Notification de contenus illicites : 440 000 euros contre un hébergeur peu réactif 

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Notification de contenus illicites : 440 000 euros contre un hébergeur peu réactif 
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En matière de notification de contenus illicites, les sociétés victimes de contrefaçons et notifiantes peuvent se prévaloir de présomptions tant pour la titularité de leurs droits, que pour l’originalité de leurs oeuvres (jeux vidéo). Une telle exigence de démonstration, non requise par les textes précités de la LCEN, ajouterait une condition que la LCEN ne prévoit pas et reviendrait à priver d’effet utile le système de notification prévu par cette loi. L’indemnisation du préjudice suit les règles de l’article 1240 du Code civil et non celles du Code de la propriété intellectuelle.

Responsabilité de la société DS Storage 

En l’occurrence, en n’agissant pas promptement pour retirer les données litigieuses (jeux vidéo Nintendo) ou en rendre l’accès impossible, la société DS Storage a engagé sa responsabilité en application de l’article 6-I-2 de la LCEN sans qu’elle puisse se prévaloir d’un comportement d’ “hébergeur raisonnable” résultant du fait qu’elle a mis en place une procédure conventionnelle de suppression de contenus, optionnelle, réservée aux signataires d’un contrat de prestation de service, consistant en une interface de retrait accessible au notifiant grâce à un identifiant. 

Outil de notification de contenus illicites 

La société DSTORAGE indique qu’un tel outil est désormais prévu par la LCEN dont l’article 6-I-5, dans sa nouvelle version, prévoit désormais que la notification doit contenir “les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible” mais précise que “cette condition est réputée satisfaite dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au même 2 permet de procéder à la notification par un dispositif technique proposant d’indiquer la catégorie d’infraction à laquelle peut être rattaché ce contenu litigieux”, qu’il permet d’alléger les obligations mises à la charge des hébergeurs ne disposant pas des moyens humains, techniques ou financiers ou de la capacité d’analyse juridique suffisants pour honorer les obligations mises à leur charge par la LCEN, comme évoqué par le Conseil constitutionnel dans le commentaire de sa décision du 10 juin 2004, et qu’il constitue même une obligation énoncée par l’article 16.1 du règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 (“Les fournisseurs de service d’hébergement mettent en place des mécanismes permettant à tout particulier ou à toute entité de leur signaler la présence au sein de leur service d’éléments d’information spécifiques que le particulier ou l’entité considère comme du contenu illicite. 

Ces mécanismes sont faciles d’accès et d’utilisation et permettent la soumission de notifications exclusivement par voie électronique”), de sorte que dans les mois à venir, la société NINTENDO aurait l’obligation d’utiliser l’interface de retrait qu’elle propose si elle souhaite obtenir le retrait de contenus illicites. 

Cependant, les textes nouveaux invoqués par la société DSTORAGE ne sont pas applicables aux faits de la cause qui leur sont antérieurs et le dispositif dont elle se prévaut, que les sociétés NINTENDO étaient libres d’accepter ou de refuser en janvier 2018, n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité née du fait qu’elle n’a pas procédé au retrait des contenus litigieux après les notifications qui lui ont été adressées conformément aux dispositions de la LCEN dans sa version alors applicable.

Rappel sur la responsabilité des hébergeurs

 

L’article 14 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite “directive sur le commerce électronique” prévoit :

“1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible (…)”.

L’article 6-I-2 de la LCEN, transposant cet article en droit français, dispose ” Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible (‘)”

L’article 6-I-5 de la même loi, dans sa version applicable aux faits de la cause, prévoit par ailleurs que “La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

– la date de la notification ;

– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

– les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

– la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

– les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

– la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

(‘)”

En vertu de ces dispositions, un hébergeur voit sa responsabilité engagée du fait des activités ou des informations stockées s’il a effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances laissant apparaître ce caractère, étant précisé que la notification vaut présomption de connaissance, et si, dès le moment où il en a eu cette connaissance, il n’a pas agi promptement pour retirer ces contenus ou en rendre l’accès impossible.

Il n’est pas contesté en l’espèce que la société DSTORAGE, qui offre un service de stockage de données, a la qualité d’hébergeur et que sa responsabilité est régie par l’article 6-I-2 précitée.

La CJUE a eu l’occasion de préciser la notion de “connaissance” par un hébergeur (“le prestataire”) susceptible d’engager sa responsabilité. Elle a ainsi jugé que “pour que les règles énoncées à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 ne soient pas privées de leur effet utile, elles doivent être interprétées en ce sens qu’elles visent toute situation dans laquelle le prestataire concerné prend connaissance, d’une façon ou d’une autre, de tels faits ou circonstances. Sont ainsi visées, notamment, la situation dans laquelle l’exploitant d’une place de marché en ligne découvre l’existence d’une activité ou d’une information illicites à la suite d’un examen effectué de sa propre initiative, ainsi que celle dans laquelle l’existence d’une telle activité ou d’une telle information lui est notifiée. Dans ce second cas, si une notification ne saurait, certes, automatiquement écarter le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14 de la directive 2000/31, étant donné que des notifications d’activités ou d’informations prétendument illicites peuvent se révéler insuffisamment précises et étayées, il n’en reste pas moins qu’elle constitue, en règle générale, un élément dont le juge national doit tenir compte pour apprécier, eu égard aux informations ainsi transmises à l’exploitant, la réalité de la connaissance par celui-ci de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité” (L’Oréal c. E Bay, 12 juillet 2011, C-324/09, points 121 et 122).

Dans un arrêt plus récent, la CJUE a confirmé que “En ce qui concerne, plus particulièrement, la seconde des hypothèses prévues à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, à savoir celle visant la « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente », la Cour a constaté qu’il suffit que le prestataire de services concerné ait pris connaissance, d’une façon ou d’une autre, de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité en cause et agir conformément à cet article 14, paragraphe 1, sous b). Sont ainsi visées, notamment, la situation dans laquelle un tel prestataire découvre l’existence d’une activité ou d’une information illicite à la suite d’un examen effectué de sa propre initiative ainsi que celle dans laquelle l’existence d’une telle activité ou d’une telle information lui est notifiée” (Frank Peterson c. Google LLC, YouTube LLC, YouTube Inc. et Google Germany GmbH et Elsevier Inc. c. Cyando , 22 juin 2021, C-682/18 et C-683/18).

Les contenus qui contrefont les droits de propriété intellectuelle sont inclus dans la catégorie des contenus illicites visés par les articles précités de la LCEN et, comme l’a rappelé le tribunal, la connaissance que peut avoir un hébergeur de contenus de leur illicéité manifeste est présumée dès lors qu’une notification respectant les conditions posées par l’article 6-I-5 de la LCEN lui a été adressée, et ce, sans qu’une décision de justice préalable soit requise.

Dans les affaires précitées ayant donné lieu à la décision rendue le 22 juin 2021 par la CJUE, l’avocat général a précisé : « Le caractère contrefaisant d’une information ne peut être considéré comme « apparent », au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, que lorsque le prestataire concerné a reçu une notification lui donnant des éléments qui permettraient à un « opérateur économique diligent » placé dans sa situation de constater ce caractère aisément et sans examen juridique et matériel approfondi. Concrètement, cette notification doit identifier l”uvre protégée, décrire l’atteinte reprochée et fournir des indices suffisamment clairs quant aux droits que la victime allègue avoir sur l’oeuvre. ».

La juridiction a écarté les moyens présentés par la société DSTORAGE tirés du manque de clarté des deux notifications les 22 et 30 janvier 2018 qui lui ont été adressées quant à la désignation du notifiant, et de l’absence de justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’avait pu être contacté. Le tribunal, comme la cour, a constaté que les deux notification avaient été adressées, non par une société tierce MBARGO, mais par le conseil des sociétés NINTENDO, et qu’elles répondaient aux conditions de forme prescrites par l’article 6-I-5 précité de la LCEN.

Le grief selon lequel les sociétés NINTENDO n’avaient pas justifié de l’impossibilité de contacter l’auteur ou l’éditeur n’était pas plus fondé dès lors que les deux notifications indiquent expressément « En outre, les personnes ayant mis en ligne les contenus litigieux ne sont pas identifiées sur votre site internet « https://1fichier.com », faute d’identification, il ne peut être reproché aux sociétés NINTENDO de ne pas indiquer les raisons pour lesquelles l’auteur ou l’éditeur des contenus litigieux n’a pu être contacté, celles-ci apparaissant évidentes, ni d’avoir envoyé leur demande de retrait à l’hébergeur de contenus sans avoir obtenu au préalable une réponse de l’auteur ou de l’éditeur.

Le calcul du préjudice 

Le préjudice des sociétés NINTENDO ne pouvait être réparé que sur le fondement de l’article 1240 du code civil, à l’exclusion des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à l’évaluation du préjudice résultant de la contrefaçon de droit d’auteur et de marques, qui ne pourraient trouver à s’appliquer que si la responsabilité de la société DSTORAGE était engagée au titre de la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle.

Le non retrait des contenus litigieux a permis aux utilisateurs de procéder gratuitement à des téléchargements de jeux vidéo qui ne sont disponibles en principe qu’à l’achat sur le site internet et la boutique en ligne NINTENDO. 

La cour a retenu que 55 000 téléchargements ont été effectués. La société DSTORAGE a été par conséquent condamnée à payer la somme de 8,05 x 55 000, soit 442 750 €


12 avril 2023
Cour d’appel de Paris
RG n°
21/10585

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 1

ARRET DU 12 AVRIL 2023

(n° 056/2023, 22 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/10585 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CD2AG

Décision déférée à la Cour : Jugement du 25 Mai 2021 – Tribunal judiciaire de PARIS – 3ème chambre – 3ème section – RG n° 18/07397

APPELANTE

S.A.S DSTORAGE

Société au capital de 30 000 euros

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés d’EPINAL sous le numéro 511 962 979

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 3]

[Localité 2]

Représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034

Assistée de Me Ronan HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS, toque : B 0941

INTIMEES

Société NINTENDO CO. LTD,

Société de droit japonais,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 1]

[Localité 6], JAPON

Société THE POKEMON COMPANY,

Société de droit japonais

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège [Adresse 7]

[Localité 8], JAPON

Société CREATURES INC,

Société de droit japonais,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 5]

[Localité 8], JAPON

Société GAME FREAK INC,

Société de droit japonais,

Prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

[Adresse 4]

[Localité 8], JAPON

Représentées par Me Frédérique ETEVENARD, avocat au barreau de PARIS, toque : K0065

Assistées de Me Alexandre RUDONI du cabinet ALLEN & OVERY LLP, avocat au barreau de PARIS, toque: J 022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 15 février 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Françoise BARUTEL, conseillère et Madame Isabelle DOUILLET, présidente, chargée d’instruire l’affaire, laquelle a préalablement été entendue en son rapport.

Ces magistrates ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de:

Madame Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre

Madame Françoise BARUTEL, Conseillère

Madame Déborah BOHEE, conseillère

Greffier, lors des débats : Madame Karine ABELKALON

ARRET :

– contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Isabelle DOUILLET, Présidente de chambre et par Karine ABELKALON, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

La société de droit japonais NINTENDO CO. (ci-après, la société NINTENDO) fabrique et commercialise, dans de nombreux pays à travers le monde, dont la France, des consoles de jeux, notamment les consoles Nintendo DS, Nintendo DS Lite, Nintendo DSi, Nintendo DSi XL, Nintendo 3DS, Nintendo 3DS XL, Nintendo 2DS, New Nintendo 3DS, New Nintendo 3DS XL et New Nintendo 2DS XL, Nintendo Wii et Wii U et Nintendo Switch, ainsi que des jeux vidéo, notamment « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Splatoon 2 », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 Deluxe », « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun » « Pokémon Moon », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon ».

La société NINTENDO revendique être, avec les sociétés de droit japonais THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK, co-titulaire de droits d’auteur sur les jeux vidéo ‘Pokémon’.

La société NINTENDO est par ailleurs titulaire des marques suivantes :

– la marque figurative de l’Union européenne n°3 388 477 ‘NINTENDO’ enregistrée le 3 août 2005 notamment en classe 9 pour les « programmes téléchargeables » ; « jeux vidéo pour consommateurs » ; « programmes informatiques et autres programmes de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables et autres programmes pour ordinateurs personnels et autres ordinateurs » et « programmes informatiques et programmes de jeux portables avec un écran à cristaux liquides » :

– la marque figurative de l’Union européenne n°4 112 272 “NINTENDO DS” enregistrée le 22 septembre 2006 notamment en classe 9 pour les « jeux vidéo pour consommateurs » ; « programmes informatiques » ; « programmes de jeux vidéo de consommation » et « programmes de jeux portables avec écrans à cristaux liquides » :

– la marque verbale de l’Union européenne n°155 135 « SUPER MARIO » enregistrée le 6 juillet 1999 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo grand public » et « autres programmes pour ordinateurs » ; « cartes ROM, cartouches ROM, CD-ROM, DVD-ROM et autres programmes de stockage de supports pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes informatiques téléchargeables » ; « autres programmes pour ordinateurs » et « fichiers d’images téléchargeables » ;

– la marque figurative de l’Union européenne n°15 148 976 “POKEMON SUN” enregistrée le 4 août 2016 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes informatiques » et « programmes de jeux pour ordinateurs » :

– la marque figurative de l’Union européenne n°15 148 919 “POKEMON MOON” enregistrée le 29 juillet 2016 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes informatiques » et « programmes de jeux pour ordinateurs » :

– la marque verbale internationale désignant l’Union européenne n°1 333 221 « THE LEGEND OF ZELDA BREATH OF THE WILD » enregistrée le 17 août 2016 notamment en classe 9 pour les « Programmes pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « supports électroniques de stockage comportant des programmes enregistrés pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes informatiques » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateur » ;« fichiers d’images téléchargeables » et « publications électroniques téléchargeables » ;

– la marque internationale désignant l’Union européenne n°1 365 208 « SUPER MARIO ODYSSEY » enregistrée le 1er mars 2017 notamment en classe 9 pour les « Programmes pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « supports électroniques de stockage comportant des programmes enregistrés pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo grand public » ; « programmes informatiques » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateur » ; « fichiers d’images téléchargeables » et « publications électroniques téléchargeables » ;

– la marque verbale de l’Union européenne n°479 931 « MARIO KART » enregistrée le 24 février 2000 notamment en classe 9 pour les « programmes informatiques » et « jeux» ;

– la marque verbale de l’Union européenne n° 13 202 841 « SPLATOON » enregistrée le 14 janvier 2015 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « supports de stockage contenant des programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes pour appareils de jeux portables à écrans à cristaux liquides » ; « supports de stockage contenant des programmes pour appareils de jeux portables à affichages à cristaux liquides » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux portables à écran à cristaux liquides » ; «programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateurs » ; « ordinateurs » ; « programmes informatiques » ; « programmateurs d’ordinateurs téléchargeables » et « supports de stockage contenant des programmes pour ordinateurs » ;

– la marque verbale de l’Union européenne n° 17 429 424 « POKÉMON ULTRA SUN » enregistrée le 2 mars 2018 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes pour appareils de jeux électroniques portables » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateurs » et « appareils de jeux vidéo de consommation » ;

– la marque verbale de l’Union européenne n° 17 429 457 « POKÉMON ULTRA MOON » enregistrée le 2 mars 2018 notamment en classe 9 pour les « programmes pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour appareils de jeux vidéo de consommation » ; « programmes pour appareils de jeux électroniques portables » ; « programmes téléchargeables ou installables et données supplémentaires pour ordinateurs » et « appareils de jeux vidéo de consommation » ;

La société DSTORAGE, créée en 2009, propose des services d’hébergement et d’infrastructures techniques, ainsi qu’un service de stockage de données en ligne à travers le site internet 1fichier.com. Elle expose que son modèle économique est basé sur une offre dite « Freemium » qui consiste à fournir de manière gratuite une grande partie de ses services de manière dégradée afin que l’utilisateur les teste avant d’y souscrire : ainsi, un utilisateur peut stocker de manière gratuite des fichiers sur les serveurs 1fichier.com pour une durée de stockage limitée ; pour que le stockage devienne permanent, l’utilisateur doit souscrire une offre payante. La société DSTORAGE indique que ce service offre des garanties de sécurité d’accès, d’intégrité des données stockées et des possibilités de transfert de contenus volumineux non permises par les messageries électroniques dont la capacité d’envoi est limitée. Pour ce faire, l’internaute se voit remettre, pour chaque contenu déposé, un lien hypertexte sécurisé lui permettant d’accéder au contenu et éventuellement d’en permettre l’accès aux personnes de son choix.

La société DSTORAGE propose également à ses clients de permettre l’accès aux contenus stockés sur ses serveurs depuis un site internet tiers ouvert au public, l’utilisateur pouvant alors communiquer le lien de téléchargement depuis une plateforme publique et sans restriction d’accès.

Les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK (ci-après, les sociétés NINTENDO) exposent adresser régulièrement à la société DSTORAGE des notifications relatives à des copies illicites de jeux vidéo qu’elles identifient comme étant hébergées sur ses serveurs.

Ainsi, par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 janvier 2018, elles ont notifié, par l’intermédiaire de leur conseil, à la société DSTORAGE l’existence de liens permettant le téléchargement de copies non autorisées de leurs jeux « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS», « Pokémon Sun » et « Pokémon Moon ».

La société DSTORAGE a alors indiqué, par courriel du 22 janvier 2018, que les demanderesses avaient le choix entre engager une procédure en justice aux fins d’obtenir une ordonnance constatant le caractère manifestement illicite des contenus visés ou suivre la procédure contractuelle offerte par la société DSTORAGE lui permettant de se prémunir contre toute demande de retrait abusif et pouvant, sous certaines conditions, permettre l’accès à son outil de retrait dénommé « Takedown tool ».

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 30 janvier 2018, les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ont maintenu, de nouveau, par l’intermédiaire de leur conseil, leur demande de retrait des liens dirigeant vers des copies non autorisées de leurs jeux vidéo. Elles ont également porté à la connaissance de la défenderesse des liens menant vers des copies non autorisées des jeux vidéo « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 Deluxe », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon », et la société DSTORAGE a maintenu sa position, par courriel du 30 janvier 2018, au motif que les contenus violant la propriété intellectuelle n’entrent pas dans le périmètre des contenus manifestement illicites au sens de la loi pour la confiance dans l’économie numérique (loi LCEN).

Les liens litigieux étant toujours disponibles sur le site 1fichier.com, les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ont, par acte du 24 mai 2018, assigné la société DSTORAGE devant le tribunal judiciaire de Paris afin que soit établie sa responsabilité en tant qu’hébergeur de contenus, et que soit également retenue sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement de l’article 1240 du code civil, ainsi que sur le fondement de la contrefaçon des marques précitées et de la contrefaçon de droits d’auteur sur un certain nombre de jeux vidéo.

Dans un jugement rendu le 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a :

– rejeté les conclusions aux fins de transmission de questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne notifiées par la société DSTORAGE le 22 février 2021 ;

– dit que les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ont valablement notifié les 22 et 30 janvier 2018 à la société DSTORAGE la présence sur son site internet https://1fichier.com de contenus manifestement illicites car portant atteinte aux droits dont la société NINTENDO est titulaire sur les marques de l’Union européenne n°3388477, n°4112272, n°15148976, n°155135, n°15148919, n°479931, n°13202841, n°17429424 et n°17429457 et les marques internationales désignant l’Union européenne n°1333221 et n° 1365208 ;

– dit qu’en n’agissant pas promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible, la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité civile en tant qu’hébergeur de contenus ;

– ordonné à la société DSTORAGE de retirer de son site internet https://1fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus listés dans les tableaux figurant en pages 22 à 28 des conclusions n°5 des demanderesses, figurant en annexe du jugement et faisant partie de la minute de celui-ci, et ce dans le délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision, et ce sous astreinte de 1 000 euros par jour, l’astreinte courant sur six mois ;

– condamné la société DSTORAGE à payer à la société NINTENDO la somme de 885 500 euros en réparation de son préjudice commercial et la somme de 50 000 euros en réparation de l’atteinte aux marques dont elle est titulaire ;

– débouté la société NINTENDO de sa demande en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à sa réputation ;

– ordonné la publication de l’insertion suivante extraite du jugement : « Par décision en date du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la société DSTORAGE, qui exploite le site internet 1fichier.com, a engagé sa responsabilité en tant qu’hébergeur de contenus en ne procédant pas au retrait de contenus illicites malgré les notifications effectuées par les sociétés NINTENDO CO., LTD., THE POKEMON COMPANY, CREATURES INC. et GAME FREAK INC. et l’a condamnée à payer à la société NINTENDO CO LTD, les sommes de 885500 euros et de 50000 euros en réparation de ses préjudices. » ;

– dit qu’il sera procédé à cette publication sur un espace égal à un quart de l’écran et en-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères « Times New Roman », de taille 12, droits, de couleur noire et sur fond blanc, pendant une durée de 60 jours, passé le délai de 48 heures à compter de la signification du présent jugement, le texte devant être précédé de la mention « COMMUNICATION JUDICIAIRE » en lettres capitales de taille 14, aux seuls frais de la société DSTORAGE, et ce, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, l’astreinte courant sur une durée de deux mois ;

– dit que le tribunal se réservera la liquidation des astreintes ;

– condamné la société DSTORAGE à payer aux sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK la somme de 15 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamné la société DSTORAGE aux dépens, dont distraction au profit de Me RUDONI, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;

– ordonné l’exécution provisoire.

Le 4 juin 2021, la société DSTORAGE a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions numérotées 4 et transmises le 2 janvier 2023, la société DSTORAGE, appelante et intimée incidente, demande à la cour de :

– in limine litis :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne,

Vu les articles 11 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne,

Vu l’article 14 de la directive 2000/31/CE,

Vu l’article 6 de la loi n°575-2004 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique,

– de réformer le jugement en ce qu’il a rejeté la demande de transmission de question préjudicielle,

– en conséquence, de transmettre à la Cour de Justice de l’Union Européenne la question préjudicielle suivante, relative à la conformité des articles 6.I-2 et 6.I-5 de la loi n°575-2004 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique à l’article 14 de la directive 2000/31/CE, aux articles 11 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne et à l’article 17 de la directive 2019/790/CE : ” La faute d’un hébergeur n’ayant pas retiré un contenu dénoncé comme violant des droits de propriété intellectuelle suite à une notification est-elle une faute de comportement relative à l’absence de retrait ou un acte de contrefaçon par participation ‘” et de surseoir à statuer jusqu’au rendu de la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne,

– au fond :

Vu l’article 6-I-2 de la LCEN,

Vu l’article 14 de la Directive du 8 juin 2000 ;

Vu l’article 1240 du code civil,

I. Sur les chefs de jugement qui seront confirmés :

– juger que les notifications à l’appui des prétentions de la société NINTENDO doivent démontrer l’acte de communication au public commis par des tiers,

– juger que les notifications produites par la société NINTENDO à l’appui de ses prétentions ne contiennent pas les informations nécessaires à la prise de connaissance par la société DSTORAGE du caractère manifestement illicite des contenus dénoncés,

– en conséquence, confirmer que les notifications ne permettent pas à la société DSTORAGE de prendre connaissance d’actes de contrefaçon de droit d’auteur,

II. Sur les chefs de jugement qui seront infirmés :

Prétention 1 :

– infirmer le jugement en ce qu’il a considéré que les mesures de corégulation mise en place par la société DSTORAGE ne pouvaient servir à démontrer son absence de faute,

– et statuant à nouveau, juger que la société DSTORAGE adopte le comportement d’un hébergeur diligent et qu’aucune faute ne peut lui être imputée dans l’absence de retrait dès lors que la société NINTENDO n’a pas souhaité utiliser les solutions à sa disposition,

Prétention 2 :

– infirmer le jugement en ce qu’il a considéré que la société DSTORAGE pouvait se voir imputer des actes de contrefaçon de marques engageant sa responsabilité en tant qu’hébergeur,

– infirmer le jugement en ce qu’il condamné la société DSTORAGE au paiement de dommages et intérêts sur le fondement de de la violation d’une règle générale de comportement et d’atteinte à un droit privatif sans caractériser un fait distinct de la contrefaçon de marques alléguée,

– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu une méthode de calcul des dommages et intérêts contraire au principe de loyauté de la preuve et sur des informations partielles et partiales,

– et statuant à nouveau,

– juger que la société DSTORAGE n’a effectué aucun usage au sens du droit des marques,

– juger que les utilisateurs du service 1fichier.com n’effectuent aucun usage de marques dans la vie des affaires,

– en conséquence,

– juger que la responsabilité de la société DSTORAGE ne peut être engagée au titre d’un acte de contrefaçon de marques commis par les tiers en sa qualité d’hébergeur,

– juger que la société DSTORAGE n’est, en tout état de cause, pas responsable d’un quelconque préjudice commercial subi par la société NINTENDO,

– infirmer le jugement qui l’a condamnée à des dommages et intérêts et la décharger de toutes condamnations,

Prétention 3 :

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE a retiré des fichiers dont l’illicéité n’est pas prouvée,

Prétention 4 :

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE à une mesure de publication qui ne repose sur aucun fondement dès lors que sa responsabilité ne peut être engagée,

– et statuant à nouveau, condamner la société NINTENDO à payer la somme de 100.000 € à la société DSTORAGE au titre du préjudice de réputation,

– en tout état de cause,

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE aux entiers dépens,

– infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE au paiement de la somme de 100.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile au profit de la société NINTENDO,

– et statuant à nouveau, condamner la société NINTENDO au titre de la procédure d’appel, aux entiers dépens dont distraction au profit de Me BAECHLIN, ainsi qu’à payer la somme de cent 100.000 € à la société DSTORAGE au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 4 et transmises le 12 janvier 2023, les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK, intimées et appelantes incidentes, demandent à la cour de :

Vu l’article 14 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000,

Vu l’article 6 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique,

Vu l’article 1240 du code civil,

Vu les articles L. 335-2, L. 335-3, L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle,

Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

Vu l’article L. 331-1-2 du code de la propriété intellectuelle,

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,

– confirmer le jugement en ce qu’il a :

– dit que les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ont valablement notifié les 22 et 30 janvier 2018 à la société DSTORAGE la présence sur son site Internet https://1Fichier.com de contenus manifestement illicites car portant atteinte aux droits dont la société NINTENDO est titulaire sur les marques de l’Union européenne n°3388477, n°4112272, n°15148976, n°155135, n°15148919, n°479931, n°13202841, n°17429424 et n°17429457 et les marques internationales désignant l’Union européenne n°1333221 et n° 1365208,

– dit qu’en n’agissant pas promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible, la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité civile en tant qu’hébergeur de contenus,

– condamné la société DSTORAGE à retirer de son site Internet https://1Fichier.com ou à bloquer l’accès aux contenus listés dans les tableaux figurant en pages 22 à 28 des conclusions de première instance n° 5 des sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK, annexés au jugement de première instance et faisant partie de la minute de celui-ci, et ce dans le délai de 48 heures à compter de la signification de la décision, et ce sous une astreinte de 1 000 euros par jour, l’astreinte courant sur six mois,

– condamné la société DSTORAGE à verser à NINTENDO la somme de 885 500 euros en réparation de son préjudice commercial et la somme de 50 000 euros en réparation de la contrefaçon des marques dont elle est titulaire,

– ordonné la publication de l’extrait suivant de ce jugement : « Par décision en date du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la société DSTORAGE, qui exploite le site internet 1fichier.com, a engagé sa responsabilité en tant qu’hébergeur de contenus en ne procédant pas au retrait de contenus illicites malgré les notifications effectuées par les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK et l’a condamnée à payer à la société NINTENDO Co Ltd, les sommes de 885500 euros et de 50000 euros en réparation de ses préjudices. »,

– rejeté les demandes de dommages-intérêts de la société DSTORAGE,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris en date du 25 mai 2021, en ce qu’il a :

– rejeté la demande de NINTENDO en réparation du préjudice subi du fait de l’atteinte à sa réputation,

– jugé que NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK n’avaient pas communiqué à la société DSTORAGE les éléments et pièces établissant la titularité de leurs droits d’auteur, ainsi que la violation de ceux-ci, et à ce titre n’ont pas suffisamment établi les faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des contenus dont elles demandaient le retrait en raison de l’atteinte à leurs droits d’auteur,

– et, statuant à nouveau,

– rejeter la demande de transmission à la Cour de Justice de l’Union européenne de la question préjudicielle formulée par la société DSTORAGE,

– juger que NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ont communiqué à la société DSTORAGE les éléments et pièces établissant la titularité de leurs droits d’auteur, ainsi que la violation de ceux-ci, et à ce titre ont suffisamment établi les faits et circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des contenus dont elles demandaient le retrait en raison de la violation de leurs droits d’auteur,

– recevoir l’intégralité des demandes, moyens et prétentions des sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK,

– juger que la société DSTORAGE a été dûment informée par les sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK de la présence de contenus illicites hébergés sur son site Internet https://1Fichier.com,

– juger que la société DSTORAGE n’a pas procédé promptement au retrait des contenus illicites portés à sa connaissance par les sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK et qu’elle ne peut donc se prévaloir de la limitation de responsabilité prévue à l’article 6-I-2 de la LCEN ;

– juger qu’en ne tenant pas compte des mises en demeure et des signalements de contenus illicites adressés par les sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK, ainsi que les informations portées à son attention dans l’assignation, les conclusions et les pièces, la société DSTORAGE, engage ainsi sa responsabilité sur le fondement de l’article 6-I-2 de la LCEN,

– juger que pour les mêmes raisons, la société DSTORAGE a commis une faute, ou à tout le moins une grave négligence fautive, engageant sa responsabilité civile délictuelle sur le fondement des dispositions de l’article 1240 du code civil,

– juger que la société DSTORAGE voit en conséquence sa responsabilité engagée dans les termes du droit commun de la contrefaçon des marques suivantes dont est titulaire la société NINTENDO : marque de l’Union européenne n° 3388477 « Nintendo », marque de l’Union européenne n° 4112272 « Nintendo DS », marque de l’Union européenne n°155135 « Super Mario », marque de l’Union européenne n° 15148976 « Pokémon Sun », marque de l’Union européenne n° 15148919 « Pokémon Moon », marque internationale désignant l’Union européenne n° 1333221 « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », marque internationale désignant l’Union européenne n° 1635208 « Super Mario Odyssey», marque de l’Union européenne n° 479931 « Mario Kart », marque de l’Union européenne n° 13202841 « Splatoon », marque de l’Union européenne n° 17429424 «Pokémon Ultra Sun », marque de l’Union européenne n° 17429457 « Pokémon Ultra Moon»,

– juger que la société DSTORAGE voit en conséquence sa responsabilité engagée dans les termes du droit commun de la contrefaçon des droits d’auteur sur les jeux vidéo « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun », « Pokémon Moon », « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon » appartenant aux sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK,

– en conséquence,

– enjoindre la société DSTORAGE de retirer de son site Internet https://1Fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus listés dans les présentes écritures, et ce dans le délai de 48 heures à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 1 000 € (mille euros) par jour et par infraction à compter de 48 heures suivant la signification de la décision ; et en tant que de besoin, l’en condamner,

– dire que la cour sera compétente pour statuer, s’il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu’elle aura fixées,

– condamner la société DSTORAGE à payer aux sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK la somme cumulée de 1 368 500 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes illicites perpétrés par la société DSTORAGE,

– subsidiairement, ordonner à la société DSTORAGE sous astreinte de 10 000 € (dix mille euros) par jour de retard après une période de huit jours suivant la signification de la décision à intervenir, de communiquer tous documents ou informations permettant d’apprécier le nombre exact de téléchargements des fichiers notifiés par la société NINTENDO à la date de la décision à intervenir,

– condamner la société DSTORAGE à payer à la société NINTENDO la somme de 150 000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marques,

– condamner la société DSTORAGE à payer à la société NINTENDO la somme de 50 000 € en réparation du préjudice subi du fait des atteintes à sa réputation,

– ordonner et condamner la société DSTORAGE à fournir, sous astreinte de 10 000 € par jour de retard après une période de 15 jours à partir de la date de signification du jugement de première instance, les documents suivants, dont l’authenticité et la conformité devra être certifiée par l’expert-comptable ou le commissaire aux comptes de la société DSTORAGE :

– tout document attestant du nombre de fichiers téléchargés par les utilisateurs par lien litigieux notifié et identifié sur le site Internet http://1fichier.com,

– tout document attestant de l’identité des utilisateurs du site Internet http://1fichier.com ayant téléchargé les contenus litigieux,

– ordonner et condamner la société DSTORAGE à publier dans son intégralité et à ses frais la décision à intervenir, dans un délai de 24 heures à compter du prononcé de l’arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 000 € par jour de retard, sous la forme d’un document au format PDF reproduisant l’intégralité de l’arrêt et accessible à partir d’un lien hypertexte apparent situé sur la page d’accueil du site Internet https://1Fichier.com/, quelle que soit sa version linguistique, le lien étant formulé de la manière suivante : « PUBLICATION JUDICIAIRE : La société DSTORAGE a été condamnée par le tribunal judiciaire de Paris et la cour d’appel de Paris pour avoir porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la société Nintendo.»,

– en tout état de cause,

– débouter la société DSTORAGE de l’intégralité de ses demandes,

– condamner la société DSTORAGE à payer aux sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK la somme de 400 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société DSTORAGE aux entiers dépens, dont distraction au profit de Me ETEVENARD selon les termes de l’article 699 du code de procédure civile, en ce y compris le remboursement des frais relatifs à l’expertise qui sera ordonnée par la cour.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 31 janvier 2023.

MOTIFS DE LA DECISION

En application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu’elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur la demande de transmission de la question préjudicielle

La société DSTORAGE demande que soit posée à la Cour de justice de l’Union européenne la question suivante : “La faute d’un hébergeur n’ayant pas retiré un contenu dénoncé comme violant des droits de propriété intellectuelle suite à une notification est-elle une faute de comportement relative à l’absence de retrait ou un acte de contrefaçon par participation ‘”. Elle fait valoir que la question concerne l’application du droit de l’Union dès lors que les articles de la LCEN invoqués en la cause sont issus de la transposition de l’article 14 de la directive 2000/31/CE et qu’elle concerne également l’application du droit primaire de l’Union Européenne, à savoir les articles 11, 16 et 49 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne ; qu’une décision de la CJUE apparaît nécessaire pour juger l’affaire qui présente une question d’interprétation nouvelle présentant un intérêt général pour l’application uniforme du droit de l’Union et que la jurisprudence existante de la Cour de Justice ne fournit pas l’éclairage nécessaire pour répondre à la question soulevée et pour trancher le litige ; que cette jurisprudence laisse en effet planer un doute sur les conditions d’engagement de la responsabilité civile d’un hébergeur, ne précisant pas en particulier si la responsabilité de l’hébergeur qui n’a pas retiré un contenu notifié peut être engagée sur le fondement de la contrefaçon ou de la faute civile générale ; qu’en l’espèce, la société NINTENDO entretient la confusion, visant dans son dispositif l’article 1240 du code civil ainsi que les articles L. 335-2, L. 335-3, L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle ; que la société NINTENDO ne sait pas si elle doit rechercher la responsabilité de la société DSTORAGE du fait de l’absence du retrait des contenus à la suite de l’envoi de notifications sur le fondement de l’article 1240 du code civil qui sanctionne une faute de comportement ou sur le fondement de dispositions qui sanctionnent un acte de contrefaçon de droit d’auteur ou de droit des marques.

Les sociétés NINTENDO répondent en substance que la question n’est pas pertinente ; que l’évolution des questions préjudicielles soulevées par la société DSTORAGE en première instance et en appel est très erratique et démontre son intention de retarder indéfiniment la procédure, qui dure maintenant depuis près de quatre ans et demi ; que la question de la société DSTORAGE ne concerne pas l’interprétation ou la validité d’une règle de l’UE et n’est pas nécessaire pour la résolution le litige.

Ceci étant exposé, l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que : « La Cour de justice de l’Union européenne est compétente pour statuer, à titre préjudiciel sur :

(a) l’interprétation des traités,

(b) sur la validité et l’interprétation des actes pris par les institutions, organes ou organismes de l’Union.

Lorsqu’une telle question est soulevée devant une juridiction d’un des États membres, cette juridiction peut, si elle estime qu’une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de statuer sur cette question (…) »

Il en résulte qu’une question préjudicielle peut être transmise à la CJUE à condition qu’elle porte sur une norme ou un acte de l’Union et qu’elle soit nécessaire pour résoudre le litige.

En l’espèce, les sociétés NINTENDO fondent leur action à la fois sur la responsabilité délictuelle de droit commun et sur la responsabilité délictuelle résultant de la contrefaçon de droit d’auteur et de marques. Elles prétendent, en effet, selon le dispositif de leurs conclusions, d’une part, qu’en ne tenant pas compte des mises en demeure et des signalements de contenus illicites qui lui ont été adressés, la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité sur le fondement de l’article 6-I-2 de la LCEN et de l’article 1240 du code civil et, d’autre part, que la société DSTORAGE doit voir “en conséquence” sa responsabilité engagée pour la contrefaçon des onze marques précitées et celle des droits d’auteur sur neuf jeux vidéo. Les dispositions invoquées relèvent donc du droit national qui est seul en cause quand bien même les articles de la LCEN invoqués seraient issus de la transposition de l’article 14 de la directive 2000/31/CE et quand bien même certaines dispositions de cette directive concerneraient les droits fondamentaux protégés par le droit primaire de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en particulier la liberté d’expression et d’information, la liberté d’entreprise et les principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines (articles 11, 16 et 49).

Par ailleurs, la société DSTORAGE rappelle elle-même, à juste raison, qu’en droit français, il n’est pas possible d’invoquer pour de mêmes faits le cumul de deux régimes de responsabilité différents (pages 11 de ses écritures) et les sociétés NINTENDO indiquent, non sans ambiguïté, ce dont il appartiendra à la cour de tirer les conséquences, que leur action n’est pas fondée sur la contrefaçon mais seulement sur l’article 6 de la LCEN et l’article 1240 du code civil.

La question dont la société DSTORAGE demande la transmission à la CJUE n’apparaît donc pas nécessaire à la résolution du litige.

La demande de transmission d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne sera en conséquence rejetée.

La cour observe que, nonobstant le libellé du dispositif des conclusions de la société DSTORAGE, le jugement n’est en réalité pas critiqué en ce qu’il a rejeté ses conclusions aux fins de transmission de cinq questions préjudicielles à la CJUE pour un motif de procédure, tenant à ce que ces conclusions avaient été transmises tardivement, ne permettant pas aux demanderesses de répliquer et d’organiser leur défense utilement. Le jugement sera donc confirmé de ce chef.

Sur la responsabilité de la société DSTORAGE en tant qu’hébergeur de contenus

La société DSTORAGE soutient qu’aucune faute ne peut lui être reprochée. Elle fait valoir, de première part, que les notifications fournies par NINTENDO ne lui permettaient pas de disposer de la connaissance de l’illicéité prétendue compte tenu (i) du manque de clarté dans la désignation du notifiant, les notifications envoyées par la société MBARGO, prestataire de la société NINTENDO, étant insuffisantes à cet égard, (ii) de l’absence de justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’avait pu être contacté, (iii) de l’absence de justification de l’atteinte aux droits revendiqués par la société NINTENDO, celle-ci s’étant notamment dispensée de toute démonstration quant à la titularité des droits d’auteur allégués et quant à l’originalité des oeuvres invoquées et aucun usage au sens du droit des marques n’ayant été caractérisé dans l’utilisation du fichier 1Fichier.com. Elle fait valoir, de deuxième part, qu’elle a eu un comportement “d’hébergeur raisonnable” en mettant en place des mesures d’autorégulation telles qu’encouragées par les instances européennes, en l’occurrence en proposant gratuitement aux ayants droit qui le souhaitent, l’utilisation d’une interface de retrait permettant d’entrer le lien et la description du contenu considéré comme illicite et de procéder à son retrait effectif dès lors que la demande répond aux conditions d’éligibilité, et que le refus de la société NINTENDO d’utiliser cette interface de retrait et de préférer faire perdurer l’accès à des contenus qu’elle considère comme illicites, plutôt que d’utiliser une solution sollicitée par un pan important de l’industrie culturelle, est difficilement explicable.

Les sociétés NINTENDO répondent qu’en suite de plusieurs décisions rendues par la CJUE et le Conseil Constitutionnel, il est de jurisprudence constante que les hébergeurs ayant failli à leur obligation de prompt retrait des contenus notifiés engagent leur responsabilité ; qu’ainsi le refus de promptement retirer ou de bloquer l’accès aux contenus notifiés comme portant atteinte à des droits de propriété intellectuelle (sans avoir à se rendre devant un juge), engage la responsabilité de l’hébergeur notifié ; que constitués de copies identiques de jeux vidéo NINTENDO, les contenus en cause dans la présente affaire sont manifestement illicites et la reproduction et la mise à disposition du public de ces jeux sur le site https://1fichier.com sans leur autorisation portent atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle, aussi bien à leurs marques désignant les jeux vidéo NINTENDO ou protégeant le titre des jeux vidéo NINTENDO qu’à leurs droits d’auteur sur lesdits jeux ; que l’atteinte aux marques est caractérisée tant dans le nom des fichiers téléchargés grâce aux liens hébergés par DSTORAGE que dans les fichiers téléchargés eux-mêmes, c’est-à-dire les copies non autorisées des jeux vidéo NINTENDO téléchargées ; que les jeux vidéo NINTENDO, notamment par le détail de leurs graphismes, leur scénario, leur bande son et leur “gameplay”, pris indépendamment ou combinés, constituent manifestement des ‘uvres originales protégées par des droits d’auteur dont elles sont titulaires ; que la société DSTORAGE est responsable pour n’avoir pas promptement retiré les contenus manifestement illicites dûment notifiés ; qu’elle a eu connaissance du caractère illicite des contenus grâce aux notifications qui lui ont été envoyées ; que le caractère illicite du contenu ne doit pas être constaté au préalable par un juge avant son retrait ; que l’existence d’une offre contractuelle de DSTORAGE n’a aucune incidence, n’exonère en rien l’appelante de ses obligations et qu’il n’est pas obligatoire d’y recourir ; que le présent litige vise à engager la responsabilité dérogatoire de l’hébergeur et ne constitue pas une action en contrefaçon.

Ceci étant exposé, l’article 14 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite “directive sur le commerce électronique” prévoit :

“1. Les États membres veillent à ce que, en cas de fourniture d’un service de la société de l’information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d’un destinataire du service à condition que :

a) le prestataire n’ait pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicite et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n’ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente

ou

b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible (…)”.

L’article 6-I-2 de la LCEN, transposant cet article en droit français, dispose ” Les personnes physiques ou morales qui assurent, même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu cette connaissance, elles ont agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible (‘)”

L’article 6-I-5 de la même loi, dans sa version applicable aux faits de la cause, prévoit par ailleurs que “La connaissance des faits litigieux est présumée acquise par les personnes désignées au 2 lorsqu’il leur est notifié les éléments suivants :

– la date de la notification ;

– si le notifiant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ; si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement ;

– les nom et domicile du destinataire ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social ;

– la description des faits litigieux et leur localisation précise ;

– les motifs pour lesquels le contenu doit être retiré, comprenant la mention des dispositions légales et des justifications de faits ;

– la copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification, ou la justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté.

(‘)”

En vertu de ces dispositions, un hébergeur voit sa responsabilité engagée du fait des activités ou des informations stockées s’il a effectivement eu connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances laissant apparaître ce caractère, étant précisé que la notification vaut présomption de connaissance, et si, dès le moment où il en a eu cette connaissance, il n’a pas agi promptement

pour retirer ces contenus ou en rendre l’accès impossible.

Il n’est pas contesté en l’espèce que la société DSTORAGE, qui offre un service de stockage de données, a la qualité d’hébergeur et que sa responsabilité est régie par l’article 6-I-2 précitée.

La CJUE a eu l’occasion de préciser la notion de “connaissance” par un hébergeur (“le prestataire”) susceptible d’engager sa responsabilité. Elle a ainsi jugé que “pour que les règles énoncées à l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31 ne soient pas privées de leur effet utile, elles doivent être interprétées en ce sens qu’elles visent toute situation dans laquelle le prestataire concerné prend connaissance, d’une façon ou d’une autre, de tels faits ou circonstances. Sont ainsi visées, notamment, la situation dans laquelle l’exploitant d’une place de marché en ligne découvre l’existence d’une activité ou d’une information illicites à la suite d’un examen effectué de sa propre initiative, ainsi que celle dans laquelle l’existence d’une telle activité ou d’une telle information lui est notifiée. Dans ce second cas, si une notification ne saurait, certes, automatiquement écarter le bénéfice de l’exonération de responsabilité prévue à l’article 14 de la directive 2000/31, étant donné que des notifications d’activités ou d’informations prétendument illicites peuvent se révéler insuffisamment précises et étayées, il n’en reste pas moins qu’elle constitue, en règle générale, un élément dont le juge national doit tenir compte pour apprécier, eu égard aux informations ainsi transmises à l’exploitant, la réalité de la connaissance par celui-ci de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité” (L’Oréal c. E Bay, 12 juillet 2011, C-324/09, points 121 et 122).

Dans un arrêt plus récent, la CJUE a confirmé que “En ce qui concerne, plus particulièrement, la seconde des hypothèses prévues à l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive sur le commerce électronique, à savoir celle visant la « connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente », la Cour a constaté qu’il suffit que le prestataire de services concerné ait pris connaissance, d’une façon ou d’une autre, de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité en cause et agir conformément à cet article 14, paragraphe 1, sous b). Sont ainsi visées, notamment, la situation dans laquelle un tel prestataire découvre l’existence d’une activité ou d’une information illicite à la suite d’un examen effectué de sa propre initiative ainsi que celle dans laquelle l’existence d’une telle activité ou d’une telle information lui est notifiée” (Frank Peterson c. Google LLC, YouTube LLC, YouTube Inc. et Google Germany GmbH et Elsevier Inc. c. Cyando , 22 juin 2021, C-682/18 et C-683/18).

Les contenus qui contrefont les droits de propriété intellectuelle sont inclus dans la catégorie des contenus illicites visés par les articles précités de la LCEN et, comme l’a rappelé le tribunal, la connaissance que peut avoir un hébergeur de contenus de leur illicéité manifeste est présumée dès lors qu’une notification respectant les conditions posées par l’article 6-I-5 de la LCEN lui a été adressée, et ce, sans qu’une décision de justice prélable soit requise.

Dans les affaires précitées ayant donné lieu à la décision rendue le 22 juin 2021 par la CJUE, l’avocat général a précisé : « Le caractère contrefaisant d’une information ne peut être considéré comme « apparent », au sens de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de la directive 2000/31, que lorsque le prestataire concerné a reçu une notification lui donnant des éléments qui permettraient à un « opérateur économique diligent » placé dans sa situation de constater ce caractère aisément et sans examen juridique et matériel approfondi. Concrètement, cette notification doit identifier l”uvre protégée, décrire l’atteinte reprochée et fournir des indices suffisamment clairs quant aux droits que la victime allègue avoir sur l”uvre. ».

Sur le caractère clair et complet des notifications

C’est pour de justes motifs, adoptés par la cour, que le tribunal a écarté les moyens présentés par la société DSTORAGE tirés du manque de clarté des deux notifications les 22 et 30 janvier 2018 qui lui ont été adressées quant à la désignation du notifiant, et de l’absence de justification de ce que l’auteur ou l’éditeur n’avait pu être contacté. Le tribunal, comme la cour, a constaté que les deux notification avaient été adressées, non par une société tierce MBARGO, mais par le conseil des sociétés NINTENDO, et qu’elles répondaient aux conditions de forme prescrites par l’article 6-I-5 précité de la LCEN.

Le tribunal a exactement retenu par ailleurs que le grief selon lequel les sociétés NINTENDO n’avaient pas justifié de l’impossibilité de contacter l’auteur ou l’éditeur n’était pas plus fondé dès lors que les deux notifications indiquent expressément « En outre, les personnes ayant mis en ligne les contenus litigieux ne sont pas identifiées sur votre site internet « https://1fichier.com » et, que faute d’identification, il ne peut être reproché aux sociétés NINTENDO de ne pas indiquer les raisons pour lesquelles l’auteur ou l’éditeur des contenus litigieux n’a pu être contacté, celles-ci apparaissant évidentes, ni d’avoir envoyé leur demande de retrait à l’hébergeur de contenus sans avoir obtenu au préalable une réponse de l’auteur ou de l’éditeur.

La circonstance que pour expliquer le cheminement suivi par l’internaute pour accéder aux contenus hébergés sur le site 1fichier.com exploité par la société DSTORAGE, les sociétés NINTENDO ont été en mesure d’identifier l’origine d’un fichier litigieux comme provenant d’un site romspure.com renvoyant à une adresse mail est de peu d’emport alors que la société DSTORAGE ne conteste pas avoir indiqué dans ses écritures de première instance que l’identité des auteurs n’était pas dévoilée sur son site internet (“DSTORAGE est un service qui stocke du contenu et non une plate-forme de partage de vidéos. Il est donc inutile de révéler l’identité de ses utilisateurs.”).

Sur la démonstration de l’illicéité des contenus dénoncés

Les notifications des 22 et 30 janvier 2018, rédigées quasiment de la même façon, indiquent notamment :

” (…) La société NCL [NINTENDO] développe et fabrique des consoles de jeux et des jeux vidéo dans de nombreux pays à travers le monde, et notamment en France on ses produits sont distribués par la societé NINTENDO FRANCE SARL. Ces produits incluent différents modèles de consoles de jeux Nintendo DS (en ce compris notamment les consoles Nintendo DS, Nintendo DS Lite, Nintendo DSi, Nintendo DSi XL, Nintendo 3DS, Nintendo 3DS XL, Nintendo 2DS, New Nintendo 3DS, New Nintendo 3DS XL et New Nintendo 2DS XL), Nintendo Wii (en ce compris notamment les consoles Nintendo Wii et Nintendo Wii U) et Nintendo Switch, ensemble ci-après dénommées ” les Consoles de jeux Nintendo”. Ces produits comprennent également des jeux vidéo pour les Consoles de jeux Nintendo (tels que, par exemple, ” Super Mario Maker pour Nintendo”, “Pokemon Sun” et “Pokemon Moon”), [la notification du 30 janvier 2018 indiquant : “The Legend of Zelda : Breath of the Wild”, “Super Mario Odyssey”, “Mario Kart 8”, “Slatoon 2”, “Pokémon Ultra Sun” et “Pokémon Ultra Moon”)], ensemble ci-après dénommés les “Jeux Vidéo Nintendo “. La société NCL vend également les Jeux Vidéo Nintendo via une plate-forme propriétaire en ligne appelée Nintendo eShop. Les consommateurs qui ont acheté des Consoles de jeux Nintendo connectées à Internet peuvent acheter et télécharger les Jeux Vidéo Nintendo du Nintendo eShop directement sur leur console. NCL ne vend ni ne disiribue de Jeux Vidéo Nintendo via aucune autre plateforme en ligne. Les Jeux Vidéo Nintendo mis à disposition en ligne autrement que via le Nintendo eShop sont donc toujours des copies non autorisées.

La société NCL est titulaire de droits de propriété intellectuelle sur les Consoles de jeux Nintendo et le titulaire ou co-titulaire des Jeux Vidéo Nintendo. En particulier, tous les Jeux Vidéo Nintendo et Consoles de jeux Nintendo sont protégés par des droits d’auteur. Les droits d’auteur sur les Jeux Vidéo Nintendo appartiennent soit exclusivement à NCL, soit ils sont codétenus par NCL et les sociétés Pokemon. En outre, la société NCL est titulaire de marques désignant ses Consoles de jeux Nintendo et Jeux Vidéo Nintendo, telles que notamment les marques figuratives “Nintendo” (marque de l’Union Européenne n° 3388477) et “Nintendo DS” (marque de l’Union Européenne n° 4112272), ainsi que la marque surnommée “Nintendo Racetrack Logo” (marque de l’Union Européenne n° 5021423). La société NCL a également enregistré plusieurs marques protégeant le titre de ses jeux vidéo, telles que, par exemple, les marques “Super Mario” (marque de l’Union Européenn n°155]35), [la notification du 30 janvier 2018 indiquant : “The Legend of Zelda : Breath of the Wild” (marque internationale désignant l’UE n° 1333221), “Super Mario Odyssey” (marque internationale désignant l’UE n° 1365208), “Mario Kart 8” (marque de l’UE n° 479931), “Slatoon 2” (marque de l’UE n° 13202841), “Pokémon Ultra Sun” (marque de l’UE n° 17429424)et “Pokémon Ultra Moon” (marque de l’UE n° 17429457)]. Ces droits de propriété intellectuelle sont ci-après dénommés ensemble “DPIs” de la société NCL.

NCL a confirmé que votre société héberge sur ses serveurs et met à disposition du public, par l’intermédiaire de son site internet “https://1fichier.com”, des copies non autorisées de Jeux Vidéo Nintendo qui peuvent être téléchargées illicitement par les consommateurs, et notamment des jeux intitulés “Super Mario Maker pour Nintendo 3DS “, “Pokemon Sun” et “Pokemon Moon”. Vous trouverez ci-joint un tableau Excel qui identifie des exemples d’URLs litigieuses. NCL a pu constater que ces jeux vidéo sont téléchargeables.

La reproduction et la mise à disposition du public de Jeux Vidéo Nintendo sans l’autorisation de NCL et des sociétés POKEMON sont constitutives de contrefaçon des DPIs de NCL et, le cas échéant, des sociétes POKEMON, ainsi que de plusieurs infractions pénales prévues par le Code de la propriété intellectuelle(ci-après “CPI”), en ce compris notamment la contrefaçon de logiciel et de droits d’auteur (articles L. 335-2 et 3 du CPI), ainsi que la contrefaçon de marque (articles L. 713-2, L. 713-3 et L. 716-10 du CPI).

Conformément à l’article 6 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la Confiance dans l’Economie Numérique (“LCEN”), votre société est tenue de supprimer ou bloquer l’accès à un contenu hébergé sur ses serveurs et/ou mis à disposition du public par l’intermediaire de son site internet dès qu’elle sait ou aurait dû savoir que ce contenu est illicite (…)”.

C’est pour de justes motifs, adoptés par la cour, que le tribunal a retenu que les deux notifications et les tableaux y annexés indiquaient précisément que les marques précitées de la société NINTENDO, désignées par leur numéro d’enregistrement, étaient reproduites dans des liens permettant de télécharger des fichiers contenant des jeux vidéo, sans l’autorisation de leur titulaire, que le caractère contrefaisant de certains de ces liens était au demeurant manifeste dès lors qu’ils comportaient la reproduction des marques ainsi que des mentions telles que “spoofed” (usurpé) ou “game free downlaod” (téléchargement gratuit de jeux), et que les fondements légaux relatifs à la contrefaçon de marque étaient mentionnés, de sorte que les demanderesses avaient effectivement notifié à la société DSTORAGE la description des contenus litigieux, leur localisation précise, ainsi que les motifs légaux justifiant qu’ils soient retirés ou rendus inaccessibles, et ce dans les condition prescrites par l’article 6-I-5 précité de la LCEN.

L’argumentation de la société DSTORAGE selon laquelle aucun acte de contrefaçon de marques ne saurait lui être imputé dès lors que les utilisateurs du service 1fichier.com ne font pas d’usage dans la vie des affaires des marques de la société NINTENDO est vaine dès lors que, comme l’ont relevé les premiers juges, l’action des sociétés NINTENDO n’est pas fondée sur la contrefaçon de marques mais sur la responsabilité propre aux hébergeurs de contenus, la démonstration d’un usage dans la vie des affaires des marques concernées n’étant donc pas nécessaire pour établir la responsabilité de la société DSTORAGE.

Cependant, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, la cour estime que les deux notifications adressées à la société DSTORAGE répondent également aux conditions prescrites par l’article 6-I-5 précité de la LCEN s’agissant des droits d’auteur invoqués par les sociétés NINTENDO sur les jeux vidéo, lesquels étaient précisément désignés et identifiés, sans qu’il puisse en outre être exigé de ces dernières, au stade de la notification, qu’elles procèdent, comme dans le cadre d’une action en contrefaçon de droits d’auteur, à la démontration de la titularité de leurs droits, de l’originalité des jeux concernés ou encore de la matérialité d’actes de contrefaçon, alors que ni la titularité des droits ni l’originalité des jeux ni la reproduction des jeux vidéo par les contenus litigieux n’a été formellement contestée par la société DSTORAGE dans les réponses qu’elle a apportées par courriel aux sociétés NINTENDO, ce qui n’appelait par conséquent pas d’informations complémentaires sur ces points. Les sociétés notifiantes relèvent en outre à juste titre qu’elles pouvaient se prévaloir de présomptions tant pour la titularité de leurs droits, que pour l’originalité des jeux vidéo. Il sera ajouté que les jeux vidéo en cause sont très connus, ayant été vendus en plusieurs millions d’exemplaires dans le monde, ainsi que le démontrent les articles internet et de presse fournis en pièce 60 par les intimées. Comme le souligne pertinemment les sociétés NINTENDO, une telle exigence de démonstration, non requise par les textes précités de la LCEN, ajouterait une condition que la LCEN ne prévoit pas et reviendrait à priver d’effet utile le système de notification prévu par cette loi.

Il sera donc retenu que les notifications étaient suffisantes pour permettre à la société DSTORAGE de connaître les faits ou circonstances faisant apparaître le caractère manifestement illicite des contenus dont elles demandaient le retrait, aussi bien quant aux droits d’auteur qu’aux droits de marques invoqués.

Sur la faute de la société DSTORAGE

La société DSTORAGE a reçu les deux notifications précitées portant à sa connaissance des faits et circonstances que des contenus manifestement illicites étaient stockés sur son site 1fichier.com, et y a répondu en refusant de faire droit aux demandes de retrait des sociétés NINTENDO.

En n’agissant pas promptement pour retirer les données litigieuses ou en rendre l’accès impossible, elle a engagé sa responsabilité en application de l’article 6-I-2 de la LCEN sans qu’elle puisse se prévaloir d’un comportement d’ “hébergeur raisonnable” résultant du fait qu’elle a mis en place une procédure conventionnelle de suppression de contenus, optionnelle, réservée aux signataires d’un contrat de prestation de service, consistant en une interface de retrait accessible au notifiant grâce à un identifiant. La société DSTORAGE indique qu’un tel outil est désormais prévu par la LCEN dont l’article 6-I-5, dans sa nouvelle version, prévoit désormais que la notification doit contenir “les motifs légaux pour lesquels le contenu litigieux devrait être retiré ou rendu inaccessible” mais précise que “cette condition est réputée satisfaite dès lors que le service de communication au public en ligne mentionné au même 2 permet de procéder à la notification par un dispositif technique proposant d’indiquer la catégorie d’infraction à laquelle peut être rattaché ce contenu litigieux”, qu’il permet d’alléger les obligations mises à la charge des hébergeurs ne disposant pas des moyens humains, techniques ou financiers ou de la capacité d’analyse juridique suffisants pour honorer les obligations mises à leur charge par la LCEN, comme évoqué par le Conseil constitutionnel dans le commentaire de sa décisision du 10 juin 2004, et qu’il constitue même une obligation énoncée par l’article 16.1 du règlement (UE) 2022/2065 du 19 octobre 2022 (“Les fournisseurs de service d’hébergement mettent en place des mécanismes permettant à tout particulier ou à toute entité de leur signaler la présence au sein de leur service d’éléments d’information spécifiques que le particulier ou l’entité considère comme du contenu illicite. Ces mécanismes sont faciles d’accès et d’utilisation et permettent la soumission de notifications exclusivement par voie électronique”), de sorte que dans les mois à venir, la société NINTENDO aurait l’obligation d’utiliser l’interface de retrait qu’elle propose si elle souhaite obtenir le retrait de contenus illicites. Cependant, les textes nouveaux invoqués par la société DSTORAGE ne sont pas applicables aux faits de la cause qui leur sont antérieurs et le dispositif dont elle se prévaut, que les sociétés NINTENDO étaient libres d’accepter ou de refuser en janvier 2018, n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité née du fait qu’elle n’a pas procédé au retrait des contenus litigieux après les notifications qui lui ont été adressées conformément aux dispositions de la LCEN dans sa version alors applicable.

Sur les mesures réparatrices

La société DSTORAGE critique la méthode de calcul des dommages et intérêts octroyés aux sociétés NINTENDO par le tribunal. Elle fait valoir que les sociétés NINTENDO demandant réparation de leur préjudice à la fois sur le fondement de l’article 1240 du code civil et sur celui de la contrefaçon de droits d’auteur et de marques, le tribunal, au mépris d’une jurisprudence constante qui considère que le titulaire d’un droit privatif ne peut agir en réparation sur le fondement de l’article 1240 du code civil sans démontrer un fait distinct, après avoir caractérisé des actes de contrefaçon de marques, a fondé la réparation sur l’article 1240 du code civil, en retenant tout à la fois que la responsabilité de DSTORAGE ne pouvait être engagée sur le terrain de la contrefaçon et qu’une atteinte avait été portée au droit de marque de la société NINTENDO justifiant l’allocation de dommages et intérêts à hauteur de 50 000 € ; que le préjudice allégué est fantaisiste, reposant sur des attestations d’un des employés de NINTENDO quant au nombre de téléchargements, non corroborées par des éléments comptables ou des rapports d’expert indépendants, couvrant une période (juin 2017 au 15 février 2018) allant au-delà des dates de notifications (22 et 30 janvier 2018), alors qu’elle n’a pas été mise en connaissance de cause pour des faits litigieux qui auraient été commis antérieurement aux notifications et entre le 1er et le 15 février 2018 ; que sa faute ne saurait être caractérisée que pour l’absence de prompt retrait suite à la prise de connaissance, la période à prendre en compte commençant donc 7 jours à compter de la notification et allant jusqu’à la date de l’assignation ; que les notifications sont lacunaires, les liens listés en annexe aux notifications ne reproduisant que dans 76,9 % des cas les marques invoquées (ex. Pknm3DSpart1.rar ou GC013.part3.rar) ; qu’elle a procédé au retrait des contenus et à la publication ordonnés par le tribunal, de sorte que les demandes de confirmation du jugement sur ces points sont sans objet.

Les sociétés NINTENDO opposent qu’elles ont subi un préjudice particulièrement élevé du fait de l’atteinte à leurs droits de propriété intellectuelle sur les jeux vidéo Nintendo. Elles font valoir que les conséquences économiques du fait des copies non-autorisées de jeux vidéo sont considérables, notamment en termes de pertes de ventes ; que le préjudice est d’autant plus important que le site https://1fichier.com héberge de manière permanente au moins un fichier dont l’URL est reproduite sur de nombreux sites d’indexation, et qui permet aux utilisateurs d’accéder, de télécharger gratuitement et de jouer à l’un des jeux vidéo Nintendo ; que le montant de leur préjudice peut être évalué de la manière suivante : 170 000 téléchargements réussis de jeux vidéo Nintendo sur le site https://1fichier.com sur la période allant du 7 juin 2017 au 15 février 2018 X 8,05 € environ de marge réalisée dans la zone Europe pour chacun des jeux pour la période comprise entre l’année financière 2017 et l’année financière 2019 = 1 368 500 €.

La société NINTENDO ajoute qu’elle a incontestablement subi une atteinte à l’image de ses marques du fait de leur reproduction par l’appelante, pour laquelle elle demande la somme de 150 000 €, outre une atteinte à sa réputation du fait de l’hébergement en ligne de copies de ses jeux vidéo par la société DSTORAGE dans la mesure où les jeux vidéo Nintendo authentiques ne peuvent être licitement téléchargés que sur la boutique en ligne e-shop de Nintendo (50 000 €).

Ceci étant exposé, c’est à juste raison que le tribunal a précisé que le préjudice des sociétés NINTENDO ne pouvait être réparé que sur le fondement de l’article 1240 du code civil, à l’exclusion des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à l’évaluation du préjudice résultant de la contrefaçon de droit d’auteur et de marques, qui ne pourraient trouver à s’appliquer que si la responsabilité de la société DSTORAGE était engagée au titre de la contrefaçon de droits de propriété intellectuelle.

Le non retrait des contenus litigieux a permis aux utilisateurs de procéder gratuitement à des téléchargements de jeux vidéo qui ne sont disponibles en principe qu’à l’achat sur le site internet et la boutique en ligne NINTENDO. Les intimées justifient de ce que la marge moyenne réalisée sur les jeux vidéo en cause est de 8,05 euros (pièce 87 NINTENDO, attestation de M. [X], conseiller juridique senior en charge des droits de propriété intellectuelle de la société NINTENDO OF EUROPE, filiale à 100 % de la société NINTENDO). Le nombre de téléchargements réalisés est évalué par les demanderesses à 170 000 entre le 7 juin 2017 et le 15 février 2018 (pièce 86 NINTENDO, attestation de M. [S], conseiller juridique senior en charge des droits de propriété intellectuelle, non contestée utilement par la société DSTORAGE en ce qu’elle émane d’un salarié de la société NINTENDO, l’appelante n’indiquant pas le nombre de téléchargements réellement réalisés). Il y a cependant lieu de réduire la période prise en considération, le préjudice des sociétés NINTENDO procédant de l’absence de prompt retrait suite à la prise de connaissance résultant des notifications, ce qui conduit à retenir la période entre le 1er février 2018 et, comme le plaide l’appelante, l’assignation (24 mai 2018), et de tenir compte, comme le tribunal, du fait que les utilisateurs ayant procédé à un téléchargement grâce aux liens litigieux n’auraient pas tous acquis les jeux sur la boutique en ligne NINTENDO. La cour retiendra ainsi que 55 000 téléchargements ont été effectués.

La société DSTORAGE sera par conséquent condamnée à payer la somme de 8,05 x 55 000, soit 442 750 € à la seule société NINTENDO, les sociétés THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ne commercialisant pas les jeux vidéo en cause.

Il n’y a pas lieu en revanche de faire droit à la demande indemnitaire de la société NINTENDO au titre de l’atteinte aux droits qu’elle détient sur ses marques, ce qui relèverait d’une action en contrefaçon de marques – la demande est formulée dans le dispositif des conclusions des intimées comme une demande de réparation d’un préjudice né d’actes de contrefaçon de marques : “condamner la société DSTORAGE à payer à la société NINTENDO la somme de 150 000 € en réparation du préjudice subi du fait des actes de contrefaçon de marques” -, alors que tel n’est pas l’objet du présent litige, ainsi que la société NINTENDO le rappelle à plusieurs reprises dans ses écritures (notamment, page 77 ” le présent litige n’est pas fondé sur des dispositions de droit d’auteur telles que celles de la directive 2001/29/CE mais uniquement sur la responsabilité civile de l’Appelante en tant qu’hébergeur au sens de l’article 6 de la LCEN”, page 80 “le présent litige vise à engager la responsabilité dérogatoire d’un hébergeur et ne constitue pas une action en contrefaçon (…) Le fondement juridique de cette action n’est donc ni la directive 2001/29/CE, ni la jurisprudence en découlant, ni les dispositions en matière de contrefaçon contenues dans le Code de la Propriété Intellectuelle, mais bien le régime de responsabilité spécifique aux hébergeurs, à savoir l’article 14 de la directive 2000/31/EC du 8 juin 2000 (« Directive sur le commerce électronique ») ainsi que sa transposition en droit français par l’article 6 de la LCEN.”, page 83 “Contrairement à ce que la société DSTORAGE tente de faire croire à la Cour, la présente affaire n’étant pas une action en contrefaçon, la directive précitée [directive 2001/29/CE relative à des aspects de droits d’auteur et de droits voisins] n’est pas applicable”…).

Le jugement sera réformé en ce sens.

C’est à juste raison que le tribunal a rejeté la demande indemnitaire formée par la société NINTENDO au titre d’une atteinte à sa réputation du fait de l’hébergement en ligne de copies de ses jeux vidéo par la société DSTORAGE, les jeux authentiques ne pouvant être licitement téléchargés que sur sa boutique en ligne. Elle n’explicite pas en effet le préjudice qu’elle allègue, les utilisateurs ayant eu recours aux liens d’accès litigieux ne pouvant se méprendre sur le fait qu’ils ne procédaient pas licitement au téléchargement des jeux vidéo en cause depuis la boutique en ligne de la société NINTENDO ni sur le fait que ces jeux n’étaient pas mis à disposition avec son consentement.

Il n’y a pas lieu non plus, dans le cadre d’une action en responsabilité engagée sur le fondement des articles 6 de la LCEN et 1240 du code civil, de faire droit à la demande des sociétés NINTENDO relative à un droit d’information portant sur le nombre de fichiers téléchargés par les utilisateurs par les liens litigieux notifiés.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a ordonné à la société DSTORAGE de retirer de son site internet https://1fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus listés dans les tableaux figurant en pages 22 à 28 des conclusions n°5 des demanderesses, sous astreinte (pour les marques).

Il sera complété en ce sens qu’il sera également ordonné à la société DSTORAGE de retirer de son site internet https://1fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus concernant les copies des jeux vidéo « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun », « Pokémon Moon », « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon », sous astreinte comme précisé au dispositif.

Il y a lieu d’infirmer la mesure de publication ordonnée par les premiers juges dès lors que les condamnations pécuniaires y figurant ont été modifiées par la cour et il sera fait droit à la mesure de publication sollicitée en appel selon les modalités précisées au dispositif de cet arrêt.

Sur la demande indemnitaire de la société DSTORAGE au titre d’un préjudice de réputation

La société DSTORAGE demande réparation d’un préjudice d’image et de réputation résultant de ce que la société NINTENDO, à la suite du jugement, a publié un communiqué de presse ne reflétant pas la réalité de l’espèce.

Les sociétés NINTENDO ne répondent pas sur ce point.

La société DSTORAGE retranscrit comme suit le communiqué de presse incriminé : “Nintendo se félicite de la décision du Tribunal judiciaire de Paris. Le message qu’elle adresse est clair : en refusant de bloquer l’accès à des contenus tels que des copies non-autorisées de jeux vidéo nonobstant une notification préalable, les fournisseurs de services d’hébergement partagé tels que Dstorage (1fichier) engagent leur responsabilité en vertu du droit français et sont tenus de retirer ou de rendre impossible l’accès à de tels contenus.

Les services qui ne se conforment pas à la loi peuvent être condamnés à verser dommages et intérêts aux titulaires de droit dont les droits de propriété intellectuelle ont été violés. La reconnaissance de la responsabilité de DSTORAGE est importante, non seulement pour Nintendo, mais également pour toute l’industrie du jeu vidéo, les hébergeurs de contenus partagés comme 1Fichier ne pouvant prétendre qu’une décision de justice préalable est nécessaire au retrait de contenus illicites.”, mais sans se donner la peine d’expliciter en quoi ce communiqué ne serait pas le reflet de la réalité, ce qui ne ressort pas d’évidence de ses termes.

La demande sera rejetée.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

La société DSTORAGE, partie perdante pour l’essentiel, sera condamnée aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me ETEVENARD selon les termes de l’article 699 du code de procédure civile, et gardera à sa charge les frais non compris dans les dépens qu’elle a exposés à l’occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme gobale qui doit être mise à la charge de la société DSTORAGE au titre des frais non compris dans les dépens exposés par les sociétés NINTENDO peut être équitablement fixée à 25 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

Confirme le jugement sauf en ce qu’il a :

– condamné la société DSTORAGE à payer à la société NINTENDO la somme de 885 500 euros en réparation de son préjudice commercial et la somme de 50 000 euros en réparation de l’atteinte aux marques dont elle est titulaire ;

– ordonné la publication de l’insertion suivante extraite du jugement : « Par décision en date du 25 mai 2021, le tribunal judiciaire de Paris a jugé que la société DSTORAGE, qui exploite le site internet 1fichier.com, a engagé sa responsabilité en tant qu’hébergeur de contenus en ne procédant pas au retrait de contenus illicites malgré les notifications effectuées par les sociétés NINTENDO CO., LTD., THE POKEMON COMPANY, CREATURES INC. et GAME FREAK INC. et l’a condamnée à payer à la société NINTENDO CO LTD, les sommes de 885500 euros et de 50000 euros en réparation de ses préjudices. » ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

Rejette la demande de la société DSTORAGE de transmission d’une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne ;

Condamne la société DSTORAGE à payer à la société NINTENDO la somme de 442 750 euros en réparation de son préjudice commercial ;

Déboute les sociétés THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK de leur demande indemnitaire au titre d’un préjudice commercial ;

Déboute la société NINTENDO de sa demande indemnitaire au titre de l’atteinte aux marques dont elle est titulaire ;

Dit que les sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ont valablement notifié les 22 et 30 janvier 2018 à la société DSTORAGE la présence sur son site internet https://1fichier.com de contenus manifestement illicites car portant atteinte aux droits d’auteur sur les jeux vidéo « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun », « Pokémon Moon », « The Legend of Zelda : Breath of the Wild», « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon » appartenant aux sociétés NINTENDO, THE POKÉMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK ;

Dit qu’en n’agissant pas promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible, la société DSTORAGE a engagé sa responsabilité civile en tant qu’hébergeur de contenus ;

Ordonne à la société DSTORAGE de retirer de son site internet https://1fichier.com ou de bloquer l’accès aux contenus constituant des copies des jeux vidéo « Super Mario Maker pour Nintendo 3DS », « Pokémon Sun », « Pokémon Moon », « The Legend of Zelda : Breath of the Wild », « Super Mario Odyssey », « Mario Kart 8 », « Splatoon 2 », « Pokémon Ultra Sun » et « Pokémon Ultra Moon », et ce dans le délai de 72 heures à compter de la signification de la présente décision, sous astreinte de 1 000 euros par jour, l’astreinte courant sur six mois ;

Ordonne la publication, sur la page d’accueil du site internet https://1Fichier.com/ de la société DSTORAGE, de l’insertion suivante : « La société DSTORAGE a été condamnée par le Tribunal judiciaire de Paris et la Cour d’appel de Paris pour avoir porté atteinte aux droits de propriété intellectuelle de la société Nintendo. » ;

Dit qu’il sera procédé à cette publication sur un espace égal à un quart de l’écran et en-dessus de la ligne de flottaison, sans mention ajoutée, en police de caractères « Times New Roman », de taille 12, droits, de couleur noire et sur fond blanc, pendant une durée de 60 jours, passé le délai de 8 jours à compter de la signification du présent arrêt, le texte devant être précédé de la mention « COMMUNICATION JUDICIAIRE » en lettres capitales de taille 14, aux seuls frais de la société DSTORAGE, et ce, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, l’astreinte courant sur une durée de deux mois ;

Dit n’y avoir lieu pour la cour de se réserver la liquidation des astreintes ;

Rejette la demande des sociétés NINTENDO relative à un droit d’information ;

Rejette la demande de la société DSTORAGE au titre d’un préjudice de réputation ;

Condamne la société DSTORAGE aux dépens d’appel, dont distraction au profit de Me ETEVENARD selon les termes de l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’au paiement aux sociétés NINTENDO, THE POKEMON COMPANY, CREATURES et GAME FREAK de la somme globale de 25 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


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