Proposer une rupture conventionnelle ne constitue pas un fait de harcèlement
Proposer une rupture conventionnelle ne constitue pas un fait de harcèlement
Ce point juridique est utile ?

Le seul fait pour un employeur de proposer à un salarié une rupture conventionnelle ne constitue pas un fait de harcèlement, étant précisé en outre que l’employeur a proposé une rupture conventionnelle à d’autres salariés.

Remarques sur le travail du salarié 

Par ailleurs, le fait de faire des remarques à un salarié au cours d’un débriefing, afin d’améliorer la qualité de son travail, relève du pouvoir de direction de l’employeur. 

En l’occurrence, les remarques faites à l’intéressé par son supérieur de « chanter à l’antenne sur quasiment tous les titres », et de « parler de l’auditeur à la troisième personne » n’apparaissent pas humiliantes, et ne sont pas d’une nature différente de celles qui lui étaient faites antérieurement sur les imperfections des émissions. 

Il ressort par ailleurs de l’ensemble des pièces versées aux débats que le débriefing était une pratique habituelle avec les animateurs d’émissions. 

Qualification juridique d’un choc émotionnel

Le choc émotionnel subi par le salarié le jour où il a reçu la convocation à l’entretien préalable à licenciement, ne caractérise pas davantage un fait de harcèlement, la décision de licencier un salarié relevant également du pouvoir de direction de l’employeur, sous réserve d’un contrôle juridictionnel a posteriori en cas de contestation de son licenciement par le salarié.

Les agissements répétés de harcèlement moral

Pou rappel, aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Indices de l’existence d’un harcèlement

L’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n 2016-1088 du 8 août 2016, dispose que lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

***

COUR D’APPEL DE TOULOUSE

4eme Chambre Section 1

***

ARRÊT DU DEUX DECEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX

***

02/12/2022

ARRÊT N° 2022/528

N° RG 21/00500 – N° Portalis DBVI-V-B7F-N6NV

NB/KS

Décision déférée du 11 Janvier 2021 – Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CASTRES

( 19/00158)

D CANCE

SECTION ACTIVITES DIVERSES

S.A.R.L. SARL 100%

C/

[Z] [Y]

INFIRMATION PARTIELLE

Grosse délivrée

le

à

APPELANTE

S.A.R.L. SARL 100%

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentée par Me Fanny CULIE de la SELARL CCDA AVOCATS, avocat au barreau D’ALBI

INTIMÉ

Monsieur [Z] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représenté par Me Karim CHEBBANI de la SELARL CABINET CHEBBANI, avocat au barreau de TOULOUSE

Représenté par Me Clémence MAFFRE SERVIGNE, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR

En application des dispositions des articles 786 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 Septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

S. BLUME, présidente

M. DARIES, conseillère

N. BERGOUNIOU, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

Greffier, lors des débats : C. DELVER

ARRET :

— CONTRADICTOIRE

— prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties

— signé par S. BLUME, présidente, et par C. DELVER, greffière de chambre.

FAITS – PROCÉDURE – PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [Z] [Y] a été embauché à compter du 1er septembre 2014 par la SARL 100% en qualité d’animateur technico-réalisateur suivant contrat de travail à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de la radiodiffusion.

Par lettre recommandée et mail du 5 juillet 2019, la société 100% a convoqué M. [Y] à un entretien préalable à licenciement fixé au 17 juillet et lui a notifié sa mise à pied à titre conservatoire.

Le même jour, 5 juillet 2019, M. [Y] a déclaré avoir été victime d’un accident du travail et a été placé en arrêt de travail à ce titre pour un « choc émotionnel sur le lieu du travail ». La société 100% a effectué la déclaration d’accident en émettant des réserves.

Par lettre du 23 juillet 2019, M. [Y] a été licencié pour faute grave.

M. [Y] a saisi le conseil de prud’hommes de Castres, section activités diverses, le 22 août 2019 pour contester son licenciement et demander le versement de diverses sommes.

Par jugement du 11 janvier 2021, la juridiction saisie a :

— dit que M. [Y] n’a pas subi de harcèlement moral de la part de son employeur et que ce dernier n’a pas manqué à son obligation de sécurité,

— dit que le licenciement de M. [Z] [Y] est sans cause réelle et sérieuse,

— condamné la SARL 100% à verser à M. [Y] :

5 224,48 € à titre d’indemnité de préavis,

522,45 € au titre des congés payés y afférents,

3 755,05 € à titre d’indemnité légale de licenciement,

30 000 € à titre de dommages et intérêts,

— condamné la SARL 100% à remettre à M. [Y] les documents de fin de contrat et bulletins de paye rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter d’un mois après la mise à disposition du jugement,

— condamné la SARL 100% à verser à M. [Y] la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

— débouté M. [Y] de ses demandes autres ou plus amples,

— débouté la SARL 100% de l’ensemble de ses demandes,

— ordonné l’exécution provisoire du jugement,

— rappelé que les intérêts courent de plein droit au taux légal à compter de la mise en demeure de la partie défenderesse devant le bureau de conciliation en ce qui concerne les créances de nature salariale et à compter du prononcé de la présente décision pour les autres sommes allouées,

— condamné la SARL 100% aux entiers dépens de l’instance.

La société 100% a interjeté appel de ce jugement le 1er février 2021 dans des conditions de délai et de forme qui ne sont pas contestées, en énonçant dans sa déclaration d’appel les chefs de la décision critiqués.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 1er septembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des moyens, la SARL 100% demande à la cour de :

— à titre principal, juger que le licenciement de M. [Y] repose sur une faute grave et est donc justifié,

— en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a :

* jugé que le licenciement de M. [Y] est sans cause réelle et sérieuse,

* condamné la société à lui verser :

5 224,48 € titre d’indemnité de préavis,

522,45 € au titre des congés payés y afférents,

3 755,05 € à titre d’indemnité légale de licenciement,

30 000 € à titre de dommages et intérêts,

* condamné la société 100% à remettre à M. [Y] les documents de fin de contrat et bulletins de paye rectifiés sous astreinte de 50 € par jour de retard à compter d’un mois après la mise à disposition du jugement,

— statuant à nouveau, débouter M. [Y] de l’ensemble de ses demandes,

— à titre subsidiaire, juger que le licenciement de M. [Y] repose sur une cause réelle et sérieuse,

— en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a :

* jugé que le licenciement de M. [Y] est sans cause réelle ni sérieuse,

* condamné la société 100% à lui verser la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts,

— statuant à nouveau, débouter M. [Y] de sa demande au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

— à titre infiniment subsidiaire, appliquer l’article L. 1235-3 du code du travail,

— en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société 100% à verser à M. [Y] la somme de 30 000 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse,

— statuant à nouveau, limiter la condamnation au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7 836,63 € (3 mois de salaire) en application de l’article L. 1235-3 du code du travail,

— en toute hypothèse, confirmer le jugement en ce qu’il a :

* jugé que M. [Y] n’a pas subi de harcèlement moral de la part de son employeur,

* jugé que la société 100% n’a pas manqué à son obligation de sécurité de résultat,

* débouté M. [Y] des demandes de dommages-intérêts afférents et pour licenciement nul,

— infirmer le jugement en ce qu’il a :

* condamné la société 100% à verser à M. [Y] la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

* débouté la société 100% de l’ensemble de ses demandes,

* condamné la société 100% aux entiers dépens de l’instance,

— statuant à nouveau, condamner M. [Y] à verser à la société la somme

de 2 000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,

— débouter M. [Y] de ses demandes.

***

Par ses dernières conclusions communiquées au greffe par voie électronique

le 3 août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l’exposé des moyens,

M. [Z] [Y] demande en toute hypothèse à la cour de :

— réformer le jugement en ce qu’il l’a débouté de ses demandes relatives au harcèlement moral subi et au manquement de la société 100% à son obligation de sécurité,

— confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société 100% à lui verser plusieurs sommes en invalidant son licenciement pour faute grave,

— statuant à nouveau,

* reconnaître que son salaire mensuel brut de référence est de 2 612,24 € bruts,

* juger que l’employeur a commis des faits de harcèlement moral,

* reconnaître que la société 100% a manqué à son obligation de sécurité,

* reconnaître son licenciement pour faute grave comme nul,

* ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir,

— en conséquence, condamner la société 100% au paiement de :

—  30 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

—  20 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect de l’obligation de sécurité,

—  30 000 € nets à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,

—  5 224,48 € au titre de l’indemnité compensatrice de préavis ainsi que 522,45 € au titre des congés payés afférents,

—  3 809,47 € nets au titre de l’indemnité légale de licenciement,

—  150 € d’astreinte par jour de retard à partir du jugement à intervenir pour la remise des documents de fin de contrat et des bulletins rectifiés,

—  2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIVATION

— SUR LE HARCÈLEMENT MORAL

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction issue de la loi n 2016-1088 du 8 août 2016, dispose que lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [Y] soutient qu’à compter du mois de juin 2019, il a fait l’objet d’un harcèlement moral et de multiples pressions afin de signer une rupture conventionnelle du contrat de travail, lors d’un appel téléphonique, de mails et d’entretiens, qu’en outre, il lui a été demandé pour la première fois d’envoyer quotidiennement un mail relatant son émission La matinale, qu’il a fait l’objet de plusieurs critiques sur son travail constituant des tentatives d’intimidation et a reçu deux appels téléphoniques après son licenciement. Il ajoute qu’il a ainsi subi une dégradation significative de ses conditions de travail et de son état de santé, avant d’être licencié pour faute grave.

M. [Y] verse aux débats les pièces suivantes :

— un échange de mails entre le dirigeant de la société, M. [E] et lui-même desquels il ressort que M. [E] lui a proposé par téléphone le 6 juin 2019 une rupture conventionnelle de son contrat de travail qui a été évoquée lors d’un entretien du 11 juin à la suite duquel le salarié demandait par écrit des informations pour le cas où il accepterait cette rupture, qu’en réponse M. [E] lui proposait un nouvel entretien le 18 juin (pièce n° 5),

— un mail de M. [J], directeur d’antenne, intitulé ‘debriefing [Z]’, datant du mois d’avril 2019, dans lesquels M. [J] félicite M. [Y] sur de nombreux points et attire son attention sur certains points à améliorer, par exemple : ‘info route : l’entrée en matière est un peu longue, tu perds du temps… soit direct’ (pièce n° 20),

— un échange de mails entre M. [H] [E] et M. [Y], en date du 27 juin 2019, par lequel M. [E] demande à M. [Y] de ne pas chanter à l’antenne,

M. [Y] répondant qu’il va rectifier et y faire attention (pièce n° 22).

— un mail de M. [E] en date du 2 juillet 2019 adressé à M. [Y] et à [A] [X] libellé comme suit : ‘Une petite remarque à vous 2 ce matin. Attention de ne pas parler de l’auditeur à la troisième personne c’est excluant.’ pièce n°22b)

— une attestation établie le 7 octobre 2019 par Mme [P] [F], psychologue ,à la demande de M. [Y], qui indique qu’il présente un état anxieux en lien avec un état de violence post traumatique et que suite à un licenciement, il vient à son cabinet depuis le 13 juillet 2019 (pièce n° 25).

— une attestation établie le 8 octobre 2019 par le docteur [T] [U], neuropsychiatre, à la demande de M. [Y], qui précise donner des soins à ce patient depuis le 3 septembre 2019 en raison de troubles anxieux se situant dans l’évolution d’un état de stress postraumatique : stress aigu datant du 5 juillet 2019, dans l’exercice de sa profession et son milieu de travail (pièce n° 25).

Le seul fait pour un employeur de proposer à un salarié une rupture conventionnelle ne constitue pas un fait de harcèlement, étant précisé en outre que la société 100% a proposé une rupture conventionnelle à d’autres salariés.

Le fait de faire des remarques à un salarié au cours du débriefing, afin d’améliorer la qualité de l’émission, relève du pouvoir de direction de l’employeur. Ces remarques faites à l’intéressé par son supérieur de « chanter à l’antenne sur quasiment tous les titres », et de « parler de l’auditeur à la troisième personne » n’apparaissent pas humiliantes, et ne sont pas d’une nature différente de celles qui lui étaient faites antérieurement sur les imperfections des émissions. Il ressort par ailleurs de l’ensemble des pièces versées aux débats que le débriefing était une pratique habituelle avec les animateurs d’émissions, et que dès le mois d’avril 2019, M. [Y] proposait à son employeur d’assurer des débriefings quotidiens .

Le choc émotionnel subi par le salarié le 5 juillet, jour où il a reçu la convocation à l’entretien préalable à licenciement, ne caractérise pas davantage un fait de harcèlement, la décision de licencier un salarié relevant également du pouvoir de direction de l’employeur, sous réserve d’un contrôle juridictionnel a posteriori en cas de contestation de son licenciement par le salarié.

Le fait qu’il ait reçu aprés son licenciement deux appels téléphoniques émanant de Mme [I] [G], sour de M. [E] et de M. [J], directeur d’antenne, ne constitue pas davantage un fait de harcèlement, M. [Y] n’étant plus dans un lien d esubordination avec l’employeur.

Il ressort de l’ensemble des observations qui précèdent que le salarié ne présente pas des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.

C’est donc pertinemment que les premiers juges ont considéré que le harcèlement moral invoqué par M. [Y] n’était pas caractérisé et ont débouté l’intéressé de sa demande de dommages-intérêts à ce titre.

— SUR LE MANQUEMENT À L’OBLIGATION DE SÉCURITÉ

Salon l’article L.4121-1 du code du travail, l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

M. [Y] fait valoir que la société 100% est défaillante dans son obligation de sécurité en matière de harcèlement moral puisqu’elle n’a pris aucune mesure pour empêcher une telle situation, alors qu’il avait signalé par mail du 5 juillet 2019 avoir été choqué et anéanti par la proposition de rupture conventionnelle.

Dans la mesure où la cour retient que M. [Y] n’a pas subi de harcèlement moral, le manquement à l’obligation de sécurité invoqué n’est pas établi.

Ce d’autant que le mail du 5 juillet 2019 et le choc émotionnel constitutif de l’accident du travail du même jour font suite à l’envoi de la lettre de convocation à l’entretien préalable à licenciement, doublée d’un mail, qui ne peut constituer un tel manquement, s’agissant de la mise en oeuvre de manière régulière d’une procédure légale, peu important à cet égard le bien fondé ou non du licenciement.

La décision du conseil de prud’hommes qui a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité sera donc confirmé.

— SUR LE LICENCIEMENT

La faute grave se définit comme un fait ou un ensemble de faits, personnellement imputables au salarié, constituant une violation d’une obligation contractuelle ou un manquement à la discipline de l’entreprise, d’une gravité telle qu’elle rend impossible son maintien dans l’entreprise.

Lorsque l’employeur retient la qualification de faute grave dans la lettre de licenciement, il lui incombe de rapporter la preuve matérielle des faits reprochés à son salarié.

La lettre de licenciement de M. [Y] est ainsi motivée :

« Nous avons le regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave.

Conformément aux dispositions légales, nous vous informons que cette mesure se justifie en raison :

— d’une part, d’une violation grave, délibérée, et caractérisée de vos obligations contractuelles;

— d’autre part, d’une violation des dispositions de l’article L.3512-4 du code de la santé publique.

En effet, vous avez été engagé en qualité d’animateur radio.

Vous étiez chargé, d’une manière générale, d’exécuter les tâches habituellement attachées à une fonction d’animateur au sein de la Radio 100%.

Au titre de votre contrat de travail, il vous appartenait d’effectuer l’enregistrement, la rédaction, la diffusion des messages et éléments sonores tout en respectant les orientations et la politique de programmes, tout manquement à ce sujet constituant un motif de licenciement dans la mesure où ne seraient pas respectées les règles légales qui régissent notre activité.

Or, le 4 juin 2019, lors d’une prise d’antenne sur le tabac, vous avez interviewé des enfants et avez introduit leurs propos sur ce qu’est une cigarette en disant ‘il faut mettre le paquet’.

Cette phrase a été reprise à l’antenne par [R] [W] qui a été particulièrement choqué par vos paroles laissant penser que vous incitiez des enfants à fumer.

Vous avez alors passé une série d’interviews d’enfants auxquels vous demandiez ‘C’est quoi une cigarette ”.

Ceux-ci vous ont alors répondu sans que vous n’ayez jamais pris soin de faire passer un message de prévention ou d’explication sur les dangers du tabac, particulièrement pour des enfants.

Ce comportement s’assimile donc à de la promotion du tabac totalement interdite et qui n’a pas manqué de choquer les auditeurs qui nous ont écrit avec des propos particulièrement graves et accusateurs portant atteinte à l’image de marque de notre radio, ce que nous ne saurions accepter.

En effet, les 11 juin et 28 juin 2019, nous avons reçu deux courriers d’auditeurs nous faisant part de leur indignation après avoir entendu l’émission à l’antenne, dont voici des extraits :

Le 11 juin 2019 ‘Monsieur le directeur de radio 100/100,

Je vous fais part de mon indignation quant à la publicité pour la cigarette que vous avez faite sur votre radio auprès d’enfants.

Il est vraiment écoeurant d’entendre ces pauvres ‘pitchouns’ se faire tenter pour une cigarette par votre animateur.

Quel est le but ‘

Vous avez sûrement des publicités des fabricants de tabac qui vous rapportent gros.

Cherchez-vous de nouveaux clients pour les fabricants de cigarettes ‘

Ne croyez-vous pas que le tabac qui est une drogue a déjà tué assez de monde ‘

Vous devriez avoir honte et j’espère que les autorités compétentes sauront vous le rappeler.

En attendant vous avez perdu un fidèle auditeur.’

Le 28 juin ‘A l’attention des responsables de 100% radio

Messieurs, Mesdames les responsables de la radio 100%

c’est une auditrice et une maman en colère qui décide de vous écrire.

Il y a quelques jours vous avez essayé de faire fumer en direct des cigarettes à des enfants qui pourraient être les miens.

C’est absolument lamentable de votre part et j’espère que les parents de l’école où a été faite l’émission porteront plainte contre vous.

Tous les parents font des efforts pour protéger leurs enfants des dangers de la vie et vous venez leur parler de fumer.

Tout cela alors que la cigarette est un poison j’ai malheureusement pu le voir dans ma famille.

Je pense que je vais signaler votre infraction au ministère de la santé et au comité de l’audiovisuel.

Ca vous fera une bonne leçon !

N’intoxiquez pas nos enfants !

Plus jamais !’

Votre comportement est d’autant plus inacceptable qu’en tant que professionnel vous ne sauriez ignorer les dispositions de la loi Evin du 10 janvier 1991 qui prohibe toute promotion du tabac à l’antenne et a introduit l’article L.3512-4 du code de la santé publique.

De plus, le CSA a établi une note rappelant l’interdiction de toute publicité ou propagande, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac.

Enfin, dans sa délibération n°2008-51 du 17 juin 2008, le CSA a publié ses recommandations en matière de publicité pour le tabac.

Il rappelle que les interdictions du code de la santé publique en matière de publicité et de parrainage sont totales.

Il précise également que les émissions radiophoniques ne peuvent faire aucune promotion de quelconques produits du tabac dans les écrans publicitaires et qu’il ne tolère aucune référence non plus à ce sujet.

Vous comprendrez qu’au regard de ce manquement d’une particulière gravité qui porte atteinte de manière importante et sans doute durable à l’image de notre entreprise, nous sommes conduits à vous notifier votre licenciement pour faute grave. »

M. [Y] fait valoir qu’il était chargé d’animer l’émission la Matinale de 6 à 9 heures en compagnie de M. [W], animateur principal et producteur de l’émission qui a eu connaissance des propos tenus à l’antenne avant le moment de l’antenne et a choisi de les diffuser. Il ajoute que l’interview des enfants de l’école a été réalisée par un stagiaire et a été validé par la maîtresse.Il soutient que la retranscription de l’émission fournie par la société 100% ne justifie ni une faute ni même des propos inadaptés, il n’a ni incité des enfants à fumer, ni fait de la publicité pour le tabac, a fortiori pas essayé de faire fumer des enfants.,

Le texte intégral de l’émission du 4 juin 2019 « Les Pitchouns » est le suivant :

« [Z] [Y] : « Bon alors [R], vous savez que l’Occitanie est une des régions les plus touchées par le tabagisme. Il faut mettre le paquet, pour sensibiliser les jeunes, je suis allé les voir…. »

[R] [W] : « Il faut pas mettre le paquet de cigarettes ! Hein ! Justement ! »

[Z] [Y] : « Ah non…. le paquet pour arrêter de fumer, c’est différent. D’ailleurs les Pitchouns c’est quoi une cigarette ‘ »

Pitchoun 1 : « une cigarette c’est où on fait sortir de la fumée. »

Pitchoun 2 : « une cigarette c’est là où on fait sortir de la fumée et après la fumée et ben si y a quelqu’un qui sent la fumée ça sent pas bon. »

Pitchoun 3 : « pour moi la fumée les pompiers vont les voir et que quand vont les voir y a quelqu’un dans la maison, ils vont les appeler. »

Pitchoun 4 : « une cigarette c’est comme un bâton mais c’est pas un bâton. On prend un truc, après on le met dans la bouche et après on fume. »

[Z] [Y] : « Et voilà. »

[R] [W] : « Merci les Pitchouns ! Voici [O] [L] et [N] [S]… ».

[Z] [Y] « Et c’est pas bien de fumer on rappelle… ahah ».

Ainsi, M. [Y] introduit le sujet en mentionnant le « tabagisme » qui « touche » la région. Or, le tabagisme, qui se définit comme l’intoxication chronique par le tabac, une signification négative.

Ainsi, lorsque l’intéressé parle de « mettre le paquet », c’est pour « sensibiliser » les jeunes à cette intoxication.

Il apparaît d’ailleurs, qu’avec la complicité du co-animateur [R] [W], il fait un jeu de mots entre cette expression et le paquet de cigarettes, les deux intéressés prenant soin d’indiquer, de concert, qu’il ne faut pas mettre le paquet de cigarettes mais mettre le paquet pour arrêter…..Et M. [Y] termine en rappelant clairement que «ce n’est pas bien de fumer »

Dès lors, contrairement à ce qui lui est reproché, M. [Y] n’a pas fait la promotion du tabac, il n’a pas incité les enfants à fumer, il n’a pas contrevenu aux dispositions de la loi Evin qui prohibe toute publicité ou propagande, directe ou indirecte, en faveur du tabac ou des produits du tabac, ni aux recommandations du CSA, d’autant qu’il ne lui est pas fait grief d’avoir choisi le thème du tabac auprès des « Pitchouns ».

De plus contrairement à ce qui est indiqué dans les courriers visés dans la lettre de licenciement, s’insurgeant sur le contenu de l’émission, M. [Y] n’a pas tenté les enfants par une cigarette, n’a pas essayé de les faire fumer en direct, ce d’autant moins que la description de la cigarette faite par ces « pitchouns » est désagréable (la fumée, la mauvaise odeur, le feu).

Pour autant, ces deux courriers sont sans valeur probante, l’un étant un mail anonyme, l’autre une lettre au nom de Mme [D] non accompagnée de pièce d’identité justificative.

Il se déduit de ces éléments qu’aucune faute, grave ou constitutive de cause réelle et sérieuse, ne peut être reprochée à M. [Y], dont le licenciement a été pertinemment jugé comme injustifié par le conseil de prud’hommes, la nullité n’étant pas encourue à défaut de harcèlement moral subi par le salarié.

— Sur les conséquences du licenciement

Les premiers juges ont exactement calculé l’indemnité compensatrice de préavis et l’indemnité compensatrice de congés payés sur la base d’un salaire mensuel brut de 2 612,214 € ainsi que l’indemnité de licenciement en tenant compte d’une ancienneté de 5 ans et 9 mois.

La société 100% critique le montant des dommages-intérêts alloués à M. [Y] pour le licenciement injustifié au motif que le conseil de prud’hommes a refusé à tort de faire application du barème des dommages-intérêts issu de l’article L. 1235-3 du code du travail issu de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.

L’article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie.

Lorsque des dispositions internes sont en cause, comme en l’espèce, le juge du fond doit vérifier leur compatibilité avec les normes supra-nationales que la France s’est engagée à respecter, au besoin en écartant la norme nationale en cas d’incompatibilité irréductible.

L’article 6 ayant pour titre ‘droit à un procès équitable’ dispose :

‘Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. (…)’ .

Cet article ne peut en principe s’appliquer aux limitations matérielles d’un droit consacré par la législation interne.

Les dispositions de l’article L. 1235-3 du code du travail, qui limitent le droit matériel des salariés quant au montant de l’indemnité susceptible de leur être allouée en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, ne constituent pas un obstacle procédural entravant leur accès à la justice.

Dès lors, elles n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6 de ladite convention. C’est donc vainement que M. [Y] demande à la cour d’écarter l’application de l’article L.1235-3 du code du travail comme violant ces dispositions.

L’article 24 de la charte sus-visée consacré au ‘droit à la protection en cas de licenciement’ dispose :

‘En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaître :

a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;

b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.

A cette fin les parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial’.

Ces dispositions de la charte sociale européenne révisée le 3 mai 1996 ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

Dès lors, ce texte ne peut être utilement invoqué par l’appelant pour voir écarter les dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail.

Selon l’article 10 de la convention internationale du travail nº158 sur le licenciement de l’organisation internationale du travail, qui est d’application directe en droit interne :

« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »

Le terme ‘adéquat’ doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d’appréciation.

Selon l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, dont les dispositions sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de ladite ordonnance, si le

licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, lorsque la réintégration est refusée par l’une ou l’autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.

La cour estime que l’indemnisation fixée par ce barème est de nature à assurer la réparation du préjudice né de la rupture du contrat de travail de manière adéquate, il n’y a donc pas lieu d’en écarter l’application.

M. [Y] ayant une ancienneté de 5 ans et 9 mois dans une entreprise occupant au moins onze salariés, l’indemnisation de son préjudice est fixée à hauteur de six mois de salaire (maximum prévu part l’article L. 1235-3 du code du travail) soit 15 673 € compte tenu de la dégradation importante de son état de santé consécutive à son licenciement brutal et injustifié dont témoigne la persistance d’un trouble anxieux durant plusieurs mois et de ce qu’il a retrouvé un emploi début 2020 mais à durée déterminée.

La société 100% devra en outre, par application de l’article L. 1235-4 du code du travail, verser à Pôle emploi le montant des indemnités de chômage éventuellement payées à M. [Y] dans la limite de six mois d’indemnités.

— Sur les demandes accessoires

La décision des premiers juges concernant la remise des documents de fin de contrat rectifiés, sous astreinte, ainsi que la condamnation de la société 100% au paiement de la somme de 2 500 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens seront confirmées.

La société employeur devra en outre supporter les entiers dépens d’appel ainsi que la somme complémentaire de 1 000 € pour les frais non compris dans les dépens exposés devant la cour.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf sur le montant des dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Statuant à nouveau de ce chef et ajoutant au jugement,

Condamne la SARL 100% à payer à M. [Y] :

—  15 673 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

—  1 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés devant la cour,

Ordonne à la SARL 100% de rembourser à Pôle emploi, par application de l’article L. 1235-4 du code du travail, les indemnités de chômage éventuellement versées à M. [Y] dans la limite de six mois d’indemnités,

Condamne la SARL 100% aux dépens d’appel.

Le présent arrêt a été signé par S.BLUMÉ, présidente et par C.DELVER, greffière.

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

C.DELVER S.BLUMÉ


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