Protection des motifs de tissus : les enseignements de l’affaire ZARA 
Protection des motifs de tissus : les enseignements de l’affaire ZARA 
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Si la protection des motifs de tissus n’est pas acquise en l’absence d’originalité, la concurrence déloyale reste applicable en cas de reprise à l’identique.

TLV C/ ZARA 

La société TLV expose avoir constaté que la société ZARA FRANCE proposait à la vente en ligne sur son site www.zara.com et au sein de ses boutiques, une robe et une blouse confectionnées dans un tissu reprenant, selon elle, les mêmes caractéristiques que celles du tissu référencé 2505 MMPZ.

Le fond commun de la mode 

La société TLV a revendiqué sans succès des droits d’auteur sur un tissu présentant un motif cachemire. Le motif cachemire, également appelé “paisley”, se caractérise par un enchevêtrement de feuilles et de fleurs délicates. Ce motif, aux origines persanes et/ou indiennes, est connu depuis des siècles, a été introduit en Europe au 17ème siècle et développé au 19ème siècle, notamment en Angleterre et en Ecosse (dont la manufacture de Paisley a donné son nom au motif). Il appartient donc au fonds commun du textile, et donc de la mode, masculine aussi bien que féminine, adopté par le mouvement hippie dans les années 1960 et par plusieurs marques de prêt-à-porter et du luxe (CLAUDIA PIERLOT, MAJE, ETRO, DIOR…).

En outre, la société MODACREA démontre, que le motif de tissu décrit par la styliste de la société VIA VOLTA et revendiqué par la société TLV constitue un agencement de motifs que l’on retrouve quasi à l’identique – hormis la couleur, les motifs de l’ouvrage étant en noir et blanc – dans un ouvrage intitulé Cashmire – Traditional Paisley Motifs (vol. 1, Editions BELVEDERE, page 28), édité avec un CD-Rom en 2005, qui constitue un recueil d’illustrations de motifs cachemire présentés comme libres de droit et susceptibles d’être repris gratuitement ” à des fins de création individuelle ».

La reprise par la styliste de la société VIA VOLTA de motifs préexistants selon un certain agencement, dont il n’est au demeurant pas explicité en quoi la spécificité ou la complexité alléguées reflèteraient une démarche créatrice personnelle, relève d’un savoir-faire technique ou commercial, traduisant, ainsi que l’a justement retenu le tribunal, la capacité de concevoir un tissu susceptible d’être exploité avec succès dans le contexte d’une offre abondante et variée, mais ne démontre pas l’existence de sources d’inspirations particulières identifiables.

La juridiction a estimé que la société TLV ne démontrait pas que le dessin de cachemire revendiqué procède d’un effort créatif propre à la styliste de la société VIA VOLTA, qui serait révélateur de sa personnalité et rendrait le dessin de tissu en cause éligible à la protection par le droit d’auteur.

L’application du dessin cachemire revendiqué sur un tissu fluide et léger, comme le précise la styliste, ne peut suffire à caractériser l’originalité alléguée, le motif cachemire ou “paisley” étant traditionnellement utilisé pour des cravates, foulards, robes ou chemisiers, ces accessoires et vêtements étant couramment confectionnés dans des tissus répondant à ces caractéristiques de fluidité et de légèreté.

L’application du droit d’auteur 

Pour rappel, l’article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une oeuvre de l’esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-l du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Selon l’article L.112-2-10°, les oeuvres des arts appliqués sont considérées comme oeuvres de l’esprit.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une oeuvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une oeuvre de l’esprit est contestée, comme en l’espèce, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur d’identifier et d’expliciter ce qui caractérise cette originalité.

La notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l’oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l’originalité doit être appréciée au regard d’oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création, marquant l’oeuvre revendiquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur.

La concurrence déloyale retenue

En vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, un produit qui n’est pas protégé par un droit privatif de propriété intellectuelle peut être librement reproduit mais dans le respect des usages honnêtes et loyaux qui doivent présider à la vie des affaires. 

La concurrence déloyale et le parasitisme, pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie ou imite une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté de l’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.

Le bien-fondé d’une action en concurrence déloyale est subordonné à l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice et non à l’existence d’une situation de concurrence directe et effective entre les opérateurs considérés.

Il incombe à celui qui se prétend victime d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, comme le tribunal l’a retenu, la comparaison entre le tissu revendiqué (partie centrale) et celui utilisé pour la confection des deux vêtements vendus par la société ZARA FRANCE révèle que les éléments du motif cachemire, sont pratiquement identiques et disposés selon le même agencement, faisant apparaître :

– les mêmes “haricots” aux bords festonnés avec trois bandes intérieures au même contenu et, à leur extrémité large et arrondie, une fleur stylisée à 5 pétales :

– les mêmes “haricots” festonnés renfermant 7 forme ovales, celles-ci contenant une fleur stylisée et un motif végétal et, sous le bord des “haricots”, le même motif végétal :

– les mêmes “haricots” festonnés contenant des motifs de fleurs à quatre pétales :

– les mêmes pointes de “haricots” rebiquant avec, sur le pourtour, la même fleur à 5 grands pétales et 3 pétales plus petits et la même petite fleur isolée à trois pétales, au bout, la même fleur stylisée et, dans le centre de la boucle, le même motif végétal :

Toutes ces ressemblances ne peuvent être dues au hasard, nonobstant le caractère relativement banal du motif en cause, dès lors que, comme il a été dit, la société MODACREA avait une parfaite connaissance du fait que ce motif appartenait à la société TLV, ayant vainement essayé de l’obtenir en novembre 2018, successivement via son agent commercial BOO ROO JIN, offrant alors de payer “le prix de design souhaité par TLV”, puis via la société VIA VOLTA, sollicitant alors une remise gratuite (cf. le courriel précité du 16 novembre – pièce 9), et enfin via une société TEXBROD. 

La fourniture par la société MODACREA à la société INDITEX, maison-mère de la société ZARA FRANCE, du tissu litigieux, très proche du tissu référencé 2505 MMPZ qu’elle savait être la propriété de la société TLV, est constitutif d’un acte de concurrence déloyale, la mise en oeuvre de ce tissu sur des vêtements ensuite commercialisés par la société ZARA FRANCE – en l’occurrence, une blouse et une robe – pouvant laisser penser que les tissus ont la même provenance et ainsi faire naître un risque de confusion, du moins aux yeux des professionnels de la création et de la vente de textiles destinés à l’habillement, la société TLV exerçant en effet non pas une activité de vente au détail de vêtements comme la société ZARA FRANCE mais une activité de vente de tissus en gros.

La fourniture de ce tissu à la société INDITEX dans des conditions déloyales a en outre privé la société TLV d’une chance de fournir elle-même la société INDITEX pour la confection des deux vétements commercialisés par la société ZARA FRANCE.

La démarche de la société MODACREA auprès de la société VIA VOLTA afin d’obtenir gracieusement le tissu de la société TLV, si elle ne peut s’analyser en une tentative de “détournement” du styliste de la société TLV, apparaît néanmoins contraire à la loyauté qui doit présider à la vie des affaires. La société MODACREA est en effet l’ancien fournisseur de la société TLV pour laquelle elle avait en outre précédemment fabriqué ce même tissu. 


5 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/12143

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 05 AVRIL 2023

(n° 053/2023, 20 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/12143 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD6SR

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 Mai 2021 – Tribunal Judiciaire de Paris – 3ème chambre – 2ème section – RG n° 19/04614 – Jonction avec le dossier 21/14089 par ordonnance du 14 décembre 2021.

APPELANTES

S.A.R.L. TLV

Société au capital de 150 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 507 402 436

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU – CICUREL – MEYNARD – GAUTHIER – MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240

Assistée de Me Philippe BESSIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0804

Société MODACREA SARL

Société de droit coréen

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 5]

[Localité 6]

COREE SUR SUD

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée de Me Rachel NAKACHE de la SELARL WARN Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R099

INTIMEES

S.A.R.L. TLV

Société au capital de 150 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 507 402 436

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Jean-Didier MEYNARD de la SCP BRODU – CICUREL – MEYNARD – GAUTHIER – MARIE, avocat au barreau de PARIS, toque : P0240

Assistée de Me Philippe BESSIS, avocat au barreau de PARIS, toque : E0804

S.A.R.L. ZARA FRANCE

Société au capital de 59 760 880 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de PARIS sous le numéro 348 991 555

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représentée et assistée de Me Muriel ANTOINE LALANCE de la SELARL AL AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1831

Société MODACREA SARL

Société de droit coréen

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 5]

[Localité 6]

COREE SUR SUD

Représentée par Me Sandra OHANA de l’AARPI OHANA ZERHAT CABINET D’AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1050

Assistée de Me Rachel NAKACHE de la SELARL WARN Avocats, avocat au barreau de PARIS, toque : R099

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 14 Février 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Mme Françoise BARUTEL, Conseillère

Mme Déborah BOHÉE, Conseillère

qui en ont délibéré.

Un rapport a été présenté à l’audience par Mme Isabelle DOUILLET, présidente, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Marylène BOGAERS

ARRÊT :

Contradictoire

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société TLV, immatriculée le 30 juillet 2008, se présente comme ayant pour activité la création, la fabrication et la vente de tissus en gros en France et dans le monde, à destination des fabricants de vêtements. Elle revendique des droits d’auteur sur un tissu référencé 2505 MMPZ créé, selon elle, en décembre 2014 par la société VIA VOLTA DESIGN (ci-après, VIA VOLTA) qui le lui a été cédé le 20 janvier 2015 et qu’elle indique commercialiser depuis 2015 :

La société ZARA FRANCE se présente comme un acteur majeur du commerce de détail et d’habillement disposant de nombreux points de vente en France.

La société de droit coréen MODACREA indique avoir pour activités la création et la fabrication de tissus qu’elle distribue dans différents pays, dont la France.

La société TLV expose avoir constaté que la société ZARA FRANCE proposait à la vente en ligne sur son site www.zara.com et au sein de ses boutiques, une robe et une blouse confectionnées dans un tissu reprenant, selon elle, les mêmes caractéristiques que celles du tissu référencé 2505 MMPZ.

La société TLV expose avoir découvert que son ancien fournisseur, la société MODACREA, avait, en fraude de ses droits, vendu le tissu 2505 MMPZ à la société INDITEX, maison mère et fournisseur de la société ZARA FRANCE, et effectué un dépôt FIDEALIS du même dessin 2505 MMPZ, le 28 novembre 2018, sous le numéro KM 59801.

Autorisée par ordonnances des 2 et 3 avril 2019, la société TLV a fait diligenter le 4 avril 2019 deux saisies-contrefaçon, respectivement au siège de la société ZARA FRANCE et au sein de l’une des boutiques de cette enseigne, située [Adresse 7].

Par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 5 avril 2019, elle a mis en demeure la société ZARA FRANCE, notamment, de lui communiquer l’identité de son fournisseur, tout en lui indiquant la possibilité d’un règlement amiable du litige. Celle-ci a répondu le 8 avril 2019 sans reconnaître le bien-fondé des demandes formées à son encontre.

C’est dans ce contexte que par acte signifié le 16 avril 2019, la société TLV a fait assigner la société ZARA FRANCE devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de voir cesser les actes de contrefaçon allégués et d’obtenir des mesures de réparation.

La société MODACREA est intervenue volontairement à l’instance par acte du 15 novembre 2019.

Dans un jugement rendu le 28 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

– écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité des droits invoqués ;

– dit que le tissu référencé 2505 MMPZ n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur ;

– rejeté les demandes de la société TLV fondées sur la contrefaçon ;

– dit que la société MODACREA a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre de la société TLV en commercialisant un tissu reprenant le motif référencé 2505 MMPZ ;

– dit le dépôt FIDEALIS au nom de la société MODACREA en date du 28 novembre 2018 concernant le tissu « KM 59801 » nul en raison de son caractère frauduleux ;

– condamné la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 198 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

– débouté la société TLV du surplus de ses demandes indemnitaires ;

– débouté la société TLV de ses demandes dirigées contre la société ZARA FRANCE ;

– rejeté les demandes de publication ;

– rejeté les demandes reconventionnelles fondées sur la procédure abusive ;

– condamné la société MODACREA aux dépens, dont distraction au profit de Me BESSIS, avocat, auxquels s’ajouteront les frais de saisie-contrefaçon diligentées par Me [W] le 4 avril 2019, soit 1 197 euros ;

– condamné la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société TLV à payer à la société ZARA FRANCE la somme de 5 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire.

La société TLV, le 29 juin 2021, puis la société MODACREA, le 20 juillet 2021, ont interjeté appel de ce jugement.

Les deux procédures ont été jointes par ordonnance de la conseillère de la mise en état du 14 décembre 2021.

Dans ses dernières conclusions, numérotées 4 et transmises le 26 septembre 2022, la société TLV demande à la cour de :

Vu les saisies-contrefaçon du 5 avril 2019,

Vu les articles L.111-1 et suivants, L. 332-1 et suivants,

Vu l’article 1240 du code civil,

– confirmer le jugement du 28 mai 2021 en ce qu’il a :

– écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité des droits de la société TLV,

– jugé le dépôt FIDEALIS effectué le 28 novembre 2018 au nom de la société MODACREA pour le tissu « KM-59801 » nul en raison de son caractère frauduleux,

– débouté les demandes reconventionnelles formulées au titre d’une prétendue procédure abusive,

– condamné la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance,

– infirmer le jugement du 28 mai 2021 en ce qu’il a :

– jugé que le tissu « 2505 MMPZ » n’était pas protégeable au titre du droit d’auteur,

– rejeté les demandes de la société TLV fondées sur la contrefaçon,

– condamné uniquement la société MODACREA au paiement de diverses sommes à l’égard de la société TLV,

– condamné la société TLV au paiement de la somme de 5000 euros à la société ZARA FRANCE au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– rejeté les demandes de mesures complémentaires formulées par la société MODACREA,

– statuant à nouveau :

– juger que le tissu « 2505 MMPZ » est protégeable au titre du droit d’auteur,

– juger que la société ZARA FRANCE et la société de droit coréen MODACREA, en commercialisant des modèles de blouses référencés sous le numéro « 8351/022 » et de robes référencées sous le numéro « 8351/021 » fabriqués dans un tissu identique à celui de la société TLV référencé « 2505 MMPZ », version 2015 (trois parties sans fil d’argent) et version 2018 (un tissu composé de trois parties avec fils d’argent et un tissu composé uniquement de la partie centrale avec fils d’argent), se sont rendues coupables de contrefaçon de droits d’auteur dont est titulaire la société TLV,

– interdire à la société ZARA FRANCE et à la société MODACREA à compter de l’arrêt à intervenir, sous astreinte définitive de 1.500 € par infraction constatée, de détenir, d’offrir, vendre des produits contrefaisants et de les reproduire sur tous supports,

– ordonner la saisie et la destruction de tous produits, documents, ou supports contrefaisants appartenant à la société ZARA FRANCE et ce, en tous lieux où ils se trouveraient,

– juger que la sommation de communiquer délivrée le 23 juin 2020 par la société MODACREA à la société TLV est abusive, injustifiée et sans objet et qu’il y a été répondu par la société TLV,

– condamner in solidum la société MODACREA et la société ZARA FRANCE à :

– la somme de 312 576 euros à titre de dommages et intérêts selon décompte ci-dessous détaillé, au bénéfice de la société TLV du fait de l’atteinte à ses droits d’auteur, constitutive de contrefaçon :

– 21 168 euros au titre de la perte de marge pour les robes,

– 11 021 euros au titre de la perte de marge pour la blouse,

– 200 189 euros au titre des annulations de commande,

– 20 000 euros au titre du préjudice moral,

– 92 387 euros au titre des bénéfices réalisés par les contrefacteurs,

– la somme de 150 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des actes distincts de concurrence déloyale commis à l’égard de la société TLV,

– à titre infiniment subsidiaire, et au cas où la cour estimait que les faits ci-dessus ne constituent pas des actes de contrefaçon, et compte-tenu notamment du risque de confusion, confirmer le jugement et :

– juger qu’à tout le moins, ces actes constituent des agissements de concurrence déloyale et/ou parasitaire sur le fondement de l’article 1240 du code civil du fait de la société MODACREA,

– infirmer pour le surplus :

– condamner cette fois les sociétés ZARA FRANCE et MODACREA in solidum aux sommes ci-dessus indiquées, sur ce fondement soit :

– 198 000 euros à titre de dommages et intérêts accordés par le tribunal judiciaire de Paris,

– le surplus sur les sommes demandées de :

– 312 576 euros à titre de dommages et intérêts au bénéfice de la société TLV du fait de l’atteinte à ses droits d’auteur, constitutive de contrefaçon,

– 150 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre des actes distincts de concurrence déloyale commis à l’égard de la société TLV,

– soit une condamnation supplémentaire de 264 576 euros,

– condamner la société ZARA FRANCE in solidum avec la société MODACREA, à titre de supplément de dommages et intérêts, à la parution de l’arrêt à intervenir dans trois journaux au choix de la société TLV et dans une limite de 5.000 € HT maximum par insertion, ainsi que sur la page d’accueil des sites www.zara.fr et www.zara.com accessibles en France, pendant un mois en police de caractère 12 et aux frais avancés de la société ZARA FRANCE,

– à titre encore plus subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société MODACREA à la somme de 198 000 euros en réparation du préjudice subi par la société TLV du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire, tout en condamnant in solidum la société ZARA FRANCE à ces sommes,

– en tout état de cause :

– débouter les sociétés ZARA FRANCE et MODACREA de toutes leurs demandes,

– condamner in solidum la société MODACREA et la société ZARA FRANCE aux entiers dépens de première instance (comprenant notamment les frais de saisie-contrefaçon diligentés par Me [W] le 4 avril 2019 à hauteur de 1 197 euros), dont distraction au profit de Me BESSIS, avocat aux offres de droit,

– confirmer la condamnation de la société MODACREA à la somme de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de première instance et condamner la société ZARA FRANCE in solidum au paiement de cette somme,

– condamner in solidum la société MODACREA et la société ZARA FRANCE au paiement des frais irrépétibles d’appel exposés qu’il plaira à la cour de fixer à la somme de 20 000 par application de l’article 700 code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions, transmises le 17 juin 2022, la société MODACREA demande à la cour de :

Vu l’article 9 du code de procédure civile,

Vu les livres I et III du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu l’article 32-1 du code de procédure civile,

– recevoir la société MODACREA en son appel à titre principal et incident et ses conclusions et la dire bien fondée,

– infirmer le jugement en ce qu’il a :

– écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité’ des droits invoqués,

– dit le dépôt FIDEALIS au nom de la société MODACREA en date du 28 novembre 2018 concernant le tissu « KM 59801 » nul en raison de son caractère frauduleux,

– dit que la société’ MODACREA a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre de la société’ TLV en commercialisant un tissu reprenant le motif référencé 2505 MMPZ,

– condamné la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 198 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire,

– rejeté les demandes reconventionnelles fondées sur la procédure abusive,

– condamné la société MODACREA aux dépens, dont distraction au profit de Me BESSIS, avocat, auxquels s’ajouteront les frais de saisie-contrefaçon diligentées par Me [W] le 4 avril 2019, soit 1 197 euros,

– condamné la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 20 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– ordonné l’exécution provisoire »,

– et statuant à nouveau,

– juger la société TLV irrecevable en son action principale en contrefaçon et la débouter de toutes ses demandes,

– juger que le dépôt FIDEALIS du 28 novembre 2018 est valable,

– juger que la société MODACREA n’a pas commis d’actes de concurrence déloyale et parasitaire,

– débouter la société TLV de ses demandes subsidiaires fondées sur la concurrence déloyale et parasitaire,

– condamner la société TLV à payer à la société MODACREA la somme de 30.000 euros de dommages et intérêts pour procédure abusive,

– en tout état de cause :

– confirmer le jugement sur le surplus en ce qu’il a :

– « dit que le tissu référencé 2505 MMPZ n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur ;

– rejeté les demandes de la société TLV fondées sur la contrefaçon ;

– débouté la société TLV du surplus de ses demandes indemnitaires ;

– débouté la société TLV de ses demandes dirigées contre la société ZARA FRANCE ;

– rejeté les demandes de publication ;

– condamné la société TLV à payer à la société ZARA FRANCE la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile »,

– rejeter l’intégralité des demandes indemnitaires de la société TLV à l’encontre de la société MODACREA,

– condamner la société TLV à payer à la société MODACREA la somme de 25.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société TLV aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions, transmises le 2 septembre 2022, la société ZARA FRANCE demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il a écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité des droits invoqués, rejeté la demande reconventionnelle fondée sur la procédure abusive et admis partiellement la demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– statuant à nouveau,

– juger la société TLV irrecevable à agir en contrefaçon de droits d’auteur sur le tissu 2505 MMPZ et la débouter de toutes ses demandes,

– juger la société TLV irrecevable à agir en concurrence déloyale et/ou parasitaire à titre principal ou subsidiaire et la débouter de toutes ses demandes,

– subsidiairement, confirmer le jugement en ce qu’il a :

– dit que le tissu revendiqué sous la référence 2505MMPZ n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur,

– rejeté les demandes de la société TLV fondées sur la contrefaçon,

– débouté la société TLV du surplus de ses demandes indemnitaires,

– débouté la société TLV de ses demandes dirigées contre la société ZARA FRANCE,

– rejeté les demandes de publication,

– condamné la société TLV à payer à la société ZARA FRANCE la somme de 5000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– plus subsidiairement encore,

– donner acte à la société ZARA FRANCE qu’elle entend faire siens les moyens et pièces invoqués par la société MODACREA pour contester les droits et griefs formulés par la société TLV,

– condamner la société MODACREA à garantir la société ZARA FRANCE de toutes les conséquences éventuelles de ce litige notamment en principal, intérêts et frais,

– débouter la société TLV de sa demande de condamnation in solidum des sociétés MODACREA et ZARA FRANCE,

– rejeter l’ensemble des demandes de la société TLV à toutes fins qu’elles comportent,

– en toute hypothèse,

– condamner la société TLV à payer à la société ZARA FRANCE une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour saisie et procédures abusives, outre une indemnité complémentaire de 20 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société TLV aux entiers dépens de la procédure, dont distraction au profit de Me ANTOINE-LALANCE, avocat, aux offres de droit.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 11 octobre 2022.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la contrefaçon de droits d’auteur invoquée par la société TLV

Sur la recevabilité de l’action en contrefaçon : la titularité des droits invoqués par la société TLV

La société MODACREA soutient que la société TLV ne justifie pas de la titularité de ses droits sur le tissu 2505 MMPZ ; que la commercialisation de ce tissu depuis 2015 n’est en effet pas établie, pas plus que celle, depuis 2018, de la version incluant un fil lurex ; que les pièces produites par la société TLV sont dénuées de valeur probante, s’agissant pour partie d’attestations de complaisance ou de factures, d’échanges de courriels ou de textos ne faisant pas référence au motif en cause ; que la société TLV ne justifie pas de façon certaine la date à laquelle elle a commencé à assurer la commercialisation du modèle de tissu, étant incapable d’établir la chaîne de commercialisation du tissu 2505 MMPZ en 2015 sous une même référence et tentant vainement de rattacher ce tissu à 3 références distinctes (KSPW-59394B, OSLO IMP LUREX et 2505 MMPZ) ; que l’attestation de Mme [V], curieusement rédigée en français alors que son auteur est italienne, et dactylographiée en violation de l’article 202 du code de procédure civile, ce qui doit conduire à l’écarter, ne prouve pas davantage la date de création invoquée ; que la réalité du contrat de cession daté du 20 janvier 2015 est fortement contestable puisque celui-ci, prétendument signé 4 ans avant la première instance, contient mot pour mot la description faite par Mme [V] dans son attestation du 12 mars 2019, et n’est pas paraphé, les annexes reproduisant l’image d’un motif présenté comme étant le 2505MMPZ ayant pu être ajoutées pour les besoins de la cause ; qu’en ce qui concerne la version lurex de 2018, les factures produites, étrangement toutes datées des mêmes jours et non mentionnées par les experts-comptables, sont suspectes ; que par ailleurs, le robrack du tissu de 2018 a été fourni tardivement en première instance et paraît avoir été fabriqué pourles besoins de la cause ; que la description vague du tissu ne permet pas de déterminer le contour de l”uvre dont la protection est sollicitée et entretient une ambiguïté sur les dates de création afin de tenter de bénéficier de la date la plus ancienne.

La société ZARA FRANCE soutient que la société TLV est loin d’établir qu’elle est bien cessionnaire et/ou présumée titulaire des droits sur la partie du dessin 2205 MMPZ qu’elle revendique. Elle fait valoir que les pièces produites par la société MODACREA, pour partie des attestations émanant de personnes en lien d’affaires avec l’appelante et établies, selon le même modèle, pour les besoins de la cause, à les supposer recevables, n’ont aucune force probante ; qu’aucun document objectif n’établit les références et les dates de création invoquées ; que le contrat de cession est douteux (absence de date certaine, absence de paraphe, description très vague du tissu concerné) et l’attestation fournie en appui très contestable (établie en français, de façon dacylographiée, quelques jours avant l’assignation, accompagnée d’un dessin peu lisible et manifestement différent de celui qui est censé avoir été annexé au contrat de 2015) ; que les circonstances de la communication du robrack par la société TLV en toute fin de procédure devant le tribual et dans le seul but de répondre aux critiques formulées, suffisent à elles seules à priver cette pièce de toute force probante, d’autant qu’elle n’est pas datée et que les mentions manuscrites qui y ont été ajoutées, sont suspectes ; que la date de création n’est pas certaine ; que la prétendue facture de première commercialisation du 15 juin 2015 ne vise aucune des tois références censées correspondre au dessin revendiqué, pas plus que les trois bons de livraison, au demeurant non numérotés, qui y sont agrafés.

La société TLV soutient quant à elle que les pièces qu’elle fournit lui permettent de bénéficier de la présomption de titularité des droits d’auteur sur le modèle de tissu référencé 2505 MMPZ, créé en 2015, de même que sur sa déclinaison incluant des fils de lurex créée en 2018, dans la mesure où elle est seule à commercialiser ces tissus sous son nom, de manière non équivoque, notamment en France, depuis 2015 pour le premier, et depuis 2018 pour le second.

Ceci étant exposé, c’est par des motifs exacts et pertinents, tant en droit qu’en fait, que la cour adopte, que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir tirée du défaut de titularité des droits invoqués, retenant comme établissant la titularité contestée: le contrat de cession en date du 20 janvier 2015 entre la société italienne VIA VOLTA et la société TLV comportant la référence 2205 MMPZ et, en annexe, la reproduction du dessin de tissu invoqué ; l’attestation de la styliste de la société VIA VOLTA indiquant avoir conçu ce dessin ; une facture du 20 janvier 2015 de la société VIA VOLTA à la société TLV comportant la référence 2205 MMPZ ; l’attestation de l’expert-comptable de la société TLV relative aux bénéfices générés en 2015 et 2018 par l’exploitation du tissu portant cette référence ; une facture du 20 juillet 2018 de la société FEEL MAILLE portant la mention “Désignation – div Oslo imp lurex – Dessin 2205 MMPZ” ; un courriel du 16 novembre 2018 de la société MODACREA à la société italienne VIA VOLTA comportant à la fois la référence et une représentation du motif ; et un échange de textos en date du 27 novembre 2018, constatés par huissier de justice, incluant une photo du tissu, en novembre 2018, entre un certainYoni d’une société TEXBROD et le gérant de la société TLV ; ces deux derniers documents révélant qu’en novembre 2018, la société MODACREA, par l’intermédiaire de la société VIA VOLTA puis de la sociétéTEXBROD, a cherché à acquérir une maquette du motif en cause qu’elle savait être la propriété de la société TLV et dont elle considérait par conséquent qu’elle ne pouvait pas en disposer librement.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur l’originalité du motif

La société TLV explicite ainsi qu’il suit l’originalité de la partie centrale du tissu référencé 2505 MMPZ (composé de trois parties, comme il est exposé supra dans l’exposé du litige), seule concernée par le présent litige :

” – Une deuxième partie de ce tissu est caractérisée par des motifs cachemires comportant eux-mêmes à l’intérieur divers motifs floraux et des fleurs et feuilles.

A l’intérieur du motif cachemire qui se répète sur le tissu, se trouvent cinq feuilles stylisées comportant à l’intérieur une fleur de type marguerite stylisée.

Le motif cachemire présente lui-même une double bordure à traits noirs.

Les motifs floraux se retrouvent à l’extérieur du motif cachemire, soit des branches stylisées comportant des feuilles et des fleurs au bout, à quatre ou trois pétales.

Il existe également un motif fleuri et végétal, présentant des feuilles stylisées à son extrémité au nombre de trois, soit trois feuilles selon un agencement spécifique, deux feuilles encadrant une troisième de forme allongée.

Sous ces feuilles figurent trois rangées de feuilles et fleurs stylisées dont les bords de part et d’autre sont arrondis (…)”.

Elle produit en outre l’attestation de la styliste de la société VIA VOLTA qui explicite ainsi sa démarche : « J’ai voulu créer un modèle de tissu à la fois printanier et frais, lequel présente une combinaison de dessins complexes. Concernant la deuxième partie du tissu, j’ai voulu donner un aspect printanier, frais et léger. Cet aspect est évoqué par les motifs floraux et végétaux et la répétition des motifs cachemires comportant eux-mêmes un décor floral et végétal à l’intérieur. J’ai recherché un contraste entre les motifs cachemires habituellement plus utilisés pour des tissus d’hiver et des motifs floraux et végétaux évoquant la saison printanière. Ce contraste existe également entre la légèreté du tissu et la complexité des motifs dont l’agencement est spécifique. Le tissu utilisé est fluide et léger, et peut être utilisé dans toute sorte de vêtement pour une saison printemps/été.

Le tissu comporte une complexité de motifs combinés lui donnant un aspect très travaillé et pourtant très facile à porter à n’importe quelle occasion ».

La société appelante fait en outre valoir que dans un courriel du 16 novembre 2018 à la société VIA VOLTA, la société MODACREA a reconnu l’originalité du tissu 2505 MMPZ et que, de même, dans un courriel à la société BOO ROO JIN, son agent commercial coréen, elle a indiqué clairement être prête à « payer le prix de design souhaité par TLV».

La société MODACREA conteste l’originalité revendiquée, faisant valoir que la société TLV ne peut revendiquer de droits privatifs sur le modèle de tissu référencé 2505 MMPZ qui associe un motif cachemire iconique et un tissu léger, combinaison qui n’est pas ou plus appropriable par le droit d’auteur, faisant partie du fonds commun du textile.

La société ZARA FRANCE soutient, quant à elle, que la société TLV n’explicite à aucun moment les caractéristiques du tissu revendiqué lui permettant de caractériser l’empreinte de la personnalité de son auteur et son statut d”uvre de l’esprit au sens du droit d’auteur, que l’appelante se borne à se retrancher derrière le fait que la société MODACREA aurait reconnu l’originalité du tissu revendiqué et à reproduire la description du tissu revendiqué telle qu’énoncée par la prétendue créatrice, gérante de la société VIA VOLTA, une telle description, n’étant cependant pas susceptible de définir les contours d’un dessin spécifique et de caractériser le ou les éléments traduisant l’effort de création et la personnalité de l’auteur.

Ceci étant exposé, l’article L.111-l du code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une ‘uvre de l’esprit jouit sur cette ‘uvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d’ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d’ordre patrimonial. En application de l’article L.112-l du même code, ce droit appartient à l’auteur de toute oeuvre de l’esprit, quels qu’en soit le genre, la forme d’expression, le mérite ou la destination. Selon l’article L.112-2-10°, les oeuvres des arts appliqués sont considérées comme oeuvres de l’esprit.

Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d’une ‘uvre sans formalité et du seul fait de la création d’une forme originale. Néanmoins, lorsque l’originalité d’une ‘uvre de l’esprit est contestée, comme en l’espèce, il appartient à celui qui revendique la protection au titre du droit d’auteur d’identifier et d’expliciter ce qui caractérise cette originalité.

La notion d’antériorité est indifférente en droit d’auteur, celui qui se prévaut de cette protection devant plutôt justifier de ce que l’oeuvre revendiquée présente une physionomie propre traduisant un parti pris esthétique et reflétant l’empreinte de la personnalité de son auteur. Toutefois, l’originalité doit être appréciée au regard d’oeuvres déjà connues afin de déterminer si la création revendiquée s’en dégage d’une manière suffisamment nette et significative, et si ces différences résultent d’un effort de création, marquant l’oeuvre revendiquée de l’empreinte de la personnalité de son auteur.

En l’espèce, la société TLV revendique des droits d’auteur sur un tissu présentant un motif cachemire. Le motif cachemire, également appelé “paisley”, se caractérise par un enchevêtrement de feuilles et de fleurs délicates. Ce motif, aux origines persanes et/ou indiennes, est connu depuis des siècles, a été introduit en Europe au 17ème siècle et développé au 19ème siècle, notamment en Angleterre et en Ecosse (dont la manufacture de Paisley a donné son nom au motif), ainsi qu’il ressort des pièces 2 à 8, 12 et 14 de la société MODACREA, qui établissent également qu’il appartient au fonds commun du textile, et donc de la mode, masculine aussi bien que féminine, adopté par le mouvement hippie dans les années 1960 et par plusieurs marques de prêt-à-porter et du luxe (CLAUDIE PIERLOT, MAJE, ETRO, DIOR…).

En outre, la société MODACREA démontre (pages 36 à 42 de ses conclusions et sa pièce 24), que le motif de tissu décrit par la styliste de la société VIA VOLTA et revendiqué par la société TLV constitue un agencement de motifs que l’on retrouve quasi à l’identique – hormis la couleur, les motifs de l’ouvrage étant en noir et blanc – dans un ouvrage intitulé Cashmire – Traditional Paisley Motifs (vol. 1, Editions BELVEDERE, page 28), édité avec un CD-Rom en 2005, qui constitue un recueil d’illustrations de motifs cachemire présentés comme libres de droit et susceptibles d’être repris gratuitement ” à des fins de création individuelle” (pièce 15).

La reprise par la styliste de la société VIA VOLTA de motifs préexistants selon un certain agencement, dont il n’est au demeurant pas explicité en quoi la spécificité ou la complexité alléguées reflèteraient une démarche créatrice personnelle, relève d’un savoir-faire technique ou commercial, traduisant, ainsi que l’a justement retenu le tribunal, la capacité de concevoir un tissu susceptible d’être exploité avec succès dans le contexte d’une offre abondante et variée, mais ne démontre pas l’existence de sources d’inspirations particulières identifiables.

La cour fait sienne en conséquence l’appréciation du tribunal qui a estimé que la société TLV ne démontrait pas que le dessin de cachemire revendiqué procède d’un effort créatif propre à la styliste de la société VIA VOLTA, qui serait révélateur de sa personnalité et rendrait le dessin de tissu en cause éligible à la protection par le droit d’auteur.

L’application du dessin cachemire revendiqué sur un tissu fluide et léger, comme le précise la styliste, ne peut suffire à caractériser l’originalité alléguée, le motif cachemire ou “paisley” étant traditionnellement utilisé pour des cravates, foulards, robes ou chemisiers, ainsi qu’il ressort notamment des pièces 2, 3 et 12 précitées, ces accessoires et vêtements étant couramment confectionnés dans des tissus répondant à ces caractéristiques de fluidité et de légèreté.

Il est de même sans emport que dans un courriel du 16 novembre 2018 (pièce 9 TLV), la société de droit coréen MODACREA ait indiqué à la société VIA VOLTA : “Je suis heureux d’avoir la chance d’envoyer un courriel à votre entreprise…. nous avons beaucoup entendu parler de votre entreprise par nos clients et agences. Nos clients achètent vos créations par eux-mêmes et nous les envoient de temps en temps pour produire des tissus avec vos magnifiques créations… La raison pour laquelle nous vous envoyons un e-mail est que l’un de nos clients finaux nous a demandé d’envoyer l’image/l’inpiration de votre oeuvre d’art. Nous avons l’oeuvre originale comme vous pouvez le voir sur les photos ci-jointes. J’aimerais que vous nous donniez la première esquise ou l’image de son inspiration pour le design ‘2505 MM PZ’ du designer qui l’a fait en 2015 avec bonté. J’espère que vous nous les fournirez gracieusement…”, les termes délibérement flatteurs de la société MODACREA, qui souhaitait alors, dans le cadre d’une démarche purement commerciale, obtenir gratuitement le motif auprès de la société VIA VOLTA, ne pouvant valoir reconnaissance de l’originalité du dessin de tissu dans le cadre d’un litige en contrefaçon de droits d’auteur, ni lier le juge saisi d’un tel litige.

Il suit que le jugement sera confirmé en ce qu’il a dit que le tissu référencé 2505 MMPZ n’est pas protégeable au titre du droit d’auteur et rejeté, en conséquence, toutes les demandes de la société TLV fondées sur la contrefaçon.

Sur les actes de concurrence déloyale et parasitaire invoqués par la société TLV

La société TLV invoque des faits de concurrence déloyale et parasitaire distincts de ceux de contrefaçon. Elle fait valoir à cet égard que la société MODACREA, qui était son fabricant, était parfaitement informée de sa qualité de propriétaire et d’exploitante du tissu 2505 MMPZ puisqu’elle l’avait fabriqué pour son compte en 2015 ; que la société MODACREA, ayant obtenu le marché ZARA, a tenté vainement en novembre 2018 d’obtenir le tissu 2505 MMPZ auprès de la société VIA VOLTA, styliste de la société TLV, et s’est même rendue dans ses propres locaux en décembre 2018 pour une ultime tentative d’acquérir le tissu ; que la société MODACREA a donc tenté de détourner son styliste habituel, ce qui l’a désorganisée dans la mesure où plusieurs commandes fermes de clients ont été par la suite annulées ; que les sociétés MODACREA et ZARA FRANCE sont également responsables de la perte du marché qu’elle aurait pu obtenir avec la marque ZARA et que la société MODACREA a détourné à son profit.

La société TLV soutient, à titre subsidiaire, pour le cas où la contrefaçon ne serait pas retenue, qu’il existe à tout le moins des agissements de concurrence déloyale et parasitaire du fait du risque de confusion qui résulte de l’exploitation du tissu litigieux et du détournement de ses efforts qu’elle révèle. Elle fait valoir que le risque de confusion est évident compte tenu des ressemblances flagrantes entre le tissu référencé 2505 MMPZ de la société TLV et le tissu composant la blouse et la robe commercialisées par la société ZARA FRANCE ; que cette reprise ne saurait être le fruit du hasard et lui est grandement préjudiciable compte-tenu notamment de la copie quasi servile et des prix très bas pratiqués pour les vêtements confectionnés dans ce tissu et vendus par la société ZARA ; que ces faits sont aggravés par la circonstance que la société ZARA FRANCE a offert à la vente deux modèles de vêtements fabriqués dans ce tissu – une blouse et une robe -, détournant ainsi à son profit les efforts exposés par la société TLV ; que ces agissements ont entraîné deux annulations de commandes de deux clients importants et une désorganisation conséquente ; que tant la société ZARA FRANCE que la société MODACREA sont des professionnels parfaitement avisés, la société MODACREA étant en outre un ancien fournisseur de la société TLV, et qu’elle a agi en parfaite connaissance de cause.

La société MODACREA soutient que la seule démonstration d’une prétendue copie d’un motif de tissu est insuffisante à caractériser une pratique de concurrence déloyale et parasitaire ; que les prétendues ressemblances flagrantes existant entre les tissus 2505 MMPZ et KM 59801 (cette dernière référence correspondant à son dépôt FIDEALIS et au tissu litigieux) résultent d’une reprise d’un motif “paisley” existant dans le fond commun de la mode ; qu’il existe du reste de nombreuses différences entre les modèles de tissus en litige et que la robe et la blouse ZARA confectionnées avec le tissu KM 59801 de MODACREA sont totalement distinctes de la robe qui aurait été réalisée dans le tissu 2505 MMPZ, les publics concernés étant du reste différents ; que la société TLV ne démontre aucunement l’existence et la teneur de ses prétendus investissements ; que l’existence des deux commandes prétendument perdues, curieusement annulées peu de temps avant l’assignation, n’est pas établie ; qu’aucune information sur le prix de vente effectif du tissu 2505 MMPZ n’est fournie ; que la notoriété de ce tissu sur le marché n’est pas démontrée ; qu’elle n’a pas communiqué pour associer le tissu aux vêtements ZARA, lesquels n’ont d’ailleurs fait l’objet d’aucune publicité particulière ; que le tissu litigieux s’est en réalité très peu vendu ; qu’en revanche, MODACREA et ZARA ont exposé des frais importants pour la conception de ce tissu et la conception de la robe et de la blouse ZARA qui reprennent un motif appartenant au fonds commun de la mode.

La société ZARA FRANCE soutient que la société TLV ne caractérise aucune faute commise par elle dans l’exercice de son activité commerciale ; que les parties en présence ne sont pas en situation de concurrence ; qu’aucun risque de confusion n’a pu exister entre leurs activités, elle-même commercialisant en France des vêtements et accessoires de mode dans des magasins à l’enseigne ZARA et son site Internet www.zara.com/fr, sous la marque “ZARA”, bien connue du public, alors que TLV exerce uniquement une activité de vente de tissus en gros ; qu’elle s’est contentée d’offrir à la vente les deux vêtements critiqués, achetés tels quels, sans commettre le moindre acte ou comportement fautif, alors qu’elle ignorait tout de l’existence tant de la société TLV que de la société MODACREA ; qu’il n’existe aucun risque de confusion entre le tissu vendu invoqué par TLV et les deux vêtements offerts à la vente au cours de la collection P/E 2019, le tissu était différent de celui qui a pu être vendu antérieurement par la société TLV ; qu’il n’est au demeurant pas justifié que des vêtement aient été vendus dans un magasin de détail situé en France avec le tissu revendiqué par la société TLV ; que le parasitisme n’est pas plus démontré, la société TLV, qui n’a pas créé le tissu revendiqué, ne justifiant d’aucun investissement ni humain, ni financier, ni promotionnel en relation avec ce tissu qui a manifestement fait l’objet d’une commercialisation très confidentielle et est inconnu du public.

Ceci étant exposé, il sera rappelé qu’en vertu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, un produit qui n’est pas protégé par un droit privatif de propriété intellectuelle peut être librement reproduit mais dans le respect des usages honnêtes et loyaux qui doivent présider à la vie des affaires. La concurrence déloyale et le parasitisme, pareillement fondés sur l’article 1240 du code civil, sont caractérisés par application de critères distincts, la concurrence déloyale l’étant au regard du risque de confusion, considération étrangère au parasitisme qui requiert la circonstance selon laquelle, à titre lucratif et de façon injustifiée, une personne morale ou physique copie ou imite une valeur économique d’autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d’un savoir-faire, d’un travail intellectuel et d’investissements.

L’appréciation de la faute au regard du risque de confusion doit résulter d’une approche concrète et circonstanciée des faits de la cause prenant en compte notamment, le caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté de l’usage, l’originalité, la notoriété du produit copié.

Le bien-fondé d’une action en concurrence déloyale est subordonné à l’existence de faits fautifs générateurs d’un préjudice et non à l’existence d’une situation de concurrence directe et effective entre les opérteurs considérés.

Il incombe à celui qui se prétend victime d’actes de concurrence déloyale ou de parasitisme d’en rapporter la preuve.

En l’espèce, comme le tribunal l’a retenu, la comparaison entre le tissu revendiqué (partie centrale) et celui utilisé pour la confection des deux vêtements vendus par la société ZARA FRANCE révèle que les éléments du motif cachemire, sont pratiquement identiques et disposés selon le même agencement, faisant apparaître :

– les mêmes “haricots” aux bords festonnés avec trois bandes intérieures au même contenu et, à leur extrémité large et arrondie, une fleur stylisée à 5 pétales :

tissu TLV tissu MODACREA/ZARA

– les mêmes “haricots” festonnés renfermant 7 forme ovales, celles-ci contenant une fleur stylisée et un motif végétal et, sous le bord des “haricots”, le même motif végétal :

– les mêmes “haricots” festonnés contenant des motifs de fleurs à quatre pétales :

– les mêmes pointes de “haricots” rebiquant avec, sur le pourtour, la même fleur à 5 grands pétales et 3 pétales plus petits et la même petite fleur isolée à trois pétales, au bout, la même fleur stylisée et, dans le centre de la boucle, le même motif végétal :

Toutes ces ressemblances ne peuvent être dues au hasard, nonobstant le caractère relativement banal du motif en cause, dès lors que, comme il a été dit, la société MODACREA avait une parfaite connaissance du fait que ce motif appartenait à la société TLV, ayant vainement essayé de l’obtenir en novembre 2018, successivement via son agent commercial BOO ROO JIN, offrant alors de payer “le prix de design souhaité par TLV” (courriel du 14 novembre 2018 – pièce 44-2), puis via la société VIA VOLTA, sollicitant alors une remise gratuite (cf. le courriel précité du 16 novembre – pièce 9), et enfin via une société TEXBROD (pièces 34 et 39).

La fourniture par la société MODACREA à la société INDITEX, maison-mère de la société ZARA FRANCE, du tissu litigieux, très proche du tissu référencé 2505 MMPZ qu’elle savait être la propriété de la société TLV, est constitutif d’un acte de concurrence déloyale, la mise en oeuvre de ce tissu sur des vêtements ensuite commercialisés par la société ZARA FRANCE – en l’occurrence, une blouse et une robe – pouvant laisser penser que les tissus ont la même provenance et ainsi faire naître un risque de confusion, du moins aux yeux des professionnels de la création et de la vente de textiles destinés à l’habillement, la société TLV exerçant en effet non pas une activité de vente au détail de vêtements comme la société ZARA FRANCE mais une activité de vente de tissus en gros.

La fourniture de ce tissu à la société INDITEX dans des conditions déloyales a en outre privé la société TLV d’une chance de fournir elle-même la société INDITEX pour la confection des deux vétements commercialisés par la société ZARA FRANCE.

La démarche de la société MODACREA auprès de la société VIA VOLTA afin d’obtenir gracieusement le tissu de la société TLV, si elle ne peut s’analyser en une tentative de “détournement” du styliste de la société TLV, apparaît néanmoins contraire à la loyauté qui doit présider à la vie des affaires. La société MODACREA est en effet l’ancien fournisseur de la société TLV pour laquelle elle avait en outre précédemment fabriqué ce même tissu – ainsi qu’en justifie cette dernière en fournissant une attestatation de M. [Y] de la société BOO ROO JIN, ancien agent de la société MODACREA, qui indique avoir vendu le tissu correspondant au dessin 2505MMPZ (dont une reproduction photographique figure en annexe de ladite attestation) à la société TLV selon une facture du 22 mai 2015 (pièce 6 TLV), cette attestation étant du reste confirmée par le courriel précité de MODACREA à BOO ROO JIN du 14 novembre 2018 (pièce 44-2) dans lequel “[N]” de MODACREA indique “En 2015, nous avons réalisé une commande pour TLV DESIGN (Le design en pièce jointe) [le tissu 2505 MMPZ tel que présenté supra, avec ses trois parties, étant reproduit en annexe au courriel]… nous avons exécuté environ 1000 mètres. Nous aimerions utiliser ce design sur d’autres marchés… nous souhaitons utiliser uniquement le PAISLEY MOTIVE. Si cela est possible, nous serions reconnaissants que TLV transfère le design à MODACREA. Nous vous serions reconnaissants de bien vouloir consulter TLV. Nous paierons le prix de desgn souhaité par TLV…” -, ce qui montre que la société MODACREA avait connaissance des droits de la société TLV sur le tissu en cause et du fait qu’elle l’avait utilisé pour les besoins de son activité.

Les actes de parasitisme sont en outre constitués dès lors que, comme l’ont relevé les premiers juges, la société TLV démontre avoir acquis le motif 2505 MMPZ auprès de la société VIA VOLTA selon contrat “de cession de droits d’auteur” du 20 janvier 2015 moyennant le prix de 280 € (acte de cession et facture en pièces 5 et 6) et qu’elle établit avoir développé ce motif en créant une déclinaison comportant des fils de lurex commandés auprès d’une société FEEL MAILLE. De son côté, la société MODACREA, contrairement à ses affirmations, ne justifie aucunement des “frais importants” qu’elle aurait engagés pour concevoir le tissu litigieux.

Le jugement sera conséquence confirmé en ce qu’il a dit que la société MODACREA a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire à l’encontre de la société TLV en commercialisant un tissu reprenant le motif référencé 2505 MMPZ.

Sur la responsabilité de la société ZARA FRANCE

La société TLV soutient que la responsabilité de la société ZARA FRANCE est pleinement engagée dans la commission des faits de concurrence déloyale et parasitaire. Elle fait valoir que lors des opérations de saisie contrefaçon, cette société s’est gardée de révéler que le fournisseur du tissu litigieux était la société MODACREA, et n’a donné cette infomation que fort tardivement ; que le courriel du 16 novembre 2018 de la société MODACREA à la société VIA VOLTA, comme les écritures de la société MODACREA en première instance, révélent que c’est à la demande du groupe INDITEX que le tissu de la société TLV a été détourné et copié ; que la société ZARA FRANCE, en sa qualité de professionnelle, se devait de vérifier l’origine du tissu fourni par la société MODACREA.

La société ZARA FRANCE conteste toute faute de concurrence déloyale et soutient que le mail de la société MODACREA du 16 novembre 2018 ne permet aucunement d’établir qu’elle-même, pas plus qu’une autre entité du groupe INDITEX, au demeurant non partie à la procédure, aurait sollicité le dessin litigieux ; que si elle n’a pas indiqué lors des opérations de saisie-contrefaçon que le fournisseur du tissu litigieux était la société MODACREA, c’est qu’à cette date elle l’ignorait.

Ceci étant exposé, c’est pour de justes motifs, adoptés, que le tribunal a débouté la société TLV de ses demandes dirigées contre la société ZARA FRANCE, retenant notamment qu’il n’est pas établi qu’elle aurait cherché à s’arroger le droit d’utiliser le tissu litigieux en connaissance des droits de la société TLV.

Il sera précisé que si dans le courriel précité du 16 novembre 2018, la société MODACREA, tentant d’obtenir le tissu de la société TLV via la société VIA VOLTA, indique : “… La raison pour laquelle nous vous envoyons un e-mail est que l’un de nos clients finaux nous a demandé d’envoyer l’image/l’inpiration de votre oeuvre d’art…”, rien ne permet d’établir que le client final ainsi visé est la société ZARA FRANCE – les écritures de première instance de la société MODACREA (pièce 52-5-3, page 3) ne le mentionnant pas contrairement à ce qui est soutenu – ou la société INDITEX (non partie à la présente procédure), et en tout état de cause, que la société ZARA FRANCE aurait cherché ainsi à obtenir le tissu litigieux en méconnaissance des droits de la société TLV.

Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur les mesures réparatrices

Sur les demandes indemnitaires de la société TLV

La société TLV réclame la somme de 150 000 € pour la perte du marché ZARA invoquée au titre des actes distincts de concurrence déloyale, faisant valoir que le tribunal ne s’est pas prononcé sur ce point, et celle de 312 576 € au titre des actes de concurrence déloyale invoqués à titre subsidiaire.

La société MODACREA oppose que la marge de 3 € par mètre de tissu pour la confection des 4 976 vêtements ZARA est erronée dès lors qu’il aurait fallu prendre en compte le fait que seule la partie centrale du tissu 2505 MMPZ est concernée par le présent litige, qui ne représente que 20 cm du tissu, et qu’il convient donc de limiter la demande à ce titre à une marge de 20 % du mètre de tissu, soit 0,60 € par mètre ; que la fabrication d’une robe nécessitant 2,73 m de tissu et celle d ‘une blouse 1,34 m, TLV ne pourrait prétendre au maximum qu’à la somme totale de 5 922,27 € (3 852,576 € pour les 2 352 robes et 2109,69 € pour les 2 624 blouses) ; qu’elle-même n’a réalisé qu’une très faible marge de 1 291,82 € (sur la base de 0,13 centimes d’euro par mètre) sur la vente du tissu KM 59801, tel qu’attesté par son expert-comptable ; que les deux commandes prétendument annulées, invraisemblables au regard de leur date et des ventes antérieures du même tissu par TLV, n’ont probablement jamais existé, les pièces versées à cet égard étant de pure complaisance ; qu’elle n’a jamais pu obtenir les pièces susceptibles de justifier de leur réalité (originaux des avoirs édités au profit des deux clients, annulations des commandes par TLV auprès de son fabricant, extraits de comtes de TLV établissant le règlement d’acomptes par les prétendus clients…).

Ceci étant exposé, il sera rappelé que le tribunal a évalué le préjudice subi par la société TLV en prenant en compte, d’une part, la perte subie du fait de l’utilisation du tissu litigieux pour la fabrication des vêtements commercialisés par la société ZARA FRANCE (pour 2 352 robes x 3m de tissu x 3 € de marge brute par mètre (cette marge résultant de l’attestation de l’expert-comptable de la société TLV – pièce 2) + 2 624 blouses x 1,4 m de tissu x 3 € de marge brute par mètre), soit 30 000 €, ce dont il ressort que le tribunal a bien pris en considération le gain manqué par la société TLV résultant du fait qu’elle a été indûment privée du marché avec ZARA par suite de l’appropriation de son tissu par la société MODACREA, d’autre part, la perte de marge brute subie du fait de l’annulation de deux commandes, soit 168 000 €.

En ce qui concerne la perte subie du fait de l’utilisation du tissu litigieux pour la fabrication des vêtements commercialisés par la société ZARA FRANCE, le jugement n’encourt pas de critique, la quantité de tissu nécessaire à la confection des 4 976 vêtements commercialisés par la société ZARA FRANCE étant la même quelle que soit la partie du tissu 2505 MMPZ utilisé.

La société TLV prétend que l’utilisation du tissu litigieux pour des vêtements commercialisés par la société ZARA FRANCE a entraîné l’annulation de deux commandes, l’une le 27 mars 2019 par la société LOUIZON portant sur 31 000 mètres de la version lurex du tissu 2505 MMPZ commandés le 11 octobre 2018 pour une livraison prévue le 6 mai 2019 et un prix de 170 500 € HT, l’autre le 28 mars 2019 par la société DANDYS portant sur 25 000 mètres du même tissu commandé le 26 novembre précédent pour une livraison prévue la première semaine de juin 2019 et un prix de 143 000 € HT. Dans son courrier du 27 mars 2019, la société LOUIZON indique annuler sa commande “suite à la parution de l’imprimé chez ZARA à des prix déloyals (sic)” et la société DANDYS, à la suite d’un courriel du 27 mars 2019 de la société TLV l’informant spontanément que le tissu commandé était commercialisé chez ZARA depuis la fin du mois de février, indique à son tour, le 28 mars 2019, qu’elle se voit “dansl’obligation d’annuler cette cde car la cliente ne peut pas commercialiser des vêtements à de tels bas prix”.

La cour constate cependant que les quantités et montants concernés par ces deux commandes, très considérables ainsi que l’a relevé le tribunal, sont sans commune mesure avec les chiffres mentionnés sur l’attestation de l’expert-comptable de la société TLV (pièce 2) qui fait état d’un bénéfice brut pour les exercices 2015 et 2018, respectivement de 2 540 € et de 59 583 €, le tissu vendu en 2018 étant manifestement la version “lurex” du tissu 2505 MMPZ, soit celle concernée par les deux commandes annulées prétendues. Ces quantités et montants sont également très éloignés de ceux figurant sur les factures annexées à des attestations fournies par la société TLV des gérants de trois de ses clientes, les sociétés JUST M, VIE TA VIE et MY STORY (pièces 10 à 12 TLV), qui portent sur une quantité moyenne commandée en 2018 par chacun de ces clients de 6 500 mètres de tissu “lurex” moyennant un prix moyen de 36 000 € HT, étant souligné que ces chiffres concernent, pour chacun de ces trois clients, 3 ou 4 factures réparties sur l’année 2018 concernée. En outre, comme le souligne la société MODACREA, les factures fournies par la société TLV concernant les deux commandes annulées sont des factures proforma, i.e. émises à titre seulement informatif pour le client, et aucun autre élément concret et vérifiable ne vient étayer la thèse de l’annulation de commandes (ex. justificatifs de commandes de TLV auprès de son fabricant pour satisfaire les quantités de tissu commandées, de règlement d’acomptes par les deux clients…). Enfin, le tissu commandé, “fluide et léger” comme le décrit la société TLV et destiné à être “utilisé dans toute sorte de vêtement pour une saison printemps/été” (cf. attestation précitée de la styliste de la société VIA VOLTA), devait être livré en mai et juin, ce qui paraît incompatible avec une commercialisation de vêtements pour la saison printemps/été.

Ces éléments jettent un doute sérieux sur l’existence des deux commandes annulées prétendues et conduisent par conséquent à les écarter dans le cadre de l’évaluation du préjucie subi par la société TLV.

En revanche, celle-ci a nécessairemet subi un préjudice lié à la banaliation de son dessin de tissu qui s’est retrouvé sur des vêtements commercialisés par l’enseigne ZARA.

Comme il a été dit, la société TLV a souffert aussi d’un comportement parasitaire du fait de l’appropriation par la société MODACREA du tissu acquis auprès de la société VIA VOLTA et développé en version “lurex”.

Elle a également subi un préjudice moral du fait que les actes de concurrence déloyale et de parasitisme dont elle a été la victime sont le fait d’un de ses anciens partenaires en affaires.

La somme de 40 000 € lui sera allouée pour ces différents chefs de préjudice.

C’est donc en définitive, la somme de 70 000 € qui sera allouée à la société TLV en réparation de ses préjudices résultant des faits de concurrence déloyale et parasitaire de la société MODACREA.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les autres demandes

Le préjudice de la société TLV étant suffisamment réparé par les dommages-intérêts alloués, il ne sera pas fait droit aux demandes de publicité, le jugement étant confirmé sur ce point.

Sur la demande de garantie de la société ZARA FRANCE à l’encontre de la société MODACREA

Les demandes de condamnation visant la société ZARA FRANCE ayant été rejetées, la demande de garantie de cette dernière dirigée contre la société MODACREA est donc sans objet.

Sur la demande de la société TLV d’annulation du dépôt FIDEALIS effectué par la société TLV

La société MODACREA soutient que le dépôt FIDEALIS qu’elle a effectué le 28 novembre 2018 concernant le tissu KM 59801 est valable, que ce tissu est constitué d’un motif “paisley” unique et en ce sens différent du modèle 2505MMPZ de la société TLV qui comporte trois motifs distincts, que le tissu KM 59801 fait partie intégrante de son catalogue qui a été présenté à ses clients, dont ZARA, et a fait l’objet d’une demande d’échantillons complémentaires par ZARA à la suite d’un rendez-vous en septembre 2018, que le dépôt FIDEALIS était donc parfaitement légitime et licite et ne révèle aucune fraude, qu’elle est d’ailleurs intervenue volontairement à l’instance en première instance.

La société TLV demande la confirmation du jugement de ce chef, soutenant que la société MODACREA a procédé de mauvaise foi et de façon illicite à un enregistrement FIDEALIS pour un tissu référencé KM59801, après les refus des sociétés TLV et VIA VOLTA de lui céder son dessin de tissu 2505 MMPZ.

Il résulte des développements qui précèdent que le dépôt FIDEALIS d’un dessin de tissu KM 59801 effectué le 28 novembre 2018 au nom de la société MODACREA en toute connaissance par celle-ci du fait que ce dessin de tissu reprenait le motif cachemire du tissu de la société TLV, à savoir la partie centrale de son tissu référencé 2505 MMPZ, a été effectué en fraude des droits de cette dernière.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a dit ce dépôt FIDEALIS nul en raison de son caractère frauduleux.

Sur les demandes des sociétés reconventionnelles des sociétés MODACREA et ZARA FRANCE pour procédure abusive

Le sens de la présente décision prive de fondement la demande de la société MODACREA formée contre la société TLV pour procédure abusive.

La demande de la société ZARA FRANCE n’est pas plus fondée, celle-ci ne démontrant pas la la faute commise par la société TLV qui aurait fait dégénérer en abus son droit d’agir en justice, l’intéressée ayant pu légitimement se méprendre sur la responsabilité de la société ZARA FRANCE dans les faits reprochés.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a rejeté les demandes reconventionnelles fondées sur la procédure abusive et les demandes, en ce qu’elles seraient formées pour la procédure d’appel, seront également rejetées.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société MODACREA, partie perdante sur l’essentiel, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me BESSIS, avocat, dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et les frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de la société MODACREA au titre des frais non compris dans les dépens exposés par la société TLV peut être équitablement fixée à 10 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

L’équité ne commande pas de faire droit en cause d’appel à la demande formée par la société ZARA FRANCE au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a condamné la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 198 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société MODACREA à payer à la société TLV la somme de 70 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis du fait des actes de concurrence déloyale et parasitaire ;

Y ajoutant,

Rejette les demandes formées au titre de la procédure abusive,

Condamne la société MODACREA aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me BESSIS, avocat, dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, et au paiement à la société TLV de la somme de 10 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile, pour l’appel,

Rejette la demande formée en appel par la société ZARA FRANCE en application du même texte.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


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