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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-1
ARRÊT AU FOND
DU 04 JUIN 2019
A.V
N° 2019/
Rôle N° RG 17/14872 – N° Portalis DBVB-V-B7B-BBAH7
[X] [G]
SA MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD
C/
[D] [U]
[V] [P]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :Me Maud DAVAL-GUEDJ
Me Sandra JUSTON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Tribunal de Grande Instance de DIGNE-LES-BAINS en date du 28 Juin 2017 enregistré au répertoire général sous le n° 15/00871.
APPELANTS
Maître [X] [G],
notaire, demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Gérard SALLABERRY, avocat au barreau de PARIS, plaidant
SA MUTUELLES DU MANS ASSURANCES IARD
poursuites et diligences de son représentant légal en exercice y domicilié, demeurant [Adresse 2]
[Localité 1]
représentée par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE, assistée par Me Gérard SALLABERRY, avocat au barreau de PARIS, plaidant
INTIMES
Monsieur [D] [U]
né le [Date naissance 1] 1960 à [Localité 2], demeurant [Adresse 3]
représenté par Me Sandra JUSTON de la SCP BADIE SIMON-THIBAUD JUSTON, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Diane PINARD, avocat au barreau de MARSEILLE, plaidant
Maître [V] [P]
INTIME SUR APPEL PROVOQUE
né le [Date naissance 2] 1967 à [Localité 3], demeurant [Adresse 4]
représenté par Me Maud DAVAL-GUEDJ de la SCP COHEN GUEDJ MONTERO DAVAL GUEDJ, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
assisté par Me Gérard SALLABERRY, avocat au barreau de PARIS,plaidant
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 29 Avril 2019 en audience publique. Conformément à l’article 785 du code de procédure civile, Mme VIDAL, Président a fait un rapport oral de l’affaire à l’audience avant les plaidoiries.
La Cour était composée de :
Madame Anne VIDAL, Présidente
Mme Danielle DEMONT, Conseiller
Madame Laetitia VIGNON, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Patricia POGGI.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2019.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 04 Juin 2019,
Signé par Madame Anne VIDAL, Présidente et Madame Patricia POGGI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
FAITS, PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :
Par acte sous seing privé en date du 29 janvier 2005 rédigé par Me [X] [G], notaire, M. [D] [U], promoteur immobilier, s’est porté acquéreur d’un ensemble immobilier dénommé ‘Chalet Hôtel’, constitué par les parcelles AB [Cadastre 1] et AB [Cadastre 1] à [Adresse 5]. L’acte de vente comportait diverses conditions suspensives de droit commun relatives notamment à la purge de tous les droits de préemption et à l’absence de servitudes faisant obstacle à la libre disposition du bien. La signature authentique devait intervenir le 30 juin 2005 au plus tard. Elle a été cependant repoussée par trois avenants successifs à la date du 31 janvier 2006. Elle a ensuite été retardée dans la perspective d’une signature au 18 mars 2006, mais a été repoussée par Me [V] [P], successeur de Me [X] [G], au 13 avril 2006. Des difficultés sont apparues avec la révélation d’une servitude non altius tollendi grevant l’immeuble au profit du propriétaire voisin, Mme [K], et l’ouverture de négociations avec celle-ci. La SCI Chalet Hôtel a alors notifié, le 22 mai 2006, la caducité de la vente et le recours de M. [D] [U] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Digne les Bains, puis devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence et devant la Cour de cassation, contre les notaires en indemnisation de son préjudice a échoué.
Suivant actes d’huissier du 24 juin 2015, M. [D] [U] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Digne les Bains Me [X] [G] et Me [V] [P] ainsi que la Sa Mutuelles du Mans pour obtenir leur condamnation solidaire à lui payer, au terme de ses dernières conclusions, la somme de 3 371 568,58 euros de dommages et intérêts en réparation du temps passé , des frais engagés en pure perte et de la perte des intérêts de placement sur les fonds propres, en compensation de la perte de chance de percevoir des honoraires de gestion, des dividendes de la société Plaza Invest et de l’opportunité de conserver le lot du rez de chaussée, d’être propriétaire du fonds de commerce de brasserie-restaurant eu du SPA et de l’exploiter et au titre de son préjudice moral. Il reprochait aux notaires des manquements à leur obligation d’efficacité et à leur devoir d’information et de conseil.
Il réclamait également la condamnation de la Sa Mutuelles du Mans sur le fondement de la responsabilité délictuelle pour résistance abusive à lui verser une somme de 1 161 200 euros de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal à compter du 3 août 2009.
Par jugement en date du 28 juin 2017, le tribunal de grande instance de Digne les Bains a :
– écarté le moyen d’irrecevabilité tiré de la prescription de l’action soulevé par les défendeurs,
– débouté M. [D] [U] de ses demandes à l’encontre de Me [V] [P],
– constaté la faute commise par Me [X] [G] dans la rédaction de l’avant-contrat de vente signé le 29 janvier 2005,
– jugé que la Sa Mutuelles du Mans est tenue de garantir la faute commise par Me [X] [G] dans l’exercice de son activité professionnelle,
– évalué la réparation du dommage à la somme de 142 589,50 euros,
– condamné Me [X] [G] et la Sa Mutuelles du Mans in solidum à payer à M. [D] [U], après application du partage de responsabilité, une indemnité de 71 294,75 euros au titre de la réparation de son préjudice,
– rejeté toutes autres demandes des parties,
– condamné Me [X] [G] et la Sa Mutuelles du Mans in solidum à payer à M. [D] [U] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens de l’instance.
Il a jugé que la prescription n’était pas acquise dès lors que la prescription avait été interrompue par l’instance en référé et que le nouveau point de départ se situait au 19 mars 2013, date de l’arrêt de la Cour de cassation.
Il a considéré que, si la servitude non altius tollendi ne figure pas sur la fiche hypothécaire délivrée le 23 février 2005, ni dans l’acte d’acquisition de la SCI Chalet Hôtel du 5 juillet 1992, elle est mentionnée dans les actes de 1936 et de 1963 ; qu’en ne communiquant pas une information qu’elle était en mesure de connaître, alors qu’il s’agissait d’une condition suspensive prévue à l’acte, Me [X] [G] a commis une négligence qui ne peut être opposée à son successeur, Me [V] [P] ; que la soumission de la vente à un certain nombre de conditions suspensives profitant au vendeur et à l’acquéreur et permettant que soit constatée la caducité en cas de non réalisation ne crée pas de déséquilibre entre les parties et que la preuve d’une intention malicieuse du vendeur qui aurait pu permettre de forcer la vente n’est pas rapportée ; que la notification par le vendeur de la caducité tient à l’impossibilité pour les parties de se mettre d’accord sur le prix en l’état de la demande de réduction de 110 000 euros présentée par M. [D] [U] ; qu’aucune faute ne peut être reprochée à Me [V] [P] lors de la révélation de la servitude qui modifiait l’économie du contrat et ne permettait plus que l’acte soit passé dans les mêmes conditions.
Il a retenu que M. [D] [U] avait agi à ses risques et périls en accomplissant, avant même la signature de l’acte du 29 janvier 2005 et que la réparation due à raison de la négligence du notaire devait être limitée aux seuls frais exposés pour l’élaboration d’un projet qui ne pouvait être maintenu en l’état de nouvelle contrainte révélée par la servitude, dans une proportion de moitié.
Il a évalué ces frais à la somme de 142 589,50 euros en prenant en considération le coût du dossier de faisabilité (5 980 euros), le coût du permis de construire (113 620 euros), les frais de déplacement (12 751,50 euros) et le coût des frais d’hébergement (10 238 euros) et l’indemnité revenant à M. [D] [U] à la moitié, soit 71 294,75 euros.
Me [X] [G] a interjeté appel de cette décision à l’encontre de M. [D] [U] suivant déclaration en date du 3 juillet 2017. M. [D] [U] a également interjeté appel par déclaration du 25 août 2017 à l’encontre des trois défendeurs. Ces deux appels ont été joints.
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Me [X] [G], première appelante, et Me [V] [P] et la Sa Mutuelles du Mans, intimés sur l’appel de M. [D] [U] et appelants incidents, suivant conclusions récapitulatives notifiées le 29 mars 2019, demandent à la cour de :
Au visa de l’article 2224 du code civil,
– infirmer le jugement en ce qu’il a considéré non prescrite l’action en responsabilité engagée à l’encontre de Me [X] [G] et Me [V] [P] et de leur assureur, la Sa Mutuelles du Mans,
– dire prescrite l’action en responsabilité civile intentée par M. [D] [U] à l’encontre de Me [X] [G], de Me [V] [P] et de la Sa Mutuelles du Mans,
Au visa de l’article 1240 (ancien article 1382à du code civil,
– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité des notaires,
– dire M. [D] [U] tant irrecevable que mal fondé en toutes ses demandes, fins et conclusions tant à l’encontre de Me [X] [G] que de Me [V] [P] et de la Sa Mutuelles du Mans prise en sa qualité d’assureur de la responsabilité civile professionnelle desdits officiers publics,
– dire irrecevable et mal fondé M. [D] [U] en toutes ses demandes, fins et conclusions à l’encontre de la Sa Mutuelles du Mans et l’en débouter purement et simplement,
– condamner M. [D] [U] à payer une somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les entiers dépens.
Ils developpent leur argumentation autour des points suivants :
¿ sur la prescription : l’assignation en responsabilité, le 24 juin 2015, est postérieure de plus de 10 ans à l’acte signé le 29 janvier 2005, de plus de 9 ans postérieure à la révélation de la servitude, le 11 avril 2006, et de plus de 6 ans de la première réclamation formulée par M. [D] [U] auprès de Me [V] [P], alors que le délai de prescription de l’article 2224 du code civil est de cinq ans ; M. [D] [U] ne peut se prévaloir de l’interruption de la prescription à raison de la procédure en référé en l’état de l’article 2243 du code civil qui prévoit que l’interruption est non avenue si la demande est définitivement rejetée et dès lors que sa demande n’a pas été, comme il le prétend, accueillie partiellement, la Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait retenu l’existence d’une contestation sérieuse et la seule condamnation à communiquer le contrat groupe responsabilité civile du notaire ne permettant pas de faire obstacle à l’application de l’article 2243 ;
¿ sur le fond à titre subsidiaire :
* sur la faute : l’avant contrat prévoit à titre de condition suspensive l’absence de servitude grevant le bien, ce qui signifie bien que les parties et le notaire ignoraient alors s’il existait une servitude ; le notaire ignorait que M. [D] [U] voulait démolir le bâtiment existant et édifier un ensemble immobilier de plus de 2 500 m² ; au demeurant, l’avant-contrat a pour objet d’arrêter la volonté des parties, dans l’attente des documents administratifs et hypothécaires et il n’est pas demandé au notaire, à ce stade, de prévoir autre chose que des conditions suspensives lesquelles ont été insérées à l’acte et ont été parfaitement efficaces ; le notaire n’avait en outre pas d’obligation de remonter au-delà d’une vérification trentenaire et donc de vérifier les actes de 1963 et 1936 ; en refusant d’attendre la signature de l’acte authentique, M. [D] [U] a agi à ses risques et périls, qu’a retenu la Cour de cassation dans son arrêt du 19 mars 2013 ;
* sur le préjudice :
– les frais ont été engagés par M. [D] [U] à ses risques et périls ;
– l’éventuel manque à gagner est sans lien de causalité avec la faute reprochée au notaire puisque si la servitude avait été révélée lors de l’avant-contrat, l’opération d’ampleur envisagée par M. [D] [U] n’aurait pas pu se faire, même si la servitude n’empêchait pas de consrtuire puisque la société VIANO SAINT LAMBERT qui a finalement acquis le bien, a obtenu un permis de construire pour 1 790 m²;
– M. [D] [U] ne peut se placer artificiellement dans une situation impossible à atteindre pour obtenir le bénéfice d’une opération de promotion immobilière sans en subir aucun inconvénient ;
– la mauvaise foi alléguée de la Sa Mutuelles du Mans ne repose sur aucun fondement factuel et juridique et aboutirait à une double indemnisation de M. [D] [U], le total des dommages et intérêts réclamés atteignant la somme de 4 532 276,85 euros.
M. [D] [U], second appelant, en l’état de ses conclusions n°5 notifiées le 1er avril 2019, demande en substance à la cour, au terme d’écritures de plus de 90 pages et d’un dispositif de plus de 5 pages, et après avoir rappelé son itérative sommation à la Sa Mutuelles du Mans de communiquer la provision technique du sinistre pour les années 2009 à 2018 inclus, de :
Sur la procédure :
Vu la loi du 17 juin 2008 et les articles 2241, 2242 et 2243 du code civil ainsi que l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et le principe ‘fraus omnia corrumpit’,
– dire que le délai de prescription de 5 ans a commencé à courir le 19 juin 2008 et qu’il a été interrompu par la demande en justice formulée en référé jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2013, cette demande n’ayant pas été rejetée puisque le juge des référés a accueilli l’un des chefs de demande,
– dire au surplus que la fraude de l’asureur consistant à dissimuler des actes et des faits juridiques pour tenter de laisser courir la prescription prive les notaires et la Sa Mutuelles du Mans du droit d’invoquer la fin de non-recevoir tirée de la prescription,
– confirmer en conséquence le jugement en ce qu’il a débouté les défendeurs de leur fin de non-recevoir tirée de la presccription,
Sur le fond :
Vu les articles 1382 et 1383 du code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 et le principe de réparation intégrale sans perte ni profit, ainsi que l’article L 113-5 du code des assurances et les articles 1153, 1153-1 et 1154 du code civil dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, et le principe ‘fraus omnia corrumpit’,
Sur la responsabilité des notaires,
– dire que Me [X] [G] a commis les fautes professionnelles suivantes dans le cadre de la mission de rédaction et de conseil confiée par les parties :
* absence de vérification des titres de propriété antérieurs pour l’efficacité de l’acte du 29 janvier 2005 et pour le but poursuivi,
* absence de condition suspensive tenant à la vérification des titres de propriété antérieurs
* mauvaise rédaction des conditions suspensives de droit commun,
* absence de mise en garde de M. [D] [U] sur les risques juridiques alors que celui-ci était autorisé à déposer un permis de démolir et un permis de construire dès le 29 janvier 2005,
* négligence dans l’analyse de l’état hypothécaire du 22 février 2005,
– dire que Me [V] [P] a commis les fautes professionnelles suivantes dans le cadre de la mission de rédaction et de conseil confiée par les parties :
* absence de vérification des titres de propriété antérieurs pour l’efficacité de l’acte du 29 janvier 2005 et pour le but poursuivi,
* négligence dans l’analyse des états hypothécaires obtenus le 12 mai 2005, le 4 janvier 2006 et le 8 mars 2006,
– rédaction d’un procès verbal de difficultés inutile et défavorable à M. [D] [U],
En conséquence,
– confirmer le jugement en ce qu’il a retenu la responsabilité de Me [X] [G] et la garantie de la Sa Mutuelles du Mans au titre de sa faute,
– l’infimer en ce qu’il a débouté M. [D] [U] de ses demandes contre Me [V] [P],
– dire que Me [X] [G] et Me [V] [P] ont tous deux manqué à leurs obligations de vérification, d’information et de conseil, de loyauté et d’efficacité juridique des actes instrumentés, engageant ainsi tous deux leur responsabilité civile professionnelle à l’égard de M. [D] [U], et dire que la Sa Mutuelles du Mans est tenue de garantir ces fautes,
– dire que M. [D] [U] n’a commis aucune faute susceptible de conduire à un partage de responsabilité, infirmer en conséquence le jugement sur ce point et dire que M. [D] [U] a droit à l’indemnisation de son entier préjudice,
Statuant à nouveau,
– évaluer le préjudice de M. [D] [U] à la somme de 3 070 568,78 euros se décomposant comme suit
* 170 568,58 euros au titre des frais et dépenses engagés en pure perte,
* 2 700 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir les sommes suivantes si l’opération avait été menée à son terme :
– 369 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir les honoraires de gestion de l’opération,
– 693 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir les dividendes distribués par la société Plaza Invest en qualité de maître d’ouvrage de l’opération immobilière qui a échoué,
– 1 098 000 euros au titre de la perte de chance de devenir propriétaire des murs et du fonds de commerce de brasserie-restaurant et du centre SPA,
– 540 000 euros au titre de la perte de chance de percevoir les résultats de l’exploitation de la brasserie-restaurant et du centre SPA,
ou subsidiairement, si la cour ne devait pas admettre l’indemnisation des postes de préjudice listés précédemment, a minima la somme de 99 450 euros correspondant à la perte de chance de percevoir les intérêts de placement pour les fonds propres investis en pure perte et en toute inutilité,
* 200 000 euros au titre du préjudice moral pour l’abandon forcé de l’opération de promotion immobilière,
– condamner in solidum Me [X] [G] et Me [V] [P] ainsi que la Sa Mutuelles du Mans à payer à M. [D] [U] la somme de 3 070 568,78 euros à titre de dommages et intérêts en principal, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 août 2009,
Sur la responsabilité de l’assureur :
– dire que la Sa Mutuelles du Mans a frauduleusement dissimulé des actes et des faits juridiques dans le but d’échapper à son obligation d’indemnisation, causant un préjudice moral et économique à M. [D] [U] et engageant ainsi sa responsabilité civile délictuelle à son égard et qu’elle a également opposé à celui-ci une résistance abusive à l’origine de son préjudice moral et économique,
– en conséquence, infirmer le jugement en ce qu’il a rejeté les demandes de M. [D] [U] à l’encontre de la Sa Mutuelles du Mans et condamner celle-ci à lui payer la somme de 1 474 400 euros à titre de dommages et intérêts augmentée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 3 août 2009, cette somme se décomposant en 1 274 400 euros au titre du préjudice économique et 200 000 euros au titre du préjudice moral,
– ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l’article 1154 du code civil,
Sur le surplus,
– débouter Me [X] [G] , Me [V] [P] et la Sa Mutuelles du Mans de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– réformer le jugement en ce qu’il a condamné Me [X] [G] et la Sa Mutuelles du Mans à payer à M. [D] [U] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et, statuant à nouveau, condamner Me [X] [G], Me [V] [P] et la Sa Mutuelles du Mans in solidum à lui verser la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 20 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
Son argumentation se développe, pour l’essentiel, autour des points suivants :
1- sur la prescription :
– le délai réduit de l’article 2224 du code civil issu de la loi du 17 juin 2008 a couru à compter du 19 juin 2008 pour expirer le 19 juin 2013, sans excéder le délai de 10 ans prévu par la loi antérieure et qui aurait expiré le 11 avril 2016, compte tenu de la manifestation du dommage à cette date ; mais ce délai a été interrompu par les demandes en justice présentées par M. [D] [U] en référé jusqu’au 19 mars 2013, date de l’arrêt de la Cour de cassation, conformément à l’article 2242 du code civil ;
– l’article 2243 invoqué par les notaires n’est pas applicable car le juge des référés a accueilli la demande probatoire de M. [D] [U] concernant le contrat d’assurance groupe des notaires, sachant que la Sa Mutuelles du Mans déniait l’existence même de l’acte complémentaire à l’avant-contrat pour s’opposer à sa demande d’indemnisation ; dès lors qu’il a été fait droit à cette demande qui n’a jamais été remise en cause en appel et devant la Cour de cassation, la demande est interruptive de prescription, aucune distinction ne devant être faite selon la nature de la demande en justice ;
– en tout état de cause, la fin de non-recevoir doit être écartée en raison de la fraude de la Sa Mutuelles du Mans qui a délibérement dissimulé des actes (la déclaration de sinistre, le contrat d’assurance de groupe) et des faits juridiques (tentative de dissimulation de l’existence même de l’acte complémentaire du 29 janvier 2005, pour opposer un refus de garantie en raison d’une prétendue absence de lien de causalité entre la faute du notaire et le préjudice invoqué.
2- sur la responsabilité civile professionnelle des notaires :
– Me [X] [G] a commis les fautes suivantes :
* absence de vérification des titres de propriété antérieurs (alors que la validité d’un acte de vente suppose le contrôle et la vérification des droits immobiliers faisant l’objet de la mutation et que l’acte du 29 janvier 2005 constitue un contrat de vente sous seing privé et non une simple promesse de vente) ; cette faute a été relevée par la cour d’appel d’Aix-en-Provence en référé et reconnue par la Sa Mutuelles du Mans en 2009 ;
* absence d’une condition suspensive particulière tenant à la vérification des titres de propriété antérieurs ; la plus élémentaire prudence aurait dû amener Me [X] [G] à stipuler une condition suspensive pour la vérification des origines de propriété; or elle s’est fiée au caractère parfait de l’acte de 1992 et a exposé ce faisant M. [D] [U] au risque juridique qui s’est réalisé après 15 mois ;
* mauvaise rédaction des conditions suspensives : en effet, le notaire n’a pas prévu les conditions dans le seul intérêt de l’acquéreur mais également dans l’intérêt du vendeur, ce qui a permis à la SCI Chalet Hôtel de s’en prévaloir pour invoquer la caducité de la vente et qui a fait disparaître tout lien de droit avec le vendeur, permettant ainsi à celui-ci de vendre à un tiers et privant M. [D] [U] de la possibilité de demander l’exécution forcée ;
* absence de mise en garde de M. [D] [U] sur les risques juridiques alors qu’il était autorisé à déposer un permis de démolir et un permis de construire par l’acte complémentaire du même jour que l’acte de vente ; Me [X] [G] aurait dû le mettre en garde sur le risque qui s’est réalisé ;
* négligence dans l’analyse de l’état hypothécaire du 22 février 2005 : si cette fiche ne mentionnait pas la servitude, celle obtenue par M. [D] [U] en 2009 faisait état de la servitude publiée sur la fiche au nom de l’auteur de la SCI Chalet Hôtel ; Me [X] [G] aurait dû faire une réquisition hypothécaire sur l’immeuble et non sur les propriétaires, ce qui aurait permis de voir la servitude et de contrôler la chaîne des origines de propriété ;
– Me [V] [P] a commis les fautes professionnelles suivantes :
* il a été l’interlocuteur des parties avant la régularisation de l’avant-contrat ;
* négligence dans l’analyse de l’état hypothécaire du 12 mai 2005 et ceux des 4 janvier et 8 mars 2006 ; il était tenu, comme Me [X] [G], de demander un état hypothécaire avant la rédaction de l’acte authentique et aurait dû voir l’absence de la fiche au nom de M. [L], auteur de la SCI Chalet Hôtel ;
* absence de vérification des titres de propriété antérieurs ; il devait vérifier personnellement l’origine de propriété et ne l’a fait que le 12 avril 2006, après la révélation de la servitude par la voisine, alors même qu’il devait recevoir l’acte le 13 avril 2006 et que le projet mentionne l’acte du 16 juillet 1963 qui, lui, rappelle la servitude non altius tollendi ;
* rédaction d’un procès-verbal de difficulté inutile et défavorable à M. [D] [U] ; Me [V] [P] n’a cherché qu’à couvrir sa responsabilité en occultant les fautes commises (notamment la déclaration de sinistre du 26 mai 2006) et en favorisant le vendeur pour lui permettre de contracter avec un tiers, alors même que des acomptes avaient été versés directement par l’acquéreur à la SCI Chalet Hôtel ; cette rédaction a induit le juge des référés en erreur en ce qu’il a considéré que M. [D] [U] aurait abandonné le projet alors que c’est le vendeur qui a refusé de signer le dernier projet d’acte de vente.
3- sur le lien de causalité :
– l’information tardive sur l’existence de la servitude est la cause exclusive de la non réalisation du but poursuivi par M. [D] [U] ; le contrat de vente était formé dès la signature du 29 janvier 2005, seule son exécution étant différée ; le notaire devait lever le risque juridique tenant aux origines de propriété dans le délai compatible avec le but poursuivi par M. [D] [U] et qu’il connaissait puisqu’il était le rédacteur de l’acte complémentaire autorisant M. [D] [U] à déposer un permis de démolir et un permis de construire ; les servitudes grevant le bien devaient donc être impérativement portées à la connaissance de l’acquéreur, or la servitude n’a été révélée que par un tiers et alors que le permis de construire était déjà déposé ; dans les négociations postérieures auraient pu aboutir si le notaire avait accepté d’assumer sa responsabilité en prenant en charge les 110 000 euros de diminution de prix ;
– les décisions rendues en référé et au fond se sont trompées en considérant qu’il n’y avait pas d’accord définitif des parties sur la chose et sur le prix, les avenants conclus ultérieurement ne faisant que confirmer la ferme volonté de l’acquéreur et ne prévoyant un supplément de prix que pour compenser le report accepté par le vendeur ; ce n’est que la révélation de la servitude qui a causé le désaccord entre les parties et rendu impossible le transfert de propriété ;
– M. [D] [U] n’a commis aucune faute ; il n’a jamais abandonné son projet et entendait seulement obtenir l’indemnisation de son préjudice ; le fait de tenter de limiter les coûts d’une modification de son projet n’est pas fautif ; en outre il a tout tenté pour sauver le montage de l’opération en négociant avec Mme [K] puis avec la SCI Chalet Hôtel;
– si M. [D] [U] a agi à ses risques et périls entre la fin de l’année 2003 et le 4 mars 2005, n’ayant aucune certitude quant à l’acquisition du bien puis quant à la réalisation des conditions suspensives, après le 4 mars 2005 et jusqu’au 11 avril 2006 il avait la certitude que la vente serait exécutée ; or, il ne demande pas la réparation des frais engagés pendant la période précontractuelle ;
– la servitude non altius tollendi ne rendait pas l’opération impossible en soi mais c’est le caractère tardif de sa révélation qui a provoqué l’impossibilité de modifier le permis de construire puisqu’il était déjà déposé ; c’est à tort que le tribunal a jugé que M. [D] [U] avait souhaité poursuivre la vente en proposant un nouveau prix alors qu’en réalité la vente initiale était caduque.
4- sur le préjudice : outre les frais engagés pour 170 568,58 euros, il doit être tenu compte du manque à gagner, la perte de chance étant un dommage certain et actuel ; la forte probabilité de la réalisation de l’opération ressort du fait qu’un tiers a pu le faire et du fait que le terrain d’assiette était particulièrement bien placé ; M. [D] [U] a donc été privé des honoraires de promoteur (au regard du bilan de faisabilité) et des dividendes de la part de la société Plaza Invest dont M. [D] [U] détenait 70% du capital social (la marge bénéficiaire brute étant estimée à 1 100 000 euros HT sur le bilan financier prévisionnel) ; il a également été privé de la possibilité de devenir propriétaire des murs du rez de chaussée , ayant perdu la chance de pouvoir réaliser une opération de promotion immobilière avec des locaux commerciaux situés de manière exceptionnelle et qu’il devait acquérir au prix de 720 000 euros HT pour les exploiter ensuite, chance qu’il a également perdue ; il a été privé à tout le moins des intérêts de placement de ses fonds propres sur la base d’un taux de 5% sur 170 000 euros pendant 13 années, du 7 juillet 2006 au 7 juillet 2019 ; il a également subi un préjudice moral car l’échec de cette opération a eu des conséquences dramatiques sur le plan professionnel, sur le plan personnel, sur le plan psychologique et sur le plan social et financier.
5- sur la responsabilité de la Sa Mutuelles du Mans pour fraude et résistance abusive :
– alors que Me [V] [P] a procédé à une déclaration de sinistre le 22 mai 2006 et que M. [D] [U] a formulé une demande d’indemnisation le 27 avril 2009, la Sa Mutuelles du Mans lui a opposé un refus de garantie en occultant délibérément les éléments déterminant le lien de causalité entre la faute et le préjudice : la qualité de promoteur de M. [D] [U] et le fait qu’il entendait réaliser une opération immobilière et surtout l’acte complémentaire du 29 janvier 2005 l’autorisant à déposer un permis de démolir et un permis de construire, de sorte que son refus de garantie est manifestement abusif ; la Sa Mutuelles du Mans s’est également opposée à la demande de communication de la déclaration de sinistre de son assuré ;
– la Sa Mutuelles du Mans profite depuis toutes ces années de l’avantage financier que lui procure la provision technique ; elle n’a pas déféré à sa demande de communication de la provision technique réalisée ;
– M. [D] [U] s’est trouvé dans l’incapacité de financer un autre cycle de promotion puisqu’il a perdu ses fonds propres ; il a été privé des revenus que lui procurait son activité à hauteur de 12 000 euros par mois depuis 2009, date à laquelle il avait formulé une demande d’indemnisation en 2009, soit un préjudice économique de 1 416 000 euros ; il convient d’y ajouter son préjudice moral pour 200 000 euros, eu égard à l’âge de M. [D] [U] (59 ans) qui ne lui permet pas d’envisager une reprise de sa carrière professionnelle.
La procédure a été clôturée par ordonnance en date du 2 avril 2019.
MOTIFS DE LA DECISION :
Attendu que M. [D] [U] recherche la responsabilité de Me [X] [G] et de Me [V] [P] à la suite de l’échec de l’opération immobilière qu’il escomptait réaliser à la station de [Adresse 5], et qui s’était matérialisée par la signature d’un acte sous seing privé de vente à son profit le 29 janvier 2005, rédigé par Me [X] [G] et dont Me [V] [P], son successeur, devait assurer la réitération authentique ;
Qu’il recherche parallèlement la responsabilité de la Sa Mutuelles du Mans sur le fondement délictuel pour lui avoir opposé de manière fautive une non garantie ;
Sur la prescription de l’action en responsabilité contre les notaires :
Attendu que les notaires opposent à M. [D] [U] la prescription de son action en soulignant que l’assignation a été délivrée le 24 juin 2015 alors que l’acte sous seing privé litigieux qui fonde les demandes a été rédigé le 29 janvier 2005, soit plus de dix ans auparavant ;
Que le tribunal a toutefois justement retenu que c’était à la date du 11 avril 2006 que M. [D] [U] avait eu connaissance de la servitude non altius tollendi et qu’il doit être ajouté que ce n’est que le 22 mai 2006 qu’à la suite de l’échec des négociations engagées avec la voisine, bénéficiaire de cette servitude, et avec le vendeur, ce dernier a notifié la caducité de la vente ; que l’article 2270-1 du code civil alors applicable prévoyait une prescription de dix ans qui n’était pas éteinte lors de l’entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu’en application des dispositions transitoires de cette loi, le délai de prescription réduit à 5 ans par l’article 2224 nouveau a couru à compter de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle et était expiré le 19 juin 2013 ;
Que M. [D] [U] invoque à juste titre les dispositions des articles 2241 et 2242 du code civil qui prévoient que la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription jusqu’à l’extinction de l’instance ; qu’il rappelle à cet égard justement qu’il a engagé une procédure en référé contre les notaires et contre la Sa Mutuelles du Mans le 3 mai 2010 et que cette instance s’est achevée le 19 mars 2013 avec l’arrêt de la Cour de cassation rejetant le pourvoi ;
Que c’est en vain que les notaires et la Sa Mutuelles du Mans prétendent, en invoquant les dispositions de l’article 2243 du code civil, que l’interruption de prescription serait non avenue en raison du rejet définitif des demandes présentées par M. [D] [U] en référé ; qu’en effet, si M. [D] [U] sollicitait la condamnation des défendeurs à lui verser une indemnité provisionnelle et si cette demande a été rejetée définitivement par l’arrêt de la cour d’appel du 8 septembre 2011 devenu irrévocable à la suite du rejet du pourvoi, il n’en demeure pas moins que M. [D] [U] avait également présenté une demande en production forcée de la déclaration de sinistre faite par Me [V] [P] auprès des MMA et une demande de remise du contrat d’assurance de groupe des notaires et que cette dernière demande, contestée par les défendeurs devant le juge des référés, a été admise définitivement ;
Que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a retenu que le délai de prescription avait été interrompu jusqu’au 19 mars 2013, date de l’arrêt de la Cour de cassation qui a clôt l’instance en référé et que l’action engagée par M. [D] [U] le 24 juin 2015 n’était donc pas prescrite ;
Sur la responsabilité des notaires :
Attendu qu’il est utile de rappeler les éléments factuels suivants :
– suivant acte sous seing privé du 29 janvier 2005, rédigé par Me [X] [G], notaire, la SCI Chalet Hôtel a vendu à M. [D] [U] un ensemble immobilier sis à [Adresse 5], constitué d’un bâtiment à usage de dancing, bar, hôtel, restaurant édifié sur un terrain de 17 ares 40 centiares, moyennant le prix de 290 000 euros HT, sous les conditions suspensives de droit commun tenant à la purge de tous droits de préemption et à l’obtention d’une note d’urbanisme et d’un état hypothécaire ne révélant pas de servitude faisant obstacle à la libre utilisation du bien ou susceptible d’en diminuer la valeur, la vente devant être réitérée devant notaire au plus tard le 30 juin 2005 ;
– le même jour, la SCI Chalet Hôtel a autorisé M. [D] [U] à procéder à toute demande de permis de construire et de démolir et d’une façon générale à opérer toute démarche administrative sur l’immeuble objet de la vente ;
– la signature de l’acte authentique de vente a été repoussée, à la demande de M. [D] [U], suivant avenants des 6 juillet 2005, 4 décembre 2005 et 15 janvier 2006, respectivement au 30 août 2005, puis au 24 décembre 2005, et enfin au 31 janvier 2006, moyennant une petite augmentation du prix convenu, porté in fine à 310 000 euros pour compenser le retard subi par le vendeur ;
– la signature de l’acte de vente a encore été retardée par l’exercice d’un droit de préemption partiel de la commune qui a trouvé sa solution dans un accord de cession gratuite ;
– ce n’est qu’en avril 2006, alors que le projet d’acte avait été préparé par Me [V] [P], successeur de Me [X] [G], que les parties ont eu connaissance de l’existence d’une servitude non altius tollendi grevant l’immeuble vendu au profit du fonds voisin appartenant à Mme [K], servitude qui ne figurait pas dans le titre de propriété de la SCI Chalet Hôtel du 5 mai 1992 (vente [L] / SCI CHALET HOTEL), mais qui avait été créée dans l’acte de vente [K] / [B] [Q] du 24 octobre 1936 et avait été rappelée dans l’acte de vente [Q] / [L] du 16 juillet 1963 ;
– les négociations engagées par M. [D] [U] auprès de Mme [K] pour aménager la servitude ont échoué ; de même, M. [D] [U] n’a pas trouvé d’accord avec la SCI Chalet Hôtel sur la signature d’un projet d’avenant au contrat de vente prévoyant de ramener le prix de vente de 310 000 euros à 200 000 euros ;
– par lettre recommandée du 22 mai 2006, la SCI Chalet Hôtel a fait connaître à M. [D] [U] son refus de baisser le prix convenu et lui a notifié la caducité des accords contractuels en invoquant le non respect de la date de signature convenue et fixée au plus tard au 31 janvier 2006 ;
– les discussions ultérieures des parties en vue d’un nouvel avant-contrat de vente n’ont pas abouti ;
– un procès-verbal de difficulté a été établi par Me [V] [P] et signé par les parties le 7 juillet 2006 rappelant les difficultés rencontrées par suite de la révélation de la servitude et les vaines recherches d’aménagement des conventions et retenant, d’une part que M. [D] [U] constate la non réalisation de la condition suspensive d’absence de servitude et la défaillance du vendeur dans la délivrance du bien immobilier, d’autre part que M. [F], gérant de la SCI Chalet Hôtel , prend acte de ce que la SCI retrouve la libre disposition de son bien et s’engage à rembourser l’acompte de 50 000 euros versé par l’acquéreur ;
– l’immeuble a été vendu peu de temps après à la société VIANO SAINT LAMBERT qui a pu réaliser, en 2009, une construction de 1790 m² de SHON sur le terrain ;
Attendu qu’il convient d’examiner successivement les différentes fautes reprochées par M. [D] [U] à Me [X] [G] et à Me [V] [P] dans la rédaction de l’avant-contrat de vente et après la signature de ce contrat ;
1- sur les fautes commises dans la rédaction de l’avant-contrat :
Attendu que M. [D] [U] reproche en premier lieu à Me [X] [G] de ne pas avoir vérifié les actes et titres de propriété avant la rédaction et la signature de l’avant-contrat, soutenant pour ce faire que le contrat était d’ores et déjà un acte de vente au sens des articles 1582 et 1583 du code civil et non une simple promesse de vente ;
Mais que l’acte du 29 janvier 2005, dénommé très précisément ‘avant-contrat’, comportait des conditions suspensives de droit commun tenant à la vérification des règles d’urbanisme applicables et de l’état hypothécaire ; que c’est précisément pour constater l’accord de principe des parties sur la vente avant que les dites vérifications ne soient opérées et sous les conditions suspensives sus-rappelées, que l’avant-contrat a été signé ; que le notaire rédacteur d’un tel acte n’a pas à procéder à l’examen des titres de propriété au moment de la signature de cet avant-contrat et que le grief formulé contre Me [X] [G] est donc infondé ; que la circonstance que l’acte constituant le titre de propriété de la SCI Chalet Hôtel ait été reçu par Me [X] [G] elle-même est sans incidence puisque la consultation de cet acte nécessitait en tout état de cause que soient opérées des recherches dont il était convenu qu’elles n’auraient lieu que pour permettre la signature authentique de la vente ;
Attendu que M. [D] [U] reproche en deuxième lieu à Me [X] [G] de ne pas avoir prévu une condition suspensive tenant à la vérification des titres de propriété antérieurs, l’acte mentionnant seulement que le vendeur ‘s’engage à justifier de ses droits de propriété au moyen d’une origine complète et régulière remontant à un titre ou à des faits lui permettant d’invoquer le bénéfice de la prescription acquisitive trentenaire’, sans que cela soit instauré comme condition suspensive ;
Mais que l’existence d’une telle condition était inutile dès lors qu’il était dans l’obligation du notaire de vérifier le titre de propriété du vendeur et sa qualité de propriétaire avant d’établir l’acte authentique de vente et afin d’en assurer l’efficacité et que l’absence de servitude était bien prévue comme une condition suspensive ;
Attendu que M. [D] [U] fait ensuite grief à Me [X] [G] d’avoir mal rédigé les conditions suspensives en prévoyant que celles-ci profiteront au vendeur et à l’acquéreur alors qu’elles n’auraient dû être instituées, selon lui, qu’au profit de l’acquéreur ; qu’il considère que le notaire a ainsi commis une faute ayant permis à la SCI Chalet Hôtel de se prévaloir de la caducité pour non réalisation de l’une des conditions suspensives ; qu’il ajoute que le notaire a également commis un manquement à son devoir de mise en garde à son égard en ne l’avertissant pas qu’il ne pourrait ainsi mettre son vendeur en demeure de réaliser la vente en renonçant au bénéfice de la condition suspensive ;
Mais que la lecture du courrier de la SCI Chalet Hôtel en date du 22 mai 2006 permet de constater que celle-ci invoque la caducité de la vente non pas à raison de l’absence de réalisation de l’une des conditions suspensives mais en raison du refus de M. [D] [U] de conclure la vente aux conditions de prix fixées dans l’avant-contrat ; que M. [D] [U] avait en effet fait connaître à la SCI Chalet Hôtel, par lettre du 17 mai 2006, qu’il entendait obtenir, soit la régularisation de la vente pour un immeuble libre de toute servitude (ce qu’il savait impossible), soit la défaillance de l’avant-contrat et le remboursement de l’acompte de 50 000 euros, manifestant ainsi son intention très claire de ne pas renoncer à la condition suspensive ; que la rédaction des conditions suspensives est donc sans incidence sur la caducité invoquée par la SCI Chalet Hôtel et qu’il importe peu que M. [D] [U] n’ait pas été informé de ce qu’il ne pourrait renoncer au bénéfice de la condition suspensive puisqu’il n’a jamais été dans ses intentions d’y renoncer ;
Attendu que M. [D] [U] fait enfin le reproche à Me [X] [G] de ne pas l’avoir mis en garde sur les risques juridiques encourus du fait des conditions suspensives prévues, alors qu’il était autorisé, par un acte du même jour que l’avant-contrat de vente, à déposer une demande de permis de construire et de démolir sans attendre la réitération de la vente ;
Mais que l’autorisation donnée par le vendeur à M. [D] [U] ne faisait courir aucun risque juridique particulier, ni à celui-ci, ni à la SCI Chalet Hôtel, dès lors qu’il s’agissait seulement pour l’acquéreur d’être autorisé à déposer des demandes de permis ; que le risque était uniquement financier puisque M. [D] [U] engageait ainsi des frais avant même d’être certain de la réitération authentique de la vente, mais que celui-ci était parfaitement conscient de ce risque et qu’il en était le principal bénéficiaire puisque, ainsi qu’il l’explique dans ses écritures, le promoteur ne peut obtenir de concours bancaire qu’à partir du moment où il dispose d’un permis de construire, de sorte qu’il est important pour lui de mettre le plus rapidement possible en oeuvre les démarches et diligences lui permettant de déposer sa demande de permis ;
2- sur les fautes commises après la signature de l’acte du 29 janvier 2005 :
Attendu que M. [D] [U] considère que Me [X] [G] puis Me [V] [P] ont commis des négligences dans l’analyse des états hypothécaires obtenus successivement le 22 février 2005, le 12 mai 2005, le 4 janvier 2006 et le 8 mars 2006 ;
Mais que les états ont été demandés aux noms de la SCI Chalet Hôtel et de ses auteurs, M. [H] [L] et Mme [N] [M] veuve [L], et qu’ils n’ont révélé aucune servitude ; que, certes, l’état hypothécaire obtenu par M. [D] [U] en 2009 indique l’existence de ‘servitudes et conventions diverses’ sur la fiche au nom de [C] [L], auteur des consorts [L], décédé en 1989, fiche non jointe aux états demandés par les notaires ; qu’en sollicitant la fiche hypothécaire au nom du vendeur et de ses auteurs, les notaires, qui n’avaient aucune raison particulière de soupçonner qu’il pouvait exister une servitude qui n’était pas mentionnée dans le titre du vendeur, n’ont pas commis de faute, étant à cet égard rappelé que l’acte d’acquisition des consorts [L] était un acte de 1963 et que le notaire n’est pas tenu de vérifier l’origine de propriété au-delà de trente ans ;
Attendu que M. [D] [U] considère que Me [V] [P] a commis une faute dans la rédaction du procès-verbal de difficulté du 7 juillet 2006 qu’il estime être inutile et lui être défavorable, reprochant au notaire un manque d’impartialité et indiquant à cet égard que c’est en lecture de cet acte qu’il a débouté de ses demandes en référé, le juge retenant qu’il avait abandonné son projet ;
Mais que cet acte n’était pas inutile, même si la SCI Chalet Hôtel avait déjà fait connaître son intention d’invoquer la caducité de l’acte du 29 janvier 2005, puisqu’il avait pour objet de constater la libération de tout engagement des parties et d’organiser la restitution à M. [D] [U] de son acompte de 50 000 euros ; que la renonciation de M. [D] [U] au bénéfice de l’acte de vente actée dans le procès-verbal ne peut être remise en cause, d’une part en raison du caractère authentique de cet acte dont les constatations font foi jusqu’à inscription de faux, d’autre part en l’état de la lettre du 17 mai 2006 adressée par M. [D] [U] à la SCI Chalet Hôtel au terme de laquelle il indique :
‘A défaut pour votre société de pouvoir me livrer la chose convenue, je vous demande de fixer un nouveau rendez-vous en l’Etude de Maître [P], notaire à Barcelonnette (04400) à l’effet de :
– prendre acte de l’impossibilité pour votre société de remplir sa part de contrat et tirer les conséquences de cette défaillance en aménageant l’avant-contrat du 29 janvier 2005 ;
– ou mettre un terme à nos accords moyennant le remboursement de l’acompte de 50 000 euros perçu et la réparation des dommages consécutifs’,
étant ici précisé que la recherche d’un nouveau compromis de vente et d’une indemnisation par le vendeur avait échoué à l’issue des pourparlers engagés entre les parties en juin et juillet 2006 ; que le rappel de la déclaration de sinistre préventive faite par Me [V] [P] n’avait pas sa place dans le procès-verbal de difficultés qui ne concernait que les relations entre vendeur et acquéreur ;
Attendu que M. [D] [U] reproche enfin à Me [V] [P] de ne pas avoir vérifié les titres de propriété antérieurs avant le 30 juin 2005 et à tout le moins dans son projet d’acte, en mars 2006, et de ne pas s’être aperçu de l’existence de la servitude mentionnée dans l’acte de 1936 et rappelée dans l’acte de 1963 auxquels pourtant son projet d’acte fait référence ;
Qu’il ne peut être fait grief au notaire de ne pas avoir vérifié, avant le 30 juin 2005, la teneur des actes antérieurs tant que le projet d’acte n’était pas préparé, dès lors que ni le titre de propriété de la SCI, ni les états hypothécaires délivrés ne révélaient d’obstacle à la condition suspensive d’absence de servitude et que les parties s’étaient entendues pour reporter la date de la signature authentique, dans l’intérêt même de l’acquéreur, successivement au 30 août 2005, puis au 24 décembre 2005, et enfin au 31 janvier 2006 ;
Que par contre, une telle vérification des actes antérieurs devait être faite par Me [V] [P] au moment de la rédaction du projet d’acte authentique, notamment au regard de l’acte reçu par Me [Z] le 16 juillet 1963 portant vente du bien par Mme [H] veuve [Q] aux consorts [L], précisément rappelé dans le projet d’acte du 18 mars 2006 au titre de l’origine de propriété et qui rappelait la servitude consentie à Mme [K] dans les termes suivants: ‘Les acquéreurs s’engagent à ne pas construire d’immeuble de plus d’un étage sur une largeur de dix mètres en bordure de la ligne de séparation AB entre la parcelle vendue et la propriété restant à la venderesse. (Voir le plan annexé)’;
3- sur le préjudice en lien de causalité avec la faute commise par le notaire :
Attendu que M. [D] [U] ne peut invoquer aucun préjudice en lien de causalité avec l’absence de vérification de l’acte de 1963, lors de la rédaction du projet d’acte authentique du 18 mars 2006 ;
Qu’en effet, outre que le projet préparé par le notaire n’a pas été signé, si la vérification manquante avait été faite, M. [D] [U] aurait eu la révélation de la servitude en mars 2006 au lieu d’avril 2006, à une date à laquelle il avait déjà élaboré son projet de construction et déposé sa demande de permis de construire, alors que c’est précisément en invoquant une information tardive sur les contraintes résultant de la servitude que M. [D] [U] fonde ses demandes d’indemnisation en soutenant que, s’il les avait connues tout de suite, il aurait préparé un projet de construction différent ; que la connaissance de la servitude en mars 2006 n’aurait donc rien modifié à la situation dans laquelle M. [D] [U] s’est trouvé en avril 2006 ;
Attendu qu’il convient en conséquence de débouter M. [D] [U] de toutes ses demandes indemnitaires à l’encontre des deux notaires et de leur assureur à raison des fautes reprochées à ceux-ci, infirmant ainsi le jugement déféré en ce qu’il a prononcé une condamnation contre Me [X] [G] et la Sa Mutuelles du Mans ;
Sur la responsabilité délictuelle de la Sa Mutuelles du Mans :
Attendu que M. [D] [U] reproche à l’assureur d’avoir commis une manoeuvre frauduleuse en dissimulant volontairement et grossièrement des éléments de fait du sinsitre qui lui avaient été révélés (notamment la connaissance par le notaire de la qualité de promoteur de l’acquéreur et de son intention de démolir l’existant pour construire un nouvel immeuble), afin d’opposer un refus de garantie manifestement abusif ;
Qu’en l’état du rejet des réclamations indemnitaires présentées par M. [D] [U] contre les notaires et la Sa Mutuelles du Mans, il apparaît que le refus de garantie ne peut être considéré comme abusif ni même infondé ;
Qu’en tout état de cause, il convient de noter que si la Sa Mutuelles du Mans a pu, dans son premier courrier en date du 1er septembre 2009, considérer à tort que la qualité de promoteur de M. [D] [U] et son intention de démolir n’étaient pas connues du notaire en se fondant sur l’absence de condition suspensive d’obtention d’un permis de construire, il n’en demeure pas moins qu’elle a, tant dans ce courrier que dans la lettre suivante en date du 16 mars 2010 en réponse aux observations de M. [D] [U], motivé son refus d’indemnisation sur l’absence de lien de causalité entre la faute reprochée à Me [X] [G] et les préjudices réclamés ; qu’elle a ainsi mis en avant le fait que les pertes d’honoraires de gestion et de marge bénéficiaire sur l’opération manquée n’étaient pas en lien de causalité avec la révélation de la servitude puisque celle-ci n’empêchait pas la réalisation d’une construction sur le terrain et constaté que les investissements financiers et honoraires engagés à perte, outre qu’ils ne faisaient l’objet d’aucuns justificatifs, l’avaient été dans la phase d’avant-contrat, avec le risque que les conditions suspensives ne se réalisent pas ; qu’une telle motivation du refus d’indemnisation ne peut être considérée comme empreinte de mauvaise foi dès lors qu’il existait un vrai débat sur la question du lien de causalité et sur la réparation des préjudices réclamés, le juge des référés,tant en première instance qu’en appel, ayant considéré qu’elle se heurtait à une contestation sérieuse ; que la Cour de cassation a retenu la motivation suivante pour rejeter le pourvoi : ‘(…) ayant constaté que M. [U] n’avait pas fait inclure dans l’avant-contrat une condition suspensive relatives à l’obtention d’un permis de construire correspondant au projet qu’il comptait réaliser et qu’il avait entrepris toutes les démarches dont il sollicitait l’indemnisation à ses risques et périls avant la signature de l’acte authentique, et relevé qu’il ne précisait nullement en quoi la servitude grevant l’immeuble modifiait l’économie de son projet au point que celui-ci n’aurait pas été réalisable, la cour d’appel (…) a pu en déduire qu’il existait une contestation sérieuse sur le fait que l’existence de la servitude ait pu constituer un élément déterminant rendant impossible la poursuite du projet immobilier.’;
Que les demandes présentées par M. [D] [U] contre la Sa Mutuelles du Mans seront donc rejetées en l’absence de démonstration d’une faute commise par l’assureur en opposant son refus d’indemnisation ;
Vu les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Vu l’article 696 du code de procédure civile,
Par ces motifs,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement
et en dernier ressort,
Infirme le jugement du tribunal de grande instance de Digne les Bains déféré en ce qu’il a constaté que Me [X] [G] avait commis une faute dans la rédaction de l’avant contrat de vente signé le 29 janvier 2005 et que la Sa Mutuelles du Mans était tenue de garantir cette faute professionnelle, et en ce qu’il a en conséquence condamné Me [X] [G] et la Sa Mutuelles du Mans in solidum à payer à M. [D] [U] une somme de 71 294,75 euros à titre d’indemnisation du préjudice subi et une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance ;
Statuant à nouveau de ces chefs,
Déboute M. [D] [U] de son action en responsabilité professionnelle à l’encontre de Me [X] [G] et de toutes ses demandes de dommages et intérêts à l’encontre de Me [X] [G] et de la Sa Mutuelles du Mans ;
Déboute M. [D] [U] de sa demande d’indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile devant le tribunal et le condamne aux dépens de première instance ;
Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [D] [U] à payer à Me [X] [G], Me [V] [P] et la Sa Mutuelles du Mans ensemble une somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Le condamne aux dépens d’appel qui seront recouvrés dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.
LE GREFFIERLE PRESIDENT