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L’autoentreopreneur est soumis à une présomption de non salariat, il lui appartient donc, s’il souhaite prouver l’existence d’un contrat de travail avec son donneur d’ordres, de prouver le lien de subordination.
L’article L 8221-6 du code du travail dispose que sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales.
La loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi PINEL », a supprimé la dispense d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés visant les commerçants micro-entrepreneurs.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que M. [D] exerçait une activité de paysagiste en qualité d’auto entrepreneur, de sorte qu’il lui appartient de renverser la présomption de non salariat en démontrant que, dans le cadre de ses fonctions de paysagiste, il était sous un lien de subordination avec M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf.
Afin d’établir l’existence de ce lien de subordination, M. [D] indique que M. [T] a été son unique client et donneur d’ordre des prestations de paysagiste et réglait directement les factures d’honoraires, qu’une seule demande d’attestation de cotisations sociales a été effectuée, qu’il a effectué ses prestations avec les mêmes moyens et matériels que ceux utilisés comme régisseur, sur le même lieu de travail, qu’un pacte d’associés le liait à M. [T] qui précisait en son article 5 que ‘chacune des parties s’engageait à consacrer la totalité de son activité professionnelle pour les associés titulaires d’un contrat de travail à la société.’
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
En l’espèce, il ne ressort pas des éléments produits par l’appelant l’existence d’ordres, de directives données par M. [T] dans le cadre de ses fonctions de paysagiste.
Il est établi par les intimés et non contesté par l’appelant que M. [D] a réalisé des prestations paysagistes au sein du domaine dès 2015 soit antérieurement à la signature de son contrat de travail avec la société et qu’il a poursuivi postérieurement.
M. [D] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un contrôle de la part de M. [T] ou de la société dans le cadre de ses fonctions de paysagiste, ne démontre pas l’existence d’un pouvoir disciplinaire.
13 avril 2023
Cour d’appel de Rouen
RG n°
22/02430
N° RG 22/02430 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JEHR
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE
SECURITE SOCIALE
ARRET DU 13 AVRIL 2023
DÉCISION DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DU HAVRE du 05 Juillet 2022
APPELANT :
Monsieur [V] [D]
Chez Mme [E] [F]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
présent
représenté par Me Céline BART de la SELARL EMMANUELLE BOURDON-CÉLINE BART AVOCATS ASSOCIÉS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Anne BRULLER, avocat au barreau de PARIS
INTIMES :
Monsieur [J] [T]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représenté par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Emmanuel BURGET, avocat au barreau de PARIS
S.A.S. SAINT FIACRE DE DAUBEUF
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentée par Me Vincent MOSQUET de la SELARL LEXAVOUE NORMANDIE, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Emmanuel BURGET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 22 Février 2023 sans opposition des parties devant Madame BIDEAULT, Présidente, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame BIDEAULT, Présidente
Madame POUGET, Conseillère
Madame DE BRIER, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme DUBUC, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 22 Février 2023, où l’affaire a été mise en délibéré au 13 Avril 2023
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 13 Avril 2023, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame BIDEAULT, Présidente et par Mme WERNER, Greffière.
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Le château de Daubeuf situé au sein du Domaine du Grand Daubeuf est une propriété privée, classée monument historique.
En 2014, M. [T] et son épouse ont acquis le domaine en vue de le restaurer et de l’ouvrir au public.
Dans un premier temps, M. [T] a créé l’association Daubeuf Partage qui oeuvre dans le domaine de la réinsertion par le travail de chômeurs de longue durée ainsi qu’au bien être d’enfants placés en foyer ou d’enfants handicapés.
Le domaine du Grand Daubeuf a été ouvert au public au cours de l’année 2017.
Ainsi, la société Saint Fiacre de Daubeuf a été créée.
La société, qui avait pour associé unique M. [T], a pour objet la location et visite du château de Daubeuf et de ses dépendances, l’organisation d’événements, la vente de produits agricoles ainsi que la formation, la promotion et le développement du jardinage et de la culture des plantes.
A compter de 2015, en sa qualité de paysagiste indépendant, M. [D] a réalisé des prestations au sein du domaine.
Par contrat de travail en date du 1er mars 2017, la société Saint Fiacre de Daubeuf a embauché M. [D] en qualité de régisseur du domaine, le contrat de travail à durée indéterminée prévoyant une embauche à mi-temps à compter du 1er février 2017 pour une rémunération brut mensuelle de 1 550 euros. Une prime d’un montant total de 5 000 euros brut était mentionnée au titre de la rémunération variable.
Par avenant en date du 1er avril 2019, le statut cadre était accordé au salarié, la durée de travail était portée à 3 jours et demi par semaine soit 106,17 heures mensuelles et la rémunération mensuelle brut était fixée à 2 916,67 euros.
A compter du 1er juillet 2020 le salarié a été placé en arrêt de travail.
Estimant que son employeur avait gravement manqué à son égard à ses obligations légales et contractuelles, le salarié a saisi le 18 décembre 2020 le conseil de prud’hommes du Havre d’une demande tendant à voir prononcer la résiliation de son contrat de travail avec tous les effets attachés à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Le 7 janvier 2021, à l’issue de la visite de reprise, le médecin du travail a rendu l’avis suivant :’Inapte au poste en une seule visite dans le cadre de l’article R 4624-42 du code du travail. Etude de poste le 05/01/2021. Concertation avec l’employeur le 05/01/2021. Apte à un poste de travail dans une autre structure et lieu de travail.’
Par courrier en date du 14 janvier 2021, la société Saint Fiacre de Daubeuf a proposé au salarié un poste de reclassement en qualité de régisseur du domaine de la Croix de Bontar dans le département du Var.
Par courrier du 20 janvier 2021, M. [D] a refusé ce poste.
Par courrier en date du 21 janvier 2021, l’employeur a fait connaître au salarié les motifs s’opposant à son reclassement et par courrier en date du 22 janvier 2021 l’a convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 janvier 2021.
M. [D] a été licencié pour inaptitude physique et impossibilité de reclassement par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 5 février 2021 motivée comme suit :
‘Par courrier recommandé en date du 22 janvier 2021, nous vous avons convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 29 janvier 2021 à 8 heures 30, auquel vous ne vous êtes pas présenté.
Par la présente, nous vous informons que nous sommes contraints de vous notifier votre licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Comme vous le savez, à l’issue de l’examen médical de reprise du 7 janvier 2021 consécutif à votre absence due à un arrêt maladie non professionnel, vous avez été déclaré inapte à votre emploi de régisseur du Domaine du Grand Daubeuf avec la précision suivante : ‘Apte à un poste de travail dans une autre structure et autre lieu.’
Après avoir effectué les recherches nécessaires, nous vous avons proposé, par courrier recommandé du 14 janvier 2021, un reclassement sur un poste adapté à vos capacités, à savoir régisseur du Domaine de la Croix de Bontar, que vous avez expressément refusé par lettre recommandée du 20 janvier 2021.
Par courrier du 21 janvier 2021, nous vous avons fait part des motifs s’opposant à votre reclassement.
En effet, en dépit de nos recherches, aucun autre poste de reclassement compatible avec les conclusions du médecin du travail n’est disponible.
Compte tenu de votre inaptitude, d’origine non professionnelle, médicalement constatée à votre poste et de cette impossibilité de reclassement, nous sommes donc dans l’obligation de procéder à votre licenciement.
Par conséquent, votre contrat de travail est rompu à la date d’envoi de la présente, soit le 3 février 2021.
Votre préavis ne pouvant être effectué du fait de votre inaptitude, ne fera pas l’objet d’une rémunération. Il sera néanmoins pris en compte pour le calcul de votre ancienneté et donc de l’indemnité de licenciement que vous percevrez.(…)’
Par jugement du 5 juillet 2022, le conseil de prud’hommes du Havre a :
– dit et jugé qu’il n’existait pas de contrat de travail entre M. [D] et M. [J] [T],
– en conséquence, en application de l’article 81 du code de procédure civile, s’est déclaré incompétent pour juger le contentieux opposant M. [D] à M. [J] [T] et invité M. [D] à mieux se pourvoir,
– dit que le contrat de travail de M. [D] était sur la base d’un temps partiel et que son activité indépendante au profit de M. [J] [T] ne justifie pas la requalification du contrat de travail à temps plein,
– dit que M. [D] ne rapporte pas la preuve de manquements graves de la société Saint Fiacre de Daubeuf,
– dit qu’il n’y a pas lieu de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [D] aux torts de son employeur,
– en conséquence, a débouté M. [D] de l’intégralité de ses demandes,
– débouté les parties de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [D] aux entiers dépens.
M. [D] a interjeté appel le 19 juillet 2022 à l’encontre de cette décision qui lui a été régulièrement notifiée.
Par ordonnance en date du 21 juillet 2022, M. [D] a été autorisé à assigner les parties défenderesses à jour fixe pour l’audience du 20 octobre 2022.
La société Saint Fiacre de Daubeuf et M. [T] ont constitué avocat par voie électronique le 10 août 2022.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 10 février 2023, le salarié appelant sollicite l’infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
– déclarer irrecevable et en tout état de cause infondée l’exception d’incompétence matérielle soulevée sur les demandes formées à l’encontre de M. [T] ès qualités d’employeur particulier en application des articles 75 et 81 du code de procédure civile,
– requalifier le contrat à durée indéterminée à temps partiel du 1er mars 2017 modifié par avenant du 1er avril 2019 en un contrat à durée indéterminée à temps complet sur la base d’une rémunération brut mensuelle de 5 083 euros pour 151,67 heures de travail, assorti de l’établissement des bulletins de paie régularisés,
– prononcer aux torts exclusifs de l’employeur la résiliation judiciaire de son contrat de travail à la date de l’envoi de la lettre de licenciement et dire en tout état de cause le licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser les sommes suivantes :
15 249 euros brut d’indemnité compensatrice de préavis,
1 524,90 euros brut de congés payés sur préavis,
5 845,45 net euros d’indemnité légale de licenciement,
67 000 euros d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser ses documents de rupture (certificat de travail, bulletin de paie régularisé, solde de tout compte, attestation Pôle Emploi),
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser la somme de 1 600 euros brut à titre de rappel d’un reliquat de rémunération variable assorti des bulletins de paie régularisés,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser la somme de 30 098 euros au titre de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l’obligation de santé et de sécurité,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour non prise de repos compensateur,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser les sommes de 1 321 euros à titre de remboursement de ses frais de communications téléphoniques professionnelles et de 2 915 euros à titre de remboursement de ses frais d’indemnités kilométriques,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser la somme de 70 000 euros à titre de rémunération complémentaire pour invention du salarié,
– condamner solidairement M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à lui verser la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions enregistrées au greffe et notifiées par voie électronique le 15 février 2023, M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf, intimés, réfutant les moyens et l’argumentation de la partie appelante, sollicitent pour leur part la confirmation de la décision déférée en toutes ses dispositions, demandent que soit rejetée l’intégralité des demandes formées par M. [D], qu’il soit condamné à leur verser à chacun la somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et qu’il soit condamné aux entiers dépens.
A l’audience du 20 octobre 2022, l’affaire a été renvoyée à l’audience du 22 février 2023 à la demande des parties.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2023.
Il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des prétentions et moyens présentés en cause d’appel aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1/ Sur l’exception d’incompétence matérielle
Le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent en application de l’article 81 du code de procédure civile pour juger du contentieux opposant M. [D] à M. [T] en l’absence de contrat de travail entre les parties.
M. [D] sollicite l’infirmation du jugement entrepris de ce chef soutenant en premier lieu que le conseil de prud’hommes a méconnu son obligation en ce qu’il n’a pas désigné le juge qu’il estimait compétent, précisant enfin qu’il sollicite la reconnaissance d’un coemploi de M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf et que l’affirmation du conseil selon laquelle cette notion s’applique exclusivement dans le cadre de groupes de sociétés est erronée.
M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf requièrent la confirmation du jugement entrepris de ce chef.
Ils rappellent que M. [D] était exclusivement salarié de la société Saint Fiacre de Daubeuf, qu’en l’absence de contrat de travail liant M. [D] à M. [T], le conseil de prud’hommes est incompétent.
Sur ce ;
L’article L 1411-1 du code du travail dispose que le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti.
Le conseil de prud’hommes est donc compétent dans les litiges nés du contrat de travail ou dans un contentieux qui trouve son origine dans celui-ci, que ce soit au moment de sa conclusion, de son exécution ou de sa rupture.
Il est également compétent pour statuer sur la détermination d’une situation de coemploi ainsi que sur les conséquences de la reconnaissance d’une telle situation, telles qu’alléguées par le salarié, lesquelles se traduisent par une demande de condamnation solidaire de M. [T] et de la société Saint Fiacre de Daubeuf à des dommages et intérêts, des rappels de salaire ou encore au paiement des indemnités de rupture.
Le jugement entrepris doit être infirmé en ce que le conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent pour juger si M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf étaient ou non coemployeurs.
2/ Sur la demande au titre de l’irrecevabilité des demandes nouvelles
La cour rappelle qu’en application de l’article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif des écritures.
En l’espèce, les intimés ne forment aucune demande d’irrecevabilité des demandes nouvelles au dispositif de leurs écritures et sollicitent uniquement la confirmation du jugement entrepris.
A la lecture du jugement, la cour constate que les intimés avaient formé cette demande d’irrecevabilité de la demande relative à l’illégitimité du licenciement.
Cependant, le conseil de prud’hommes a omis de statuer sur la demande d’irrecevabilité soulevée, a débouté le salarié de sa demande relative à la légitimité du licenciement.
Les intimés ne sollicitant pas la réparation de l’omission de statuer au dispositif de leurs écritures, il y a lieu de considérer que la cour n’en est pas saisie.
3/ Sur le coemploi
Le salarié sollicite que M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf soient condamnés solidairement au paiement de l’intégralité des sommes sollicitées arguant de l’existence d’un coemploi.
Il affirme qu’il existait à la fois une confusion des employeurs et une confusion des activités.
Il conteste l’affirmation retenue par le conseil de prud’hommes selon laquelle le coemploi serait une notion exclusivement applicable aux groupes de sociétés.
Les intimés contestent l’existence d’un coemploi. Après avoir rappelé que la preuve du coemploi incombe au salarié, ils soutiennent que les critères de confusion d’intérêts, d’activité et de direction invoqués par l’appelant sont obsolètes et ne peuvent être invoqués que dans le cadre de groupes de sociétés.
Ils considèrent que le salarié ne démontre nullement la prétendue confusion d’intérêts, de direction et d’activités qu’il allègue, qu’il ne démontre pas l’immixtion permanente et entière de M. [T] dans la gestion économique et sociale de la relation de travail entre M. [D] et la société Saint Fiacre. Ils précisent que le salarié n’établit pas avoir été sous la subordination juridique de M. [T].
Sur ce ;
Il peut y avoir coemploi lorsque, dans le cadre d’un même contrat de travail, le salarié est dans un rapport de subordination avec plusieurs employeurs.
Le coemploi peut également être reconnu lorsqu’il existe une confusion d’intérêts, d’activité ou de direction entre l’employeur du salarié et une autre personne physique ou morale.
Si le coemploi est souvent observé dans des groupes de société, la notion est également applicable à une association ou un employeur particulier.
Ainsi, il peut être distingué le ‘coemploi juridique’ du ‘coemploi sociétaire’.
Le « coemploi juridique » permet de constater l’existence de coemployeurs en cas de double lien de subordination constaté par le fait qu’une pluralité d’employeur exerce, sur un même salarié, les prérogatives de l’employeur. Cette situation de coemploi suppose d’établir le lien de subordination unissant un salarié à une société prétendument coemployeur.
L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que le domaine du Grand Daubeuf est à la fois la propriété de M. [T] qui y vit mais qu’il est également exploité par la société Saint Fiacre de Daubeuf et l’association Daubeuf Partage.
M. [D] a été embauché par la société Saint Fiacre aux termes d’un contrat de travail à temps partiel en qualité de régisseur du domaine.
Son contrat de travail stipule au titre de ses missions qu’il planifie et contrôle l’exécution des tâches du personnel de la société mais également des jardiniers salariés directement par le propriétaire, M. [T], de sorte que M. [D] devait rendre compte directement à M. [T], en qualité d’employeur particulier, des tâches exécutées par ses salariés et, notamment, de celles effectuées par son propre époux, M. [G], embauché personnellement par M. [T].
Il ressort des éléments du dossier que M. [D] obéissait aux instructions de M. [T] à la fois en sa qualité de représentant de la société Saint Fiacre de Daubeuf mais également en sa qualité d’employeur particulier.
Le salarié établit l’existence de réunions de coordination tous les 15 jours le samedi matin avec M. [T], ces réunions portant sur la coordination de l’ensemble des points de l’organisation du site.
Il établit qu’il était destinataire des agendas et fiches horaires des salariés embauchés directement par M. [D], notamment M. [G], les intimés ne communiquant pas la liste des salariés du domaine afin de distinguer ceux embauchés directement par M. [T] et ceux embauchés par la société Saint Fiacre du Daubeuf.
Il se déduit de ces éléments que l’appelant devait rendre compte directement à M. [T] des missions et temps de travail des salariés directement employés par lui.
Au vu de ces éléments, la cour constate que M. [D] a exercé ses prestations de travail en qualité de régisseur sous la double subordination de M. [T] et de la société Saint Fiacre du Daubeuf.
En conséquence, la situation de coemploi est caractérisée.
Au regard de la situation de coemploi, M. [T] et la société Saint Fiacre du Daubeuf seront condamnées in solidum au paiement des différents sommes auxquelles elles seront condamnées.
4/ Sur la demande de requalification du contrat de travail
M. [D] soutient être fondé à obtenir la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet sur la base d’une rémunération brute mensuelle de 5 083 euros.
Il expose que son activité indépendante de paysagiste s’est progressivement exercée au seul profit du domaine, celle-ci représentant 96 % de son chiffre d’affaires en 2016, 92 % en 2017 et 100 % à partir de 2018.
Il précise qu’au cours des réunions bi mensuelles du samedi étaient évoqués à la fois la régie du domaine mais également les aspects paysagers de celui-ci.
Il observe que ces contrats de travail à temps partiels ne mentionnaient pas la répartition et la durée de travail entre les jours de semaines ou les semaines du mois mais indiquaient ‘le salarié disposera de latitude dans l’organisation de son temps de travail’, ce qui constitue une présomption de contrat à temps plein.
Les intimés concluent au débouté de la demande considérant que l’appelant ne démontre pas que les prestations de paysagiste étaient exécutées dans le cadre d’un contrat de travail. Ils rappellent que la répartition des activités de M. [D] entre ses fonctions de salarié et celles de paysagiste indépendant ont été déterminées à sa demande afin de lui ménager une indépendance qu’il souhaitait conserver. Ils produisent un courriel de ce dernier en date du 22 juillet 2019 au sein duquel il rappelle expressément la répartition de ses activités. Ils rappellent la présomption de non salariat édictée par l’article L 8221-6 du code du travail applicable aux travailleurs indépendants, soutiennent qu’il n’était pas anormal que le salarié dispose d’une grande latitude dans l’organisation de son travail en sa qualité de cadre, rappellent que des factures ont été éditées et réglées à M. [D] en sa qualité de paysagiste indépendant.
Sur ce ;
Il ressort des éléments du dossier qu’à compter du 1er février 2017, M. [D] a été embauché en qualité de régisseur par la société dans le cadre d’un contrat de travail à temps partiel et a parallèlement poursuivi son activité de paysagiste en qualité d’auto entrepreneur.
Le salarié revendique la requalification de son contrat de travail en contrat de travail à temps complet à la fois en sa qualité de régisseur et en sa qualité de paysagiste.
Sur la requalification en contrat de travail de l’activité de paysagiste
L’article L 8221-6 du code du travail dispose que sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales.
La loi n°2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises, dite « loi PINEL », a supprimé la dispense d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés visant les commerçants micro-entrepreneurs.
En l’espèce, il ressort des éléments du dossier que M. [D] exerçait une activité de paysagiste en qualité d’auto entrepreneur, de sorte qu’il lui appartient de renverser la présomption de non salariat en démontrant que, dans le cadre de ses fonctions de paysagiste, il était sous un lien de subordination avec M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf.
Afin d’établir l’existence de ce lien de subordination, M. [D] indique que M. [T] a été son unique client et donneur d’ordre des prestations de paysagiste et réglait directement les factures d’honoraires, qu’une seule demande d’attestation de cotisations sociales a été effectuée, qu’il a effectué ses prestations avec les mêmes moyens et matériels que ceux utilisés comme régisseur, sur le même lieu de travail, qu’un pacte d’associés le liait à M. [T] qui précisait en son article 5 que ‘chacune des parties s’engageait à consacrer la totalité de son activité professionnelle pour les associés titulaires d’un contrat de travail à la société.’
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
En l’espèce, il ne ressort pas des éléments produits par l’appelant l’existence d’ordres, de directives données par M. [T] dans le cadre de ses fonctions de paysagiste.
Il est établi par les intimés et non contesté par l’appelant que M. [D] a réalisé des prestations paysagistes au sein du domaine dès 2015 soit antérieurement à la signature de son contrat de travail avec la société et qu’il a poursuivi postérieurement.
M. [D] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un contrôle de la part de M. [T] ou de la société dans le cadre de ses fonctions de paysagiste, ne démontre pas l’existence d’un pouvoir disciplinaire.
M. [D] précise au sein de ses écritures que son activité au sein du domaine a représenté 92 % de son activité en 2017, ce dont il doit être déduit qu’il a travaillé pour le compte d’autres donneurs d’ordre.
Il affirme qu’à compter de 2018 son activité pour le compte du domaine a représenté 100 % de son activité et verse aux débats ses déclarations trimestrielles de recettes à compter de 2018.
La cour observe que le chiffre d’affaire réalisé varie par trimestre de 3 300 à 10 000 euros. Cependant, ce seul élément ne caractérise pas l’existence d’un lien de subordination.
Les intimés produisent un mail rédigé par M. [D] le 22 juillet 2019 au sein duquel il revendique très clairement l’exercice de deux activités, l’une en qualité de paysagiste auto entrepreneur et l’autre en qualité de salarié à temps partiel en qualité de régisseur.
Les intimés versent aux débats des attestations de salariés du domaine qui indiquent que M. [D] s’absentait régulièrement, qu’il se rendait fréquemment à [Localité 4] ‘pour ses affaires personnelles’, qu’il n’était pas présent à temps plein sur le domaine.
La pacte d’associés signé entre M. [T] et M. [D] stipule précisément en son article 5 ‘chacune des parties s’engage à consacrer du temps suffisant pour les associés non titulaires d’un contrat de travail et la totalité de son activité professionnelle pour les associés titulaires d’un contrat de travail à la société, sauf éventuelles activités indiquées en annexe’, ce qui ne permet pas de déduire l’existence d’un contrat de travail au bénéfice de M. [D] pour l’exercice de ses fonctions de paysagiste.
Au vu de ces éléments, la cour constate que M. [D] échoue à renverser la présomption de non salariat pour ses activités de paysagiste exercées en qualité d’auto entrepreneur et par conséquent à rapporter la preuve de l’existence du contrat de travail dont il se prévaut.
Sur la requalification en contrat de travail à temps complet du contrat de travail à temps partiel
Aux termes de l’article L. 3123-6, le contrat de travail du salarié à temps partiel est un contrat écrit qui doit mentionner :
1° La qualification du salarié, les éléments de la rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle prévue et, sauf pour les salariés des associations et entreprises d’aide à domicile et les salariés relevant d’un accord collectif conclu en application de l’article L. 3121-44, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois ;
2° Les cas dans lesquels une modification éventuelle de cette répartition peut intervenir ainsi que la nature de cette modification ;
3° Les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié. Dans les associations et entreprises d’aide à domicile, les horaires de travail sont communiqués par écrit chaque mois au salarié
4° Les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail fixée par le contrat (…).
En l’absence d’indication dans le contrat à temps partiel de la durée exacte de travail convenue et/ou de sa répartition sur la semaine (en cas de durée hebdomadaire du travail) ou le mois (en cas de durée mensuelle du travail) le contrat est présumé avoir été conclu à temps complet.
En outre, en l’absence de précision des modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié, l’emploi est présumé à temps complet.
Dans ces deux hypothèses, s’agissant d’une présomption simple, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve que le salarié n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler et qu’il n’avait pas à se tenir constamment à la disposition de l’employeur, ces deux conditions étant cumulatives.
En l’espèce, le contrat de travail signé par M. [D] le 1er mars 2017 stipulait uniquement que le salarié était embauché à mi-temps et l’avenant en date du 1er avril 2019 indiquait au titre du temps de travail ‘3 jours et demi par semaine soit 106,17 heures mensuelles’ les deux documents précisant ‘le salarié dispose de latitude dans l’organisation de son temps de travail’.
Aucun des documents ne précise les modalités de répartition de la durée de travail sur la semaine ou le mois. Ils ne précisent ni les jours travaillés ni les horaires de travail pour chaque journée travaillée et n’indiquent pas les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié.
Il appartient en conséquence à l’employeur de renverser la présomption de contrat de travail à temps complet.
Il a été précédemment constaté que parallèlement à son contrat de travail, M. [D] exerçait une activité de paysagiste en qualité d’auto entrepreneur.
Les intimés produisent des attestations qui établissent que M. [D] effectuait des séjours réguliers à [Localité 4] pour ses intérêts personnels.
Les témoins attestent du fait qu’ils pouvaient ne pas voir le salarié sur le domaine pendant plusieurs jours et, ce, alors même que l’appelant disposait d’un logement sur le site, ce qui démontre qu’il ne se tenait pas en permanence à disposition de l’employeur.
Au sein de son mail du 22 juillet 2019, le salarié indique à son employeur qu’il souhaite à terme se consacrer exclusivement et à temps plein à la société, qu’il envisage de mettre un terme à son activité d’auto-entreprenariat à l’horizon juillet 2020 et demande à son employeur de réfléchir sur la période transitoire puis de lui permettre d’évoluer vers un contrat à temps plein incluant ses deux missions (paysagiste et régisseur). La teneur de ce mail démontre que le salarié exerçait deux activités distinctes, qu’il disposait d’une grande latitude dans l’organisation de son temps de travail, qu’il n’était pas placé dans l’impossibilité de prévoir à quel rythme il devait travailler puisque, conformément aux dispositions contractuelles, il organisait lui-même son emploi du temps.
Au vu de ces éléments, il y a lieu de constater que les intimés renversent utilement la présomption de contrat de travail à temps plein.
Au regard de ces développements, M. [D] doit être débouté de sa demande de requalification.
Le jugement est confirmé de ce chef.
5/ Sur la demande de rappel de rémunération variable
L’appelant, qui rappelle que son contrat de travail prévoyait en son article 4 une part variable au titre de sa rémunération, soutient que l’employeur lui a réglé cette somme pour les années 2018 et 2019 en espèces et avec retard sur le calendrier prévu et qu’il demeure redevable de la somme de 1 600 euros.
Au soutien de sa demande, il verse aux débats un mail adressé à M. [T] le 29 juillet 2019 au sein duquel il indique ‘ en réponse à votre texto cette semaine, voici les sommes reçues : 1000+2000+450 (1er juin)+3000= 6450 solde 3550″. Il produit également des échanges SMS avec M. [T] au cours des années 2019 et 2020.
L’employeur conteste le bien fondé de la demande formée par l’appelant.
Il soutient que la part variable revêt un caractère facultatif, indique que pour l’année 2019 le bilan lourdement déficitaire de la société (152 554 euros en pertes) rend inopérante l’hypothèse du versement d’une prime.
Il conteste en outre la dissimulation de versement de prime invoquée par l’appelant et conteste la valeur probante des pièces produites par M. [D], notamment les SMS rappelant que l’appelant ne saurait se prévaloir de ses propres écrits et qu’il ne résulte pas des échanges produits que ceux-ci concernaient la prime contractuelle.
Sur ce ;
L’article 4 du contrat du travail du salarié stipule :
‘Une prime d’un montant brut de 5 000 euros au titre de rémunération variable pourra être versée au mois de janvier de chaque année sur la base des résultats de l’année précédente.
Les critères d’attribution de la prime seront, les deux premières années, liés à l’organisation et au développement du domaine.
A partir de la troisième année, la prime sera attribuée sur des critères de chiffre d’affaires de la SASU’.
En l’espèce, il ressort des échanges entre les parties que M. [D] a effectivement perçu une prime en 2019, M. [T] demandant explicitement au salarié le 25 juillet 2019 ‘Combien vous dois je encore en termes de prime”.
Si l’employeur soutient que cette prime était liée à l’activité de paysagiste de l’appelant, il n’en justifie pas.
En outre, il ne produit aucun élément relatif au montant versé au titre de cette prime, ce qui accrédite la thèse du salarié du versement de sommes en espèces.
Il ressort des mentions du contrat de travail que les modalités d’attribution de cette prime sont particulièrement vagues en ce que l’employeur se contente d’indiquer qu’elle sera attribuée ‘sur des critères de chiffre d’affaires’ sans préciser lesquels.
La cour constate que le contrat de travail prévoit en plus de la rémunération fixe, l’attribution d’une rémunération variable en fonction de critères liés aux performances la société, ce dont il ressort que le versement de cette part variable est obligatoire quand bien même les critères permettant d’en déterminer le montant sont définis unilatéralement par l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction.
La cour relève en outre que l’employeur a manqué à ses obligations en s’abstenant de fixer les objectifs permettant le calcul de la rémunération variable, de payer à son salarié le salaire ainsi convenu et d’en justifier.
En conséquence, au regard de ces éléments, il y a lieu de faire droit à la demande formée par le salarié.
Le jugement est infirmé de ce chef.
6/ Sur le travail dissimulé
L’article L8221-5 du code du travail dispose qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d’un bulletin de paie ou d’un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.
Ainsi, la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, le salarié soutient avoir perçu la part variable de sa rémunération en espèces, non déclarées.
Il résulte du procès-verbal de réunion du 21 juin 2017 que les salariés attiraient l’attention du président de la société sur l’existence de règlement en espèces des heures supplémentaires, sans cotisations sociales et sur le dépassement du volume maximum de 220 heures supplémentaires par an.
Il n’est pas contesté que M. [T] a signé le 24 juin 2017 le procès-verbal en apportant la mention suivante : ‘Je suis responsable de ces situations et nous allons travailler pour qu’elles ne perdurent pas’, ce dont il s’évince qu’il n’a pas contesté le paiement en espèces.
Il résulte des éléments produits par M. [D] que les montants de ses primes lui ont été partiellement réglés en espèces.
Il ressort ainsi des éléments produits que l’employeur réglait certaines sommes dues au salarié en espèces en s’affranchissant des cotisations sociale afférentes, ce qui caractérise une volonté de dissimulation frauduleuse et, partant, l’existence d’un travail dissimulé.
Par infirmation du jugement entrepris, il est fait droit à la demande formée par le salarié à hauteur de la somme mentionnée au dispositif.
7/ Sur la demande au titre de l’invention
M. [D] soutient que l’activité inventive des salariés est encadrées par la loi du 13 juillet 1078, modifiée par la loi du 26 septembre 1990, dispositions reprises à l’article L 611-7 du code de la propriété intellectuelle.
Il sollicite le bénéfice d’une rémunération complémentaire de 70 000 euros pour invention précisant d’une part avoir revendiqué ce bénéfice par le biais de la requête prud’homale et indiquant d’autre part que les pièces 36 à 45 produites au dossier justifie de la création revendiquée et suffiront à convaincre le conseil de prud’hommes du bien fondé de sa demande.
Si les intimés concluent à l’incompétence de la juridiction prud’homale, la cour constate que cette exception n’est pas reprise au dispositif de leurs écritures en ce qu’ils se contentent de solliciter la confirmation du jugement entrepris qui a débouté le salarié de sa demande.
Ils concluent au débouté de la demande.
Sur ce ;
L’article L 611-7 du code de la propriété intellectuelle définit le droit au titre de propriété intellectuelle dans l’hypothèse où l’inventeur est un salarié.
En l’espèce, il a été précédemment jugé que M. [D] n’exerçait pas son activité de paysagiste dans le cadre d’une relation salariée.
En outre, l’appelant ne précise pas ce qu’il revendique en termes d’invention se contentant de verser aux débats des photographies de jardins, de plantes, d’arbres et de potagers.
Or, il n’appartient pas à la cour d’exploiter lesdites pièces afin de rechercher et de caractériser le type d’invention revendiquée par le salarié. En effet, conformément à l’article 954 du code de procédure civile, il appartient aux parties de formuler leurs prétentions et également « les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation».
Il n’appartient pas à la cour de caractériser en l’espèce l’invention revendiquée.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, l’appelant est débouté de sa demande.
8/ Sur le manquement à l’obligation de sécurité
Le salarié soutient que l’employeur a manqué à l’obligation de sécurité en ce qu’il n’a bénéficié que très partiellement de jours de congés payés ou de repos compensateurs. Il indique que la privation de ses droits à congés et repos a eu pour conséquence une dégradation de son état de santé dont M. [T] avait connaissance puisqu’il a reconnu lors d’une réunion le 21 juin 2017 être ‘responsable de ces situations.’
M. [D] affirme que l’employeur n’a pris aucune mesure de prévention, qu’il a été victime d’épuisement professionnel et d’anxiété dépressive réactionnelle ce qui a justifié son placement en arrêt maladie ininterrompu à compter du 1er juillet 2020 puis l’avis d’inaptitude.
Il verse aux débats un document qu’il intitule ‘procès-verbal de la réunion de travail du 21 juin 2017″, un mail de M. [W], ancien salarié, du 22 novembre 2021 qui expose les raisons de son départ du domaine en lien avec une surcharge de travail, nommant M. [T] ‘l’ogre’.
Il reproche en outre à son employeur la mise à disposition d’un logement de fonction vétuste.
L’employeur conteste tout manquement à l’obligation de sécurité. Il affirme que la charge de travail du salarié a toujours été conforme aux dispositions contractuelles et qu’il a plutôt bénéficié d’un régime de faveur, ce qui a créé des tensions au sein de l’équipe des salariés.
Sur ce ;
L’article L 4121-1 du code du travail dispose que l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Ces mesures comprennent :
1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;
2° Des actions d’information et de formation ;
3° La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés.
L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
L’employeur, tenu d’une obligation de sécurité en matière de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs dans l’entreprise, doit en assurer l’effectivité.
Dès lors qu’il s’agit d’une obligation de sécurité à la charge exclusive de l’employeur, la charge de la preuve de son bon accomplissement incombe à ce dernier et non au salarié.
Il ressort des éléments produits que l’employeur ne justifie pas de la prise des congés, des temps de repos du salarié.
Il ne verse ainsi aux débats aucun élément relatif notamment aux vacances, aux congés accordés au salarié.
Il ressort du document intitulé ‘procès-verbal de la réunion du 21 juin 2017″ signé par M. [T] que les salariés ont exprimé leurs difficultés relatives au temps de travail, ce document précisant ‘la charge de travail implique parfois l’impossibilité de prendre un jour de repos hebdomadaire. Dépassement du volume maximum de 220 heures supplémentaires par an, par défaut.’
Il n’est pas contesté que M. [T] a porté sur ce document la mention suivante : ‘je suis responsable de ces situations et nons allons travailler pour qu’elles ne perdurent pas’.
Nonobstant cette mention, l’employeur ne verse pas aux débats d’éléments tendant à établir la prise de mesures adaptées.
Le salarié verse aux débats un inventaire de ses tâches, les courriels traités les samedi et dimanche et soutient n’avoir bénéficié entre janvier et juin 2020 que de 10 jours de repos journaliers de week-end outre 3 jeudis de récupération.
Il affirme qu’il ne disposait pas systématiquement d’un jour de repos par semaine.
Le salarié verse aux débats des attestations aux fins d’établir qu’il était systématiquement présent au domaine lors des manifestations telles que l’accueil des groupes scolaires.
Mme [C], professeur des écoles, indique qu’en dépit des horaires tardifs, M. [D] était présent lors de ses venues. Elle précise avoir fait découvrir le domaine à des amis certains week-end et avoir chaque fois rencontré M. [D] et son époux.
Mme [A] atteste également avoir constaté la présence de M. [D] les week-end, avoir été destinataire de mails à des heures tardives.
Si l’employeur soutient que le salarié était souvent présent en qualité de bénévole de l’association Daubeuf Partage, il n’en justifie pas.
Si l’employeur établit que M. [D] et son époux ont, à plusieurs reprises, exprimé leur satisfaction de travailler au sein du domaine, que M. [G], lors d’une interview au sein d’un article du Figaro Magazine en date du 9 mai 2020 a précisé ‘être là au quotidien est une sorte d’enchantement’, ces éléments ne permettent pas d’établir le respect par l’employeur du temps de repos.
Il est établi que M. [D] a été placé en arrêt de travail en raison d’anxiété, troubles du sommeil, syndrome dépressif qu’il a évoqué avec le médecin du travail son épuisement professionnel, ses inquiétudes concernant l’augmentation des activités du domaine qui lui étaient confiées.
Au regard de ces éléments, il apparaît que l’employeur n’établit pas avoir respecté son obligation de sécurité à l’égard du salarié.
Ce manquement a causé un préjudice à M. [D] en ce qu’il a été placé en arrêt de travail.
Ce préjudice sera intégralement réparé par l’octroi de dommages et intérêts à hauteur de 2 000 euros.
9/ Sur la demande relative à la non prise des repos compensateurs
Le salarié forme une demande de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros pour non prise des repos compensateurs.
Cependant, le salarié ne développe aucun moyen de fait ou de droit à l’appui de sa demande.
Il ne forme aucune demande au titre des heures complémentaires effectuées et ne précise pas le volume des repos compensateurs auquel il aurait pu prétendre et qui n’ont pu être pris.
En conséquence, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de le débouter de sa demande.
10/ Sur la demande de remboursement des frais professionnels
M. [D] demande à la cour de condamner solidairement les employeurs au paiement de la somme de 1321 euros à titre de remboursement de ses frais de communications téléphoniques professionnelles et de la somme de 2 915 euros au titre de remboursement de ses frais kilométriques.
Au soutien de ses demandes, il produit la facture téléphone du 18 juillet 2020 ainsi que la photographie de son véhicule automobile personnel.
Les frais qu’un salarié justifie avoir exposés pour les besoins de son activité professionnelle et dans l’intérêt de l’employeur doivent lui être remboursés.
La cour observe cependant que le salarié ne développe aucun moyen de fait ou de droit au soutien de ses demandes.
Il n’appartient pas à la cour d’exploiter les pièces versées aux débats afin de rechercher et de caractériser la nature et le quantum des frais professionnels engagés par le salarié au profit de son employeur. En effet, conformément à l’article 954 du code de procédure civile, il appartient aux parties de formuler leurs prétentions et également « les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation».
Au vu de ces éléments, par confirmation du jugement entrepris, il y a lieu de débouter le salarié de ses demandes.
11/ Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
En cas d’action en résiliation judiciaire suivie en cours d’instance d’un licenciement, l’examen de la résiliation judiciaire revêt un caractère préalable, dans la mesure où si la résiliation du contrat est prononcée, le licenciement ultérieurement notifié par l’employeur se trouve privé d’effet. L’examen de la légitimité du licenciement n’a donc lieu d’être opéré qu’en cas de rejet de la demande de résiliation judiciaire.
En l’espèce, M. [D] a saisi le conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail le 18 décembre 2020 et a été licencié ultérieurement le 5 février 2021, de sorte que l’examen de la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail revêt un caractère préalable.
Lorsque les manquements de l’employeur à ses obligations légales, conventionnelles ou contractuelles sont établis, ont revêtus une gravité suffisante et empêchent la poursuite du contrat de travail, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail doit être accueillie.
Lorsqu’en cours d’instance de résiliation judiciaire le contrat de travail a été rompu, notamment par l’effet d’un licenciement, la date d’effet de la résiliation doit être fixée à la date de rupture effective du contrat, c’est à dire dans l’hypothèse considérée à la date du licenciement.
A l’appui de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, le salarié invoque les conditions particulièrement anormales de travail et de vie qui lui ont été imposées l’ayant conduit à un épuisement psychique et psychologique d’une gravité certaine, au constat de son inaptitude.
Il indique que le non-respect de la durée légale du travail, la violation par l’employeur de son obligation de sécurité constituent des manquements suffisamment graves.
L’employeur conteste la réalité des manquements allégués, soutenant que le salarié et son époux sont d’une particulière mauvaise foi, qu’ils avaient émis le souhait de quitter leurs emplois pour vivre au Portugal, qu’ils avaient fait part de leurs intentions dès le 4 juillet 2020, qu’ils ont déménagé une partie de leurs effets personnels dès le 20 juin 2020, que le relevé de situation Pôle Emploi communiqué le 9 février 2023 mentionne effectivement une adresse au Portugal.
Il a été précédemment jugé que l’employeur avait manqué à son obligation de sécurité en ce qu’il n’avait pas pris les mesures nécessaires pour préserver les congés du salarié, nonbstant le fait que ce dernier travaillait à temps partiel 3,5 jours par semaine.
Il ressort des éléments du dossier que ce manquement de l’employeur a eu pour conséquence l’arrêt de travail du salarié puis, ultérieurement, un constat d’inaptitude.
Ce manquement était en conséquence suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Par infirmation du jugement entrepris, il sera fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail avec effet au 5 février 2021.
Produisant tous les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la résiliation judiciaire ouvre doit pour le salarié aux indemnités de rupture (indemnité compensatrice de préavis, indemnité de licenciement, indemnité compensatrice de congés payés) ainsi qu’à des dommages et intérêts appréciés sur le fondement de l’article L.1235-3 du code du travail.
Au regard de l’ancienneté du salarié, du salaire moyen, il sera accordé à M. [D] la somme de 8 750 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 875 euros au titre des congés payés afférents.
En outre, il ressort du solde de tout compte versé aux débats que le salarié a perçu la somme de 4 723,08 euros au titre de l’indemnité de licenciement, M. [D] ne contestant pas spécifiquement avoir perçu cette somme.
Le salarié n’invoque aucun moyen de fait ou de droit à l’appui de sa demande de complément d’indemnité de licenciement.
En conséquence, il y a lieu de le débouter de sa demande à ce titre.
Compte-tenu de la date de rupture du contrat de travail sont applicables les dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version issue de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Selon ces dispositions si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l’entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de 1’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l’ancienneté du salarié dans l’entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.
Pour une ancienneté de 4 années dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés, l’article L. 1235-3 du code du travail prévoit une indemnité comprise entre 1 et 5 mois de salaire.
En considération de sa situation particulière et eu égard notamment à son âge (55 ans), à l’ancienneté de ses services, à sa formation et à ses capacités à retrouver un nouvel emploi, la cour dispose des éléments nécessaires pour évaluer la réparation qui lui est due à la somme qui sera indiquée au dispositif de l’arrêt.
12/ Sur la remise des documents
Il sera ordonné la remise par M. [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf à M. [D] de l’attestation Pôle Emploi, d’un certificat de travail, d’un solde de tout compte et d’un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt.
13/ Sur les frais irrépétibles et les dépens
Il serait inéquitable de laisser à la charge de M. [D] les frais non compris dans les dépens qu’il a pu exposer.
Il convient en l’espèce de condamner les intimés, succombants dans la présente instance, à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge des employeurs les frais irrépétibles exposés par eux.
Il y a également lieu de condamner les intimés aux dépens de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant contradictoirement, en dernier ressort ;
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes du Havre du 5 juillet 2022 sauf en ce qu’il a débouté M. [D] de ses demandes au titre de la requalification de son contrat de travail, des repos compensateurs, de la rémunération complémentaire pour invention, du remboursement des frais professionnels, de l’indemnité de licenciement;
Statuant des chefs infirmés et y ajoutant :
Rejette l’exception d’incompétence soulevée ;
Dit et juge que M. [J] [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf étaient coemployeurs de M. [V] [D] ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [V] [D] à la date du 5 février 2021 ;
Condamne M. [J] [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf in solidum à verser à M. [V] [D] les sommes suivantes :
2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité,
1 600 euros au titre de la rémunération variable,
17 500 euros à titre de dommages et intérêts pour travail dissimulé,
8 750 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 875 euros au titre des congés payés afférents,
5 830 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile pour l’ensemble de la procédure,
Ordonne à M. [T] et à la société Saint Fiacre de Daubeuf de remettre à M. [D] l’attestation Pôle Emploi, un certificat de travail, un solde de tout compte et un bulletin de paie récapitulatif conformes au présent arrêt ;
Rejette toute autre demande ;
Condamne M. [J] [T] et la société Saint Fiacre de Daubeuf in solidum aux dépens de première instance et d’appel.
La greffière La présidente