OM/CH
[K] [M]
C/
SAS [Z] LABORATOIRE
Expédition revêtue de la formule exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE – AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE DIJON
CHAMBRE SOCIALE
ARRÊT DU 11 MAI 2023
MINUTE N°
N° RG 21/00592 – N° Portalis DBVF-V-B7F-FYNG
Décision déférée à la Cour : Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de DIJON, section Encadrement, décision attaquée en date du 12 Juillet 2021, enregistrée sous le n° F 20/00221
APPELANTE :
[K] [M]
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Anais BRAYE de la SELARL DEFOSSE – BRAYE, avocat au barreau de DIJON
INTIMÉE :
SAS [Z] LABORATOIRE
[Adresse 4]
[Localité 3]
représentée par Me Fabien KOVAC de la SCP DGK AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de DIJON, et Me Vincent BRAILLARD de la SELARL JURIDIL, avocat au barreau de BESANÇON
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 12 Avril 2023 en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Olivier MANSION, Président de chambre chargé d’instruire l’affaire. Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries lors du délibéré, la Cour étant alors composée de :
Olivier MANSION, Président de chambre,
Delphine LAVERGNE-PILLOT, Conseiller,
Rodolphe UGUEN-LAITHIER, Conseiller,
GREFFIER LORS DES DÉBATS : Frédérique FLORENTIN,
ARRÊT : rendu contradictoirement,
PRONONCÉ par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
SIGNÉ par Olivier MANSION, Président de chambre, et par Frédérique FLORENTIN, Greffier, à qui la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [M] (la salariée) a été engagée le 2 janvier 1991 par contrat à durée indéterminée en qualité de prothésiste dentaire par une société puis le contrat de travail a été transféré à la société [Z] laboratoire (l’employeur).
Elle a été licenciée le 3 février 2020 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Estimant cette rupture infondée, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes qui, par jugement du 12 juillet 2021, a rejeté toutes ses demandes sauf celles relatives à la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
La salariée a interjeté appel le 10 août 2021.
Elle demande l’infirmation partielle du jugement et le paiement des sommes de :
– 5 000 euros de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
– 5 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité et de prévention des risques,
– 13 495,47 euros d’indemnité de préavis,
– 1 349,54 euros de congés payés afférents,
– 39 896,93 euros d’indemnité spéciale de licenciement,
– 75 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement nul ou, à tout le moins sans cause réelle et sérieuse,
– 3 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
et réclame la délivrance d’un bulletin de paie, de l’attestation destinée à Pôle emploi, d’un certificat de travail avec date d’embauche au 2 janvier 1991 et la régularisation auprès des organismes sociaux.
L’employeur conclut à la confirmation partielle du jugement et sollicite le paiement de 2 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 26 janvier 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l’appel incident de l’employeur contenu dans ses conclusions du 20 septembre 2022.
Il sera renvoyé pour un plus ample exposé du litige aux conclusions des parties échangées par RPVA les 24 mars et 20 septembre 2022.
MOTIFS :
Il sera relevé que la SAS [Z] laboratoire intervient volontairement en lieu et place de la SARL [Z] laboratoire.
Sur le harcèlement moral :
En application des articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de la loi. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements indiqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, la salariée invoque un tel harcèlement en indiquant que l’employeur a tenté de modifier ses conditions de travail sans son accord, en voulant lui faire signer un avenant à son contrat de travail pour réduire sa rémunération, ce qu’elle a refusé, qu’il l’a isolée en faisant pression sur ses collègues comme en atteste M. [J] et M. [E], une altération de son état de santé ayant entraîné un arrêt de travail de juillet à décembre 2019 avec des certificats médicaux corrélatifs (pièces n° 11 à 15), un avis d’inaptitude rendu par le médecin du travail le 10 janvier 2020 avec un état de santé faisant obstacle à toute proposition de reclassement dans l’entreprise et une attitude hostile et agressive après le refus par la salariée de signer l’avenant litigieux.
Ces éléments, pris dans leur ensemble, font supposer l’existence d’un harcèlement moral.
L’employeur conteste cette supposition en soutenant que l’avenant avait pour objet de réparer une erreur de plume sur le montant de la rémunération de la salariée et qu’il a par la suite appliqué le contrat tel que signé par les parties.
Il souligne que le contrat de travail a été suspendu du 25 juillet 2018 jusqu’au licenciement, pour cause de maladie et qu’il n’existe pas de lien de causalité entre l’inaptitude et ces faits.
Il sera relevé que l’erreur de plume n’est pas démontrée.
Par ailleurs, l’employeur souligne que les certificats médicaux ont été établis, pour deux d’entre eux, pendant la période de suspension du contrat de travail et font état, notamment, de management pathologique mais sans avoir examiné le poste de travail ni les conditions de celui-ci, ce qui incombe au seul médecin du travail.
L’employeur critique l’attestation de M. [J] mais sans élément emportant conviction.
Il justifie de l’existence d’un litige prud’homal l’opposant à M. [E].
Il est produit les attestations de Mme [N], de neuf salariés identifiés (pièce n° 11), et d’autres attestations (pièces n° 10 à 13, 19 à 26) qui permettent de retenir une absence de harcèlement moral de la part de M. [Z] à l’encontre du salarié.
L’employeur apporte, en conséquence, des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement qui renversent la supposition retenue.
La demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral sera donc rejetée et le jugement confirmé.
Sur l’exécution de l’obligation de sécurité :
L’article L. 4121-1 du code du travail dispose que : « L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l’article L. 4161-1 ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes ».
L’article L4121-2 dispose que : « L’employeur met en oeuvre les mesures prévues à l’article L. 4121-1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants :
1° Eviter les risques ;
2° Evaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ;
3° Combattre les risques à la source ;
4° Adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé ;
5° Tenir compte de l’état d’évolution de la technique ;
6° Remplacer ce qui est dangereux par ce qui n’est pas dangereux ou par ce qui est moins dangereux ;
7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu’ils sont définis aux articles L. 1152-1 et L. 1153-1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l’article L. 1142-2-1 ;
8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle ;
9° Donner les instructions appropriées aux travailleurs ».
Il incombe à l’employeur d’établir qu’il a exécuté cette obligation.
La salariée indique dans ses conclusions que l’employeur a méconnu son obligation et que le préjudice causé doit être réparé.
Toutefois, et même à supposer que la salariée reprenne la même argumentation que pour le harcèlement moral, l’employeur a démontré l’absence de celui-ci.
De même, l’obligation de sécurité et de prévention des risques a été exécutée correctement et la salariée ne démontre pas l’existence d’un préjudice distinct indemnisable.
Sur le licenciement :
La salariée invoque la nullité du licenciement intervenu pour inaptitude et impossibilité de reclassement en soutenant que cette inaptitude résulte du harcèlement moral allégué et du comportement de l’employeur.
Cependant, le harcèlement moral a été écarté et le salarié n’apporte aucun élément permettant de retenir que l’inaptitude médicalement constatée par le médecin du travail résulte, au moins pour partie, d’un manquement ou d’une faute de l’employeur.
La demande de nullité sera donc écartée.
Il en va de même pour un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié ne faisant état d’aucun moyen ni ne visant aucune offre de preuve, l’avis d’inaptitude ne relevant aucune origine professionnelle.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnisation de la salariée à ce titre.
Sur la clause de non-concurrence :
1°) Il est jugé que, conformément au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle, une clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et dans l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives.
En l’espèce, la salariée demande l’application de l’avenant au contrat de travail qui a instauré une interdiction de concurrence et la confirmation du jugement en ce qu’il lui alloue les sommes de 31 037,18 euros au titre de la contrepartie financière de cette clause du 4 février 2020 au 30 juin 2021 et la somme mensuelle de 1 836,52 euros du 1er juillet 2021 au 3 février 2022.
L’employeur admet que l’avenant du 10 avril 2019 contient une telle clause et que cette clause n’a pas été levée lors de la rupture du contrat de travail.
Dans ses conclusions, l’employeur précise qu’il n’entend pas contester le jugement sur le montant des sommes accordées mais uniquement sur le point de départ des intérêts dus sur cette somme.
Cet appel incident a été déclaré irrecevable par ordonnance du conseiller de la mise en état.
La cour n’a donc pas à statuer sur ce point et le jugement sera confirmé.
Sur les autres demandes :
1°) Sur la remise de documents, le jugement sera confirmé, sauf à ajouter l’attestation destinée à Pôle emploi laquelle est due en raison de la rupture du contrat de travail.
2°) Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l’employeur et le condamne à payer à la salariée la somme de 1 200 euros.
L’employeur supportera les dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour statuant publiquement, par décision contradictoire :
– Confirme le jugement du 12 juillet 2021 ;
Y ajoutant :
– Dit que la société [Z] laboratoire remettra à Mme [M] l’attestation destinée à Pôle emploi ;
– Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société [Z] laboratoire et la condamne à payer à Mme [M] la somme de 1 200 euros ;
– Condamne la société [Z] laboratoire aux dépens d’appel.
Le greffier Le président
Frédérique FLORENTIN Olivier MANSION