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Les juges ont débouté la société Aceb Electronique de sa demande de cession forcée d’actions imposée à l’un de ses salariés . En effet, aucune clause des statuts de la SARL Aceb Electronique ne permet de contraindre un associé à céder ses parts sociales en cas de déloyauté et de dénigrement de la part de ce dernier. En outre, l’article 545 du code civil qui dispose que ” nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ” interdit toute exclusion, même judiciaire, d’un associé.
* * *
Cour d’appel de Versailles, 12e chambre, 16 mars 2023, 21/06353
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 39H
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 MARS 2023
N° RG 21/06353 – N° Portalis DBV3-V-B7F-UZJC
AFFAIRE :
S.A.R.L. ACEB ELECTRONIQUE
C/
[F] [O]
…
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 22 Septembre 2021 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° Chambre : 1
N° RG : 2020F00244
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Jean-Louis ROCHE
Me Valérie LEGER
TC VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MARS DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
S.A.R.L. ACEB ELECTRONIQUE
RCS Versailles n° 423 478 254
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Jean-Louis ROCHE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 349
APPELANTE
****************
Monsieur [F] [O]
né le 28 Août 1969 à [Localité 6] (56)
de nationalité française
[Adresse 1]
[Localité 7]
S.A.S.U. AVENTYS ELECTRONICS
RCS Versailles n° 842 765 083
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représentés par Me Valérie LEGER de la SELARL CABINET DE L’ORANGERIE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 404
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 07 Février 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Bérangère MEURANT, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Hugo BELLANCOURT,
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Aceb Electronique a pour activité l’étude et la fabrication de matériels et de systèmes électroniques. Son capital est détenu par six associés dont M. [O] à hauteur de 30 %.
En 2017, M. [O] qui occupait le poste salarié d’ingénieur d’études, a proposé de reprendre la gérance de la société Aceb Electronique à la place de Mme [X], ce qui a été refusé par les autres actionnaires.
Accusé d’avoir détourné des clients de la société Aceb Electronique, M. [O] a été mis à pied à titre conservatoire le 2 juillet 2018, puis licencié pour faute grave le 8 août 2018. A la suite de la rupture de son contrat de travail, M. [O] a créé la société Aventys Electronics qui exerce la même activité que celle de la société Aceb Electronique.
Le 18 juillet 2019, la société Aceb Electronique a fait désigner judiciairement un huissier, afin de se rendre au domicile de M. [O] et de faire une copie de tous les fichiers informatiques et papier détenus par la société Aventys Electronics et M. [O].
Par acte d’huissier du 9 avril 2020, la société Aceb Electronique a fait assigner la société Aventys Electronics et M. [O] devant le tribunal de commerce de Versailles afin d’obtenir d’une part, la condamnation de M. [O] à céder les parts qu’il détient au sein du capital de la société Aceb Electronique et d’autre part, leur condamnation in solidum au titre de la concurrence déloyale et parasitaire.
Par jugement du 22 septembre 2021, le tribunal de commerce de Versailles a :
– Débouté la société Aceb Electronique de toutes ses demandes ;
– Condamné la société Aceb Electronique à payer la somme de 2.000 € à la société Aventys Electronics au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamné la société Aceb Electronique aux entiers dépens dont les frais de greffe s’élèvent à la somme de 176,95 €.
Par déclaration du 16 octobre 2021, la société Aceb Electronique a interjeté appel du jugement.
Par ordonnance du 9 juin 2022, le conseiller de la mise en état a débouté la société Aceb Electronique de sa demande de communication de pièces et d’expertise.
PRETENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 27 décembre 2022, la société Aceb Electronique demande à la cour de :
– Infirmer le jugement rendu le 22 septembre 2021 par le tribunal de commerce de Versailles sous le RG 2020F00244 en toutes ses dispositions,
– Recevoir l’intégralité des moyens et prétentions de la société Aceb Electronique prise en la personne de sa gérante,
– Condamner M. [O] à céder ses parts sociales détenues dans la société Aceb Electronique pour 1 € symbolique,
– Juger que M. [O] et ses structures dont Ambre Electronique et la société Aventys Electronics prise en la personne de son Président M. [O] devront produire aux fins de justifier le détournement de chiffre d’affaires depuis 2018 jusqu’en 2021 :
– Tous les devis, commandes, contrats et factures émis par Ambre Electronique et Aventys Electronics
– Tous les journaux de la classe 7 (ventes France et Etranger),
Eu égard au refus de M. [O] de répondre aux mises en demeure de la société Aceb,
– Condamner in solidum M. [O] intuitu personae et la société Aventys Electronics prise en la personne de son président M. [O] à verser la somme de 250.000 € en dommages intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire,
– Condamner in solidum M. [O] intuitu personae et la société Aventys Electronics prise en la personne de son président M. [O] à verser à la société Aceb Electronique la somme de 10.000 € pour le préjudice moral et résistance abusive,
Subsidiairement,
-Désigner tel expert qui lui plaira avec pour mission de :
– Se faire communiquer tous documents et pièces comptables, qu’il estimera utiles à l’accomplissement de sa mission et en particulier les bilans, comptes de résultat et grands livres visant les structures [O], Ambre Electronique et Aventys Electronics,
– Se rendre sur place, à [Localité 7], s’il l’estime nécessaire et entendre tout sachant,
– Quantifier le montant du chiffre d’affaires réalisé par M. [O] et ses structures sur les exercices 2018 à 2021 en distinguant ce qui relève des détournements opérés sur les clients Gunnebo, Pm Instrumentation, Oem Industries et Konecranes,
– Mener de façon strictement contradictoire ces opérations d’expertise en faisant connaître aux parties à chaque étape l’état d’avancement de sa mission,
– Dresser un document de synthèse en vue de recueillir les dernières observations et dires des parties avant le dépôt de son rapport,
– Juger que le montant de la provision à consigner le sera par M. [O] et Aventys Electronics dès lors que toutes les sommations de communiquer à leur encontre sont demeurées vaines,
– Juger que lors de la première réunion qui devra se dérouler dans le mois suivant la consignation de la provision, l’expert devra soumettre au juge du contrôle des mesures d’instruction la méthodologie qu’il compte mettre en ‘uvre et le calendrier détaillé de ses investigations,
– Juger que si les parties viennent à se rapprocher entre elles, l’expert en informera le juge du contrôle, à défaut l’expert déposera son rapport dans un délai de 3 mois à compter de la consignation de la provision fixée,
– Juger que le juge en charge du contrôle suivra l’exécution de l’expertise,
En tout état de cause,
– Débouter les parties en défense de toutes leurs demandes,
– Condamner in solidum M. [O] intuitu personae et la société Aventys Electronics prise en la personne de son président M. [O] à payer à la société Aceb Electronique la somme de 18.000 € au visa de l’article 700 du code de procédure civile,
– Condamner in solidum M. [O] intuitu personae et la société Aventys Electronics prise en la personne de son président M. [O] aux entiers dépens de première instance et d’appel incluant les frais d’huissier de procès-verbal de constat, de l’assignation délivrée en première instance et de ses suites ainsi que les frais de la présente procédure au visa des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 26 décembre 2022, la société Aventys Electronics et M. [O] demandent à la cour de :
– Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Versailles le 22 septembre 2021 en toutes ses dispositions,
– Débouter la société Aceb Electronique de l’intégralité de ses prétentions,
– Déclarer irrecevable la société Aceb Electronique pour cause de chose jugée en ses demandes de :
– production des devis, commandes, contrats et factures émis par Ambre Electronique et Aventys Electronics, et les journaux de la classe 7,
– désignation d’un expert judiciaire,
– Condamner la société Aceb Electronique au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens dont distraction au profit du cabinet de l’Orangerie conformément au dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 7 février 2023, le conseiller de la mise en état a révoqué l’ordonnance de clôture rendue le 1er décembre 2022 et prononcé la clôture de l’instruction.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du code de procédure civile.
Sur la demande de cession forcée à l’euro symbolique des parts de M. [O] dans la société Aceb Electronique
La société Aceb Electronique soutient que M. [O] a adopté un comportement déloyal et dénigrant à l’égard de l’entreprise, justifiant qu’il soit sanctionné par la privation de ses droits d’associé par la cession forcée de ses parts moyennant le versement d’un euro symbolique.
Les intimés répondent que la société Aventys Electronics travaille certes avec certains clients de la société Aceb Electronique, mais qu’elle ne les a pas pour autant détournés par des manoeuvres déloyales et qu’en outre, la société Aceb Electronique ne rapporte la preuve ni de la déloyauté qu’elle invoque, ni du préjudice qu’elle prétend avoir subi, que ce soit dans son principe et dans son quantum.
Ils s’opposent à la cession forcée des parts de M. [O] soulignant que la plainte pénale déposée par la société Aceb Electronique pour abus de confiance, détournement et captation de clientèle a été classée sans suite et qu’en application des dispositions de l’article 545 du code civil protégeant le droit de propriété, il n’est pas possible d’obtenir l’exclusion judiciaire d’un associé d’une société.
*****
C’est par des motifs pertinents que la cour adopte que les premiers juges ont débouté la société Aceb Electronique de sa demande de cession forcée. En effet, aucune clause des statuts de la SARL Aceb Electronique ne permet de contraindre un associé à céder ses parts sociales en cas de déloyauté et de dénigrement de la part de ce dernier. En outre, l’article 545 du code civil qui dispose que ” nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité ” interdit toute exclusion, même judiciaire, d’un associé.
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a débouté la société Aceb Electronique de sa demande.
Sur la concurrence déloyale et le parasitisme
La société Aceb Electronique expose que M. [O] l’a dénigrée et a manifesté des intentions de lui nuire. Elle se prévaut de cinq attestations. Elle explique que M. [O] a, dès le début de l’année 2018, alors qu’il était encore lié par un contrat de travail comprenant une clause de non-concurrence, détourné des clients à son profit, notamment la société Konecranes et qu’il a figuré en tant que contact commercial sur un devis établi par la société OEM Industries, réplique d’un devis de la société Aceb Electronique, à destination de la société PMI qui était un client de la société Aceb Electronique et qui ne passera plus aucune commande auprès d’elle. L’appelante ajoute que M. [O] a également détourné la société Gunnebo, précisant qu’un tableau listant des commandes de cette dernière a été retrouvé au cours de la perquisition. La société Aceb Electronique précise que le détournement de ce client a été opéré par M. [O] sous l’enseigne Ambre Electronique à son adresse personnelle, caractérisant un acte de concurrence déloyale et parasitaire.
La société Aceb Electronique soutient encore que M. [O] a détourné les bases clients et fournisseurs ainsi que tous les fichiers informatiques lui permettant de fabriquer et modifier tous les produits étudiés pour son propre compte. Elle ajoute qu’il n’a pas procédé à la résiliation de la ligne de téléphone portable qu’il utilisait pour ses communications professionnelles et qui figurait sur sa carte de visite. Elle estime que M. [O] a profité des recherches et développement et du savoir-faire de la société Aceb Electronique pour vendre les mêmes produits aux mêmes clients, caractérisant selon elle une action parasitaire.
L’appelante se prévaut d’un email que M. [O] a adressé le 15 mars 2018 à M. [C], responsable de la société SDEL, lui exposant sa stratégie de partenariat entre Ambre Electronique et la société SDEL, pour contraindre la société Aceb Electronique à déposer le bilan afin de la racheter à vil prix. Elle précise que ce mail évoque explicitement les détournements de clientèle et de propriété industrielle, la désorganisation de la société Aceb Electronique et la concurrence déloyale.
Elle affirme avoir subi une désorganisation non seulement suite au licenciement du salarié qui avait une fonction commerciale mais encore du fait des six procédures engagées.
L’appelante invoque également des fichiers récupérés par l’huissier de justice dans le cadre du constat réalisé le 2 septembre 2019 et qui selon elle, démontrent l’existence de commandes passées par M. [O] auprès de ses sous-traitants pour la réalisation de produits pour ses clients et la gestion par M. [O] pour son compte de commandes passées par d’anciens clients. Elle souligne que M. [O] a reconnu avoir prospecté dans la perspective de son départ de la société Aceb Electronique.
La société Aceb Electronique considère que l’utilisation de l’enseigne Ambre Electronique favorise la confusion, la copie de son nom étant quasi parfaite.
L’appelante soutient avoir subi une importante baisse de son chiffre d’affaires en 2018 et 2019 du fait de la perte de quatre clients (Konecranes, Gunnebo, PMI et Itron).
Subsidiairement, la société Aceb Electronique demande à la cour d’ordonner à la société Aventys Electronique de produire tous ” les devis, commandes, contrat et factures émis par Ambre Electronique et Aventys Electronique “, ainsi que ” tous les journaux de la classe 7 ” et d’ordonner une mesure d’expertise.
Les intimés répondent qu’il ne peut être reproché à M. [O] d’avoir utilisé l’expérience, le savoir-faire et les contacts acquis en tant que responsable du service recherches et développement de la société Aceb Electronique dans le cadre de son projet de reconversion professionnelle, en l’absence de preuve d’actes constitutifs de man’uvre déloyale.
Concernant la confusion invoquée par l’appelante, les intimés répondent que la société Ambre Electronique n’a jamais existé et que la confusion prétendue, au demeurant non démontrée, avec cette société ne peut être reprochée à la société Aventys Electronics.
S’agissant du dénigrement, les intimés répondent que la société Aceb Electronique ne communique que des attestations établies par les autres associés ; qu’il s’agit de preuves que l’appelante se constitue à elle-même et dont le caractère probant est soumis à caution, dès lors notamment qu’elles sont toutes rédigées de la même manière.
Concernant la désorganisation, les intimés exposent que M. [O] a été licencié, de sorte que son départ ne peut constituer un acte de désorganisation constitutif d’une concurrence déloyale. Ils ajoutent qu’il n’y a eu aucun débauchage et que l’appelante ne justifie pas de la désorganisation invoquée, soulignant qu’à la suite de son départ, 2 des 6 salariés ont quitté la société pour cause de départ à la retraite.
S’agissant du parasitisme, les intimés répondent que les reproches formulés concernent la qualité de salarié de M. [O] et ne relèvent pas de la compétence du tribunal de commerce. Ils ajoutent que la société Aceb Electronique ne rapporte pas la preuve du détournement par la société Aventys Electronics de logiciels lui appartenant ou d’un quelconque acte de parasitisme susceptible de créer une confusion entre les deux entreprises et leurs marques.
Enfin, les intimés font valoir que la société Aceb Electronique ne justifie ni l’origine ni le quantum de son préjudice, au regard notamment de l’évolution de son chiffre d’affaires entre 2010 et 2020, de la réduction de l’équipe à 5 salariés et de la perte de deux seuls clients dont il n’est pas démontré qu’ils ont été détournés de manière déloyale par la société Aventys Electronique.
*****
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu’il a causé non seulement de son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
La société Aceb Electronique se prévaut de plusieurs faits fautifs au soutien de la concurrence déloyale invoquée.
Elle argue tout d’abord d’un dénigrement de la part de M. [O] à l’égard de l’entreprise. Elle communique au soutien de ses dires, cinq attestations.
Cependant, la cour constate que quatre d’entre elles émanent de MM. [U], [W], [V] et [Y] qui sont, avec M. [O], des associés de la société Aceb Electronique. Or, nul ne peut se constituer de preuve à lui-même. Au surplus, la lecture de ces témoignages et de celui de Mme [L], assistante de gestion, ne révèle aucun dénigrement de l’entreprise. Il en ressort en effet, l’existence de relations tendues, voire conflictuelles, entre M. [O] et les autres associés au sujet de son souhait de reprendre la gestion. Si M. [O] a pu dire, en termes familiers et agressifs, qu’il était le seul à pouvoir assumer cette gestion, qu’il allait partir et créer une société concurrente en emportant ses clients et en précisant ” vous ne tiendrez pas plus de deux ans “, ces propos sont demeurés au sein de l’entreprise et ne jettent aucun discrédit sur la société Aceb Electronique.
Le fait fautif de dénigrement n’apparaît ainsi pas établi.
L’appelante invoque par ailleurs une confusion entre Aceb Electronique et Ambre Electronique. Toutefois, alors que le nom Ambre Electronique apparaît de manière très ponctuelle en tant qu’enseigne dans les pièces produites par l’appelante, les dénominations Ambre et Aceb sont très différentes tant visuellement que sur le plan phonétique, de sorte que la confusion alléguée n’apparaît pas caractérisée. En outre, comme le soulignent les intimés, la société Ambre Electronique n’a jamais été créée, M. [O] ayant finalement décidé de dénommer sa société Aventys Electronics.
La société Aceb Electronique fait valoir que l’entreprise a subi une désorganisation du fait des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis par M. [O]. Cependant, la cour constate que l’appelante procède par voie d’affirmation et ne justifie d’aucune pièce probante permettant de corroborer la désorganisation alléguée. Il doit au surplus être relevé que M. [W] indique dans son témoignage qu’il y avait 3 chargés d’affaire au sein de la société Aceb Electronique : M. [O], M. [U] et lui. Or, il n’est pas démontré que M. [U] et M. [W], qui sont demeurés au sein de l’entreprise, n’ont pas été en mesure de pallier le départ de M. [O]. Les éléments comptables produits par la société Aceb Electronique pour les années 2010 à 2020 ne permettent pas, au regard de la relative stabilité du chiffre d’affaires, de caractériser la désorganisation alléguée. Enfin, l’affirmation de l’appelante suivant laquelle les six procédures judiciaires concernant M. [O] ont désorganisé l’entreprise n’est nullement justifiée.
L’appelante se prévaut ensuite d’un détournement de clientèle.
Pour le démontrer, elle produit en pièces n°5 à 7, 194 à 196, un échange d’emails antérieurs au licenciement de M. [O] comme datant des 9 avril, 20 juin et 13 juillet 2018, dont il ressort que le 9 avril 2018, M. [O], depuis sa messagerie personnelle [Courriel 5], a demandé à M. [D] de la société PMI, dont il n’est pas contesté qu’il s’agit d’un client habituel de la société Aceb Electronique, de le contacter sur cette adresse mail. Par la suite, le 19 juin 2018, M. [D] a sollicité de M. [O], sur sa messagerie personnelle, une offre de prix pour des coffrets électroniques. Le même jour, M. [O], toujours depuis sa messagerie personnelle, lui a répondu ceci : ” Je vous propose 2 solutions pour commander :
– passer par mon partenaire OEM Industrie, société EMS avec qui je travaille depuis de nombreuses années et qui est pleinement impliquée dans mon démarrage de société. J’ai déjà réalisé ce type de démarches pour d’autres clients afin de satisfaire tout le monde.
– M’envoyer une intention de commande, et régulariser une fois les statuts de la société établie ; je peux faire les avances de trésorerie sans aucun problème “.
Le lendemain, 20 juin 2018, M. [O] a demandé à M. [M] de la société OEM Industrie, dont il n’est pas contesté qu’elle est un sous-traitant de la société Aceb Electronique, d’adresser un devis à M. [D]. Ledit devis qui a été transmis le même jour mentionne M. [O] en tant que commercial de la société OEM Industrie sans référence à la société Aceb Electronique.
L’appelante communique également :
– en pièces n°130 et 240, un devis adressé par M. [O] depuis sa messagerie personnelle à la société PMI le 25 juin 2018 sans mention de la société Aceb Electronique ;
– en pièce n°235, une demande de prix adressée par M. [D] à M. [O] sur sa messagerie personnelle le 2 juillet 2018 et une proposition de prix émise par M. [O] le lendemain ;
– en pièce n°228, un échange d’emails intervenu du 10 au 25 juillet 2018 entre M. [O], depuis sa messagerie personnelle, la société OEM Industrie, M. [D] et Mme [H] de la société PMI dont il ressort que la société OEM Industrie, sous couvert de M. [O] le 10 juillet 2018 a adressé à M. [D] une offre de prix, ayant donné lieu à une commande le 11 juillet 2018. Le même jour, M. [O] confirme que le ” TRA ” doit être envoyé à son domicile personnel. La société Aceb Electronique, bien qu’employeur de M. [O] à cette période, n’apparaît pas dans ces échanges.
– en pièce n°263 un courriel du 1er août 2018 de M. [O] à M. [D] l’informant de ” l’avancement des dossiers en cours “, faisant référence à deux commandes de boitiers et à la mise en ‘uvre de la procédure de licenciement par sa convocation à l’entretien préalable.
Le détournement du client PMI par M. [O], alors qu’il était toujours lié par un contrat de travail à la société Aceb Electronique, est ainsi établi.
L’appelante communique également de nombreuses pièces attestant de relations commerciales entretenues par M. [O], à titre personnel avant son licenciement notifié le 8 août 2018, avec la société Gunnebo France, dont il n’est pas discuté qu’elle est un client habituel de la société Aceb Electronique. Cette dernière produit ainsi un email par lequel M. [O], sous l’enseigne Ambre Electronique, domiciliée à son adresse personnelle, a transmis une offre de prix à la société Gunnebo France le 18 avril 2018. Préalablement à cette transmission de devis, M. [O] avait demandé à M. [A] de la société Gunnebo par mail du 30 mars 2018 de ” bien vouloir continuer nos échanges sur ce mail SVP pour des raisons de discrétion “, cette adresse mail étant sa messagerie personnelle. Au cours de l’échange de courriels relatifs au devis précité, M. [O] a rappelé ses coordonnées à M. [A] sans jamais évoquer la société Aceb Electronique, qui était pourtant toujours son employeur. L’appelante produit en pièces n°261 et 262, des demandes de prix présentées les 30 mai et 1er juin 2018 par la société Gunnebo auprès de M. [O] sur sa messagerie personnelle et en pièce n°254 un autre devis établi à destination de la société Gunnebo le 19 juillet 2018 sous le nom commercial ” Ent [O] ” et à l’adresse de son domicile personnel. Elle justifie encore en pièce n°258 d’un échange d’emails du mois de septembre 2018 attestant d’une commande passée par la société Gunnebo à la suite d’un devis émis par M. [O], à son nom, le 13 juillet 2018. Enfin, en pièces n°169, 190 et 204, la société Aceb Electronique communique une commande passée par la société Gunnebo le 30 juillet 2018 et un échange de courriels par lequel est expliqué le mode de facturation en ces termes :
– la société Gunnebo : ” Peut-on vous solliciter pour 29 AWS0418 (‘) ou faut-il engager à Aceb ‘ “
– M. [O] : ” Je suis tout à fait preneur pour votre besoin, les prix et délais restent les mêmes.
Vous pouvez me faire parvenir une intention de commande et nous régulariserons le dossier début septembre. “
– la société Gunnebo : ” [K] tu fais comme pour la première commande envoyée à M. [O] à son adresse mail ci-jointe (gestion manuelle en attendant de recevoir le Kbis et les coordonnées de la société en création d’ici fin septembre) “
– M. [O] : ” les bordereaux de livraison seront édités au nom de Sté [O]. Les facturations se feront ultérieurement et pour le moment aucun règlement ne pourra avoir lieu.
Tout sera régularisé lorsque la société sera officiellement créée’.
– la société Gunnebo : ” J’ai créé le compte provisoire [O] que nous corrigerons quand votre société sera officiellement créée “.
Le détournement du client Gunnebo par M. [O], alors qu’il était toujours lié par un contrat de travail à la société Aceb Electronique, est ainsi établi.
L’appelante produit encore en pièces n°170 à 173, 175, 176, 189, 208 à 210, 221, 249, 251 et 252 des échanges de courriels intervenus entre le 26 mars 2018 et le 25 juin 2018 entre M. [O] depuis sa messagerie personnelle, M. [M] de la société OEM Industrie, M. [R] et Mme [S] de la société Konecranes, dont il n’est pas contesté qu’il s’agit d’un client habituel de la société Aceb Electronique, portant sur des relations commerciales relatives essentiellement à une commande du 27 avril 2018, sans que cette dernière n’apparaisse. Aux termes de son courriel du 26 mars 2018, M. [O] communique à M. [R] une offre de prix et lui précise ceci : ” Au sujet de la mise en place de la nouvelle structure, j’aurai plus de détails à vous donner sous 2 semaines. La société s’appellera Ambre Electronique “. Par mail du 23 mars 2018 (pièce n°181), préalablement à cette proposition commerciale, M. [O] avait sollicité la société OEM Industrie en ces termes : ” Comme convenu, je te fais passer ma demande de chiffrage pour Konecranes ‘”.
Le détournement du client Konecranes par M. [O], alors qu’il était toujours lié par un contrat de travail à la société Aceb Electronique, est ainsi établi.
En revanche, les pièces communiquées par l’appelante ne permettent pas de caractériser le détournement de clientèle invoqué à l’égard de la société Itron ou d’autres sociétés clientes de la société Aceb Electronique. Les intimés produisent d’ailleurs un courriel de Mme [I], responsable des ventes au sein de la société Itron du 19 janvier 2022 qui indique que sa société n’a jamais eu de relation commerciale avec la société Aventys Electronics.
La société Aceb Electronique verse aux débats différentes factures et mails démontrant que M. [O] commande du matériel électronique pour son compte personnel alors qu’il est lié à la société Aceb Electronique par un contrat de travail à temps plein. Il en va ainsi des factures émises par le fournisseur Farnelle les 18, 31 mai et 13 juin 2018 à destination de M. [O], chez la société OEM Industrie domiciliée à [Localité 4] ou encore des mails que M. [O] adresse depuis sa messagerie personnelle à M. [Z] de la société Phoenix Mecano France du 26 juillet 2018 dans lequel il indique ” La société OEM Industrie achète ces produits pour mon compte ” ou encore au fournisseur Trium Power le 14 mai 2018 dans lequel il demande que les produits soient livrés à la société OEM Industrie en précisant ” Et ceci pour toutes les commandes de ma part hors Aceb “.
M. [O] ne peut se contenter de répondre qu’il a légitimement organisé sa reconversion professionnelle, alors que les pièces précitées établissent que les relations ne se sont pas limitées à de simples contacts comme il le prétend, mais ont consisté en des commandes passées par les clients de la société Aceb Electronique, les sociétés PMI, Konecranes et Gunnebo auprès de M. [O] pour son compte avant la rupture de son contrat de travail.
La pièce n°188 communiquée par l’appelante démontre que M. [O] avait parfaitement conscience du détournement de clientèle opéré, puisque dans le cadre du projet de partenariat envisagé courant février/mars 2018 (pièces n°183, 186) entre la société à constituer Ambre Electronique et la société SDEL, il écrit ceci :
” (‘)
Risques encourus :
Attaque de M. [U] et M. [W] envers la nouvelle structure ou directement sur la personne de M. [O] pour :
Détournement de clientèle
Détournement de propriété industrielle
Désorganisation de la société
Concurrence déloyale
Et autres forfaitures
Il est prévu le développement de nouveaux produits pour éviter tout plagiat.
Anticipation des contentieux :
Le but étant d’éviter tout risque financier pour M. [O] et la mise à mal des engagements SDEL auprès d’RTE en créant une société à forme juridique adaptée,
Joint-venture AMBRE/SDEL,
Participation de SDEL au capital dans la nouvelle structure,
Embauche de Mr [O] chez SDEL en attendant la disparition d’Aceb
Rachat de la société Aceb par SDEL avec nettoyage en profondeur,
Ou tout autre montage,
Coordonnées des différents intervenants :
(‘)
Société Aceb Electronique SARL (à ne surtout pas contacter) ‘ “
Enfin, concernant le parasitisme dont se prévaut la société Aceb Electronique, il doit être rappelé qu’il consiste à profiter, de manière volontaire et déloyale, sans bourse délier, des investissements, d’un savoir-faire ou du travail intellectuel d’autrui produisant une valeur économique individualisée et générant un avantage concurrentiel.
En l’espèce, le détournement de logiciels et de fichiers n’apparaît pas suffisamment caractérisé. Rien ne permet d’établir que les fichiers dont la présence a été constatée par l’huissier sur l’ordinateur de M. [O] appartiennent à la société Aceb Electronique et qu’ils ont fait l’objet d’un détournement de la part de M. [O], alors qu’il était salarié de la société Aceb Electronique. Si les attestations de MM. [W] et [U] évoquent le détournement de fichiers, il doit être rappelé que ces pièces ne revêtent pas de caractère probant au regard de la qualité d’associés des témoins. Par ailleurs, la société Aceb Electronique ne communique aucun élément, ni même aucune précision concernant les investissements, le savoir-faire ou le travail intellectuel dont M. [O] aurait profité. Dans ces conditions, le parasitisme n’apparaît pas établi.
Si les faits fautifs caractérisés supra sont invoqués par la société Aceb Electronique dans le cadre du contentieux prud’homal qui l’oppose à son ancien salarié, il n’en demeure pas moins qu’ils engagent la responsabilité de M. [O] au titre de la concurrence déloyale en application des dispositions des articles 1240 et 1241 du code civil.
En revanche, s’agissant de la société Aventys Electronics, constituée le 25 septembre 2018 (pièce n°80 de l’appelante), la société Aceb Electronique ne produit qu’un seul bon de commande adressé par la société Gunnebo à la société Aventys Electronique le 20 janvier 2022. Cette seule pièce ne suffit pas à caractériser la concurrence déloyale à son égard, de sorte que la société Aceb Electronique sera déboutée de l’intégralité des demandes formulées contre cette personne morale.
Sur l’indemnisation des préjudices
Sur la demande de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale
Il est constant que le chiffre d’affaires de la société Aceb Electronique a évolué comme suit, de 2010 à 2020 :
2010 : 662.391 €
2011 : 747.749 €
2012 : 968.539 €
2013 : 762.163 €
2014 : 705.028 €
2015 : 777.940 €
2016 : 803.719 €
2017 : 967.461 €
2018 : 891.088 €
2019 : 854.711 €
2020 : 768.688 €.
Si le chiffre d’affaires apparaît relativement stable, la société Aceb Electronique communique une attestation de son expert-comptable du 4 juin 2021, dont il ressort que la société Konecranes, à compter de 2018, la société Gunnebo et la société PMI, à partir de 2019, n’ont plus passé de commande auprès de la société Aceb Electronique.
L’épidémie de Covid 19 ne peut expliquer cette situation, dès lors qu’à partir de 2019, aucune commande n’a plus été enregistrée pour ces trois sociétés.
Par ailleurs, l’attestation du 30 juillet 2019 de M. [R], ancien salarié de la société Konecranes, aux termes de laquelle il explique que : ” Mon poste a été supprimé, mon service réorganisé et tous les projets en cours ajournés en attente du lancement du plan social et de la fermeture de l’usine Konecranes France de [Localité 8] “, ne revêt aucun caractère probant, dès lors qu’il ressort d’un courriel échangé entre le témoin et M. [O] le 24 juin 2018 (pièce n°189) que M. [R] a été licencié à cette période par son employeur et qu’il a donc quitté l’entreprise au cours du second semestre 2018.
Si M. [D], de la société PMI, indique dans une attestation du 27 septembre 2019 qu’ ” ayant eu connaissance des tensions au sein de l’entreprise Aceb Electronique, j’ai décidé de diversifier nos sources d’approvisionnement “, il n’en demeure pas moins que les tensions auxquelles il fait référence se rapportent aux problèmes relationnels ayant conduit la société Aceb Electronique à licencier M. [O] du fait du détournement de clientèle dont il s’est rendu coupable. La rupture des relations commerciales entre l’appelante et la société PMI est donc bien imputable à M. [O].
Enfin, la cour constate que M. [O] et la société Aventys Electronics ne communiquent aucun élément commercial ou comptable concernant l’activité de l’entreprise.
Néanmoins, il doit être relevé que les projections auxquelles se livre la société Aceb Electronique pour évaluer son préjudice ne reposent sur aucun élément probant et que son préjudice ne peut être constitué que d’une perte de chance de maintenir le chiffre d’affaires qu’elle réalisait avec les 3 clients concernés.
En conséquence, et sans qu’il soit nécessaire d’ordonner la communication de pièces sollicitée par l’appelante, ni de recourir à une expertise, la cour dispose des éléments suffisants, au vu de l’évolution de la part de ces clients (les sociétés Konecranes, Gunnebo et société PMI) dans le chiffre d’affaires de la société Aceb Electronique, pour évaluer le préjudice de cette dernière à la somme de 70.000 €, que M. [O], par infirmation du jugement déféré, sera condamné à payer à titre de dommages et intérêts.
Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral et de la résistance abusive
Si la société Aceb Electronique invoque un préjudice moral, aucune pièce probante ne permet de démontrer l’existence d’un tel dommage. Par ailleurs, le droit d’ester en justice ou de s’opposer à une demande ne dégénère en abus qu’en cas de faute équipollente au dol qui n’est pas démontrée en l’espèce à l’égard de M. [O].
En conséquence, la société Aceb Electronique sera déboutée de sa demande indemnitaire de ces chefs.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Au regard de la solution du litige, le jugement sera infirmé des chefs des dépens et de l’article 700 du code de procédure civile.
En application de l’article 696 du code précité, M. [O] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris le coût du procès-verbal de constat d’huissier et les frais d’assignation.
M. [O] sera par ailleurs condamné à payer à la société Aceb Electronique la somme de 5.000€ au titre des frais irrépétibles exposés par cette dernière.
La Cour, statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions relatives aux demandes formulées contre la société Aventys Electronics, ainsi qu’aux demandes de cession forcée des parts de M. [O] dans la société Aceb Electronique, de dommages et intérêts au titre du parasitisme, du préjudice moral et de la résistance abusive, de communication de pièces et d’expertise,
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Condamne M. [F] [O] à payer à la société Aceb Electronique la somme de 70.000 € de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale,
Condamne M. [F] [O] aux dépens de première instance et d’appel, en ce compris le coût du procès-verbal de constat d’huissier et les frais d’assignation,
Condamne M. [F] [O] à payer à la société Aceb Electronique la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller pour le président empêché et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le conseiller,