Refus de titre de séjour : Tribunal administratif de Paris, 2e Section – 1re Chambre, 21 février 2023, 2217850

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Refus de titre de séjour : Tribunal administratif de Paris, 2e Section – 1re Chambre, 21 février 2023, 2217850

Par une requête, enregistrée le 23 août 2022, M. C B, représenté par Me Levy, demande au tribunal : 1°) d’annuler les décisions du 1er août 2022 par lesquelles le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans ; 2°) d’enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;

* * * REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 23 août 2022, M. C B, représenté par Me Levy, demande au tribunal :

1°) d’annuler les décisions du 1er août 2022 par lesquelles le préfet de police de Paris lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui octroyer un délai de départ volontaire et lui a fait interdiction de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans ;

2°) d’enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros au titre de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

– la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d’incompétence ;

– la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations du 5° de l’article 6 de l’accord franco-algérien, de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l’article

L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– la décision de refus de délai de départ volontaire méconnaît les dispositions de l’article

L. 612-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– la décision portant interdiction de retour sur le territoire français d’une durée de deux ans méconnaît les dispositions des articles

L. 612-6 et

L. 612-10 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2022, le préfet de police, représenté par Me Termeau, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 2 septembre 2022, la clôture de l’instruction a été fixée au 10 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

– le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

– le code de justice administrative.

Le rapporteur public a été dispensé, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de M. Halard, premier conseiller, a été entendu au cours de l’audience publique.

Considérant ce qui suit

:

1. M. B, ressortissant algérien né en France le 7 octobre 1958, soutient y avoir vécu toute sa vie. Le 21 octobre 2021, il a sollicité son admission au séjour dans le cadre des stipulations du 5° de l’article 6 de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par un arrêté du 1er août 2022, le préfet de police a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français, n’a assorti cette obligation d’aucun délai et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par la présente requête, M. B demande l’annulation de ces trois dernières décisions. Il ne formule en revanche aucune conclusion contre le refus de délivrance du titre de séjour demandé.

Sur les conclusions aux fins d’annulation :

2. Aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :  » 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui.  » Aux termes de l’article

L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :  » L’autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu’il se trouve dans les cas suivants : 5° Le comportement de l’étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l’ordre public () « . Aux termes de l’article

L. 612-2 de ce code :  » Par dérogation à l’article

L. 612-1, l’autorité administrative peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public () « . Aux termes de l’article

L. 612-6 du même code :  » Lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger, l’autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français () « .

3. D’une part, il ressort des pièces du dossier que M. B a été condamné, le 24 juillet 1985, à un an et six mois d’emprisonnement pour infraction à règlement sur l’acquisition, la détention ou l’emploi de stupéfiants, le 29 janvier 1988, à cinq ans de réclusion criminelle pour vol qualifié avec circonstances aggravantes, le 31 janvier 1995, à quatre ans d’emprisonnement pour transport non autorisé de stupéfiants, acquisition non autorisée de stupéfiants, offre ou cession non autorisée de stupéfiants, importation non déclarée de marchandise prohibée et contrefaçon ou falsification d’un document administratif constatant un droit ou une qualité, le 1er mars 1996, à quatre ans d’emprisonnement pour usage illicite de stupéfiant, transport non autorisé de stupéfiants, détention non autorisée de stupéfiants, offre ou cession non autorisée de stupéfiants et importation non autorisée de stupéfiants, et enfin le 2 mai 1996, à huit mois d’emprisonnement pour recel d’un bien provenant d’un vol et détention sans autorisation d’arme ou munition de catégorie 1 ou 4. Les faits pour lesquels M. B a été condamnés, manifestement graves, dataient toutefois pour les derniers de près de vingt-huit ans à la date de la décision attaquée et il ne ressort pas des pièces du dossier que celui-ci se soit depuis à nouveau fait connaître des services de police. Le ministre de l’intérieur a d’ailleurs décidé, par une décision du 19 décembre 2019, d’abroger les arrêtés d’expulsion et d’assignation à résidence dont le requérant avait fait l’objet le 28 juin 1993, eu égard à  » l’évolution favorable de son comportement au regard de l’ordre public, aux gages de réinsertion sociale et professionnelle qu’il présente et à sa situation familiale « . Dans ces conditions, en estimant, sans faire état d’aucun autre élément, que M. B constituait encore à la date de son arrêté une menace pour l’ordre public, le préfet de police a entaché sa décision d’erreur d’appréciation.

4. D’autre part, M. B allègue sans être contredit qu’il est né en France en 1958 et y réside habituellement depuis lors, soit depuis près de soixante-quatre ans à la date de la décision attaquée. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier, d’une part, qu’il partage son domicile parisien avec son épouse, ressortissante algérienne, et leur enfant, A B, né en France en 2014 et scolarisé depuis septembre 2017, d’autre part, que ses frères et sœurs résident en situation régulière sur le territoire français. Le requérant soutient enfin, contrairement aux allégations non étayées du préfet de police, qu’il ne dispose plus en Algérie d’aucune attache familiale ou personnelle.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à soutenir que la décision portant obligation de quitter le territoire français attaquée porte à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Il y a par suite lieu, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, de l’annuler, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions de refus de délai de départ volontaire et d’interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

6. Aux termes de l’article

L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile :  » Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas « .

7. Il résulte des dispositions qui précèdent et compte tenu du motif d’annulation retenu au point 5, que le présent jugement implique nécessairement que le préfet de police réexamine la situation personnelle de M. B et lui délivre, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour. Il y a par suite lieu de lui enjoindre de procéder à ces diligences dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. B et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Les décisions du 1er août 2022 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans prononcées à l’encontre de M. B sont annulées.

Article 2 : Le préfet de police procèdera au réexamen de la situation de M. B dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement et lui délivrera, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour.

Article 3 : L’Etat versera à M. B une somme de 1 000 euros au titre de l’article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. C B et au préfet de police.

Délibéré après l’audience du 7 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Sorin, président,

Mme Laforêt, première conseillère,

M. Halard, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 février 2023.

Le rapporteur,

G. HALARD

Le président,

J. SORINLa greffière,

M.-C. POCHOT

La République mande et ordonne au préfet de police en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


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