Contrefaçon de boite : Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 10, 16 mars 2023, 22/06534

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Contrefaçon de boite : Cour d’appel de Paris, Pôle 1 – Chambre 10, 16 mars 2023, 22/06534

Suivant procès-verbal du 19 octobre 2021, Mme [V] a fait pratiquer à l’encontre de la société Ze Boite une saisie-attribution entre les mains du CIC pour avoir paiement d’une somme totale de 14.794,54 euros. Cette saisie, qui s’est avérée entièrement fructueuse, a été dénoncée à la débitrice par acte d’huissier du 25 octobre 2021 (à étude).

* * * REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 10

ARRÊT DU 16 MARS 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 22/06534 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CFR3P

Décision déférée à la cour :

Jugement du 11 mars 2022-Juge de l’exécution de Créteil-RG n° 21/07826

APPELANTE

S.A.R.L. ZE BOITE

[Adresse 4]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne-Clotilde LEDIEU, avocat au barreau de PARIS, toque : B1209

INTIMÉE

Madame [U] [M] [V]

[Adresse 1]

[Localité 6] PHILIPPINES

Représentée par Me Frédéric INGOLD de la SELARL INGOLD & THOMAS – AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : B1055

Plaidant par Me François ILLOUZ de la SELEURL ILLOUZ AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 16 février 2023, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre

Madame Catherine LEFORT, conseiller

Monsieur Raphaël TRARIEUX, conseiller

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Catherine LEFORT, conseiller, dans les conditions prévues par l’article

804 du code de procédure civile.

GREFFIER lors des débats : Monsieur Grégoire GROSPELLIER

ARRÊT

-contradictoire

-par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article

450 du code de procédure civile.

-signé par Madame Bénédicte PRUVOST, président de chambre et par Monsieur Grégoire GROSPELLIER, greffier présent lors de la mise à disposition.

PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par jugement réputé contradictoire du 13 août 2021, le tribunal judiciaire de Paris a notamment dit que la Sarl Ze Boite a commis des actes de contrefaçon de droit d’auteur au préjudice de Mme [U] [V] en reproduisant les caractéristiques de la boîte « Magnolia » et a condamné la société Ze Boite à payer à Mme [V] la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant de l’atteinte à la valeur patrimoniale de la boîte « Magnolia », outre une somme de 4.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile et les dépens.

Ce jugement a été signifié à la société Ze Boite le 24 août 2021 selon procès-verbal de recherches infructueuses en application de l’article

659 du code de procédure civile.

Suivant procès-verbal du 19 octobre 2021, Mme [V] a fait pratiquer à l’encontre de la société Ze Boite une saisie-attribution entre les mains du CIC pour avoir paiement d’une somme totale de 14.794,54 euros. Cette saisie, qui s’est avérée entièrement fructueuse, a été dénoncée à la débitrice par acte d’huissier du 25 octobre 2021 (à étude).

Par acte d’huissier du 25 novembre 2021, la société Ze Boite a fait assigner Mme [V] devant le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil aux fins de contester la régularité de la signification du jugement et la validité de la saisie-attribution.

Par jugement du 11 mars 2022, le juge de l’exécution a :

– débouté Mme [V] de sa demande de sursis à statuer,

– déclaré recevable la contestation par la société Ze Boite de la saisie-attribution,

– débouté la société Ze Boite de sa demande de nullité de la saisie-attribution du 19 octobre 2021,

– débouté Mme [V] de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,

– condamné la société Ze Boite au paiement de la somme de 1.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile et aux dépens,

– rejeté le surplus des demandes plus amples ou contraires.

Pour statuer ainsi, le juge a retenu que le procès-verbal de signification du jugement indiquait précisément les diligences effectuées par l’huissier pour rechercher le destinataire de l’acte, que ces diligences étaient suffisantes ; que la société Ze Boite ne démontrait pas en quoi Mme [V] avait connaissance d’une autre adresse, n’apportait pas la preuve que sa nouvelle adresse figurait sur son site internet à la date de signification, n’avait pas effectué les démarches nécessaires à son changement de siège social auprès du registre du commerce et des sociétés et du Bodacc avant la signification et n’avait pas effectué de suivi de son courrier ; que la signification faite dans les formes prescrites par l’article

659 du code de procédure civile était donc régulière.

Par déclaration du 29 mars 2022, la Sarl Ze Boite a fait appel partiel de ce jugement.

Par conclusions du 7 juin 2022, elle demande à la cour d’appel de :

prononcer la nullité de la signification du 24 août 2021 du jugement du tribunal judiciaire de Paris du 13 août 2021,

En conséquence,

prononcer la nullité de la saisie-attribution pratiquée le 19 octobre 2021 par Mme [V] à l’encontre de la société Ze Boite, entre les mains du CIC,

ordonner la mainlevée de cette saisie,

débouter Mme [V] de l’ensemble de ses demandes,

condamner Mme [V] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Sur l’irrégularité de la signification du jugement, elle invoque en premier lieu l’insuffisance des diligences de l’huissier, soutenant que celui-ci doit procéder à toutes les investigations nécessaires pour connaître le domicile du destinataire de l’acte et doit relater avec précision, dans son procès-verbal, toutes les diligences accomplies, et qu’en l’espèce, le procès-verbal reproduit mot pour mot celui dressé pour la délivrance de l’assignation, l’huissier a limité ses recherches sur infogreffe et le Bodacc, de sorte qu’il n’a pas opéré de véritables vérifications, alors qu’elle a un site internet, connu de Mme [V], qui permet de connaître ses coordonnées, notamment son adresse, qui a été modifiée le 26 avril 2021. En second lieu, elle fait valoir que l’irrégularité de cette signification lui a causé grief car elle n’a pas été en mesure d’avoir connaissance du jugement avant la saisie-attribution.

Sur la nullité de la saisie-attribution, elle fait valoir qu’un jugement ne constitue un titre exécutoire que s’il a été valablement signifié, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, de sorte que la saisie est irrégulière en application des articles

L.211-1 et

L.111-3 du code des procédures civiles d’exécution et

503 du code de procédure civile.

Par conclusions en date du 25 juillet 2022, Mme [U] [V] demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté la société Ze Boite de sa demande de nullité de la saisie-attribution, l’a condamnée au paiement d’une somme de 1.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile, l’a déboutée de sa demande au titre de l’article

700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens,

En tout état de cause, y ajoutant,

– condamner la société Ze Boite au paiement de la somme de 3.500 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Elle fait valoir :

qu’il a déjà été jugé que l’assignation signifiée à l’ancien siège social est valable dès lors que la mention du transfert au registre du commerce et des sociétés et la publication au Bodacc n’avaient pas été encore effectuées à la date de l’assignation ;

qu’en l’espèce, il ressort des mentions du procès-verbal de signification que la société Ze Boite a pris le risque de se voir notifier des actes selon procès-verbal de recherches infructueuses en négligeant fautivement d’une part, d’effectuer les formalités nécessaires auprès du greffe du tribunal de commerce puisqu’elle a attendu le 22 octobre 2021, trois jours après la saisie-attribution, pour que sa nouvelle adresse soit prise en compte, d’autre part, de faire suivre son courrier à la nouvelle adresse ;

que nul ne peut se prévaloir de sa turpitude ;

que l’huissier justifie de démarches vaines ;

que les pièces produites par la société Ze Boite ne permettent pas d’établir que son adresse a été modifiée dans son site internet à la date du 26 avril 2021 indiquée, alors que l’extrait kbis est la véritable carte d’identité de la société et donne une information vérifiée qui fait foi ;

que la société Ze Boite n’a subi aucun grief, l’assignation ayant été délivrée à l’adresse mentionnée sur son siège social et son site internet et l’intéressé ne précisant pas quel est son préjudice.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la nullité de la signification du jugement

L’article

659 du code de procédure civile dispose :

« Lorsque la personne à qui l’acte doit e’tre signifié n’a ni domicile, ni résidence, ni lieu de travail connus, l’huissier de justice dresse un proce’s-verbal ou’ il relate avec précision les diligences qu’il a accomplies pour rechercher le destinataire de l’acte.

Le même jour ou, au plus tard, le premier jour ouvrable suivant, à peine de nullité, l’huissier de justice envoie au destinataire, à la dernière adresse connue, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, une copie du proce’s-verbal, à laquelle est jointe une copie de l’acte objet de la signification. Le jour même, l’huissier de justice avise le destinataire, par lettre simple, de l’accomplissement de cette formalité.

Les dispositions du présent article sont applicables à la signification d’un acte concernant une personne morale qui n’a plus d’établissement connu au lieu indiqué comme sie’ge social par le registre du commerce et des sociétés. »

Il en résulte que l’huissier de justice qui signifie un acte doit procéder à des investigations pour rechercher l’adresse du destinataire, s’il s’avère que l’adresse connue à laquelle il se rend n’est pas la bonne, et ce peu important que le destinataire n’ait pas accompli les diligences nécessaires à son changement d’adresse auprès du greffe du tribunal de commerce ou n’ait pas communiqué sa nouvelle adresse au requérant.

Selon l’article 693 du code de procédure civile, ce qui est prescrit par l’article 659 doit être observé à peine de nullité.En l’espèce, dans son procès-verbal de signification du 24 août 2021, l’huissier de justice mentionne :

« A l’adresse ci-dessus indiquée qui constitue le dernier siège connu déclaré par le requérant, ou étant :

Au [Adresse 2] à [Localité 3], le clerc significateur a constaté que tant le nom de la société que le nom de sa gérante, Madame [J] [C], ne figuraient sur les boîtes aux lettres et interphone. II a rencontré le gardien qui lui a indiqué que Madame [J] [C] était la fille de l’ancienne gardienne ; il a ajouté qu’elle n’habitait plus à cette adresse, sans préciser depuis combien de temps. Nos recherches sur infogreffe et BODACC ne révèlent aucune procédure collective ni aucun transfert de siège social et confirment l’adresse du siège de la société au [Adresse 2].

II a été constaté qu’à ce jour aucune personne répondait à l’identification du destinataire de l’acte ni à son domicile, sa résidence ou son siège,

En conséquence, après avoir interrogé les proches et commerçants, ces diligences n’ont pas permis de retrouver le destinataire de l’acte.

J’en ai avisé mon correspondant qui après avoir effectué des recherches, m’a déclaré que l’adresse ci-dessus était la dernière connue. »

Ainsi, l’huissier a cherché vainement l’adresse de la Sarl Ze Boite sur Infogreffe et le Bodacc, ainsi qu’auprès de « proches et commerçants ». La constatation que l’adresse mentionnée comme siège social sur les sites et documents officiels n’était pas exacte devait nécessairement conduire l’huissier à des diligences précises et suffisantes pour tenter de retrouver le destinataire de l’acte. L’interrogation des « proches et commerçants », outre qu’elle est imprécise et illusoire, ne constitue pas une diligence suffisante, d’autant plus que la rédaction du proce’s-verbal de signification de l’assignation du 28 décembre 2020 devant le tribunal judiciaire (selon les mêmes modalités) est rédigé de manière strictement identique, alors que l’huissier était censé faire ses recherches pour chaque acte à signifier.

En 2021, il est pour le moins surprenant que l’huissier n’ait pas effectué de recherches sur internet, autres qu’Infogreffe, notamment sur les Pages Jaunes, site de référence pour rechercher les adresses des personnes physiques et morales. En outre, une recherche sur Google ou un autre moteur de recherche aurait permis de découvrir que la Sarl Ze Boite avait un site internet, comme Mme [V] le savait d’ailleurs.

La société Ze Boite produit justement un extrait de son site internet faisant apparaître son adresse dans les mentions légales, soit [Adresse 4]. Elle justifie par un procès-verbal de constat d’huissier de justice du 30 mai 2022 que les mentions légales ont été publiées le 20 mars 2018, et révisées le 26 avril 2021 sur l’adresse, celle du [Adresse 2] ayant été remplacée par celle du [Adresse 4]. La modification du site internet sur l’adresse a donc été faite après la délivrance de l’assignation, mais avant la signification du jugement, de sorte que l’huissier aurait pu découvrir la nouvelle adresse de la société Ze Boite s’il avait effectué une recherche sur internet en vue de lui signifier le jugement.

Il importe peu, pour apprécier la régularité d’une notification au regard des dispositions de l’article 659 du code de procédure civile, que la Sarl Ze Boite ait été négligente en omettant d’effectuer les formalités auprès du greffe du tribunal de commerce et de faire suivre son courrier, dès lors qu’il appartient à l’huissier de procéder à des diligences suffisantes pour tenter de retrouver le destinataire de l’acte à signifier. Mme [V] ne peut donc utilement invoquer le principe selon lequel nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, alors que son argumentation vise précisément à éluder les carences de son huissier.

Enfin, cette signification irrégulière a bien causé un grief à la Sarl Ze Boite, qui n’a pas pu prendre connaissance du jugement en temps utile (étant rappelé qu’elle n’était pas informée de cette procédure puisque l’assignation lui avait également été signifiée selon proce’s-verbal de recherches infructueuses), le délai d’appel étant déjà expiré à la date de dénonciation de la saisie-attribution faite à sa nouvelle adresse. Elle n’a donc pu ni faire appel du jugement ni l’exécuter spontanément sans frais.

Au regard de l’ensemble de ces éléments, la signification du jugement doit être déclarée nulle.

Sur la nullité de la saisie-attribution

Aux termes de l’article 503 alinéa 1er du code de procédure civile, les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire.

En l’espèce, le jugement servant de fondement à la saisie-attribution n’ayant pas été valablement signifié, la saisie-attribution ne peut qu’être annulée également.

Il convient donc d’infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Sarl Ze Boite de sa demande de nullité de la saisie-attribution et statuant à nouveau, d’annuler la saisie et d’en ordonner en conséquence la mainlevée.

Sur les demandes accessoires

Au vu de la présente décision, il convient d’infirmer les condamnations accessoires de la société Ze Boite et de condamner Mme [V] aux dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles. Les parties seront donc déboutées de leurs demandes respectives fondées sur l’article

700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

,

La Cour,

INFIRME le jugement rendu le 11 mars 2022 par le juge de l’exécution du tribunal judiciaire de Créteil, en ce qu’il a :

– débouté la Sarl Ze Boite de sa demande de nullité de la saisie-attribution,

– condamné la Sarl Ze Boite à payer à Mme [U] [V] la somme de 1.000 euros au titre de l’article

700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens,

CONFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés et y ajoutant,

DECLARE nulle la signification du jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 13 août 2021 effectuée le 24 août 2021 selon procès-verbal de recherches infructueuses en application de l’article

659 du code de procédure civile,

ANNULE la saisie-attribution pratiquée entre les mains du CIC le 19 octobre 2021 par Mme [U] [V] à l’encontre de la Sarl Ze Boite,

ORDONNE en conséquence la mainlevée de cette saisie-attribution,

DEBOUTE les parties de leurs demandes respectives fondées sur l’article

700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Mme [U] [V] aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Le greffier, Le président,


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