La nouvelle carte judiciaire des Tribunaux validée
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Action de la Conférence des bâtonniers de France

Par deux requêtes distinctes, la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer demande l’annulation pour excès de pouvoir, d’une part, du décret du 20 août 2021 désignant les tribunaux judiciaires à compétence départementale en application de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire et, d’autre part, du décret du 27 décembre 2021 modifiant la liste des tribunaux judiciaires à compétence départementale désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire.

 

Spécialisation des tribunaux judiciaires

 

En premier lieu, les décrets attaqués ont été pris sur le fondement de l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire précité qui, contrairement à ce qui est soutenu, détermine de façon précise et dénuée d’ambiguïté les matières civiles et pénales susceptibles de donner lieu à une spécialisation des tribunaux judiciaires en application de l’article L. 211-9-3 du même code. Par ailleurs, les matières ainsi déterminées sont caractérisées, à des degrés divers, par leur technicité et représentent en pratique moins de 10 % du contentieux des tribunaux judiciaires pour les affaires civiles et moins de 4 % pour les affaires pénales. Par suite, et alors que les requêtes ne contestent sérieusement ni le caractère technique des matières retenues, ni le volume des affaires concernées par ces matières, en édictant les dispositions de l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les critères fixés à l’article L. 211-9-3 du même code.

 

Droit à un procès équitable garanti

En deuxième lieu, il est soutenu que la détermination des tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire ainsi que celle du champ matériel de leur spécialisation serait empreinte d’une complexité et d’un formalisme excessifs de nature à porter atteinte au droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi qu’à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Toutefois, si ces dispositions conduisent à la désignation, selon les cas, d’un ou deux tribunaux judiciaires spécialisés par département et pour des matières qui ne sont pas toujours identiques, les juridictions ainsi désignées sont clairement identifiées et leur compétence matérielle, s’agissant des matières identifiées par l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, est définie sans ambiguïté, sans qu’il en découle de difficultés particulières d’accès à la justice pour les citoyens. Par suite, ces moyens doivent être écartés.

En dernier lieu, d’une part, il n’est pas contesté que la désignation des tribunaux judiciaires à compétence départementale ainsi que la définition du champ matériel de leur spécialisation ont été arrêtées au vu des propositions formulées par les premiers présidents de certaines cours d’appel et procureurs généraux près ces cours, conformément aux dispositions du II de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire, en prenant en compte les spécificités territoriales propres à chaque ressort. D’autre part, la requérante ne développe aucune argumentation mettant en cause la désignation d’une juridiction en particulier, ni l’attribution d’une compétence spécifique à l’une de ces juridictions.

Dans ces conditions, et alors que le pouvoir réglementaire n’avait pas, par ailleurs, à motiver les décrets attaqués s’agissant d’actes réglementaires, les moyens tirés de ce qu’il les aurait entachés d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation ne peuvent qu’être écartés.

*      *      *

CONSEIL D’ETAT 

Section du Contentieux, 6ème chambre jugeant seule, 19 avril 2023, 457674

Vu les procédures suivantes :

I. Sous le n° 457674, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 20 octobre 2021 et 13 janvier et 9 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1103 du 20 août 2021 désignant les tribunaux judiciaires à compétence départementale en application de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

II. Sous le n° 461941, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 28 février, 30 mai et 9 décembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2021-1822 du 27 décembre 2021 modifiant la liste des tribunaux judiciaires à compétence départementale désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

– la Constitution, notamment son Préambule ;

– la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

– le code de l’organisation judiciaire ;

– le décret n° 2021-867 du 29 juin 2021 ;

– le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer et autres ;

Considérant ce qui suit

:

1. Par deux requêtes distinctes, la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer demande l’annulation pour excès de pouvoir, d’une part, du décret du 20 août 2021 désignant les tribunaux judiciaires à compétence départementale en application de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire et, d’autre part, du décret du 27 décembre 2021 modifiant la liste des tribunaux judiciaires à compétence départementale désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire. Ces requêtes présentent à juger les mêmes questions. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur les interventions au soutien de la requête n° 457674 :

2. L’ordre des avocats au barreau de Carcassonne et l’ordre des avocats au barreau de Narbonne ont intérêt à l’annulation du décret du 20 août 2021 attaqué sous le n° 457674 en tant qu’il désigne et fixe les compétences matérielles des tribunaux judiciaires de Narbonne et de Carcassonne pour le ressort des tribunaux judicaires du département de l’Aude sur le fondement de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire. Ainsi, leurs interventions au soutien de la requête de la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer sont recevables.

3. En revanche, l’ordre des avocats au barreau de Bordeaux et l’ordre des avocats au barreau de Libourne ne justifient pas d’un intérêt suffisant à l’annulation des dispositions de ce décret du 20 août 2021, qui n’affectent pas les compétences des tribunaux judiciaires de Bordeaux et de Libourne. Par suite, leurs interventions sont irrecevables.

Sur la légalité des décrets attaqués :

4. Aux termes de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire dans sa rédaction applicable en l’espèce : ” I.- Lorsqu’il existe plusieurs tribunaux judiciaires dans un même département, ils peuvent être spécialement désignés par décret pour connaître seuls, dans l’ensemble des ressorts de ces juridictions : / 1° De certaines des matières civiles dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’Etat, en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières ; / 2° De certains délits et contraventions dont la liste est déterminée par décret en Conseil d’Etat, en tenant compte du volume des affaires concernées et de la technicité de ces matières. Cette liste ne peut comporter les délits mentionnés à l’article 398-1 du code de procédure pénale, à l’exception des délits prévus par le code du travail, le code de l’action sociale et des familles, le code de la sécurité sociale, la législation sociale des transports, le code de l’environnement, le code rural et de la pêche maritime, le code forestier, le code minier, le code de l’urbanisme, le code de la consommation, le code de la propriété intellectuelle, et le code de la construction et de l’habitation. / Il peut être saisi des infractions connexes aux délits et contraventions mentionnés au 2° du présent I “.

5. Pour l’application de ces dispositions, l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, dans sa rédaction applicable en l’espèce, issue du décret du 29 juin 2021 portant modifications de diverses dispositions d’organisation judiciaire, dispose que : ” I. – En matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble des ressorts des tribunaux judiciaires d’un même département ou, dans les conditions prévues au III de l’article L. 211-9-3, dans deux départements, de l’une ou plusieurs des compétences suivantes : / 1° Des actions relatives aux droits d’enregistrement et assimilés ; / 2° Des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce ; / 3° Des actions relatives à la cession ou au nantissement de créance professionnelle fondées sur les articles L. 313-23 à L. 313-29-2 du code monétaire et financier ; / 4° Des actions relatives au billet à ordre fondées sur les articles L. 512-1 à L. 512-8 du code de commerce ; / 5° (Abrogé) ; / 6° Des actions fondées sur les dispositions du livre VI du code de commerce et des actions fondées sur les dispositions du chapitre premier du titre V du livre III du code rural et de la pêche maritime ; / 7° Des litiges relevant de l’exécution d’un contrat de transport de marchandises ; / 8° Des actions en responsabilité médicale ; / 9° Des demandes en réparation des dommages causés par un véhicule aérien, maritime ou fluvial ; / 10° Sauf stipulation contraire des parties et sous réserve de la compétence du tribunal judiciaire de Paris ou de son président en matière d’arbitrage international ainsi que de la compétence de la cour d’appel ou de son premier président en matière de voies de recours, des demandes fondées sur le Livre IV du code de procédure civile ; / 11° Des actions en paiement, en garantie et en responsabilité liées à une opération de construction immobilière ; / 12° Les actions en contestation des décisions des assemblées générales et celles relatives aux copropriétés en difficulté relevant de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis. / Les tribunaux judiciaires spécialement désignés pour connaître des actions mentionnées au 6° le sont conformément à l’article L. 610-1 du code de commerce. / II. ‘ En matière pénale, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l’ensemble des ressorts des tribunaux judiciaires d’un même département ou, dans les conditions prévues au III de l’article L. 211-9-3, dans deux départements d’une ou plusieurs des compétences suivantes : / 1° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code du travail ; / 2° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l’action sociale et des familles ; / 3° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de la sécurité sociale ; / 4° (Abrogé) ; / 5° (Abrogé) ; / 6° (Abrogé) ; / 7° (Abrogé) ; / 8° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de l’urbanisme ; / 9° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de la consommation ; / 10° Des délits et contraventions prévus et réprimés par le code de la propriété intellectuelle ; / 11° Des délits prévus et réprimés par les articles 1741 et 1743 du code général des impôts ; / 12° Des délits prévus par les articles L. 183-15, L. 184-4 à L. 184-6, L. 511-22 et L. 521-4 du code de la construction et de l’habitation “.

6. En application de ces dispositions, le décret du 20 août 2021, attaqué sous le n° 457674, a introduit dans le code de l’organisation judiciaire un nouvel article D. 211-4, aux termes duquel : ” Le siège, le ressort et les compétences matérielles des tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 sont fixés conformément au tableau IV-IV annexé au présent code “. Par ailleurs, le tableau IV-IV annexé à l’article D. 211-4-1 du code de l’organisation judiciaire désigne huit tribunaux judiciaires spécialisés dans cinq départements, pour des matières différentes : le tribunal judiciaire de Grenoble dans le département de l’Isère, le tribunal judiciaire de Metz dans le département de la Moselle, les tribunaux judiciaires de Montpellier et Béziers dans le département de l’Hérault, les tribunaux judiciaires de Carcassonne et Narbonne dans le département de l’Aude et les tribunaux judiciaires de Montargis et Orléans dans le département du Loiret. Le décret du 27 décembre 2021, attaqué sous le n° 461941, a complété le tableau IV-IV afin de désigner deux tribunaux judiciaires spécialisés supplémentaires : les tribunaux judiciaires de Mont-de-Marsan et de Dax, dans le département des Landes.

7. En premier lieu, les décrets attaqués ont été pris sur le fondement de l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire précité qui, contrairement à ce qui est soutenu, détermine de façon précise et dénuée d’ambiguïté les matières civiles et pénales susceptibles de donner lieu à une spécialisation des tribunaux judiciaires en application de l’article L. 211-9-3 du même code. Par ailleurs, les matières ainsi déterminées sont caractérisées, à des degrés divers, par leur technicité et représentent en pratique moins de 10 % du contentieux des tribunaux judiciaires pour les affaires civiles et moins de 4 % pour les affaires pénales. Par suite, et alors que les requêtes ne contestent sérieusement ni le caractère technique des matières retenues, ni le volume des affaires concernées par ces matières, en édictant les dispositions de l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, le pouvoir réglementaire n’a pas méconnu les critères fixés à l’article L. 211-9-3 du même code.

8. En deuxième lieu, il est soutenu que la détermination des tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire ainsi que celle du champ matériel de leur spécialisation serait empreinte d’une complexité et d’un formalisme excessifs de nature à porter atteinte au droit à un procès équitable garanti par les stipulations de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi qu’à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité découlant des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Toutefois, si ces dispositions conduisent à la désignation, selon les cas, d’un ou deux tribunaux judiciaires spécialisés par département et pour des matières qui ne sont pas toujours identiques, les juridictions ainsi désignées sont clairement identifiées et leur compétence matérielle, s’agissant des matières identifiées par l’article R. 211-4 du code de l’organisation judiciaire, est définie sans ambiguïté, sans qu’il en découle de difficultés particulières d’accès à la justice pour les citoyens. Par suite, ces moyens doivent être écartés.

9. En dernier lieu, d’une part, il n’est pas contesté que la désignation des tribunaux judiciaires à compétence départementale ainsi que la définition du champ matériel de leur spécialisation ont été arrêtées au vu des propositions formulées par les premiers présidents de certaines cours d’appel et procureurs généraux près ces cours, conformément aux dispositions du II de l’article L. 211-9-3 du code de l’organisation judiciaire, en prenant en compte les spécificités territoriales propres à chaque ressort. D’autre part, la requérante ne développe aucune argumentation mettant en cause la désignation d’une juridiction en particulier, ni l’attribution d’une compétence spécifique à l’une de ces juridictions. Dans ces conditions, et alors que le pouvoir réglementaire n’avait pas, par ailleurs, à motiver les décrets attaqués s’agissant d’actes réglementaires, les moyens tirés de ce qu’il les aurait entachés d’erreur de droit ou d’erreur manifeste d’appréciation ne peuvent qu’être écartés.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de la Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer doivent être rejetées, y compris les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les interventions de l’ordre des avocats au barreau de Carcassonne et de l’ordre des avocats au barreau de Narbonne au soutien de la requête n° 457674 sont admises.

Article 2 : Les interventions de l’ordre des avocats au barreau de Bordeaux et de l’ordre des avocats au barreau de Libourne au soutien de la requête n° 457674 ne sont pas admises.

Article 3 : Les requêtes de l’association Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’association Conférence des bâtonniers de France et d’outre-mer, à l’ordre des avocats au barreau de Bordeaux, à l’ordre des avocats au barreau de Carcassonne, à l’ordre des avocats au barreau de Libourne, à l’ordre des avocats au barreau de Narbonne, à la Première ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l’issue de la séance du 16 mars 2023 où siégeaient : Mme Suzanne von Coester, assesseure, présidant ; M. Cyril Roger-Lacan, conseiller d’Etat et M. Cédric Fraisseix, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 19 avril 2023.

La présidente :

Signé : Mme Suzanne von Coester

Le rapporteur :

Signé : M. Cédric Fraisseix

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse

Nos 457674, 461941  


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