Protection des conditionnements : l’affaire Filorga
Protection des conditionnements : l’affaire Filorga
Ce point juridique est utile ?

L’action en référé-contrefaçon de droits d’auteur n’a de chances d’aboutir que si l’originalité est admise avec l’évidence requise en référé : une physionomie propre du modèle traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Faca c/ Filorga

Dans cette affaire, le pot de crème de beauté revendiqué, s’il est le fruit d’un indéniable savoir-faire, ne présente cependant pas avec l’évidence requise en référé une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur.

M. [W], est l’auteur d’un emballage référencé T 65, décliné en différentes variations de couleurs et de tailles (ci-après désigné, le pot « FACA » ou « Pot T 65 »), dont l’image suivante est communiquée :

Cet emballage a été utilisé par sa cliente, la société Filorga, pour le conditionnement de nombreux soins pour le visage depuis 2007 et jusqu’au mois de juin 2020, époque à laquelle la société Filorga lui a fait part de sa décision de ne plus se fournir auprè’s d’elle.

Ayant pourtant constaté que la société Filorga continuait de commercialiser ses produits NCEF REVERSE, TIME-FILER et OXYGEN GLOW dans un emballage reproduisant selon elle les caractéristiques de son emballage T 65, la société Plasticos Faca l’a mise en demeure de cesser ces agissements qu’elle estime contrefaisants.

N’ayant pas obtenu satisfaction, les sociétés Plasticos Faca, Faca Emballage, Faca France Recipients pour Cosmétique (ci-après, les sociétés « Faca ») et M. [L] [W] ont, par acte d’huissier fait assigner en référé la société Filorga devant le délégataire du président du tribunal judiciaire de Paris en contrefaçon de droit d’auteur.

Action en revendication de droits d’auteur

Les appelants revendiquent des droits d’auteur sur un pot référencé T65 caractérisé par la combinaison des éléments suivants :

  • une forme cubique allongée qui permet un emboîtement parfait du couvercle et du pot et qui, associée aux quatre bords extérieurs arrondis – conjugués eux-mêmes aux quatre bords intérieurs également légèrement arrondis -, produit une impression d’harmonie, d’équilibre et une élégance visuelle.
  • un pot dont la partie extérieure inférieure est transparente, du fait de l’utilisation du PMMA (qui reproduit l’aspect esthétique et luxueux du cristal de plomb), laissant transparaître un contenant intérieur de forme ronde similaire à un écrin, liant beauté, élégance et luxe.
  • un couvercle opaque, qui – en association avec la transparence de la partie du pot extérieure inférieure -, permet de diriger la lumière vers le contenant intérieur, et donc vers le produit cosmétique lui-même, de manière à le mettre en exergue en formant un halo lumineux autour de celui-ci, lui conférant un aspect céleste.
  • des contenants intérieur et extérieur de tailles différentes, ce qui créé un sentiment d’apesanteur, de rêve, de légèreté ou encore qui donne au pot un aspect futuriste auquel le design minimaliste, géométrique et aérien du produit renvoie.
  • une luminosité qui procure un sentiment de pureté, d’efficacité et de précision, essentielles à la science de la cosmétologie.

Au vu des pièces versées, il est établi que ce contenant a été créé par M. [E] [W] qui a fondé la société Plasticos Faca, comme cela ressort notamment des attestations concordantes des salariés qui ont agi sous les ordres de ce dernier, et qui a pu expliquer de son vivant, dans la presse les choix ayant présidé à la conception des divers contenants qu’il a conçus, confortant ainsi ces attestations.

Cependant, la combinaison précise revendiquée ne ressort pas des seuls dessins et plans de coupe datés de 1999 à 2004 qui, s’ils établissent la forme et la structure de ce contenant, ne permettent nullement de donner date certaine aux caractéristiques relatives au travail sur la matière et l’aspect ou la luminosité revendiqués, outre que ces dessins ne portent pas la référence T65 ( sauf un sur lequel il a manifestement été ajouté à la main, sans certitude quant à sa date), ni des photographies jointes de pots ne présentant pas de date certaine.

Il ne peut davantage être déduit date certaine de la création de ce pot tel que revendiqué d’une facture et d’un bon de commande datés de 2002, alors que rien ne permet de dater la photographie censée correspondre au pot en cause.

En revanche, les appelants produisent un catalogue de 2005, dont la date d’impression est confirmée par une attestation, qui permet de donner date certaine au modèle revendiqué qui a, cependant, évolué s’agissant de l’aspect ou de la couleur de son couvercle ou de l’aspect translucide ou givré du corps du pot extérieur pour être décliné en plusieurs variantes. La cour retient en conséquence que ce catalogue atteste d’une création ayant date certaine en 2005, avec l’évidence requise en référé.

La notion d’antériorité


En outre, si la notion d’antériorité est indifférente en matière droit d’auteur, il convient de constater, s’agissant d’arts appliqués, que la société Filorga verse aux débats une série de contenants déjà connus et exploités avant 2005, présentant les caractéristiques revendiquées telles que déjà décrites, le modèle opposé ne s’en éloignant pas d’une manière suffisamment nette et significative et s’inscrivant manifestement dans un fonds commun de contenants de forme cubique allongée aux bords extérieurs arrondis avec un pot dont la partie basse extérieure est transparente procurant une luminosité spécifique, laissant apparaître un contenant de forme ronde, associé à un couvercle opaque mettant en exergue le contenant intérieur, les contenants intérieurs et extérieurs étant de tailles différentes. De même, le fait d’utiliser un plastique spécifique dans la fabrication de cette gamme de pot ne permet nullement, même en combinaison avec les autres éléments revendiqués, de caractériser l’originalité de ce produit.

L’existence d’un trouble manifestement illicite

Les appelants ne démontrent donc pas l’existence d’un trouble manifestement illicite ni, davantage, d’un trouble imminent, l’intimée démontrant la commercialisation de nombreux pots similaires sur le marché des produits cosmétiques par des concurrents.

Rappel sur l’action en référé

Pour rappel, en vertu de l’article 835 du code de procédure civile, « Le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Par ailleurs, l’article L.111-1 du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial.

Le droit de l’auteur est conféré, selon l’article L.112-1 du même code, à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une ‘uvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale.

Néanmoins, lorsque cette protection est contestée en défense, l’originalité d’une oeuvre doit être explicitée par celui qui s’en prétend auteur, seul ce dernier étant à même d’identifier les éléments traduisant sa personnalité.

La notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l”uvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Toutefois, l’originalité doit être appréciée au regard d’oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création, marquant l’oeuvre revendiquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur.

En outre, aux termes de l’article L.113-1 du code de la propriété intellectuelle, « la qualité d’auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l’oeuvre a été diffusée» et une personne morale qui justifie d’une exploitation paisible et non équivoque de l”uvre sous son nom peut bénéficier d’une présomption de titularité des droits patrimoniaux à l’égard des tiers.


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