Votre panier est actuellement vide !
COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
1ère chambre 1ère section
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 7 MAI 2019
N° RG 16/04716
AFFAIRE :
[Q] [U]
SARL BOCCA D’ORO
SARL MARELE II
C/
SCP [Personne physico-morale 1][I] GRUEL JACHEET
[E] [V]
[X] [V]
[U] [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 Mai 2016 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 1
N° RG : 13/05278
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
-Me Céline BORREL
-SCP COURTAIGNE AVOCATS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT MAI DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant après prorogation le 1er mars 2019, le 2 et le 16 avril 2019, les parties en ayant été avisées dans l’affaire entre :
Monsieur [Q] [U]
né le [Date anniversaire 1] 1967 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Adresse 1]
SARL BOCCA D’ORO
N° SIRET : 448 492 660
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
SARL MARELE II
N° SIRET : 443 511 845
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
représentés par Me Céline BORREL, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 122 – N° du dossier 2016144
Me François FAVRE, avocat plaidant – barreau de THONON-LES-BAINS
APPELANTS
****************
SCP [Personne physico-morale 1][I] GRUEL JACHEET, notaires associés titulaires d’un office notarial
N° SIRET : [Personne physico-morale 1]9
[Adresse 4]
[Adresse 5]
représentée par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 – N° du dossier 016729
INTIMÉE
****************
Madame [E], [Z], [B] [V], intervenante volontaire en qualité d’héritière de M. [U] [V]
née le [Date anniversaire 2] 1991 à THONON LES BAINS (74200)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Madame [X] [V], intervenante volontaire en qualité d’héritière de M. [U] [V]
née le [Date anniversaire 3] 1994 à THONON LES BAINS (74200)
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Adresse 7]
représentées par Me Céline BORREL, avocat postulant – barreau de VERSAILLES, vestiaire : 122 – N° du dossier 2016144
Me François FAVRE, avocat plaidant – barreau de THONON-LES-BAINS
PARTIES INTERVENANTES VOLONTAIRES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 17 décembre 2018 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, président, et Madame Anne LELIÈVRE, conseiller, chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Alain PALAU, président,
Madame Anne LELIÈVRE, conseiller,
Madame Nathalie LAUER, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,
****************
Vu le jugement rendu le 24 mai 2016 par le tribunal de grande instance de Versailles qui a :
– débouté M. [U] [V], M. [Q] [U], la société Bocca d’Oro et la société Marele II de toutes leurs demandes,
– condamné M. [U] [V], M. [Q] [U], la société Bocca d’Oro et la société Marele II à payer à la SCP [Personne physico-morale 2][I] Gruel-Jacheet notaires associés la somme de 2.500 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné M. [U] [V], M. [Q] [U], la société Bocca d’Oro et la société Marele II aux dépens et dit qu’il pourra être procédé à leur recouvrement directement par la SCP Courtaigne Flichy Daste & Associés dans les conditions prévues par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Vu l’appel relevé le 22 juin 2016 par M. [U], M. [U] [V], la société Bocca d’Oro et la société Marele II à l’encontre de ce jugement ;
Vu l’ordonnance du 11 janvier 2018 du magistrat chargé de la mise en état ayant constaté l’interruption de l’instance suite au décès de [U] [V] survenu le [Date décès 1] 2017 ;
Vu les conclusions en intervention volontaire et aux fins de reprise d’instance notifiées le 12 mars 2018 par lesquelles Mmes [E] [V] et [X] [V], M. [U] , la société Bocca d’Oro et la société Marele II demandent à la cour de :
Vu les articles 373, 374 et 376 du code de procédure civile,
Vu le décès de M. [U] [V],
Vu l’intervention volontaire de Mmes [E] [V] et [X] [V], ses héritières ;
Vu le procès-verbal de l’Assemblée Générale Extraordinaire de la société Marele II ayant désigné Mmes [E] [V] et [X] [V] co-gérantes,
-Dire l’appel de la SARL Marele II, de la SARL Bocca d’Oro, de Mmes [E] [V] et [X] [V], venant aux droits de M. [U] [V] et [Q] [U] recevable et bien fondé,
-Réformer le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 24 mai 2016 en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau ;
Vu l’article 1382 (ancien) du code civil, devenu 1240,
-Juger que Maître [P] [D], Notaire associé dans la Société Civile Professionnelle [Personne physico-morale 1][I] Gruel- Jacheet, a commis une faute professionnelle en violant son obligation de conseil et de mise en garde,
-Condamner la Société Civile Professionnelle [Personne physico-morale 1][I] Gruel- Jacheet à payer :
1.à la SARL Marele II, la somme de 277 140 euros de dommages et intérêts, pour perte de chance de percevoir des intérêts sur le prêt de 923 850 euros du 6 mai 2005, et de faire fructifier son capital après le décès de M. [S] [B], le [Date décès 2] 2008 ,
2.à la SARL Marele II, à Mmes [E] [V] et [X] [V], venant aux droits de M. [U] [V], la somme de 10 000 euros, pour chacune, à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral ,
3.à la SARL Bocca d’Oro ainsi qu’à M. [Q] [U], pour chacun, la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour préjudice moral,
-Condamner la Société Civile Professionnelle [Personne physico-morale 1][I] Gruel- Jacheet à payer la somme de 5000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile , pour chacun de la SARL Marele II, Mmes [E] [V] et [X] [V], la SARL Bocca d’Oro, ainsi qu’à M. [Q] [U],
-Débouter la Société Civile Professionnelle [Personne physico-morale 1][I] Gruel Jacheet de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires,
-Condamner la Société Civile Professionnelle [Personne physico-morale 1][I] Gruel Jacheet aux entiers dépens, à recouvrer par Maître Céline Borrel ;
Vu les conclusions notifiées le 28 juin 2018 par lesquelles la SCP [Personne physico-morale 1][I] Gruel Jacheet demande à la cour de :
-Vu le prêt en date du 6 mai 2005,
-Vu le compromis de vente conclu à la même date,
Vu les articles 1382 devenu 1240 et suivants du code civil,
-Dire et juger [U] [V], aux droits duquel viennent Mmes [E] et [X] [V], M. [Q] [U] et les sociétés Marele II et Bocca d’Oro mal fondés en leur appel, les en débouter,
– Confirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions,
– Condamner M. [U] [V], aux droits duquel viennent Mmes [E] et [X] [V], M. [Q] [U] et les sociétés Marele II et Bocca d’Oro à payer à la SCP [Personne physico-morale 1][I] Gruel Jacheet, une somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– Les condamner aux entiers dépens dont le montant sera recouvré conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
SUR CE , LA COUR
Faits et procédure
M. [S] [B] était propriétaire indivis à hauteur d’1/6ème, d’un tènement d’une surface de 51 ha 77 ares et 01 centiares situé à Thonon les Bains et [Localité 2] (74). Les autres coïndivisaires étaient M. [T] [B] et M. [K] [B], chacun pour 1/6ème et M. [L] [Q] [Y] pour 3/6èmes.
M. [S] [B] était bénéficiaire d’un droit de préemption prioritaire mais ne disposait pas des fonds nécessaires à l’acquisition des droits de ses coïndivisaires.
Il a trouvé des partenaires en les personnes de M. [U] [V], de M.[Q] [U] et en celle de la société TIT (Transactions Immobilières Thononaises).
C’est dans ces circonstances que M. [S] [B] ou tout substitut, a conclu, suivant acte sous seing privé du 25 octobre 2004, intitulé “Protocole”, avec M. [U] [V] ou tout substitut, M. [Q] [U] ou tout substitut, la SARL T.I.T, représentée par son gérant M.[M] [M], son gérant, aux termes duquel ils ont décidé de constituer ensemble une SARL dénommée SARL Lauzenette, aux fins d’acquérir les 5/6èmes de l’ensemble immobilier situé sur les communes de Thonon les Bains et [Localité 2], pour l’exploiter une fois acquis, en carrière après autorisation, et/ou réaliser une opération immobilière sur les 6/6èmes.
Il était précisé dans l’acte que :
– M. [S] [B] n’est pas vendeur de ses droits indivis,
– ses coïndivisaires MM. [T] et [K] [B] ont signé une promesse de vente de leurs droits indivis (représentant les 2/6èmes de la propriété) au profit d’un tiers,
– M. [S] [B] bénéficie d’un droit de préemption prioritaire,
– pour lui permettre de préempter et de payer les droits indivis des co-indivisaires représentant les 5/6èmes de la propriété, MM. [V], [U] et [M] mettent à sa disposition les fonds nécessaires, soit 860 000 euros et 40 000 euros pour les frais de notaire et divers, moyennant un taux d’intérêt à convenir,
– au fur et à mesure de l’acquisition des droits indivis, M. [S] [B] signera un compromis de vente des droits acquis avec la SARL Lauzenette,
– le prix de vente fixé sera de 900 000 euros et la signature chez le notaire se fera dans un délai de dix ans à compter des présentes, sauf prorogation fixée d’un commun accord ,
– le 1/6ème qui restera sa propriété fera l’objet d’accords spécifiques, tant pour la vente que pour la location,
– les résultats de la société d’exploitation serviront en priorité à rembourser les fonds mis à disposition, augmentés des intérêts.
M. [U] [V] s’est substitué la SARL Marele II tandis que M. [Q] [U] s’est substitué la SARL Bocca d’Oro, conformément à la faculté de substitution prévue au protocole.
Le 12 janvier 2005, M. [S] [B] a acquis une partie du tènement immobilier au moyen de la somme de 91 000 euros, prêtée par la société Marele II, ce prêt ayant été constaté par acte authentique passé devant Me [F] [W], notaire associé à [Localité 3] .
Suivant acte authentique reçu par Maître [P] [D], notaire associé de la SCP [Personne physico-morale 1][I] Gruel-Jacheet, le 6 mai 2005, la SARL Marele II, ayant pour gérant M. [U] [V], a prêté à M. [S] [B] la somme de 923 850 euros en principal, sans intérêts, remboursable en une seule fois, au plus tôt le jour de la vente des biens et droits immobiliers désignés et au plus tard 2 ans au-delà de la date de régularisation de la vente soit le 31 décembre 2017.
Par acte du même jour, 6 mai 2005, Maître [D] a authentifié un acte de licitation faisant cesser l’indivision entre les consortsThaon et [B], au profit de M. [S] [B].
Par acte sous seing privé en date du 6 mai 2005 établi par Maître [P] [D], M. [S] [B] a conclu un compromis de vente avec la SARL Lauzenette, en cours de constitution, pour l’acquisition des 18/24ème de la pleine propriété des parcelles objets du protocole d’octobre 2004, moyennant le prix de 923.850,00 euros, payable au jour de la réitération de l’acte sous les conditions suspensives ordinaires.
Ce compromis prévoyait que la régularisation de l’acte authentique devrait avoir lieu au plus tard le 31 décembre 2015.
M. [S] [B] est décédé le [Date décès 2] 2008.
Le 12 mai 2009, le tribunal administratif de Grenoble a annulé l’autorisation d’exploitation de la carrière de matériaux que la sarl Lauzenette en cours de constitution projetait d’exploiter.
Les plans locaux d’urbanisme des communes d'[Localité 2] et de Thonon les Bains ont classé les parcelles sur lesquelles la sarl Lauzenette envisageait des opérations immobilières, en zone naturelle ou agricole, inconstructibles.
La société Lauzenette dont l’objet social s’est révélé impossible, n’a jamais été constituée. Le prêt consenti par la société Marele II n’a pas été remboursé et le compromis de vente n’a jamais été réitéré par acte authentique.
Par acte d’huissier en date du 13 juin 2013, M. [U] [V], M. [Q] [U], la société Bocca d’Oro que M. [U] s’était substitué et la société Marele II ont assigné la SCP “[Personne physico-morale 1][I] Gruel-Jacheet” notaires associés en responsabilité afin d’obtenir réparation de leurs préjudices respectifs.
Considérant que les appelants reprochent à Maître [D] de n’avoir pas rempli son obligation de conseil et de mise en garde pour n’avoir pas alerté MM. [U] [V], [Q] [U] et les sociétés Marele II et Bocca d’Oro des risques résultant d’une part d’un prêt sans intérêt, ni clause de remboursement immédiat en cas de décès de l’emprunteur et d’autre part, d’un compromis de vente payé au moyen d’un prêt sans intérêt, stipulant une clause de comparution en présence d’une société en formation, non constituée, sans personnalité morale, à l’objet social irréalisable ;
Qu’ils font valoir que Maître [D] a établi simultanément divers actes et notamment le prêt litigieux pour un montant important sur une durée de douze ans, qui constituaient isolément et a fortiori pris ensemble, des conditions particulières inhabituelles révélant une opération globale complexe l’obligeant à la prudence et à la vigilance dans la mise en oeuvre de ses devoirs de conseil et de mise en garde ;
Qu’ils soutiennent que Maître [D] a reçu de M. [S] [B] un dossier de présentation de la sarl Lauzenette incluant le protocole d’accord du 25 octobre 2004 constituant précisément la promesse de société ; qu’il a ainsi été informé non seulement des clauses essentielles concernant la sarl Lauzenette mais également des mobiles des associés de celle-ci ; qu’il ne pouvait donc ignorer que ce sont les résultats de la société en cours de constitution qui permettraient de rembourser les fonds prêtés ; qu’il a été informé que la société Marele II et M. [U] [V] n’avaient pas renoncé au principe d’intérêts assortissant le prêt consenti à M. [S] [B] ;
Qu’ils prétendent que Maître [D] aurait dû les informer qu’ils ne pourraient être remboursés de leur prêt et percevoir des intérêts si la sarl Lauzenette n’était pas constituée ; qu’il aurait dû les mettre en garde à ce sujet, s’assurer qu’ils acceptaient en toute connaissance de cause le transfert de la charge du remboursement des fonds prêtés à la sarl Lauzenette ou le leur déconseiller ;
Qu’ils soutiennent que Maître [D] aurait encore dû les informer que la sarl Lauzenette ne pourrait pas exploiter de carrière ni entreprendre une opération immobilière en cas de non constitution et que même constituée, elle ne pourrait remplir son objet à défaut d’autorisation d’exploitation de la carrière ou à défaut de règles d’urbanisme autorisant des constructions sur les parcelles restantes ;
Qu’ils font valoir que Maître [D] a aggravé sa responsabilité en établissant un compromis de vente stipulant une clause de comparution en présence d’une société seulement en formation ; qu’un tel acte est en effet nul de nullité absolue, pour avoir été conclu par une société inexistante, sans personnalité juridique ;
Qu’ils prétendent que Maître [D] avait connaissance du protocole d’accord du 25 octobre 2004 inclus dans le dossier de présentation que lui avait remis M. [S] [B] ; que dans l’hypothèse inverse, il serait tout aussi fautif d’avoir établi un compromis de vente sans se préoccuper de l’identité de l’une des personnes comparantes ; qu’ils observent qu’un prêt sans intérêts est inhabituel dans le secteur des affaires et de la promotion immobilière et qu’il aurait dû déconseiller à la société Marele II et à M. [U] [V] de consentir un prêt d’un montant de 1 000 000 euros dans ces conditions ou s’assurer de leur volonté explicite et parfaitement éclairée ;
Qu’ils font encore valoir que M. [S] [B] étant gravement malade, ce dont était informé Maître [D], ce dernier au lieu de stipuler sans réserve, une clause de non-exigibilité immédiate de remboursement en cas de décès de l’emprunteur, laquelle était exclusivement favorable à celui-ci, aurait dû au moins provoquer un débat entre les parties et les informer des conséquences d’un décès sur le compromis de vente, le prêt et la société en formation ;
Qu’ils invoquent le fait que leurs compétences et connaissances professionnelles qui ne portent que sur l’immobilier mais non sur le droit, n’exonéraient pas le notaire de ses obligations, alors que l’opération immobilière prévue était complexe, devait se dérouler sur une longue période, ce qui nécessitait des informations, des conseils et un avis ;
Qu’ils affirment que Maître [D], par ses fautes professionnelles, a empêché le remboursement des fonds prêtés et le service d’intérêts à la société Marele II et à M. [U] [V] ; qu’il a empêché l’exploitation de la carrière et les opérations immobilières envisagées et a rendu les prêts et le contrat de société sans cause ni intérêt ;
Qu’ils invoquent leur perte de chance de percevoir des intérêts et les fruits du capital investi pour la société Marele II et leur préjudice moral ;
Considérant que la SCP intimée réplique en premier lieu que le postulat selon lequel Maître [D] a conseillé et pris parti pour M. [S] [B] tout au long des opérations, au détriment des autres parties, n’est aucunement justifié ;
Qu’elle fait ensuite valoir, s’agissant de l’absence de stipulation d’un taux d’intérêt relatif au prêt de la somme de 923 850 euros, que Maître [D] a pu se convaincre de ce que celle-ci était motivée par les accords entre les associés, qui prévoyaient la rémunération et le remboursement du prêteur, par le fait que M. [S] [B] était tenu par la société Lauzenette à constituer et ne devait pas se retrouver débiteur à titre personnel du principal et d’intérêts à l’égard de la société Marele II et par le fait que M. [S] [B] entendait maintenir entre lui-même en tant que débiteur du prêt et ses associés, une cohérence et un intérêt commun dans le projet de société portant sur la mise en valeur des biens et droits immobiliers ;
Qu’elle fait valoir que dès lors que Maître [D] a pu se convaincre de la capacité des parties à appréhender les termes de l’acte de prêt en toute connaissance de cause, il ne lui appartenait pas spécialement d’alerter la société Marele II, professionnelle de l’immobilier de ce qu’elle ne percevrait aucun intérêt ; que les parties avaient négocié entre elles et avaient une parfaite connaissance des conséquences des conventions financières passées ; que l’absence de stipulation d’intérêts fait l’objet d’une clause particulièrement claire et non équivoque ;
Que la SCP de notaires ajoute que Maître [D] n’a été sollicité que pour entériner des accords entièrement conclus en dehors de son intervention et qu’il ne lui appartenait pas de se faire le conseil économique et financier des parties ; que l’existence d’accords préalables résulte des pièces produites et plus particulièrement des deux protocoles établis les 25 octobre et 9 novembre 2004 auxquels ont pris part MM. [U] et [V] ; que Maître [D] n’a ainsi été que le rédacteur des actes conclus entre professionnels de l’immobilier dont les termes avaient été parfaitement compris par eux ;
Que la SCP fait valoir que Maître [D] n’a pas non plus commis de faute en ne stipulant pas une clause d’exigibilité immédiate du prêt en cas de décès de M. [S] [B] ; qu’elle soutient que l’état de santé de M. [S] [B] était un fait connu de ses ‘ associés’ et que le risque de la survenance de son décès avant l’expiration de la durée du prêt constituait une quasi-certitude ; que contrairement à ce que les appelants soutiennent, ce n’est pas Maître [D] qui a fait prendre délibérément à la société Marele II un risque de non remboursement du prêt ; que c’est sciemment et en toute connaissance de cause de la part de M. [S] [B] et des parties à l’acte qu’il n’a pas été prévu l’exigibilité immédiate du prêt en cas de décès, afin de ne pas risquer de porter atteinte à l’intuitu personae entre les héritiers et les associés ; que le prêt était ainsi maintenu au profit de la succession de M. [S] [B] afin de maintenir l’intérêt commun du projet de société ;
Considérant que la SCP expose encore que si le prêt litigieux avait bien pour finalité la prise de contrôle des biens et droits immobiliers par M. [S] [B] puis par la sarl Lauzenette afin de mettre en valeur lesdites droits, il ne peut qu’être constaté que la prise de contrôle par M. [S] [B] a bien eu lieu, que les ‘associés’ de la sarl Lauzenette à constituer et leurs ayants droits sont toujours titulaires d’une promesse de vente synallagmatique à l’encontre des héritiers de M. [S] [B] pour 18/24èmes des biens et droits immobiliers, que l’engagement de remboursement du capital au plus tard à l’échéance convenue est toujours valable et que si la sarl Lauzenette n’a pas été constituée, pour cause de divergence sur la cohérence du projet, lesdits ‘associés’ pris collectivement, sont toujours bénéficiaires de la promesse de vente synallagmatique ;
Que la SCP conclut enfin à l’absence de préjudice des appelants et de la société Marele II en particulier au motif que l’argumentaire des appelants repose sur une confusion entre la qualité de créancière de la société Marele II au titre du prêt et sa qualité de bénéficiaire de la promesse de vente en tant qu’associée de la sarl Lauzenette ; que l’impossibilité d’exploiter la carrière et de réaliser une opération immobilière n’a affecté que le projet de constitution de la sarl Lauzenette mais non le gage hypothécaire de la société Marele II ; qu’elle ajoute que les prétendus préjudices allégués ne résultent pas du prétendu manquement du notaire mais du choix fait par les parties au moment où elles ont arrêté leurs accords.
***
Considérant, ceci exposé, que si le notaire est tenu d’éclairer les parties et d’appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique, son obligation doit prendre en considération les mobiles des parties, extérieurs à l’acte, lorsque le notaire en a eu précisément connaissance ;
Considérant que M. [S] [B] d’une part, M. [Q] [U] et M. [U] [V] et la société TIT avaient ensemble, préalablement à la réalisation de l’acte de prêt litigieux, et après des pourparlers remontant à plusieurs années en ce qui concerne M. [S] [B] et M. [Q] [U], d’après ce qui est mentionné au dossier de présentation de la ‘ SEP Lauzenette’, projeté la constitution entre eux, de la sarl Lauzenette afin de permettre à M. [S] de [B] d’acquérir, en usant de son droit de préemption prioritaire les biens et droits immobiliers appartenant à ses coïndivisaires, et afin d’autre part d’exploiter et de valoriser le domaine de Lauzenette ;
Qu’il résulte du protocole signé entre eux le 25 octobre 2004, en dehors de toute intervention du notaire, que l’économie du projet visait à l’exploitation du domaine par la société en cours de formation, qui serait rémunérée de la mise à disposition préalable de fonds au profit de l’un des associés, M.[S] [B], par les résultats de l’exploitation, selon un taux d’intérêt à convenir ; que le projet commun dont le prêt passé par acte authentique n’était que l’une des opérations accessoires, prévoyait notamment de faire supporter à l’ensemble des associés la rémunération des fonds prêtés à l’un des associés, M. [S] [B] qui avait seul, en sa qualité de coïndivisaire, un droit de préemption prioritaire sur les droits dont étaient titulaires ses coïndivisaires ;
Qu’il apparaît que c’est la raison pour laquelle le prêt qui a été consenti à M.[S] [B] par, en définitive la société Marele II, que M.[U] [V] s’était substitué, comme le protocole susvisé le lui permettait, a été conclu sans intérêts ;
Qu’ainsi, si Maître [D] a été informé de la teneur du protocole du 25 octobre 2004, comme les appelants le soutiennent, ce qui paraît vraisemblable puisqu’il a, le même jour que l’établissement du prêt, rédigé et soumis à la signature des parties le compromis de vente portant sur les droits et biens immobiliers acquis par M.[S] [B] au profit de la sarl Lauzenette en cours de constitution, il ne lui appartenait pas d’aller à l’encontre des accords convenus entre les parties, pour ce qui concerne l’absence d’une clause de stipulation d’intérêts au prêt de 923 850 euros ;
Que le paragraphe, figurant en page 2 de l’acte notarié intitulé ‘Remboursement-Absence d’intérêt’ mentionne que ‘ l’emprunteur s’oblige au remboursement de cette somme au prêteur en une seule fois au plus tôt, le jour de la vente des biens et droits immobiliers hypothéqués et ci-dessous désignés, et au plus tard 2 ans au-delà de la date de régularisation de la vente ci-deSsus relatée, soit le 31 décembre 2017.
Le prêt est consenti sans intérêts’, constitue une clause claire et non équivoque, dont la société Marele II, marchand de biens, rompue au monde des affaires, ne peut prétendre avoir ignoré la portée ;
Qu’en effet si les compétences professionnelles et connaissances personnelles de la société Marele II ne déchargeaient pas le notaire de son devoir de conseil, lesdites compétences ont en l’espèce participé à la conviction qu’a pu acquérir Maître [D] de la parfaite appréhension des termes de l’acte de prêt par les parties ; que si la société Marele II est une professionnelle de l’immobilier et non du droit, ses compétences et son habitude des affaires lui permettent de saisir toute la portée de la clause stipulant expressément l’absence d’intérêts, peu important le montant de la somme prêtée ou la durée du prêt consenti ;
Qu’il en résulte que Maître [D] n’avait pas à attirer l’attention de la société Marele II ou à la mettre en garde sur l’absence d’intérêts au prêt litigieux, ce dont elle avait parfaite connaissance et ce qui correspondait aux accords pris par les parties dans le cadre du projet social arrêté quelques mois plus tôt ;
Considérant que l’absence de clause prévoyant l’exigibilité immédiate du prêt en cas de décès de l’emprunteur et l’absence de mise en garde du prêteur sur ce point ne peuvent pas davantage être reprochées au notaire ; qu’en effet, les futurs associés s’étaient mis d’accord pour faire de la date à laquelle les biens seraient cédés effectivement à la sarl Lauzenette, celle de l’exigibilité du prêt ; qu’une date butoir était cependant prévue, soit celle du 31 décembre 2017 ; que l’acte de prêt mentionne diverses causes d’exigibilité anticipée, dans lesquelles n’est pas inclus le décès de l’emprunteur ; qu’en revanche, il était prévu à l’acte qu’en cas de décès de celui-ci avant sa complète libération, il y aura solidarité et indivisibilité entre tous les héritiers et représentants de celui-ci, pour le paiement des sommes dues ;
Que c’est à juste titre que le notaire explique ce choix par la volonté des futurs associés de mener à bien le projet social, en maintenant volontairement le prêt au profit de la succession de M. [S] [B] afin de ne pas risquer d’empêcher la réalisation de l’objet social, à savoir la mise en valeur des biens et droits immobiliers ;
Qu’il n’est pas établi que Maître [D] aurait disposé d’informations particulières concernant l’état de santé de M. [S] [B], dont les futurs associés n’auraient pas eu connaissance ; qu’aucun élément n’est fourni venant appuyer l’affirmation des appelants selon laquelle la survenance du décès de M. [S] [B] avant l’échéance du prêt revêtait une probabilité sérieuse ;
Considérant au surplus qu’il n’est pas établi que le décès de M. [S] [B] soit la cause de l’absence de constitution de la sarl Lauzenette ;
Que le notaire n’avait pas à fournir un conseil sur ce point, dès lors que ce qui importait pour les parties était la constitution de la sarl Lauzenette qui ne pouvait être envisagée sans l’octroi du prêt litigieux ; que ce sont les différents intérêts en présence qui ont présidé aux modalités du prêt ; que l’absence de prévision de l’exigibilité immédiate du prêt en cas de décès de l’emprunteur avait sciemment été acceptée par la société Marele II ;
Considérant que l’acte litigieux a prévu une clause d’affectation hypothécaire garantissant le remboursement du prêt ; que le prêt est exigible depuis le 31 décembre 2017 et qu’il est toujours garanti par l’hypothèque prise par la société Marele II ;
Considérant que le notaire ne pouvait prévoir l’impossibilité par la suite d’exploiter le domaine, qui n’a été révélée que par suite de l’annulation le 12 Mai 2009, par le tribunal administratif de Grenoble, de l’arrêté préfectoral d’autorisation d’exploitation de carrière en date du 20 novembre 2007 ; que les certificats d’urbanismes obtenus par le notaire avant la signature des actes et notamment du compromis de vente des terrains au profit de la sarl Lauzenette ne permettaient pas davantage de présumer de l’existence de risques relatifs à l’opération immobilière projetée par les futurs associés alors que les PLU relatifs à la commune d'[Localité 2] ont été révisés postérieurement aux actes passés ;
Qu’il n’incombait pas au notaire de s’immiscer dans les affaires des parties et de lier l’absence de stipulation d’intérêts du prêt à la réalisation de la sarl Lauzenette alors qu’il n’était pas intervenu dans le projet de société et que les associés avaient prévu de rémunérer ensemble au moyen des résultats escomptés de la société le prêt consenti à l’un d’eux ;
Qu’il en résulte qu’aucune faute ne peut être reprochée à Maître [D] ; que par suite la SCP dont il est membre ne saurait voir sa responsabilité civile engagée ; que c’est par conséquent à juste titre que le tribunal a rejeté l’ensemble des demandes de M. [U] [V], de M. [Q] [U] et des sociétés Bocca d’Oro et Marele II ;
Considérant que le tribunal a exactement statué sur les dépens et l’application de l’article 700 du code de procédure civile ; qu’en conséquence le jugement entrepris sera également confirmé sur ces points ;
Que Mmes [E] et [X] [V], M. [Q] [U] et les sociétés Bocca d’Oro et Marele II, qui succombent en leur recours, doivent être condamnés aux dépens d’appel ;
Qu’il n’y a pas lieu d’allouer à la SCP [Personne physico-morale 1][I] Gruel Jacheet une somme complémentaire au titre des frais exposés en appel ; qu’elle sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Que les appelants sont déboutés de leur demande à ce titre ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
REJETTE toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,
CONDAMNE Mme [E] [V], Mme [X] [V], M. [Q] [U] et les sociétés Bocca d’Oro et Marele II aux dépens d’appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile,
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
– signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire,
Le Greffier, Le Président,