Promesse de devenir associé : attention au contrat de travail

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Promesse de devenir associé : attention au contrat de travail

La qualité de salarié ne peut être reconnue à un collaborateur à qui il avait été promis de devenir associé dès lors qu’aucun lien de subordination n’est établi entre les parties.

Il ressortait des nombreux textos échangés que les deux protagonistes échangeaient librement et de manière égalitaire sur le projet de création de la société et son développement sans qu’aucun ordre ou directive ne soit précisément donné, les décisions étant souvent prises d’un commun accord.

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

Il est constant qu’une personne est placée sous la subordination d’une société dès lorsqu’elle perçoit chaque mois une rémunération d’un montant fixe, est intégrée dans un service organisé et exécute une prestation de travail sous le contrôle des dirigeants de la société dont elle reçoit les ordres.

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 16 SEPTEMBRE 2021

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/12019 –��N° Portalis 35L7-V-B7C-B6UFH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 Septembre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F18/01186

APPELANTE

Madame A X

[…]

[…]

Représentée par Me Faustine CALMELET, avocat au barreau de PARIS, toque : D1873

INTIMEE

SAS C Y anciennement BALZAC BAZAAR représentée par son Président, domicilié en cette qualité audit siège

[…]

[…]

Représentée par Me Claire-eva CASIRO COSICH, avocat au barreau de PARIS, toque : B0846

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 09 Juin 2021, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat, entendu en son rapport, a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Hélène FILLIOL, Présidente de Chambre.

Greffière, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

—  CONTRADICTOIRE,

— mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.

— signé par Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de Chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCEDURE :

La société C Y, anciennement dénommé Balzacbazaar, a pour activité le design, la fabrication, l’achat et la vente de vêtements et accessoires. Elle a été suivie depuis sa création par la société Redstart dont la mission est d’accompagner les projets en phase de lancement.

Fin juillet 2017, Mme X a rejoint la société C Y en qualité de digital developer (responsable marketing opérationnel) et les parties ont convenu qu’elle intègrerait à terme le capital de la société.

Par courrier du 12 décembre 2017, Mme X a mis la société C Y en demeure de régulariser son contrat de travail, de lui verser un salaire et de lui adresser un planning de travail.

Par courrier recommandé du 6 janvier 2018, Mme X a pris acte de la rupture de son contrat de travail.

Sollicitant la reconnaissance de son statut de salariée, Mme X a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 19 février 2018 aux fins d’obtenir le paiement de diverses sommes de nature salariale et indemnitaire.

Par jugement en date du 20 septembre 2018, le conseil de prud’hommes a débouté Mme X de l’ensemble de ses demandes ainsi que la société C Y de ses demandes.

Pour statuer ainsi, le conseil a relevé que lorsqu’elle avait intégré en juillet 2017 le projet Balzacbazaar qui était alors en gestation, Mme X avait totalement conscience que son activité aux côtés de Mme Y n’avait pour finalité qu’une association au capital dans la perspective du développement d’un chiffre d’affaires, de sorte que la demanderesse n’avait pas le statut de salariée de la société C Y.

Le 24 octobre 2018, Mme X a interjeté appel de ce jugement.

PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 5 juin 2019, Mme X conclut à la confirmation du jugement ayant rejeté les demandes de la société C Y mais à l’infirmation en toutes ses autres dispositions, et elle demande à la cour de :

— juger qu’elle exerçait ses fonctions en qualité de salariée en contrat à durée indéterminée à temps plein en qualité de Digital developper (responsable marketing opérationnel) statut cadre ;

— juger que la société C Y n’a réglé aucun de ses salaires sur la période du 31 juillet 2017 au 6 janvier 2018 ;

— juger sa prise d’acte de la rupture emporte les effets d’un licenciement abusif ;

— fixer le salaire moyen minimum à 2 900 euros bruts ;

— condamner la société C Y à lui payer les sommes suivantes :

—  15.176,67 euros au titre du rappel de salaire pour la période du 31 juillet 2017 au 6 janvier 2018 et 1.517,67 euros au titre des congés payés afférents ;

—  8.700 euros au titre de l’indemnité de préavis et 870 euros au titre des congés payés afférents ;

—  2.900 euros au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive ;

—  3.000 euros au titre des dommages et intérêts pour condition vexatoires ayant entourées la prise d’acte ;

—  17.400 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé ;

A titre subsidiaire,

— condamner la société C Y à lui payer les sommes suivantes calculées sur la base du Smic de 2017, soit 1.480,27 euros :

—  7 401,35 euros au titre du rappel de salaire pour la période du 31 juillet 2017 au 6 janvier 2018 et 774,68 euros au titre des congés payés afférents ;

—  1.480,27 euros au titre de l’indemnité de préavis et 148,03 euros au titre des congés payés afférents ;

—  1.480,27 euros au titre des dommages et intérêts pour rupture abusive ;

—  3.000 euros au titre des dommages et intérêts pour conditions vexatoires ayant entourées la prise d’acte ;

—  8.881,62 euros au titre de l’indemnité pour travail dissimulé ;

En tout état de cause,

— débouter la société C Y de l’ensemble de ses demandes ;

— ordonner le remboursement de la somme de 37,83 euros au titre des frais avancés pour le compte de la société Balzacbazaar ;

— ordonner la capitalisation des intérêts ;

— condamner la société C Y à lui remettre sous astreinte les documents légaux de fin de contrat régularisés;

— condamner la société C Y à lui verser la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de l’instance.

Pour conclure ainsi, Mme X fait valoir que, même en l’absence d’écrit, elle a travaillé pour le compte de la société Balzacbazaar à temps complet du 31 juillet au 5 décembre 2017 en qualité de digital developper, qu’elle reçu des consignes de travail quotidiennes de la part de Mme Y, a systématiquement dû faire valider son travail par cette dernière, ajoutant que celle-ci a également usé de son pouvoir de direction et de sanction pour avoir souhaité la congédier suivant une liste de griefs.

La concluante affirme que sa rémunération a été envisagée et préalablement acceptée dans son principe dans le cadre de la proposition d’association présentée par Mme Y.

Elle précise, compte tenu du travail qu’elle a réalisé pour le compte de la société sous les directives et consignes de Mme Y, que l’existence du contrat de travail était indéniable. Ne se voyant plus confier de mission depuis le 5 décembre 2017 et ayant également attendu en vain la régularisation de son contrat de travail ainsi que le versement de sa rémunération, elle précise avoir été contrainte de prendre acte de la rupture de son contrat de travail.

Mme X soutient que la promesse faite par Mme Y de lui céder des parts dans la société, régulariser sa situation et lui verser un salaire était mensongère dès l’origine.

En dernier lieu, elle indique que la société C Y a intentionnellement dissimulé son travail aux fins de ne pas lui régler ses salaires et de se soustraire au paiement des charges sociales et aux formalités administratives.

Selon ses conclusions transmises par la voie électronique le 9 avril 2019, la société C Y anciennement société Balzacbazaar conclut à la confirmation du jugement sauf en ce qu’il l’a déboutée de ses demandes au titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de l’article 700 du code de procédure civile. Elle demande donc à la cour de condamner Mme X à lui payer les sommes de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, si la cour retenait l’existence d’un contrat de travail, elle conclut au rejet de la demande de prise d’acte d’une rupture et demande à la cour de :

— la requalifier en démission sans préavis à la date du 5 décembre 2018 ;

— condamner Mme X à lui payer l’intégralité des trois mois de préavis non effectués et une indemnité pour rupture abusive d’un montant de 5.000 euros.

En tout état de cause, elle conclut au rejet de l’ensemble des prétention de Mme X et à sa condamnation au paiement des sommes 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La société C Y fait valoir que Mme X ne bénéficiait pas d’un contrat de travail, notamment compte tenu de l’absence totale de possibilité financière du projet, celle-ci ayant indiqué vouloir conserver les allocations chômages dont elle bénéficiait et poursuivre son activité de free-lance tout en devenant associée du projet en devenir.

La société ajoute que Mme X n’a jamais été rémunérée pour son soutien au projet Balzacbazaar et qu’au surplus, cela n’a même jamais été envisagé.

Sur le lien de subordination, la concluante soutient que Mme X a bénéficié de la plus parfaite autonomie dans la réalisation des tâches s’agissant du projet Balzacbazaar, qu’elle n’était assujettie à aucun horaire de travail et imposait d’ailleurs plutôt à ses interlocuteurs les impératifs de son activité freelance. Elle précise que Mme X était par ailleurs libre quant à sa présence sur son lieu de travail et que, concernant le pouvoir de contrôle, Mme X et Mme Y entretenaient plutôt une relation d’égale à égale.

La société indique que la prise d’acte de Mme X est illégitime en l’absence de fondement de la procédure et de torts imputables à l’employeur.

Enfin, sur le travail dissimulé, la société affirme que Mme X était simplement participante au

projet Balzacbazaar et ainsi que l’infraction n’est caractérisée.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la cour se réfère expressément aux conclusions transmises par la voie électronique.

L’instruction a été déclarée close le 12 mai 2021.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur l’existence d’un contrat de travail

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve.

Il est constant qu’une personne est placée sous la subordination d’une société dès lorsqu’elle perçoit chaque mois une rémunération d’un montant fixe, est intégrée dans un service organisé et exécute une prestation de travail sous le contrôle des dirigeants de la société dont elle reçoit les ordres.

En l’espèce, Mme X soutient qu’elle a exécuté une prestation de travail au profit de la société C Y tel que cela résulte des écritures de cette dernière, des échanges de courriels et de la proposition d’association, soulignant qu’étant cadre, elle n’avait pas d’horaires de travail précis.

Mme X invoque également l’existence d’un lien de subordination ainsi que cela résulte des consignes de travail quotidiennes qui lui étaient données et de la validation systématique de son travail au regard des courriels et textos échangés avec Mme Y.

Enfin, elle soutient que la société C Y a exercé à son égard un pouvoir de sanction, ayant informé ses associés qu’elle souhaitait la faire travailler jusqu’en fin décembre puis la congédier.

La société C Y précise que dès le début, Mme X l’a informé de la perception des allocations chômage et de l’exercice d’une activité en freelance, que le planning de l’appelante, qui disposait d’un site internet, dépendait de ses rendez-vous personnels, que la relation devait évoluer vers une association, un projet d’entrée dans le capital ayant été élaboré en septembre 2017, et que l’appelante a adopté une attitude de partenaire et de leader, étant l’égale de Mme Y. Elle soutient qu’aucune rémunération n’a été envisagée, le résultat étant déficitaire de plus de 10 000 ‘ en 2017. Enfin, elle soutient qu’aucun lien de subordination n’a été exercé à l’égard de Mme X, au regard de ses horaires de travail et de son autonomie.

Concernant l’existence d’un lien de subordination, les premiers courriels échangés en septembre 2017 entre Mme X et Mme Y au sujet du projet de création d’une société n’évoquent en rien l’existence d’une relation salariée.

Le projet d’association de Mme X au capital de la société remis à l’appelante le 13 octobre 2017 évoque son rôle d’associé comprenant notamment la gestion du site internet, du contenu graphique, des différents comptes sur les réseaux ainsi que la création et la rédaction d’une newletter. Il est précisé que la société C Y n’a pas la possibilité pour le moment de rémunérer ses associés-salariés et que des cessions de parts sont prévus lors des premiers exercices comptables. Ce projet prévoit l’attribution à Mme X de dix parts d’une valeur de 100 ‘ venant en partie rétribuer les activités non rémunérées réalisées pour la société en 2017. Une fiche de poste est jointe à ce

projet qui n’a pas été signé par Mme X.

Le même jour, un projet de promesse de cession de parts entre Mme Y et Mme X a été remis à cette dernière. Cet acte comportait en dernière page une partie intitulée ‘à rédiger selon les différents accords : volume horaire, volume de travail effectif, volume du contrat signé ou compétences mises à disposition’. Aucune des parties n’a apposé sa signature sur ce document.

L’existence d’un lien de subordination liant Mme X et la société C Y ne résulte d’aucune de ces deux pièces qui n’ont au surplus pas été signées, étant des projets.

Il ressort des nombreux textos échangés entre Mme X et C Y de fin juillet au début du mois de décembre 2017, soit environ cinq cent pages, que les deux protagonistes échangeaient librement et de manière égalitaire sur le projet de création de la société et son développement sans qu’aucun ordre ou directive ne soit précisément donné par Mme Y à l’appelante, les décisions étant souvent prises d’un commun accord. Ceci est corroboré par la production de plusieurs pièces. Ainsi, Mme Z, photographe travaillant bénévolement pour le projet de création de la société C Y, précise avoir constaté que Mme X prenait beaucoup de place quant aux décisions concernant la retouche des images et des choix pour le site internet, ce qu’elle trouvait normal compte tenu de son rôle de future associée. La société C Y démontre également que Mme X lui a fait part de son intention de recruter un stagiaire ayant des compétences spécifiques (courriel du 20 novembre 2017), ce qui démontre que l’appelante prenait des décisions au même titre que Mme Y.

La liberté dont Mme X bénéficiait pour organiser la réalisation de ses prestations ressort également de courriels dans lesquels elle précisait ses disponibilités (courriel du 24 juillet 2017). M. D, salarié de la société Redstar, précise avoir assisté à un entretien entre Mme Y et Mme X au cours duquel cette dernière a déclaré qu’elle était consciente que son manque de présence physique nuisait à la communication mais qu’elle devait maintenir son activité de freelance qui était la seule source de revenus complétant ses allocations de chômage.

En conséquence, Mme X n’établit pas que les prestations accomplies au profit de la société C Y l’ont été dans le cadre d’un lien de subordination en l’absence de preuve que cette dernière lui donnait des ordres et des directives, qu’elle en contrôlait l’exécution et qu’elle sanctionnait ses manquements. L’absence d’entrée de Mme X dans le capital de la société est sans incidence sur l’existence d’un contrat de travail.

Dès lors, Mme X échoue à démontrer l’existence d’un contrat de travail de sorte que ses demandes sont rejetées.

Sur le préjudice résultant du caractère abusif de la procédure

La société C Y, visant l’article 32-1 du code de procédure civile, sollicite à deux reprises la somme de 5 000 ‘ à titre dommages et intérêts pour procédure abusive. Elle invoque la mauvaise foi de Mme X au motif qu’elle n’a répondu que partiellement à sa demande de communication de pièces, n’a pas produit le chiffre d’affaires afférent à son activité de freelance, qu’elle a prétendu avoir ignoré que sa collaboration était de nature entrepreneuriale, qu’elle s’est connectée à l’ordinateur personnel de Mme Y dans les locaux de l’incubateur pour imprimer l’une des pièces produites en appel et y détruire une partie du travail de l’entreprise.

Mme X rétorque qu’elle a fait valoir ses droits les plus légitimes.

L’article 32-1 du code de procédure civile dispose que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 ‘, sans préjudice des dommages et intérêts qui seraient réclamés.

La demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la société C Y est rejetée dans la mesure où l’abus du droit d’agir n’est pas démontré. En effet, les éléments de fait invoqué à l’appui de la demande relèvent d’une relation conflictuelle entre deux associés mais ne sont pas de nature à établir le caractère abusif de la procédure engagée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire et rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions ;

CONDAMNE Mme A X à payer à la société C Y la somme de 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE Mme A X au paiement des dépens d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE


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