Mise en garde de contrefaçon : une question de forme

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Si le breveté doit mettre en garde les contrefacteurs indirects contre une contrefaçon s’il veut les constituer de mauvaise foi en application de l’article L. 615-1, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, il n’en demeure pas moins que cette mise en garde doit être exprimée en termes mesurés.

Dans les lettres visées, la société GMT invoque son brevet européen et vise la société Sanergrid comme fournisseur de produits reproduisant les revendications de ce brevet. Si elle s’adresse à son correspondant comme à « une victime d’une potentielle contrefaçon », elle poursuit dans des termes plus directs parlant d’actes de contrefaçon auxquels celui-ci aurait pu contribuer de mauvaise foi et sollicite sa collaboration à la fourniture d’informations concernant les faits reprochés, pour le relever de toute responsabilité.

Ces propos vont au-delà d’une simple mise en garde d’un tiers qui pourrait être recherché pour contrefaçon.

En conséquence, les actes de dénigrement à l’égard de la société Sanergrid étaient bien caractérisés.


 

Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 2

ARRÊT DU 30 JUIN 2023

(n°112, 15 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : n° RG 21/14616 – n° Portalis 35L7-V-B7F-CEGBS

Décision déférée à la Cour : jugement du 09 juillet 2021 – Tribunal Judiciaire de PARIS – 3ème chambre 2ème section – RG n°18/09547

APPELANTE AU PRINCIPAL et INTIMEE INCIDENTE

S.A.S. GMT, agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège social situé

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Immatriculée au rcs d’Avignon sous le numéro 481 665 040

Représentée par Me Arnaud GUYONNET de la SCP AFG, avocat au barreau de PARIS, toque L 0044

Assistée de Me Luc-Marie AUGAGNEUR plaidant pour la SELARL CORNET -VINCENT – SEGUREL, avocat au barreau de LYON

INTIMEES AU PRINCIPAL et APPELANTES INCIDENTES

S.A.S. SANERGRID, prise en la personne de son dirigeant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 1]

[Localité 2]

Immatriculée au rcs de Lyon sous le numéro 808 040 463

S.A.S. SONEC, prise en la personne de son dirigeant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social situé

[Adresse 1]

[Localité 2]

Immatriculée au rcs de Lyon sous le numéro 499 189 637

Représentées par Me Françoise ESCOFFIER, avocate au barreau de PARIS, toque E 457

Assistées de Me Olivier MOUSSA plaidant pour la SELARL SHIFT AVOCATS, avocat au barreau de LYON, case 194

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 6 avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Véronique RENARD, Présidente, en présence de Mme Agnès MARCADE, Conseillère, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport

Mmes Véronique RENARD et Agnès MARCADE ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Véronique RENARD, Présidente

Mme Laurence LEHMANN, Conseillère

Mme Agnès MARCADE, Conseillère

Greffière lors des débats : Mme Carole TREJAUT

ARRET :

Contradictoire

Par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

Signé par Mme Véronique RENARD, Présidente, et par Mme Carole TREJAUT, Greffière, présente lors de la mise à disposition.

Vu le jugement contradictoire rendu le 9 juillet 2021 par le tribunal judiciaire de Paris.

Vu l’appel interjeté le 26 juillet 2021 par la société GMT.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 9 janvier 2023 par la société GMT, appelante et incidemment intimée.

Vu les dernières conclusions remises au greffe et notifiées par voie électronique le 24 décembre 2022 par les sociétés Sanergrid et la Sonec, intimées et appelantes incidentes.

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 19 janvier 2023.

SUR CE, LA COUR,

Il est expressément renvoyé, pour un exposé complet des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures précédemment visées des parties.

La SAS GMT se présente comme un intervenant dans le secteur de l’énergie et la protection de l’environnement qui conçoit, fabrique et distribue des équipements destinés à la rétention des huiles, l’extinction naturelle, l’extinction active ainsi que la filtration des eaux pluviales autour des transformateurs électriques.

Elle est titulaire du brevet européen EP 2 932 387 B1 (EP 387) désignant la France déposé le 1er juin 2011, délivré le 22 janvier 2014, et ayant pour intitulé « dispositif de sécurité modulaire pour la récupération et l’extinction de produits inflammables pouvant fuir d’un transformateur électrique ».

La SAS Sanergrid a été créée en 2014 par M. [F] [T], qui est un ancien salarié de la filiale espagnole de la société GMT. Elle commercialise en France des équipements électriques et des matériels relatifs aux transformateurs, parmi lesquels des dispositifs anti incendie fabriqués par la SAS Sonec qu’elle vient de racheter. La société Sanergrid emploie notamment M. [G] [U], également ancien salarié de la société GMT, dont il est toujours actionnaire via la société Shemay.

De nombreuses procédures tant civiles que pénales, pour certaines toujours en cours et sans lien avec le présent litige, opposent les parties de même que leurs anciens salariés.

La société GMT expose avoir découvert sur le site internet de la société Sanergrid que celle-ci offrait à la vente des « bacs coupe-feu modulaires pour stations électriques » reproduisant selon elle les caractéristiques protégées par son brevet européen, et appris que ces produits avaient été vendus à certains de ses clients, ce qu’elle a fait constater par procès-verbaux d’huissier de justice dressés les 3 avril et 2 mai 2017.

Y étant préalablement autorisée par ordonnance sur requête du 12 avril 2018, elle a ensuite fait procéder à des opérations de saisie-contrefaçon qui se sont déroulées le 10 juillet 2018 sur un chantier réalisé par la société Schneider Electric en qualité de maître d”uvre pour le compte de la société Montjean Energies.

La société GMT a alors fait assigner d’une part, la société Sanergrid par acte en date du 3 août 2018 et d’autre part, la société Sonec par acte en date du 23 décembre 2019, les deux procédures ayant été jointes, en contrefaçon des revendications 1, 2 et 3 du brevet EP 387 ainsi qu’en concurrence parasitaire.

C’est dans ce contexte qu’a été rendu le jugement dont appel qui a :

– dit n’y avoir lieu de statuer sur la validité de l’assignation du 3 août 2018 et celle du 23 décembre 2019,

– annulé les revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet européen n°2 392 387,

– dit que le jugement une fois devenu définitif sera transmis à l’INPI à l’initiative de la partie la plus diligente aux fins de transcription,

– rejeté les demandes fondées sur la contrefaçon des revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet européen n° 2 392 387,

– rejeté les demandes fondées sur le parasitisme,

– condamné la société GMT à verser à la société Sanergrid la somme de 30 000 euros en réparation des actes de dénigrement commis à son encontre,

– rejeté les demandes tendant à l’information des partenaires commerciaux et clients de la société GMT,

– condamné la société GMT aux dépens qui seront recouvrés par Me Escoffier conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,

– condamné la société GMT à payer aux sociétés Sanergrid et Sonec ensemble une somme de 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société GMT a relevé appel de cette décision et demande à la cour de :

‘ infirmer le jugement en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau

‘ rejeter les demandes de nullité du brevet EP 2392387 B1 formées par les sociétés Sanergrid et Sonec, et dire ledit brevet valable,

‘ dire et juger que les sociétés Sanergrid et Sonec se sont livrées à des actes de contrefaçon en ce qui concerne les revendications 1, 2, 3, du brevet EP 2392387 B1,

‘ interdire aux sociétés Sanergrid et Sonec de fabriquer, faire fabriquer, assembler, commercialiser, exporter, distribuer et/ou présenter à la vente tout produit couvert par le brevet européen n°EP 23992387 « Dispositif de sécurité modulaire pour la récupération et l’extinction de produits inflammables pouvant fuir d’une transformateur électrique », et ce sous astreinte définitive de 1 500 euros par jour de poursuite des agissements contrefaisants définis ci-avant, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte directement,

‘ condamner solidairement les sociétés Sanergrid et Sonec à lui verser les sommes provisionnelles, à parfaire, de 400 000 euros au titre des conséquences économiques négatives subies, 100 000 euros au titre du préjudice moral, et 200 000 euros au titre des bénéfices indus, du fait des actes de contrefaçon du brevet EP 2392387 B1,

A titre subsidiaire,

‘ dire et juger que les sociétés Sanergrid et Sonec se sont livrées à des actes de parasitisme à son préjudice,

‘ condamner solidairement les sociétés Sanergrid et Sonec à lui verser les sommes à parfaire de 160 000 euros à titre de parasitisme et de 100 000 euros pour l’atteinte à son image,

En tout état de cause,

‘ rejeter la demande reconventionnelle de la société Sanergrid à la voir condamner au titre du dénigrement,

‘ ordonner la publication de l’arrêt à intervenir dans son intégralité ou par extraits dans,

– cinq journaux ou publications professionnelles de son choix et aux frais solidaires des sociétés Sanergrid et Sonec sans que le coût de chaque insertion ne puisse excéder la somme de 5 000 euros hors taxe,

– sur la page d’accueil des sites Internet des sociétés Sanergrid et Sonec https://www.sanergrid.com/fr/ et https://www.sonec.fr, et tout autre site Internet exploité par ces dernières, en langue française, anglaise et espagnole, pendant une durée de quatre mois à compter de la signification de l’arrêt à intervenir dans un encart qui ne pourra être inférieur à 1000 X 1000 pixels en haut de la ligne de flottaison, dans une police 12, et ce sous astreinte définitive de 1 000 euros par jour de retard, passé le délai de huit jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte directement,

‘ faire injonction aux sociétés Sanergrid et Sonec de communiquer des documents comptables certifiés permettant de déterminer les quantités exactes de produits et les documents techniques relatifs au dispositif contrefait, importés, commandés, reçus, livrés et vendus par les sociétés Sanergrid et Sonec sous astreinte définitive de 500 euros (cinq cent euros) par jour de retard, passé le délai de huit jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir, la Cour se réservant le droit de liquider l’astreinte directement,

‘ ordonner la destruction aux frais des sociétés Sanergrid et Sonec de tous les bacs contrefaisants et qu’il lui en soit justifié dans les 30 (trente) jours suivant la signification de l’arrêt à intervenir,

‘ condamner solidairement les sociétés Sanergrid et Sonec à lui verser la somme de 40 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ condamner solidairement les sociétés Sanergrid et Sonec aux entiers dépens de l’instance, en ceux compris le remboursement des frais relatifs aux opérations de saisie-contrefaçon et de constat.

Les sociétés Sanergrid et Sonec demandent à la cour de :

– confirmer le jugement en ce qu’il a annulé les revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet européen n°2 392 387,

– ordonner la transmission à l’INPI de l’arrêt à intervenir, par la partie la plus diligente, aux fins de transcription,

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes en contrefaçon de ce brevet,

– confirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes en parasitisme,

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté la société GMT de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– confirmer le jugement en ce qu’il a jugé la société GMT coupable de dénigrement à l’encontre de la société Sanergrid, mais infirmer le jugement pour porter cette indemnité à la somme de 50 000 euros,

– réformer le jugement et condamner la société GMT à adresser aux sociétés Montjean Energies, Theil Rabier Energies, Rematelec, Dishelec, Drawcat, Incobe, Omexom et à la SNCF une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dans les 15 jours de l’arrêt à intervenir, leur indiquant selon les termes de l’arrêt avoir vu les revendications 1, 2 et 3 de son brevet annulées, avoir été déboutée de sa demande en contrefaçon, avoir été déboutée de sa demande en concurrence déloyale et parasitisme, avoir été condamnée pour dénigrement, en français ou en espagnol selon la langue dans laquelle elle a initialement écrit à ces sociétés, le tout avec copie intégrale de l’arrêt, et à justifier de ces envois à la société Sanergrid,

– condamner l’appelante aux entiers dépens de l’instance, distraction faite au profit de Me Escoffier, sur ses offres de droit,

– condamner l’appelante à payer aux intimées une somme de 45 000 euros au titre des frais exposés non compris dans les dépens.

Il convient tout d’abord de relever que le débat sur la régularité de la procédure de première instance figurant dans le corps des écritures des parties est sans objet devant la cour, le tribunal ayant dit n’y avoir lieu de statuer sur la validité de l’assignation du 3 août 2018 et celle du 23 décembre 2019 et les parties ne formant aucune demande à ce titre dans le dispositif de leurs dernières écritures, la cour n’ayant à statuer que sur les prétentions énoncées au dispositif.

– Sur la contrefaçon du brevet EP 387

Sur l’objet et la portée du brevet

Le brevet EP 387 est intitulé ‘Dispositif de sécurité modulaire pour la récupération et l’extinction de produits inflammables pouvant fuir d’un transformateur électrique’.

Selon la description paragraphe [0001], l’invention concerne un dispositif de sécurité pour la récupération des produits inflammables pouvant fuir d’un transformateur électrique, ledit dispositif comportant un capot dit de sécurité pour éviter que lesdits produits ne prennent feu et /ou pour éteindre les produits en feu lors de leur fuite. Le dispositif suivant l’invention trouvera de nombreuses applications notamment dans le domaine des équipements pour réseaux de distribution de l’électricité et en particulier aux fosses ou bacs de rétention d’huile pour transformateurs électriques.

L’art antérieur cité aux paragraphes [0004] à [0013] de la description, est composé de dispositifs comportant une fosse placée sous les transformateurs électriques remplis de galets qui ne permettent toutefois pas d’assurer une sécurité suffisante en cas d’inflammation des huiles, le feu pouvant se propager ; un dispositif plus sécurisé comprenant une fosse sous le transformateur permettant de recueillir les fuites liquides comportant un capot composé des lamelles rapprochées pentues permettant aux produits coulants un accès au bac tout en évitant l’alimentation suffisante en oxygène pour permettre d’entretenir une combustion des huiles si celles-ci devaient prendre feu ; les brevets WO2009/016203 divulguant un dispositif d’extinction pour bac ou fosse de rétention d’huile polluante dont l’écoulement de l’huile est plus rapide et améliorant encore la sécurité, et FR 2 607 709 décrivant un réceptacle d’extinction par isolement d’un combustible liquide enflammé comportant des bacs élémentaires juxtaposés et des ‘illets d’assemblage pour solidariser et mettre en communication certains au moins des bacs adjacents par au moins un passage, ce pour éviter l’incendie lors de l’évacuation urgente ou accidentelle du liquide inflammable. Il est indiqué au paragraphe [0014] que ce réceptacle d’extinction est inadapté pour un transformateur électrique qui est volumineux et lourd qui nécessite d’importants travaux de terrassement longs et couteux.

Le but de l’invention paragraphe [0017] est de proposer, pour remédier aux problèmes posés par l’art antérieur, un dispositif de sécurité pour la récupération des produits dangereux pouvant fuir d’un transformateur électrique, ledit dispositif comportant un capot dit de sécurité pour éviter que lesdits produits ne prennent feu et/ou pour éteindre les produits en feu lors de leur fuite, de conception simple, peu onéreuse, modulaire et pouvant être utilisé pour toute taille de transformateur.

Le brevet tel que délivré comporte 4 revendications dont seules les revendications 1, 2 et 3 sont invoquées par l’appelante à l’appui de son action en contrefaçon.

Ces revendications se lisent comme suit :

1. Dispositif de sécurité pour la récupération de produits dangereux pouvant fuir d’un transformateur électrique utilisé dans un réseau de distribution électrique, ledit dispositif comportant un capot dit de sécurité (15) pour éviter que lesdits produits ne prennent feu et/ou pour éteindre les produits en feu lors de leur fuite, caractérisé en ce qu’il est constitué d’au moins deux bacs étanches (1) présentant une forme sensiblement parallélépipédique comportant une paroi de fond (2) horizontale, deux parois transversales verticales (3) et deux parois longitudinales verticales (4), les parois transversales (3) de chaque bac (1) faisant saillie au-delà des parois longitudinales (4) pour former de chaque côté du bac (1) des ailes de fixation (5), chaque aile de fixation (5) comportant une pluralité de trous (6) aptes à recevoir des boulons (7) et des écrous (8), le bord supérieur de l’une des parois transversales (3) de chaque bac (1) comportant un profilé en forme de U (9) dont la concavité est orientée vers le bas, ledit profilé en U (9) venant coiffer le bord supérieur de la paroi transversale (3) du bac (1) adjacent pour assurer l’étanchéité de la liaison entre lesdits bacs (1) et en ce que chaque bac (1) comporte le long de ses parois longitudinales (4), à proximité de son fond (2), au moins deux trous (11) aptes à recevoir une conduite coudée (12) pour mettre en communication deux bacs adjacents (1), au moins un bac (1) comportant des moyens de support du transformateur constitués de deux poutrelles métalliques (10) s’étendant transversalement à l’extrémité supérieure du ou des dits bacs (1), dont l’écartement est égal à l’écartement des pieds du transformateur, la largeur de chaque poutrelle étant supérieure à la largeur de chaque pied dudit transformateur électrique.

2. Dispositif suivant la revendication 1 caractérisé en ce que chaque bac (1) comporte une conduite dite de trop plein (13) s’étendant depuis le fond du bac (1) et débouchant le long d’au moins une de ses parois longitudinales (4), à proximité de son bord supérieur.

3. Dispositif suivant l’une quelconque des revendications 1 ou 2 caractérisé en ce que chaque bac (1) comporte à son extrémité supérieure un capot de sécurité (15) coiffant ledit bac (1) et constitué de lamelles transversales (16).

La définition de l’homme du métier retenue par le tribunal comme un ingénieur spécialisé dans la conception de bacs anti-feu qui dispose de compétences dans les domaines mécanique et thermique ainsi que dans la conception et la fabrication des dispositifs en cause est reprise par la cour.

Sur la validité des revendications 1, 2 et 3

L’article L. 614-12, premier alinéa, du code de la propriété intellectuelle dispose que :

« La nullité du brevet européen est prononcée en ce qui concerne la France par décision de justice pour l’un quelconque des motifs visés à l’article 138, paragraphe 1, de la Convention de Munich. »

Selon l’article 138 de la Convention de Munich sur le brevet européen (CBE) :

(1) Sous réserve de l’article 139, le brevet européen ne peut être déclaré nul, avec effet pour un Etat contractant, que si : (‘)

c) l’objet du brevet européen s’étend au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée ou, lorsque le brevet a été délivré sur la base d’une demande divisionnaire ou d’une nouvelle demande déposée en vertu de l’article 61, si l’objet du brevet s’étend au-delà du contenu de la demande antérieure telle qu’elle a été déposée (‘) »

L’article 123 (2) de cette Convention prévoit que :

« La demande de brevet européen ou le brevet européen ne peut être modifié de manière que son objet s’étende au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée. »

La société GMT critique le jugement déféré qui a annulé les revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet EP 387 en raison de l’extension de l’objet du brevet européen au-delà de la demande telle que déposée par une généralisation intermédiaire indue, la caractéristique selon laquelle « les poutrelles métalliques sont solidarisées sur les parois longitudinales 4 par tous moyens appropriés tel que par soudage par exemple » figurant au paragraphe 28 de la description n’ayant pas été reprise à la revendication 1 modifiée en cours d’examen. Elle fait valoir que la solidarisation des poutrelles n’est pas une caractéristique essentielle à la répartition et à la transmission des charges mais ne fait que fournir un exemple de réalisation avec une solidarisation par des moyens particuliers, et l’absence d’implication d’un lien indissociable entre les caractéristiques de dimensionnement et de solidarisation des poutrelles, la caractéristique liée à la fixation des poutrelles ayant simplement été juxtaposée aux caractéristiques afférentes à leurs dimensions sans lien fonctionnel entre elles.

Elle conteste également le grief retenu par le tribunal de suppression d’une caractéristique essentielle dans la revendication 1. Elle estime que la suppression de la caractéristique : « et des conduites aptes à mettre en communication lesdits bacs », remplacée par : « deux trous (11) aptes à recevoir une conduite coudée (12) pour mettre en communication deux bacs adjacents (1) », consiste en des modifications rédactionnelles procédant d’une simple mise en cohérence. Elle ajoute que le caractère coudé de la conduite est un élément rapportable éventuellement échangeable. Elle soutient que le paragraphe 29 de la demande de brevet divulgue deux trous « aptes à recevoir une conduite coudée » de sorte que cette formulation constitue un support à la modification de la revendication au sens de l’article 123, paragraphe 2 de la convention dur le brevet européen (CBE).

A peine de nullité du brevet, l’objet d’une demande de brevet ne peut être étendu au-delà de la demande initiale et sont interdites les généralisations intermédiaires indues comme la suppression des caractéristiques essentielles.

Il ressort des éléments fournis au débat par les parties que la demande initiale de brevet EP 387 comportait 9 revendications et a été modifiée en cours de procédure d’examen devant l’Office européen des brevets (OEB) en suite d’une notification du 9 novembre 2011 objectant que la demande ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 52 (1) CBE, l’objet de la revendication principale 1 n’étant pas nouveau comme celui de la revendication 2, celui des revendications 3 à 9 étant dépourvu d’activité inventive. Le brevet EP 387 tel que délivré comporte désormais 4 revendications, la revendication principale 1 ayant été largement modifiée pour répondre à l’objection fondée sur le défaut de nouveauté de l’examinateur de l’OEB en y intégrant notamment les caractéristiques des revendications 2, 3, 4, 5 et 6.

La revendication principale 1 dans la demande de brevet initiale EP 387 était rédigée comme suit :

« 1. Dispositif de sécurité pour la récupération de produits dangereux pouvant fuir d’un transformateur électrique, ledit dispositif comportant un capot dit de sécurité (15) pour éviter que lesdits produits ne prennent feu et/ou pour éteindre les produits en feu lors de leur fuite, caractérisé en ce qu’il est constitué d’au moins deux bacs étanches (1) comportant des moyens de solidarisation (5, 6, 7, 8) des bacs (1) entre eux et des conduites (12), aptes à mettre en communication lesdits bacs (1), au moins un bac (1) comportant des moyens de support (10) du transformateur ».

Ainsi, ont notamment été insérées dans la revendication principale 1 les trois caractéristiques suivantes : « au moins un bac (1) comportant des moyens de support du transformateur constitués de deux poutrelles métalliques (10) s’étendant transversalement à l’extrémité supérieure du ou des dits bacs (1), dont l’écartement est égal à l’écartement des pieds du transformateur, la largeur de chaque poutrelle étant supérieure à la largeur de chaque pied dudit transformateur électrique » (souligné par la cour).

Ainsi que le font valoir les intimées, ces trois caractéristiques étaient divulguées dans le demande initiale en lien avec une quatrième caractéristique.

En effet le paragraphe [0028] de la description de la demande initiale (devenu 0027 dans le brevet tel que délivré) se lit ainsi : « Par ailleurs, en référence aux figures 1 à 4, le bac central 1 du dispositif comporte des moyens de support du transformateur électrique, non représentés sur les figures. Ces moyens de support consistent dans deux poutrelles métalliques 10 s’étendant transversalement à l’extrémité supérieure du bac central 1. L’écartement de ces poutrelles métalliques 10 de support est égal à l’écartement des pieds du transformateur électrique et la largeur de ces poutrelles est supérieure à la largeur de chaque pied du transformateur électrique. Ces poutrelles métalliques 10 sont solidarisées sur les parois longitudinales 4 par tous moyens appropriés tels que par soudage par exemple (souligné par la cour).

Cette quatrième caractéristique concernant la solidarité entre les poutrelles métalliques 10 et les parois longitudinales 4 n’est pas reprise dans la revendication principale 1.

Or, le fait d’extraire une caractéristique spécifique en l’isolant d’une combinaison de caractéristiques divulguées initialement, et de l’utiliser pour délimiter l’objet revendiqué ne peut être autorisé au sens de l’article 123 (2) de la CBE que s’il n’existe pas de liens structurels et fonctionnels entre les caractéristiques concernées.

La société GMT comme les intimées sont d’accord pour dire que le problème technique notamment résolu par le brevet est celui de la transmission de la charge du transformateur vers le bac [paragraphes 0014 à 0016].

Les caractéristiques ci-dessus visent à répondre à ce problème technique qu’est la transmission de la charge du transformateur vers le bac.

La société GMT soutient en vain que cette quatrième caractéristique non reprise dans la revendication 1 n’est pas essentielle au motif que l’expression « s’étendant transversalement à l’extrémité supérieure du ou desdits bacs » permet de comprendre que la revendication comporte déjà l’indication d’une caractéristique liée à la problématique de la reprise d’effort entre le transformateur et le bac.

En effet, la solidarisation des poutrelles ne fait pas, comme l’affirme à tort l’appelante, que fournir un exemple de réalisation avec des moyens de solidarisation particulier, cette solidarisation avec les parois longitudinales visant à résoudre le problème technique ci-dessus énoncé permettant la transmission de la charge lourde du transformateur avec les parois longitudinales.

De même, l’ensemble de ces caractéristiques présentent un lien structurel et fonctionnel. Comme ci-avant précisé, cet ensemble vise à résoudre le problème technique de la transmission du poids très important du transformateur électrique depuis les poutrelles jusqu’à la structure du bac auquel participe la solidarisation des poutrelles aux parois longitudinales, et ne se limite pas à la coopération entre les poutrelles et les pieds du transformateur. La société GMT ne soutient pas utilement que ces caractéristiques sont décrites séparément et juxtaposées alors qu’elles sont présentées au sein d’un même paragraphe de la description pour indiquer les moyens de support du transformateur électrique.

La société GMT a également modifié la revendication principale 1 en supprimant une caractéristique initialement prévue : « et des conduites (12) aptes à mettre en communication lesdits bacs ».

Il n’est satisfait aux exigences de l’article 123(2) que si la substitution ou la suppression d’une caractéristique s’inscrit dans les limites de ce que l’homme du métier est objectivement en mesure, à la date de dépôt (ou à la date de priorité selon l’article 89), de déduire directement et sans équivoque de l’ensemble des pièces de la demande, en se fondant sur ses connaissances générales.

Cette caractéristique est considérée comme essentielle par les sociétés intimées qui invoquent le paragraphe [0029] de la description de la demande initiale (devenu 0028 dans le brevet tel que délivré) selon lequel : « De plus, en référence aux figures 1 à 6, chaque bac comporte le long de ses parois longitudinales 4, à proximité du fond 2, au moins deux trous 11 aptes à recevoir une conduite coudée 12 pour mettre en communication deux bacs adjacents. Dans cet exemple particulier de réalisation, lesdits trous 11 s’étendent l’un au-dessus de l’autre et reçoivent respectivement une conduite coudée 12 flexible. Néanmoins, il est bien évident que les conduites flexibles 12 pourront être substituées par des conduites rigides. De plus, chaque bac 1 comporte une conduite dite de trop plein 13 s’étendant depuis le fond 2 du bac 1 et débouchant le long d’au moins une de ses parois longitudinales 3, à proximité de son bord supérieur ».

Le problème que se propose de résoudre l’invention est notamment de sécuriser la récupération des produits dangereux pouvant fuir d’un transformateur électrique en évitant que lesdits produits ne prennent feu et/ou en éteignant les produits en feu lors de leur fuite. Le titulaire du brevet a précisé à l’examinateur de l’OEB dans le cadre de sa réponse à l’objection qui lui était opposée que « le problème que se propose de résoudre l’invention est la récupération de la totalité du volume des produits inflammables fuyant du transformateur électrique sans avoir à surélever exagérément le transformateur électrique [0030] et de répartir l’ensemble de la charge du transformateur électrique sur une grande surface de sorte qu’il est particulièrement adapté pour des transformateurs devant être installés sur des sols meubles [0031] ».

La caractéristique qui consiste à prévoir des conduites aptes à mettre en communication les bacs a bien été supprimée et non pas modifiée. En effet, la caractéristique selon laquelle « chaque bac (1) comporte le long de ses parois longitudinales (4), à proximité de son fond (2), au moins deux trous (11) aptes à recevoir une conduite coudée (12) pour mettre en communication deux bacs adjacents » ne prévoit pas la présence de « conduites aptes à mettre les bacs en communication ».

La mise en cohérence rédactionnelle invoquée par la société GMT est inopérante, l’invention telle que déposée initialement prévoyant bien au paragraphe [0029] précité un dispositif comportant des conduites coudées flexibles ou rigides, ce quand bien même sont également prévus les trous aptes à les recevoir, ces conduites étant nécessaires pour éviter l’écoulement du fluide vers l’extérieur, les trous étant sur les parois longitudinales alors que ce sont les parois transversales qui sont jointes. Aussi, la société GMT soutient en vain que l’expression retenue dans la revendication 1 du brevet délivré est celle figurant au paragraphe [0029] qui ne se limite pas aux trous dans les parois mais prévoient la présence de conduites (12) comme le confirment les dessins. Le paragraphe [0019] également évoqué par l’appelante concerne la conduite de trop plein qui remplit une autre fonction et n’a pas vocation à être reliée.

Il en va de même, pour les raisons qui précèdent, du caractère rapportable de cette conduite coudée alléguée par l’appelante, l’objet revendiqué n’étant pas configuré de telle sorte qu’il est en mesure de coopérer avec un objet extérieur (les conduites coudées) ne faisant pas partie de la revendication, les conduites coudées étant une partie intégrante du dispositif.

En effet, la présence de ces conduites est présentée comme essentielle dans la divulgation de l’invention déposée initialement au regard de l’objectif recherché qui est de répartir le fluide s’écoulant du transformateur dans les bacs en permettant la communication entre les bacs, tout en assurant l’étanchéité de ceux-ci.

Cette suppression d’une caractéristique essentielle est prohibée par l’article 123 (2) de la CBE et c’est à raison que le tribunal a annulé la revendication 1 sur le fondement de cet article et non sur celui de l’article 123(3) de la CBE ainsi que le soutient à tort la société GMT.

La revendication 1 est donc nulle, le brevet EP 387 ayant été modifié de manière que son objet s’étende au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée. Le jugement mérite confirmation de ce chef.

Les revendications 2 et 3 sont des revendications dépendantes. La revendication 2 concerne la conduite de trop plein qui s’étend du fond du bac et débouche le long d’au moins une des parois longitudinales. La revendication 3 porte sur le capot de sécurité que comporte chaque bac à son extrémité supérieure.

Néanmoins, ces deux revendications doivent également être considérées comme nulles souffrant du même grief que la revendication 1, le brevet européen en cause ayant été modifié de manière que son objet s’étende au-delà du contenu de la demande telle qu’elle a été déposée.

Les revendications 2 et 3 doivent être annulées et le jugement confirmé de ce chef.

Les revendications 1, 2 et 3 de la partie française du brevet EP 387 ayant été annulées pour les motifs précités, il n’y a pas lieu d’examiner les griefs d’insuffisance de description et de défaut d’activité inventive également invoqués par les intimées.

Les revendications opposées de la partie française du brevet EP 387 ayant été annulées, l’ensemble des demandes de la société GMT au titre de la contrefaçon de la partie française de ce brevet seront rejetées et le jugement également confirmé de ce chef.

– Sur les actes de concurrence parasitaire

A titre subsidiaire, la société GMT reproche aux sociétés Sonec et Sanergrid d’avoir commis des actes de parasitisme à son préjudice. Elle critique le jugement déféré qui a rejeté ses demandes à ce titre en faisant valoir que les différences alléguées entre les produits ne sont pas suffisantes à exclure la reprise de la valeur économique qu’elle a créée. Elle soutient qu’il existe de nombreux autres dispositifs techniques très différents disponibles sur le marché de la protection environnementale des transformateurs électriques, de sorte que l’imitation de son produit ne peut procéder que d’une intention parasitaire des sociétés intimées, que l’imitation de son produit résulte d’une démarche volontaire déloyale qui n’a été rendue possible que par la détention d’informations privilégiées détournées par M. [U] et qu’en tout état de cause, les différences relevées par le tribunal n’apparaissent pas suffisamment significatives.

Le principe de la liberté du commerce implique qu’un produit qui n’est pas l’objet de droits privatifs peut être librement reproduit et commercialisé à moins que la reproduction ou l’imitation du produit ait pour objet ou pour effet de créer un risque de confusion entre les produits dans l’esprit du public, comportement déloyal constitutif d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil.

Le parasitisme consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.

La demande en concurrence déloyale et parasitaire présente un fondement délictuel et il incombe en conséquence à la société GMT de rapporter la preuve d’un agissement fautif des sociétés Sanergrid et Sonec commis à son préjudice par la création d’un risque de confusion et / ou la captation des investissements consentis pour développer un produit phare.

En l’absence de droit privatif, la seule reprise de caractéristiques que la société GMT qualifie d’innovantes n’est donc pas en soi fautive, ce quand bien même différents autres dispositifs remplissant les conditions imposées par les normes en vigueur en matière de traitement des hydrocarbures et de respect de l’environnement préexistaient sur le marché. L’absence d’antériorités pertinentes, à supposer établie, est tout aussi indifférente.

De même les « efforts créatifs » allégués par la société GMT qui ne sont pas démontrés sont insuffisants à caractériser des agissements parasitaires.

La société GMT soutient que les sociétés Sanergrid et Sonec disposaient de nombreuses autres possibilités techniques et qu’elles ont délibérément choisi l’essentiel du dispositif qu’elle a réalisé avec d’autant plus de facilités qu’elles ont pu bénéficier de données techniques détournées par M. [U].

Il ressort des éléments fournis au débat et notamment de l’arrêt de la cour d’appel de Nîmes en date du 30 juin 2020 que M. [U], ancien salarié de la société GMT en qualité de directeur opérationnel, s’est associé avec un de ses anciens collègues de la société GMT, M. [T], en vue de concurrencer cette dernière et détourner à leur profit l’un de ses fournisseurs et des distributeurs, M. [U] ayant été embauché le 31 mars 2016 par la société Sanergrid fondée par M. [T]. M. [U] a été condamné par l’arrêt précité de la cour d’appel de Nîmes pour violation de la clause de non-concurrence dont il était tenu à l’égard de la société GMT.

Selon les conclusions du rapport d’expertise en date du 16 août 2019 fourni au débat par l’appelante (pièce 7H GMT), expertise qui a été réalisée dans le cadre de l’information judiciaire ouverte des chefs d’abus de confiance et de complicité d’abus de confiance auprès d’un juge d’instruction du tribunal de grande instance, devenu tribunal judiciaire d’Avignon, « les documents appréhendés auprès de M. [G] [U] ont pour vocation de décrire des matériels et leur assemblage, lesquels relèvent d’un savoir-faire élaboré par la société qui revendique le document ou contractuellement transmis. La technicité décrite relève donc bien d’une valeur pour la société commerciale puisque le savoir-faire détenu permet une production qui, par sa vente, induit le revenu financier de l’entreprise. Le contenu de ce type de document relève donc de l’actif immatériel de la personne morale qui a élaboré ou qui détient contractuellement ces éléments ».

Cette pièce, si elle émane d’un dossier d’instruction en cours, peut néanmoins être régulièrement communiquée par la société GMT, partie civile dans le cadre de cette information judiciaire, la partie civile, qui n’est pas soumise au secret de l’instruction, tient en effet de l’article 114, alinéa 6, du code de procédure pénale la faculté de produire dans une instance civile, pour les besoins de sa défense, la copie d’un rapport d’expertise ordonnée par le juge d’instruction.

Il résulte de ce qui précède que M. [U] était en possession de pièces émanant de la société GMT dont il a pu faire bénéficier la société Sanergrid qui l’employait.

Si la captation d’un savoir-faire d’un concurrent est constitutive d’une faute, il résulte néanmoins des éléments fournis par les sociétés Sonec et Sanergrid que les bacs de rétention avec poutrelles métalliques sont proposés par la société Sonec depuis janvier 2010 alors que M. [U] était encore salarié de la société GMT (pièce 33 intimées). En outre, comme pertinemment relevé par le tribunal au vu du procès-verbal de saisie-contrefaçon en date du 10 juillet 2018 et du croquis fourni du dispositif de la société Sanergrid (pièces 6A et 6E GMT), le dispositif proposé par les intimées diffère de celui de la société GMT en ce que ce sont les parois longitudinales et non les parois transversales qui forment saillies, ce qui procède d’un choix de conception différent.

En effet, dans le dispositif GMT, les parois transversales sont collées sans espace l’une à l’autre et l’étanchéité est assurée par le profilé en forme de U d’une paroi transversale qui vient recouvrir la paroi voisine, les parois transversales formant saillie au-delà des parois longitudinales pour être assemblées. Dans le dispositif proposé par les sociétés Sanergrid et Sonec, les intimées expliquent que les deux parois transversales ont chacune un profilé en forme de U formé vers l’extérieur qui ménagent un espace entre les parois, cet espace assurant une meilleure tolérance aux déformations et permettant des coûts de fabrication moindres. Dans ce dispositif ce sont donc les parois longitudinales qui forment saillie pour être assemblées. Si dans le procès-verbal de saisie-contrefaçon, l’huissier instrumentaire constate que les parois transversales sont accolées, le U formé par chaque paroi étant tourné vers l’intérieur du bac, il n’en demeure pas moins que cette accolement des parois et le profilé en U vers l’intérieur ne suffisent pas à permettre l’étanchéité entre les bacs qui est assurée dans ce dispositif par une casquette placée sur les deux parois transversales.

Comme également relevé par le tribunal, les intimées exploitent donc un dispositif modulaire constitués de bacs adjacents assemblés de façon à répartir les fluides mais dont le mode de conception est différent de celui de la société GMT, ces différences n’étant pas mineures comme le soutient à tort l’appelante.

Il apparaît de ce qui précède que les intimées n’ont pas utilisé le savoir-faire ni les investissements de la société GMT pour concevoir le dispositif argué de parasitisme ce quand bien même M. [U] était en possession d’éléments appartenant à son ancien employeur, la société GMT.

La société GMT échouant à caractériser des agissements parasitaires commis à son préjudice par les sociétés Sonec et Sanergrid, sera déboutée de l’ensemble de ses demandes à ce titre.

Le jugement entrepris sera également confirmé de ce chef.

– Sur la demande incidente de la société Sanergrid au titre du dénigrement

La société GMT critique le jugement entrepris qui a retenu qu’elle avait commis des actes de dénigrement au préjudice de la société Sanergrid alors qu’elle n’a fait qu’avertir des clients d’une potentielle contrefaçon du brevet dont elle est titulaire et les mettre en garde d’une éventuelle complicité.

Il ressort des deux lettres fournies au débat (pièces 14 et 15) adressées par la société GMT le 4 juillet 2018 aux sociétés Montjean Energies et Theil Rabier Energies, que la société GMT informe ces deux sociétés qu’elle est titulaire d’un brevet européen, qu’elle a eu connaissance « de ce que la société Sanergrid fournissait à certains de nos clients des bacs coupe-feu modulaires pour station électrique reproduisant les revendications de notre brevet. Nous pensions que vous avez pu être victime d’une potentielle contrefaçon … », annonçait qu’une saisie-contrefaçon allait être menée « en Charente chez l’une de ces victimes » et précisait : « Quoiqu’il en soit et dès lors que votre société n’aurait pas contribué de mauvaise foi aux actes de contrefaçon allégués et qu’elle collabore à la fourniture de toutes informations utiles relatives aux matériels contrefaisants, nous entendons vous relever de toute responsabilité et conséquences pécuniaires liées à l’achat desdits matériels ».

Si le breveté doit mettre en garde les contrefacteurs indirects contre une contrefaçon s’il veut les constituer de mauvaise foi en application de l’article L. 615-1, alinéa 3, du code de la propriété intellectuelle, il n’en demeure pas moins que cette mise en garde doit être exprimée en termes mesurés.

Dans les lettres ci-dessus visées, la société GMT invoque son brevet européen et vise la société Sanergrid comme fournisseur de produits reproduisant les revendications de ce brevet. Si elle s’adresse à son correspondant comme à « une victime d’une potentielle contrefaçon », elle poursuit dans des termes plus directs parlant d’actes de contrefaçon auxquels celui-ci aurait pu contribuer de mauvaise foi et sollicite sa collaboration à la fourniture d’informations concernant les faits reprochés, pour le relever de toute responsabilité.

Ces propos vont au-delà d’une simple mise en garde d’un tiers qui pourrait être recherché pour contrefaçon.

En conséquence, les actes de dénigrement à l’égard de la société Sanergrid sont caractérisés.

L’indemnisation du préjudice subi par cette dernière, dont elle justifie par la dissuasion de certains clients de poursuivre des relations d’affaires avec elle, a été justement évalué par le tribunal au vu des éléments fournis au débat, à la somme de 30 000 euros qui sera également retenue par la cour. Cette indemnisation suffit à indemniser l’entier préjudice de la société Sanergrid et sa demande tendant à voir condamner la société GMT à adresser un démenti aux clients destinataires des lettres critiquées sera rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

Le sens de l’arrêt conduit à confirmer les dispositions du jugement concernant les dépens et les frais irrépétibles.

Partie perdante, la société GMT est condamnée aux dépens d’appel et à payer aux sociétés Sanergrid et Sonec, en application de l’article 700 du code de procédure civile, une indemnité complémentaire qui sera, en équité, fixée à la somme de 15 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant dans les limites de l’appel,

Confirme le jugement entrepris,

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société GMT à payer aux sociétés Sanergrid et Sonec, ensemble, la somme complémentaire de 15 000 euros,

Condamne la société GMT aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

La Greffière La Présidente