos reprochés au prévenu ne visent qu’à condamner la politique suivie par M. Y… sans que soit mis en cause ni le peuple d’Israël ou de Palestine, ni le peuple juif, ni la religion juive ;
que les références bibliques contenues dans l’homélie se rapportent à des événements historiques et religieux universellement admis, ainsi que l’a souligné le premier juge ; que les pièces de la procédure et les témoignages recueillis démontrent amplement l’engagement du prévenu tant auprès des israéliens que des palestiniens ; que les propos incriminés qui ont pu heurter certaines consciences replacées dans leur contexte, ne sont que l’expression de la liberté, reconnue à tout citoyen, dans une démocratie, de critiquer la politique suivie par un gouvernement ; que la simple médisance ou diffamation raciale à l’égard d’un groupe ethnique n’a pas pour effet d’entraîner la provocation à la haine ou à la discrimination ;
“alors, d’une part, que le délit de provocation prévu et réprimé par l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, est caractérisé lorsque, tant par son sens que par sa portée, le texte incriminé tend à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes à raison d’une origine ou d’une religion déterminée ; Qu’en l’espèce, dans une homélie prononcée lors de la messe de minuit de Noël 2001, dont la teneur était résumée en français et en occitan sur des feuillets distribués, Jean X… a cru pouvoir dire et écrire “Il est né à Bethléem en Palestine. Il est né à Bethléem. Pauvre innocent ! Y… lui a tiré dessus : “Rien qu’à ta mine. Si ce n’est toi, c’est ton frère qui m’a tiré dessus”, puis “Pilate, le chef de l’armée d’occupation et Caiphe, le grand prêtre collabo relâchèrent Barabbas et crucifiérent Jésus (…) Caiphe et Pilate ont relâché Barabbas et tué Jésus. C’était plus sûr si l’on voulait pouvoir continuer à dominer le monde en se partageant le pouvoir, et en faisant s’entretuer les hommes au nom de Dieu : Tu m’en tues dix, je t’en tue trois cents, nous sommes quittes, et après, on s’entend. Le résultat, c’est qu’en préférant à Jésus, Barabbas, on abandonne le monde à la spirale de la violence … Jérusalem contre Rome, Rome contre Jérusalem, et les vaincus qui rêvent d’infliger à d’autres ce qu’on leur a fait subir. Et nos collégiens de faire naître Jésus encore au XXeme siècle entre les cailloux des gosses palestiniens et les balles de Y…” ; Qu’en identifiant Caiphe, présenté comme responsable de la mort de Jésus, à Y… sous les balles de qui tombent les Palestiniens, jusqu’à imputer au Premier ministre juif dirigeant l’Etat d’Israël aujourd’hui, Ariel Y…, la mort de Jésus, Christian X… a repris à son compte le fantasme deux fois millénaire selon lesquels les juifs seraient collectivement responsables de la mort de Jésus, comme peuple déicide ayant appelé sur lui-même la malédiction éternelle de Dieu, si bien que la communauté juive serait donc, selon ces propos, vouée au déicide et à l’assassinat de l’innocence, tant serait constant et puissant son désir de “dominer le monde” ; Que, ce faisant, tant par leur sens que par leur portée, les propos et textes de Christian X… tendent à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personne en raison d’une origine ou d’une religion déterminée ;
qu’en considérant que ces propos ne visaient qu’à condamner la politique suivie par M. Y… et que les références bibliques “se rapportent à des événements historiques et religieux universellement admis”, sans rechercher si les propos incriminés ne tendaient pas à susciter un sentiment d’hostilité ou de rejet envers un groupe de personnes, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées ;
“alors, d’autre part, que, si toute personne a, conformément à l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, droit à la liberté d’expression, l’exercice de cette liberté peut cependant être soumis à certaines conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique, notamment à la protection de la morale et des droits d’autrui ; que, précisément, le délit de provocation publique à la discrimination ou à la haine raciale visé à l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, a pour objet la protection des droits d’autrui ; Qu’en l’espèce, Christian X… a tenu des propos visant à suggérer que les juifs seraient collectivement responsables de la mort de Jésus, comme peuple déicide ayant appelé sur lui-même la malédiction éternelle de Dieu, si bien que la communauté juive serait donc, selon ces propos, vouée au déicide et à l’assassinat de l’innocence, tant serait constant et puissant son désir de “dominer le monde” ; qu’en considérant que “les propos incriminés ne sont que l’expression de la liberté, reconnue à tout citoyen, dans une démocratie, de critiquer la politique suivie par un Gouvernement” et en faisant ainsi prévaloir la liberté d’expression, la cour d’appel a violé les articles susvisés ;
“alors, enfin, que le délit de provocation, réprimé par l’article 24, alinéa 6, de la loi du 29 juillet 1881, est exclusif de toute bonne foi ; qu’en l’espèce, pour considérer que les faits reprochés à Christian X… ne caractérisaient pas l’infraction de provocation à la haine ou à la discrimination raciale, la Cour d’appel a relevé que “les références bibliques contenues dans l’homélie se rapportent à des événements historiques et religieux universellement admis” et que “les pièces de la procédure et les témoignages recueillis, démontrent amplement l’engagement du prévenu, tant auprès des israéliens que des palestiniens” ;
Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel a, sans insuffisance ni contradiction, et en répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, exposé les motifs pour lesquels elle a estimé que la preuve de l’infraction reprochée n’était pas rapportée à la charge du prévenu, en l’état des éléments soumis à son examen et a ainsi justifié sa décision déboutant la partie civile de ses prétentions ;
D’où il suit que le moyen, qui se borne à remettre en question l’appréciation souveraine, par les juges du fond, des faits et circonstances de la cause ainsi que des éléments de preuve contradictoirement débattus, ne saurait être admis ;
Et attendu que l’arrêt est régulier en la forme ;
Sur le pourvoi du procureur général :
Le
DECLARE IRRECEVABLE ;
Sur le pourvoi de la LICRA :
Le REJETTE ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré, dans la formation prévue à l’article L.131-6, alinéa 4, du Code de l’organisation judiciaire : M. Cotte président, Mme Menotti conseiller rapporteur, M. Joly conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Krawiec ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;