La protection des marques viticoles : affaire La Combe

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La protection des marques viticoles : affaire La Combe

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Il n’existe pas de risque que le consommateur confonde ou attribue aux marques Château La Combe et La Combe aux Boeufs (vins) une origine commune.


 

D’un point de vue conceptuel, la marque antérieure évoque un nom patronymique Château La Combe précédé du terme CHÂTEAU, ce qui est fréquemment le cas en matière viti-vinicole, tandis qu’au sein du signe second LA COMBE AUX BOEUFS, les éléments verbaux LA COMBE évoquent dans leur sens courant défini par le dictionnaire Larousse, une vallée sèche, d’altitude moyenne, peu ensoleillée et les éléments AUX BOEUFS renvoient à la présence de bovins dans cette vallée.

Les marques en cause présentent ainsi des différences visuelles, phonétiques et intellectuelles qui produisent une impression d’ensemble très éloignée, cette analyse étant renforcée par la prise en compte de leurs éléments distinctifs et dominants.


 

COUR D’APPEL DE BORDEAUX

PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU : 06 JUIN 2023

RP

N° de rôle : N° RG 22/02069 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-MVQN

S.A. [Adresse 4]

c/

[C] [F]

S.A.S. MCS

Nature de la décision : AU FOND

JONCTION AVEC DOSSIER RG 22/03068

Notifié aux parties par LRAR le :

Grosse délivrée le :

aux avocats

Décision déférée à la cour : décision rendue le 21 mars 2022 par le Directeur Général de l’Institut National de la Propriété Industrielle de [Localité 5] (OPP21-2049) suivant deux recours en date du 25 avril 2022 (RG : 22/02069) et du 24 juin 2022 (RG : 22/03068)

DEMANDERESSE :

S.A. [Adresse 4], titulaire de la marque verbale de l’Union Européenne ‘[Adresse 4]’ déposée le 30 juillet 2012 enregistrée sous le n°011080033, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]

représentée par Maître Valérie JANOUEIX de la SCP BATS – LACOSTE – JANOUEIX, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assistée de Maître Eric AGOSTINI de la SELARL ERIC AGOSTINI ET ASSOCIES, avocat plaidant au barreau de BORDEAUX

DEFENDERESSES :

Sabrina BOURDEAUX

née le 12 Février 1979 à [Localité 6] (21)

de nationalité Française

demeurant [Adresse 3]

S.A.S. MCS , prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]

représentées par Maître Marie CHAMFEUIL de la SELARL MARIE CHAMFEUIL, avocat au barreau de BORDEAUX

EN PRESENCE DE :

INSTITUT NATIONAL DE LA PROPRIETE INDUSTRIELLE, pris en la personne de son Directeur Général domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 1]

régulièrement convoqué par lettre recommandée avec accusé de réception

représenté par Madame [Y] [D], juriste, munie d’un pouvoir spécial

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 25 avril 2023 en audience publique, devant la cour composée de :

Roland POTEE, président,

Bérengère VALLEE, conseiller,

Emmanuel BREARD, conseiller,

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Véronique SAIGE

Ministère Public :

L’affaire a été communiquée au Ministère Public qui a fait connaître son avis le 6 avril 2023.

ARRÊT :

– contradictoire

– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.

* * *

EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE

Mme [C] [F] a déposé, le 8 mars 2021, la demande d’enregistrement n°4 740 820, portant sur le signe verbal LA COMBE AUX BOEUFS.

Le 5 mai 2021, la SA [Adresse 4] a formé opposition à l’enregistrement de cette marque sur la base de la marque verbale de l’Union Européenne [Adresse 4] enregistrée sous n°011080033, sur le fondement du risque de confusion.

Cette marque, déposée le 30 juillet 2012, a été enregistrée pour les produits suivants : ‘Vins d’appellation d’origine contrôlée Margaux provenant de l’exploitation exactement dénommée [Adresse 4]’.

Au cours de la phase d’instruction, des observations écrites ont été échangées.

Par décision OPP 21-2049 du 21 mars 2022, l’INPI a rejeté l’opposition.

Par déclaration enregistrée au greffe le 25 avril 2022, la société [Adresse 4] a formé un recours contre la décision rendue par l’INPI, enregistré sous le n°RG 22/02069.

Le 24 juin 2022, elle a formé un recours rectificatif enregistré sous le n° RG 22/03068, visant la société MCS Distribution, laquelle s’est substituée à Mme [F].

Par conclusions déposées le 6 avril 2023, la société [Adresse 4] demande à la cour de :

– déclarer la SA [Adresse 4] recevables en ses recours,

– ordonner la jonction des instances RG 22/02069 et RG 22/03068,

– déclarer Mme [C] [F] et MCS Distribution irrecevables en leur défense au présent recours et écarter leurs écritures depuis la phase administrative,

– juger que la marque LA COMBE AUX BOEUFS n°474 0820 porte atteinte à la marque [Adresse 4] n°011080033 sur le fondement de l’article L.713-2 2° du CPI,

– en conséquence, annuler la décision de M. Le Directeur Général de l’INPI OPP 21-2049/APA du 21 mars 2022,

– condamner Mme [C] [F] et la société MCS à payer chacun à la SA [Adresse 4] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions déposées le 27 mars 2023, Mme [F] et la société MCS demandent à la cour de :

– débouter la société [Adresse 4] de ses demandes, fins et prétentions,

– confirmer la décision rendue par le Directeur Général de l’INPI OPP 21-2049/CHO du 21 mars 2022 en ce qu’elle a rejeté l’opposition formée par la société [Adresse 4] contre la demande de marque française LA COMBE AUX B’UFS n°4 780 820,

– condamner la société [Adresse 4] à verser à la société M.C.S une somme de 2500 € sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,

– condamner la société [Adresse 4] aux entiers dépens de la procédure.

Par courrier transmis au greffe le 18 avril 2023, le directeur général de l’INPI a présenté ses observations dans lesquelles il considère que la déclaration de recours initiale du 25 avril 2022 régularisée le 24 juin 2022, dans le délai imparti à la requérante pour conclure, ne paraît pas encourir la nullité. Selon l’Institut, les produits en cause sont identiques ou similaires, mais l’impression d’ensemble produite par les marques est très éloignée et la prise en compte des éléments distinctifs et dominants des signes conduit à écarter tout risque de confusion, le consommateur n’étant pas enclin à confondre les deux marques ou à leur attribuer une même origine.

Le 6 avril 2023, le ministère public a indiqué s’en rapporter.

L’affaire a été fixée à l’audience collégiale du 25 avril 2023.

L’instruction a été clôturée par ordonnance du 11 avril 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la fin de non-recevoir

L’article R.411-25, alinéa 1er, du code de la propriété intellectuelle dispose :

‘Les recours sont portés devant la cour d’appel par acte contenant, outre les mentions prescrites par le 3° de l’article 54 du code de procédure civile, et à peine de nullité :

1° Le numéro unique d’identification de l’entreprise requérante ou tout document équivalent à l’extrait d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés pour les opérateurs situés hors de France ;

2° L’objet du recours ;

3° Le nom et l’adresse du titulaire du titre si le requérant n’a pas cette qualité ;

4° La constitution de l’avocat du requérant.’

La société [Adresse 4] soutient que le changement de titulaire de la demande d’enregistrement de la marque LA COMBE AUX BOEUFS n’est pas régulier, estimant que la correction d’une erreur matérielle consistant en la substitution de la société MCS à Mme [F] était insuffisante et qu’une cession de la marque litigieuse de la part de Mme [C] [F] au profit de la société MCS aurait dû intervenir. La requérante demande à la cour de déclarer Mme [F] et la société MCS irrecevables en leur défense et d’écarter leurs écritures depuis la phase administrative.

Les intimées font valoir que l’INPI a fait droit à la demande de correction de l’erreur matérielle introduite par Mme [F] le 16 juin 2021 et que la société MCS a été régulièrement substituée à celle-ci en tant que déposante de la marque LA COMBE AUX BOEUFS. Elles concluent au rejet de la fin de non-recevoir soulevée par la société [Adresse 4].

Il sera premièrement fait observer que les mentions prescrites par l’article L.411-25, alinéa 1er, 3°, du code de la propriété intellectuelle, qui doivent figurer dans le recours à peine de nullité, concernent le requérant et non le défendeur au recours, de sorte que la société [Adresse 4] n’est pas fondée à invoquer ces dispositions à l’encontre des intimées, étant précisé que ces dernières ne contestent pas la recevabilité du recours.

En outre, l’INPI ayant fait droit à la demande de Mme [F] de lui substituer la société MCS en tant que déposante, cette dernière a donc qualité à défendre dans le cadre de la présente instance, d’autant qu’après avoir introduit le 25 avril 2022 un premier recours n°22/02069, la société [Adresse 4] a introduit le 24 juin 2022, soit dans le délai imparti pour conclure, un recours rectificatif n°22/03068, dans lequel elle vise la société MCS aux côtés de Mme [F].

Ainsi, pour une bonne administration de la justice, il y a lieu de prononcer la jonction des instances RG n°22/02069 et n°22/03068.

La fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à défendre de Mme [F] et de la société MCS, soulevée par la société [Adresse 4], devra par conséquent être rejetée.

Sur la comparaison des produits

En l’espèce, ainsi que l’a relevé le directeur général de l’INPI, il est constant que les produits de la demande d’enregistrement sont identiques ou similaires à ceux de la marque antérieure, en ce que les ‘Vins d’appellation d’origine contrôlée Margaux provenant de l’exploitation exactement dénommée [Adresse 4]’ désignés par la marque antérieure, entrent dans la catégorie générale des ‘vins’, visée par la demande d’enregistrement.

Sur la comparaison des signes

La comparaison des signes s’effectue par une appréciation globale fondée, s’agissant des similitudes visuelles, auditives et conceptuelles, sur une impression d’ensemble, en tenant compte des éléments distinctifs et dominants des marques en cause.

La société [Adresse 4] fait valoir qu’il existe un risque de confusion entre la marque contestée et la sienne, peu important que le signe LA COMBE AUX BOEUFS comprenne deux mots de plus que le signe [Adresse 4], le consommateur ayant généralement tendance à se concentrer sur les premiers éléments de la marque. La requérante soutient que les signes en cause ont en commun la séquence phonétique d’attaque ‘LA-COM-BE’, que le ‘s’ de LASCOMBES, prononcé dans le Sud-Ouest, ne se prononce pas nécessairement dans le reste de la France et que les deux signes évoqueront oralement la même chose, ce dont il résulte une similitude phonétique et intellectuelle.

La société MCS fait valoir que les signes en cause ne présentent pas la même structure, ne comportent pas le même nombre de termes, n’ont pas les mêmes termes d’attaque ni de fin et que le fait que le vocable CHÂTEAU soit réglementé en matière viti-vinicole n’emporte aucunement son exclusion pure et simple de la comparaison des signes en présence. Elle estime que c’est à juste titre que l’INPI a considéré que les deux signes ne présentent pas la même physionomie, notamment en ce que les termes LASCOMBES et LA COMBE ne présentent aucune similitude visuelle et que, d’un point de vue phonétique, le ‘s’, 3ème lettre du terme LASCOMBES est systématiquement prononcé en langue française, tandis que la séquence LA COMBE ne comporte aucun ‘s’. La société MCS estime que sur le plan conceptuel, le signe premier renvoie à une propriété viticole familiale, tandis que le second évoque des termes agricoles faisant référence à une vallée sèche et à l’élevage de bovins.

Le signe critiqué ne constituant pas la reproduction identique de la marque antérieure, il convient, en ce qui concerne la similitude visuelle, phonétique ou conceptuelle des marques en cause, de se fonder sur l’impression d’ensemble produite par les marques, en tenant compte de leurs éléments distinctifs et dominants afin de rechercher s’il existe un risque de confusion dans l’esprit du consommateur moyen.

1. Sur l’impression d’ensemble des signes

Du point de vue de leur structure, les signes en cause se différencient par une construction en deux termes pour la marque antérieure et en quatre termes pour la marque contestée, leur séquence d’attaque (CHÂTEAU et LA COMBE) et de fin b(LASCOMBES et AUX BOEUFS) étant également différentes.

À cet égard, il sera fait observer que le terme ‘Château’ utilisé dans la marque verbale antérieure [Adresse 4], ne revêt pas isolément de caractère distinctif puisqu’il procède d’un usage réglementé en matière viti-vinicole, mais constitue néanmoins, sur le plan phonétique, la sonorité d’attaque de cette marque et lui confère un rythme dont il ne saurait être fait abstraction, ainsi qu’une signification, désignant un château du nom de LASCOMBES, absente du signe second.

Si les signes en cause ont en commun les lettres L, A, C, O, M, B, E, ils diffèrent grandement par la présence des termes ‘AUX BOEUFS’ dans la demande d’enregistrement et ‘CHÂTEAU’ dans la marque antérieure, lesquels n’ont rien en commun.

En outre, il convient de relever que la dénomination LASCOMBES comporte en troisième position la lettre ‘s’, laquelle se prononce en langue française, tandis que la dénomination LA COMBE ne comporte aucun ‘s’, ceci étant de nature à éloigner d’autant plus les signes en cause sur le plan phonétique.

Enfin, d’un point de vue conceptuel, la marque antérieure [Adresse 4] évoque un nom patronymique précédé du terme CHÂTEAU, ce qui est fréquemment le cas en matière viti-vinicole, tandis qu’au sein du signe second LA COMBE AUX BOEUFS, les éléments verbaux LA COMBE évoquent dans leur sens courant défini par le dictionnaire Larousse, une vallée sèche, d’altitude moyenne, peu ensoleillée et les éléments AUX BOEUFS renvoient à la présence de bovins dans cette vallée.

Les marques en cause présentent ainsi des différences visuelles, phonétiques et intellectuelles qui produisent une impression d’ensemble très éloignée, cette analyse étant renforcée par la prise en compte de leurs éléments distinctifs et dominants.

2. Sur les éléments distinctifs et dominants des signes

Il est en l’espèce manifeste qu’au sein de la marque antérieure, la dénomination LASCOMBES est distinctive et dominante, en ce que le terme CHÂTEAU est nécessairement dépourvu de distinctivité au regard des produits en cause.

En revanche, au sein du signe second, c’est à juste titre que l’INPI fait observer qu’il ne peut-être considéré que les termes LA COMBE seraient prédominants, dès lors qu’ils sont étroitement associés aux termes AUX BOEUFS, qui apparaissent parfaitement distinctifs et avec lesquels ils forment un ensemble indissociable ayant une signification propre et tout à fait différente de celle formée par l’ensemble [Adresse 4].

Il résulte de ce qui précède que la comparaison entre les signes permet d’établir des différences leurs conférant une impression d’ensemble distincte, confortée par la prise en compte des éléments distinctifs et dominants des deux marques.

Sur l’appréciation globale du risque de confusion

L’appréciation globale du risque de confusion implique, comme le rappelle l’INPI, une interdépendance des facteurs pris en compte, notamment la similitude des marques, celles des produits et services désignés, ou encore la distinctivité plus ou moins importante de la marque antérieure, notamment en raison de sa connaissance par une partie significative du public concerné.

Cependant, ainsi que cela a été démontré, les marques en cause présentent des différences importantes que la similarité des produits ne compense pas, de sorte que, quand bien même la notoriété de la marque antérieure serait établie, elle ne peut suffire à elle seule à compenser les différences prépondérantes entre les signes examinés et à générer un risque de confusion pour le consommateur. En effet, la notoriété ne peut constituer qu’un facteur d’aggravation du risque de confusion mais ne peut pallier l’absence d’un tel risque, lequel n’existe pas en l’espèce, compte-tenu des trop grandes différences présentées par les signes en cause.

Il n’existe en conséquence pas de risque que le consommateur confonde ou attribue aux marques en cause une origine commune.

Le recours formé par la société [Adresse 4] à l’encontre de la décision du directeur général de l’INPI devra par conséquent être rejeté.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

En application de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

En l’espèce, la société [Adresse 4] sera condamnée à verser à la société MCS une indemnité de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Il n’y a pas lieu à condamnation aux dépens en la présente matière.

PAR CES MOTIFS

La cour,

– Ordonne la jonction des instances RG n°22/02069 et n°22/03068 ;

– Rejette la fin de non-recevoir tirée de l’absence de qualité à défendre de Mme [C] [F] et de la SAS MCS, soulevée par la SA [Adresse 4] ;

– Rejette le recours formé par la SA [Adresse 4] contre la décision du directeur général de l’INPI du 21 mars 2022 ;

– Condamne la SA [Adresse 4] à verser à la SAS MCS la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– Dit n’y avoir lieu à condamnation aux dépens;

– Dit que le présent arrêt sera notifié par lettre recommandée avec demande d’avis de réception par le greffe de la cour aux parties à l’instance et au directeur général de l’INPI.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, Le Président,

 


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