Protection des marques et lutte contre la contrefaçon : enjeux et conséquences économiques

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Protection des marques et lutte contre la contrefaçon : enjeux et conséquences économiques

Copier l’argumentaire publiciaire générique d’une société n’est pas une faute dès lors qu’aucun savoir-faire spécifique, en terme de communication, n’est prouvé.

En vertu de l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”

Le parasitisme est caractérisé en cas d’appropriation du travail et du savoir-faire d’un tiers, sans autorisation et sans frais, lorsqu’une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Enfin, celui qui pâtit d’un agissement contraire à la loi ou à la réglementation susceptible de créer une distorsion de concurrence, est fondé à en obtenir réparation.

En la cause, la société requérante reproche à la défenderesse d’imiter son argumentaire commercial s’agissant de la mise en avant :

– d’un service 24 heures sur 24, Sept jours sur sept,
– de l’expertise de ses miroitiers,
– des caractéristiques des services : rapidité d’intervention et transparence des prix.

Or, la simple mise en avant des caractéristiques de l’activité de l’entreprise concurrente ne saurait être considérée comme parasitaire, s’agissant de caractéristiques attendues de la part d’un prestataire de service dans ledit domaine – soit la disponibilité, la qualité, la rapidité d’intervention, voire la transparence des prix, sans démonstration par la requérante de l’appropriation d’un savoir-faire qui lui serait propre.

Résumé de l’affaire : Le 26 mai 2023, la SAS CEVINO GLASS a assigné la SAS HOME ASSISTANCE devant le tribunal judiciaire de Lille pour contrefaçon de marque et concurrence déloyale. CEVINO GLASS a demandé des dommages-intérêts de 85.000 € pour contrefaçon et 15.000 € pour concurrence déloyale, ainsi que l’interdiction d’utiliser la marque PROXIVITRE, la fermeture du site proxi-vitre.com, et le transfert du nom de domaine à son profit. La société HOME ASSISTANCE n’a pas constitué avocat. Le tribunal a statué le 13 septembre 2023, déclarant HOME ASSISTANCE coupable de contrefaçon, interdisant l’utilisation de la marque, ordonnant le transfert du nom de domaine, et condamnant HOME ASSISTANCE à verser 15.000 € pour économies d’investissement et 5.000 € pour préjudice moral. La demande de fermeture du site a été rejetée, et CEVINO GLASS a été déboutée du surplus de sa demande indemnitaire. HOME ASSISTANCE a également été condamnée à payer 1.900 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile et aux dépens. L’exécution provisoire a été rappelée.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

13 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Lille
RG
23/05260
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE LILLE
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-

Chambre 01

N° RG 23/05260 – N° Portalis DBZS-W-B7H-XGMT

JUGEMENT DU 13 SEPTEMBRE 2024

DEMANDERESSE:

S.A.S. CEVINO GLASS
[Adresse 3]
[Localité 2]
représentée par Me Nathalie VERSPIEREN-MACQUET, avocat au barreau de LILLE

DÉFENDERESSE:

S.A.S. HOME ASSISTANCE
[Adresse 1],
[Localité 5]
défaillant

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Nicolas VERMEULEN,

Greffier : Benjamin LAPLUME,

DÉBATS

Vu l’ordonnance de clôture rendue en date du 10 Octobre 2023 avec effet au 13 Septembre 2023.

A l’audience publique du 14 Mai 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les parties ont été avisées que le jugement serait rendu le 13 Septembre 2024.

Vu l’article 804 du Code de procédure civile, Juliette BEUSCHAERT, juge préalablement désigné par le Président, entendu en son rapport oral, et qui, ayant entendu la plaidoirie, en a rendu compte au Tribunal.

JUGEMENT : réputé contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 13 Septembre 2024 par Marie TERRIER, Présidente, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.

EXPOSÉ DES FAITS
  
Le 26 mai 2023, la SAS CEVINO GLASS a fait assigner devant le tribunal judiciaire de Lille la SAS HOME ASSISTANCE afin de voir :
 
Vu les articles L713-2, L 716-4 et L 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle
 
Vu l’article 1240 du Code civil
 
Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile
 
CONDAMNER la société HOME ASSISTANCE à verser à la société CEVINO GLASS la somme de 85.000 € (quatre-vingt-cinq mille euros] à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice subi au titre des actes de contrefaçon.
 
CONDAMNER la société HOME ASSISTANCE à verser à la société CEVINO GLASS la somme de 15.000 € (quinze mille euros) à titre de dommages intérêts en réparation de son préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale et parasitaire.
 
INTERDIRE à la société HOME ASSISTANCE d‘utiliser la marque PROXIVITRE sous quelque forme, de quelque manière et a quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, par toute personne morale ou physique interposée, et ce sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification du jugement à intervenir.
 
ORDONNER à la société HOME ASSISTANCE de procéder à la fermeture du site proxi-vitre.com dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
 
ORDONNER à la société HOME ASSISTANCE de procéder au transfert du nom de domaine proxi-vitre.com au profit de la société CEVINO GLASS, dans les 15 jours de la signification du
jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
 
INTERDIRE à la société HOME ASSISTANCE de reprendre l’argumentaire commercial de la société CEVINO GLASS sur tout site Internet, élément de communication, réseau social, document, papier commercial, publicité dans les 15 jours de la signification du jugement à intervenir et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard.
 
CONDAMNER la société HOME ASSISTANCE à verser à la société CEVINO GLASS la somme de 8.000 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
 
CONDAMNER la société HOME ASSISTANCE aux entiers frais et dépens de l’instance.
 
La société HOME ASSISTANCE n’a pas constitué avocat. La clôture de l’instruction a été ordonnée à la date du 13 septembre 2023 et l’affaire fixée à plaider à l’audience du 14 mai 2024 prise à juge rapporteur. Elle a été mise en délibéré au 13 septembre 2024.
 
En application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il convient de se reporter aux moyens exposés dans l’assignation valant conclusions récapitulatives.
SUR CE,
 
En l’absence de constitution du défendeur, il convient de rappeler que l’article 472 du code de procédure civile commande au juge, si le défendeur ne comparait pas, de néanmoins statuer sur le fond mais de ne faire droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.
 
Sur la contrefaçon
 
 Selon les dispositions de l’article L 713-2 du Code de la propriété intellectuelle :
 
           “Est interdit, sauf autorisation du titulaire de la marque, l’usage dans la vie des affaires pour des produits ou des services :
 
1° D’un signe identique à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée ;
 
2° D’un signe identique ou similaire à la marque et utilisé pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, s’il existe, dans l’esprit du public, un risque de confusion incluant le risque d’association du signe avec la marque.”
 
Un signe est identique à la marque s’il reproduit, sans modification ni ajout, tous les éléments constituant la marque ou si, considéré dans son ensemble, il recèle des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux du consommateur moyen (Com. 26 nov. 2003, Clinique [4] ; Com. 26 nov. 2003, La Poste). Dès lors, le juge ne peut retenir la contrefaçon par reproduction que s’il recherche si, considérées dans leur ensemble, les marques recèlent des différences si insignifiantes qu’elles peuvent passer inaperçues aux yeux d’un consommateur moyen. (Com. 18 oct. 2016).
 
En l’espèce, la société CEVINO GLASS justifie avoir déposé auprès de l’INPI le 13 mai 2019 la marque « PROXIVITRE » pour des produits et services visés aux classes n°19, 20 35, 37, 45, parmi lesquels :
 
Classe n°35 : “services de vente en ligne, de vente directe ou de vente au détail de produits verriers, d’articles de décoration et d’ameublement incorporant du verre ; services de vente en ligne ou de vente directe de prestations d’installation, de réparation, de mise en sécurité et de pose de tous produits verriers ; »
 
Classe n°37 : « services d’installation, de réparation et de pose de tous produits verriers ».
 
Or, il ressort du procès-verbal de constat établi par [T] [B], agent assermenté de l’agence pour la protection des programmes le 21 juillet 2022, que la société HOME ASSISTANCE exploite le signe « ProxiVitre » sur le site https://www.proxi-vitre.com pour la promotion d’une activité d’installation ou de remplacement de vitres et fenêtres, y compris dans le cadre d’une intervention d’urgence. Le site mentionne un copyright de 2021.
 
Il s’agit ici de l’usage d’un signe identique à celui déposé auprès de l’INPI, y compris s’agissant du nom du site, l’usage du tiret entre les deux parties du signe « Proxi-vitre » étant insignifiant.
 
La société CEVINO GLASS justifie ainsi de l’existence d’une contrefaçon de sa marque Proxivitre.
 
Afin de faire cesser les actes de contrefaçon reprochés, il convient de faire droit :

– à la demande tendant à voir interdire à la société HOME ASSISTANCE d‘utiliser le signe PROXIVITRE sous quelque forme, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, par toute personne morale ou physique interposée, dans un délai de quinze jours à compter du présent jugement et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 6 mois ;

– et à la demande tendant à voir ORDONNER à la société HOME ASSISTANCE de procéder au transfert du nom de domaine proxi-vitre.com au profit de la société CEVINO GLASS, dans un délai de quinze jours à compter du présent jugement et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 6 mois ;
 
Et de rejeter la demande tendant à voir ordonner à la société HOME ASSISTANCE de procéder à la fermeture du site proxi-vitre.com, les intérêts de la société CEVINO GLASS étant suffisamment préservés par les mesures déjà ordonnées.
 
Puis, sur la réparation du prejudice, selon l’article L. 716-4-10 du Code de la propriété intellectuelle,
 
“pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement:
 
1° Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
 
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
 
3° Et les bénéfices réalisés par le contrefacteur, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirées de la contrefaçon.
 
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si le contrefacteur avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.”
 
La requérante sollicite la somme de 85.000 euros selon la répartition suivante :

–         50.000 euros au titre des conséquences économiques négatives,
–         5000 euros pour son préjudice moral,
–         30.000 euros au titre des bénéfices du contrefacteur et économies d’investissement
 
Tout d’abord, la société requérante se prévaut d’une baisse d’audience de son site depuis la création du site concurrent à compter du mois de juin 2021, et particulièrement d’une baisse de 35 % en début d’année 2022 puis de 50 % entre mai et décembre 2022. Elle invoque une baisse d’attractivité, les visites passant en moyenne de 300 à 200 par mois. Elle revendique une perte de huit dossiers par mois.

Il conviendra cependant d’observer que la société, ne produisant aucune pièce sur ce point, ne démontre ni la réalité de la baisse de son audience ni ne justifie de son chiffre d’affaires de 2019 à 2022. A cet égard, il n’est pas établi que les deux sociétés interviennent sur le même secteur géographique, étant au demeurant relevé que la société HOME ASSISTANCE a son siège à [Localité 5], quand la société CEVINO GLASS est basée à [Localité 2].
 
La demande au titre des conséquences économiques négatives sera donc rejetée.
  
Il conviendra cependant de retenir un préjudice moral d’atteinte à son image pourra être justement indemnisé à hauteur de 5000 euros.
 
Enfin, s’agissant des économies d’investissement réalisées par la société contrefactrice, au regard des éléments chiffrés détaillés par la requérante et des factures produites, il convient de retenir une somme de 15.000 euros.
 
Ainsi, la société HOME ASSISTANCE doit être condamnée à payer à la société CEVINO GLASS la somme de 5000 euros pour son préjudice moral et la somme de 15.000 euros pour les économies d’investissement.
 
 
Sur la concurrence déloyale et parasitaire
 
En vertu de l’article 1240 du Code civil, “tout fait quelconque de l’homme, de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.”
 
Le parasitisme est caractérisé en cas d’appropriation du travail et du savoir-faire d’un tiers, sans autorisation et sans frais, lorsqu’une personne physique ou morale, à titre lucratif et de façon injustifiée, s’inspire ou copie une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

Enfin, celui qui pâtit d’un agissement contraire à la loi ou à la réglementation susceptible de créer une distorsion de concurrence, est fondé à en obtenir réparation.
 
La société requérante reproche à la défenderesse d’imiter son argumentaire commercial s’agissant de la mise en avant :

–         d’un service 24 heures sur 24, Sept jours sur sept,
–         de l’expertise de ses miroitiers,
–         des caractéristiques des services : rapidité d’intervention et transparence des prix.
 
Mais la simple mise en avant des caractéristiques de l’activité de l’entreprise concurrente ne saurait être considérée comme parasitaire, s’agissant de caractéristiques attendues de la part d’un prestataire de service dans ledit domaine – soit la disponibilité, la qualité, la rapidité d’intervention, voire la transparence des prix, sans démonstration par la requérante de l’appropriation d’un savoir-faire qui lui serait propre.
 
La demande sera ici rejetée.
 
 
Sur les demandes accessoires
 
Succombant à l’instance, la société défenderesse supportera les dépens. Pour les mêmes motifs, elle devra payer la somme de 1900 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS
 
Le tribunal statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire, mis à disposition au greffe et rendu en premier ressort :
 
DIT que la société HOME ASSISTANCE est coupable d’actes de contrefaçon de la marque Proxivitre ;
 
INTERDIT à la société HOME ASSISTANCE d’utiliser le signe PROXIVITRE sous quelque forme, de quelque manière et à quelque titre que ce soit, directement ou indirectement, par toute personne morale ou physique interposée, dans un délai de quinze jours à compter du présent jugement et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 6 mois ;

 
ORDONNE à la société HOME ASSISTANCE de procéder au transfert du nom de domaine proxi-vitre.com au profit de la société CEVINO GLASS, dans un délai de quinze jours à compter du présent jugement et passé ce délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard pendant 6 mois ;
 
REJETTE la demande tendant à voir ordonner la fermeture du site proxi-vitre.com sous astreinte ;
 
CONDAMNE la société HOME ASSISTANCE à payer à la société CEVINO GLASS la somme de 15 000 euros au titre des économies d’investissement ;
 
CONDAMNE la société HOME ASSISTANCE à payer à la société CEVINO GLASS la somme de 5000 euros pour son préjudice moral ;
 
DEBOUTE la société CEVINO GLASS du surplus de sa demande indemnitaire ;
 
CONDAMNE la société HOME ASSISTANCE à payer à la société CEVINO GLASS la somme de 1900 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile ;
 
CONDAMNE la société HOME ASSISTANCE aux entiers dépens ;
 
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
 
 
LE GREFFIER                                                                    LA PRESIDENTE

Benjamin LAPLUME Marie TERRIER


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