Produits dérivés : 29 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/13507

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Produits dérivés : 29 juin 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 21/13507
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Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 7

ARRÊT DU 29 JUIN 2023

(n° 17, 45 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : 21/13507 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CECVH

Décisions déférées à la Cour : décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers n° 9 rendue le 28 mai 2021 et décision de la Commission spécialisée n° 1 du Collège de l’Autorité des marchés financiers du 20 décembre 2019

REQUÉRANTS ET DÉFENDEURS AU RECOURS INCIDENT :

M. [C] [B]

Né le 11 août 1972 à [Localité 4]

Domicilié au [Adresse 3]

[Localité 6] (ALLEMAGNE)

GLOBAL DERIVATIVE TRADING GMBH

Société anonyme de droit allemand

Prise en la personne de son gérant

Immatriculée sous le n° 45 234 53172 (Steuernummer)

Dont le siège social est au [Adresse 5]

[Localité 4] (ALLEMAGNE)

Élisant tous deux domicile au cabinet RAVET & ASSOCIÉS

[Adresse 1]

[Localité 7]

Représentés par Me Benoît DESCOURS de la SELARL RAVET & ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS, toque : T04

Assistés de Me Frank MARTIN LAPRADE de l’AARPI JEANTET, avocat au barreau de

PARIS, toque : T04

REQUÉRANT INCIDENT

LE PRÉSIDENT DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

En la personne de M. [E] [I] auquel a succédé dans la fonction Mme [K] [J]

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représenté par Mme [M] [T], dûment mandatée

EN PRÉSENCE DE :

L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Prise en la personne de sa présidente en exercice

[Adresse 2]

[Localité 8]

Représentée par Mme [M] [T], dûment mandatée

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 20 avril 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

‘ Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre, présidente,

‘ M. Gildas BARBIER, président de chambre,

‘ Mme Sylvie TRÉARD, conseillère,

qui en ont délibéré.

GREFFIER, lors des débats : Mme Véronique COUVET

MINISTÈRE PUBLIC : auquel l’affaire a été communiquée et représenté lors des débats par Mme Jocelyne AMOUROUX, avocate générale.

ARRÊT PUBLIC :

‘ contradictoire,

‘ prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

‘ signé par Mme Frédérique SCHMIDT, présidente de chambre et par Mme Véronique COUVET, greffière à qui la minute du présent arrêt a été remise par le magistrat signataire.

Vu la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers n° 9 du 28 mai 2021 ;

Vu la déclaration de recours en annulation formée contre cette décision et l’exposé des moyens venant à son soutien, déposés au greffe de la Cour le 30 juillet 2021, par M. [B] et la société Global Derivative Trading GmbH ;

Vu la déclaration de recours incident formé contre la même décision et l’exposé des moyens venant à son soutien, déposée au greffe de la Cour le 30 septembre 2021 par le président de l’Autorité des marchés financiers ;

Vu les mémoires récapitulatifs de M. [B] et de la société Global Derivative Trading GmbH, déposés au greffe les 29 novembre 2022 et 6 mars 2023 ;

Vu les observations de l’Autorité des marchés financiers sur le recours formé par la société Global Derivative Trading GmbH et M. [B], déposées au greffe le 5 avril 2022 ;

Vu le mémoire complémentaire de la présidente de l’Autorité des marchés financiers, établi dans le cadre des recours formés contre la décision du 28 mai 2021, déposé au greffe le 30 janvier 2023 ;

Vu l’avis du ministère public en date du 14 avril 2023, communiqué le même jour aux requérants et à l’Autorité des marchés financiers ;

Après avoir entendu à l’audience publique du 20 avril 2023, en leurs observations orales le conseil de M. [B] et de la société Global Derivative Trading GmbH, la représentante de la présidente de l’Autorité des marchés financiers et le ministère public, les parties ayant été mises en mesure de répliquer ;

SOMMAIRE

FAITS ET PROCÉDURE

§ 1

La procédure AMF

§ 4

La procédure allemande

§ 22

Les différents recours entrepris dans la procédure française

§ 26

MOTIVATION

§ 40

I. SUR LES QUESTIONS DE PROCÉDURE PRÉALABLES

§ 40

A. Sur la recevabilité du recours principal en ce qu’il est dirigé contre la décision du 20 décembre 2019

§ 40

B. Sur la recevabilité des écritures déposées le 30 janvier 2023 et la qualité procédurale occupée par son auteur dans la présente instance
§ 48

C. Sur la recevabilité des demandes reconventionnelles de la société GDT et de M. [B] figurant dans les mémoires récapitulatifs

§ 68

II. SUR LE RECOURS PRINCIPAL

§ 82

A. Sur l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence

§ 82

B. Sur la compétence de la Commission des sanctions de l’AMF

§ 91

C. Sur l’imputabilité des manquements à M. [B]

§ 146

III. SUR LE RECOURS INCIDENT

§ 168

IV. SUR LA DEMANDE INDEMNITAIRE DIRIGÉE CONTRE L’AMF

§ 218

V. SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES AU TITRE DE L’ABUS DU DROIT D’ESTER

§ 237

VI. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

§ 250

PAR CES MOTIFS

§ 251

FAITS ET PROCÉDURE

1.La société Global Derivative Trading GmbH (ci-après la « société GDT ») est une société de droit allemand ayant son siège social en Allemagne. Elle exerce une activité de négociation sur instruments financiers de type « trading intra journalier » et intervient notamment sur Eurex, marché réglementé allemand de produits dérivés.

2.Cette société, qui n’a pas de personnel, est dirigée par son fondateur, M. [B], qui est également en charge de l’activité de négociation de la société.

3.En 2015, elle a émis sur le marché Eurex des ordres de contrats à termes standardisés de taux d’intérêt (ci-après les « futures ») ayant pour sous-jacent des obligations souveraines françaises (ci-après les « OAT ») ou des obligations souveraines allemandes (ci-après les « Bund »). Les futures ayant pour sous-jacents les OAT sont désignées dans le présent arrêt sous l’acronyme « FOAT » et ceux ayant pour sous-jacent les Bund par celui de « FGBL ».

La procédure AMF

4.Le 27 février 2017, le secrétaire général de l’Autorité des marchés financiers (ci-après l’« AMF ») a ouvert une enquête portant sur le marché Future Euro-OAT et du Future Mid-Term Euro-OAT et de tout instrument financier qui leur serait lié à compter du 1er janvier 2015.

5.Il résulte du rapport d’enquête (pièce GDT n° 6) que le 16 mai 2017 s’est tenu « un call » avec la Bundesanstalt Fur Finanzdienstlelstungsaufsicht (ci après la « BaFin »), autorité de régulation allemande, au cours duquel cette dernière a informé l’AMF qu’Eurex lui avait transmis des éléments concernant d’éventuels abus de marché sur ses plateformes d’échanges et qu’elle souhaitait également mettre les enquêteurs en contact avec Eurex pour négocier les modalités d’extraction et de transmission des données, en raison de leur volumétrie. Un nouvel échange (« call ») s’est opéré le 26 juin 2017 entre les enquêteurs, la BaFin et Eurex.

6.Le 4 décembre 2017, l’AMF a reçu de la BaFin des données d’ordres et de transactions en provenance d’Eurex.

7.Le 4 mai 2018, une requête a été transmise à la BaFin afin de préparer l’audition de M. [B], en présence des enquêteurs de l’AMF. Celle-ci s’est déroulée le 10 juillet 2018 dans les locaux de la BaFin, à [Localité 6] (annexe 1.1 au rapport d’enquête précité).

8.Le 9 mai 2019, la direction des enquêtes et des contrôles de l’AMF a adressé à la société GDT et à M. [B] des lettres les informant des faits éventuellement susceptibles de leur être reprochés au regard des constats des enquêteurs, accompagnées d’un CD ROM relatif aux pièces du dossier, mentionnant en fin de document et bas de page une mise en copie adressée à la BaFin. La lettre adressée à M. [B] (pièce GDT n° 7) indiquait « [v]ous avez précisé en audition avoir réalisé personnellement l’ensemble des opérations pour la société GDT et être personnellement responsable de toute l’activité de négociation de GDT, si bien qu’un manquement de manipulation de cours pourrait également vous être imputé à titre personnel ». En outre, ces lettres les informaient de la faculté de présenter des observations dans le délai d’un mois. L’ensemble de ces documents a été accompagné par une traduction en allemand.

9.Le 7 juin 2019, en réponse à la lettre circonstanciée, le conseil de M. [B] a demandé à l’AMF de s’expliquer sur les raisons pour lesquelles elle serait compétente « sur le fondement des articles 631-1 et 631-2 du règlement général, à raison d’opérations réalisées en Allemagne, par un Allemand, entre le 1er juillet et le 13 octobre 2015 » (pièce GDT n° 8).

10.Un rapport d’enquête, établi le 6 décembre 2019 (pièce GDT n° 6), a conclu que « le manquement de manipulation de cours pourrait être reproché à la société Global Derivative Trading GmbH au nom et pour le compte de laquelle les opérations ont été réalisées, ainsi qu’à son dirigeant, M. [B], dès lors qu’il est établi qu’il est lui-même l’auteur de ces interventions ».

11.Des « observations en réponse au rapport » ont été transmises à l’AMF, contestant exclusivement la compétence de la Commission des sanctions pour connaitre des opérations litigieuses qui étaient également reprochées à titre personnel à M. [B] (pièce GDT n° 10).

12.Le 20 décembre 2019, la commission spécialisée n° 1 du collège de l’AMF a décidé de notifier des griefs à la société GDT et à M. [B] (ci-après « la décision du 20 décembre 2019 »).

13.La notification de grief a été adressée par lettres du 14 mai 2020 et accompagnée d’une traduction en allemand.

14.Il a été reproché à la société GDT et à M. [B], entre le 1er juillet et le 13 octobre 2015, d’avoir commis un manquement de manipulation de cours à raison d’ordres passés sur Eurex sur des FOAT échéance septembre 2015 et décembre 2015, et plus précisément :

‘ d’une part, au cours de 303 séquences avec et sans « aller/retour » sur le FOAT, d’avoir passé des ordres susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande et le cours du FOAT, en méconnaissance des dispositions du 1° a) de l’article 631-1 du règlement général de l’AMF, ci-après le « RGAMF » ; et

‘ d’autre part, au cours de 207 séquences avec « aller/retour » sur le FOAT, de s’être assuré une position dominante dans le carnet d’ordres du FOAT ayant eu pour effet la création de conditions de transaction inéquitables, en méconnaissance des dispositions du a) de l’article 631-1 du RGAMF.

15.La notification des griefs a été transmise le 14 mai 2020 à la présidente de la Commission des sanctions conformément aux dispositions de l’article R. 621-38 du code monétaire et financier (ci-après le « CMF »).

16.Le 27 juillet 2020, les mis en cause ont présenté des observations en réponse aux notifications de griefs.

17.Par lettres du 30 novembre 2020, ils ont été convoqués à une audition par le rapporteur dans les locaux de l’AMF. Toutefois, en raison des restrictions imposées par les autorités allemandes et françaises dans le cadre de la crise sanitaire, le rapporteur a adressé aux mis en cause par lettre du 18 décembre 2020 des questionnaires. Les réponses ont été envoyées le 6 janvier 2021.

18.Le rapport du rapporteur a été déposé le 29 mars 2021.

19.Par lettres du 30 mars 2021 auxquelles était joint ce rapport, les mis en cause ont été convoqués à la séance de la commission des sanctions du 7 mai 2021 et informés qu’ils disposaient d’un délai de quinze jours pour présenter des observations en réponse, conformément aux dispositions du III de l’article R. 621-39 du CMF. Par ces mêmes lettres, les mis en causes ont également été informés de la composition de la formation de la Commission des sanctions ainsi que de la possibilité d’en demander la récusation sous 15 jours.

20.Par la décision n° 9 du 28 mai 2021 (ci-après la « décision de sanction ») la Commission des sanctions :

‘ a retenu sa compétence pour connaître des manquements de manipulation de cours des FOAT échéance septembre 2015 et décembre 2015 négociés par la société GDT sur Eurex entre le 1er juillet et le 13 octobre 2015, en application du c) de l’article L. 621-15, II du CMF dans sa version en vigueur à l’époque des faits (§ 35) ;

‘ a considéré établies les manipulations de cours du FOAT par l’émission d’ordres donnant ou susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses par indications fausses ou trompeuses (§ 77), ainsi que par construction d’une position dominante ayant pour effet la création de conditions de transaction inéquitables (§ 85) et ;

‘ a estimé que les manquements retenus étaient imputables à la société GDT et à M. [B] (§ 89).

21.En conséquence, elle a :

‘ prononcé à l’encontre de la société GDT, ainsi que de M. [B], une sanction pécuniaire de 1 200 000 d’euros chacun et ;

‘ ordonné la publication de la présente décision sur le site Internet de l’AMF et fixé à cinq ans à compter de la date de la présente décision la durée de son maintien en ligne de manière non anonyme.

La procédure allemande

22.Dans le même temps, la BaFin, a poursuivi la société GDT pour des faits du même type, mais distincts.

23.Selon l’extrait versé aux débats, traduit en langue française (pièce GDT n° 9), la BaFin a signifié par une lettre du 17 janvier 2020 un avis de sanction à l’encontre de la société GDT, « au titre d’infractions administratives conformément à l’article 39 (1) n° 1 [de la loi allemande sur le commerce des valeurs mobilières] WpHG ancienne version », indiquant avoir limité son action au « comportement de négociation de M. [B] sur Eurex les 26 janvier 2015, 9 avril 2015, 30 avril 2015, 12 mai 2015 et 13 mai 2015 », qui concernait les produits Eurex suivants : « les FGBL (Euro-Bund Future), FGBM (Euro-Bobl Future), FDAX (DAX Future), FESX (EURO STOXX 50 Index Future) et FOAT (Euro-OAT Future) ». (pièce GDT n° 9),

24.L’avis d’amende, dans la traduction produite, présente les faits de la manière suivante « Les modèles de trading peuvent être décrits comme suit : M. [B] a saisi divers ordres de grand volume les 26/01/2015, 09/04/2015, 30/04/2015, 12/05/2015 et 13/05/2015 d’un côté du carnet d’ordres (par exemple côté demande ou côté vente) avec différentes limites de prix et a passé peu après un ordre de l’autre côté du carnet d’ordres (par exemple côté offre ou côté achat) qui correspondait à son intérêt commercial réel. M. [B] a répété cela, en partie à plusieurs reprises, en supprimant et en plaçant des ordres manipulateurs supplémentaires et en plaçant des ordres supplémentaires qui correspondaient vraisemblablement à son véritable intérêt commercial, tentant apparemment de manière délibérée de minimiser le risque d’exécution dans le contexte de la priorité prix-temps. Après l’exécution des commandes « souhaitées », les différentes commandes passées précédemment ont été supprimées en tout ou en partie ».

25.Selon le même document, la BaFin a infligé à la société GDT un montant total d’amendes de 200 000 euros (à raison de 40 000 euros par transactions retenues comme caractérisant une manipulation du marché) et a indiqué ne pas prendre de mesures à l’égard de M. [B].

Les différents recours entrepris dans la procédure française

‘ Le précédent recours

26.Le 1er juillet 2020, la société GDT et M. [B] (ci-après « les requérants ») ont formé un premier recours à l’encontre de la décision du 20 décembre 2019 du collège de l’AMF de leur notifier des griefs.

27.Par un arrêt du 27 mai 2021 (RG n° 20/08347), la cour d’appel de Paris a déclaré ce recours irrecevable, retenant, en substance, que l’irrecevabilité des recours formés contre des actes préparatoires demeurait la règle, à défaut de dispositions contraires. Elle a également rappelé qu’une telle irrecevabilité ne privait pas les demandeurs au recours de tout accès au juge pour contester la régularité de la décision de notification des griefs, dès lors que la régularité de la procédure pouvait être contestée ultérieurement à l’occasion du recours exercé contre la décision de la Commission des sanctions (§ 32).

‘ L’instance en cours

Le recours principal

28.Le 30 juillet 2021, les requérants ont formé un second recours dirigé contre la décision du 20 décembre 2019 précitée et contre la décision de sanction du 28 mai 2021.

29.Aux termes de l’exposé des moyens inclus dans la déclaration de recours principal, il a été demandé à la Cour de bien vouloir :

‘ annuler la décision de la commission spécialisée du Collège de l’AMF du 20 décembre 2019 par laquelle la commission des sanctions de l’AMF a été saisie d’une procédure dirigée à l’encontre de la société GDT et M. [B], ainsi que l’ensemble de la procédure de sanction engagée à leur encontre sur le fondement de cette décision ;

‘ annuler la décision de la Commission des sanctions de l’AMF en date du 28 mai 2021 par laquelle celle-ci a prononcé une sanction à leur encontre ;

‘ condamner l’AMF à verser à la société GDT et M. [B], la somme de 15 000 euros, chacun, en réparation des préjudices qu’ils ont subis par sa faute, sur le fondement de l’article 1240 du code civil ;

‘ ordonner le versement de la somme de 117 703,42 euros à leur bénéfice, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Le recours incident

30.Le 30 septembre 2021, un acte intitulé « déclaration de recours incident formé par le président de l’AMF » a été déposé au greffe de la Cour « au nom et pour le compte de M.[E] [I], (..) président de l’Autorité des marchés financiers ».

31.Aux termes de l’exposé des moyens venant au soutien du recours incident, il a été demandé à la Cour de réformer la décision de sanction, en tant qu’elle a infligé à la société GDT une sanction de 1 200 000 euros, en prononçant à son encontre une sanction de 1 500 000 euros, et en tant qu’elle a infligé à M. [B] une sanction de 1 200 000 euros, en prononçant à son encontre une sanction de 1 500 000 euros.

32.Aux termes de son exposé des moyens, il demande à la Cour de réformer la décision de sanction sur le montant des sanctions pour les porter à 1 500 000 euros contre chacun des mis en cause.

33.Aux termes de ses observations sur le recours principal déposées le 5 avril 2022, l’AMF a :

‘ soulevé l’irrecevabilité du recours principal en ce qu’il est dirigé contre la décision du collège du 20 décembre 2019 ;

‘ invité la Cour à rejeter le recours en annulation contre la décision de sanction ;

‘ soulevé l’irrecevabilité de la demande d’indemnisation fondée sur l’article 1240 du code civil et en tout état de cause son caractère infondé.

34.Le 1er août 2022, le mandat de président de l’AMF de M. [I] a pris fin. Mme [J] lui a succédé dans cette fonction par décret du 26 octobre 2022.

35.Aux termes des conclusions récapitulatives n° 2, déposées le 6 mars 2023, actualisant des demandes présentées pour la première fois dans un mémoire du 29 novembre 2022, les requérants ont demandé à la Cour :

In limine litis

‘ d’écarter la fin de non-recevoir (partielle) opposée par l’AMF dans ses observations en date du 5 avril 2022 ;

Au fond

‘ d’annuler la décision du 20 décembre 2019 et l’ensemble de la procédure de sanction engagée à l’encontre de la société GDT et M. [B] ;

‘ d’annuler la décision de sanction ;

Subsidiairement

‘ d’annuler la décision prise à l’égard de M. [B] en ce qu’aucun manquement ne lui était imputable, compte tenu des textes applicables à l’époque des faits litigieux ;

À titre infiniment subsidiaire

‘ de réformer la décision de la commission des sanctions en date du 20 décembre 2019 et réduire les amendes prononcées à l’encontre de la société GDT et de M. [B] à un montant individuel n’excédant pas la somme de 475 500 euros ;

En tout état de cause

‘ de condamner l’AMF à leur verser la somme globale de 50 000 euros, en réparation des préjudices qu’ils ont subis par sa faute, sur le fondement l’article 1240 du code civil ;

‘ de rejeter le recours formé à titre incident par M. [I] ;

‘ de condamner solidairement, à titre reconventionnel, l’auteur du recours incident et l’AMF, à verser à la société GDT et M. [B], la somme globale de 200 000 euros, en réparation de leur préjudice moral d’anxiété qui résulte d’un abus du droit d’agir de M. [I] ;

‘ de déclarer irrecevables les écritures déposées le 30 janvier 2023 par Mme [J] ; à défaut, ne statuer qu’à la lumière des moyens développés dans ce « mémoire complémentaire » ;

‘ d’ordonner le versement de la somme de 191 794,13 euros à la société GDT et M. [B], en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

36.À l’audience du 20 avril 2023 et sur interrogation de la Cour, les requérants ont précisé qu’ils invitaient celle-ci à faire application de l’article 32-1 du code de procédure de civile en ordonnant à l’AMF et à l’auteur du recours incident de verser la somme de 10 000 euros au Trésor Public, sans la saisir d’une « demande » de condamnation à ce titre.

37.Ils ont également précisé que leur demande de frais irrépétibles était dirigée tant contre l’AMF que contre l’auteur du recours incident.

38.Par un mémoire complémentaire du 30 janvier 2023, accompagné d’un courrier mandatant deux personnes pour la représenter à l’audience, la présidente de l’AMF a demandé à la Cour de :

‘ déclarer irrecevable le moyen nouveau de la société GDT et M. [B] relatif à la réformation de la décision entreprise afin que le quantum des sanctions prononcées soit réduit à un montant n’excédant pas 475 500 euros pour chacun d’eux, déposé postérieurement au délai de quinze jours prévu par l’article R. 621-46 I du CMF ;

‘ rejeter la demande de versement de 10 000 euros au Trésor public en application des dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile ;

‘ rejeter la demande reconventionnelle de condamnation solidaire de l’auteur du recours incident et de l’AMF au versement de 200 000 euros à la société GDT et M. [B] ; et

‘ réformer la décision entreprise en tant qu’elle a infligé à la société GDT une sanction de 1 200 000 euros, en prononçant à son encontre une sanction de 1 500 000 euros et en tant qu’elle a infligé à M. [B] une sanction de 1 200 000 euros, en prononçant à son encontre une sanction de 1 500 000 euros.

39.Le ministère public invite la Cour à :

‘ déclarer irrecevables :

‘ le recours formé contre la décision du 20 décembre 2019 ;

‘ la demande de réformation aux fins de diminution du quantum des sanctions prononcées par la Commission des sanctions et s’en rapporte quant au recours incident du président de l’AMF ;

‘ rejeter pour le surplus le recours formé par la société GDT et M. [B] contre la décision de sanction.

‘ à titre subsidiaire, interroger la CJUE par voie de question préjudicielle sur l’interprétation de l’article 22 du règlement MAR concernant « les actions réalisées à l’étranger se rapportant à des instruments admis à la négociation sur un marché réglementé ».

MOTIVATION

I. SUR LES QUESTIONS DE PROCÉDURE PRÉALABLES

A. Sur la recevabilité du recours principal en ce qu’il est dirigé contre la décision du 20 décembre 2019

40.L’AMF soutient que le recours en annulation dirigé contre la décision du 20 décembre 2019 est irrecevable dès lors que la décision de notifier des griefs est insusceptible de faire l’objet d’un recours, que ce soit de manière autonome ou concomitamment à un recours contre la décision de sanction. Elle invoque en ce sens différents arrêts ayant jugé que la notification de griefs ne constitue pas un acte faisant grief indépendamment de la décision de la Commission et, par voie de conséquence, n’entre pas dans le champ de l’article L. 621-30 du CMF.

41.Elle déduit de cette jurisprudence que « la régularité de la décision du collège de notifier des griefs tout comme celle de l’acte de notification de griefs ne peut être contestée que dans le cadre d’un recours fondé sur l’article L. 621-30 du code monétaire et financier contre une décision de sanction, mais ne peut, en que telle, faire l’objet ni d’un recours sur le fondement de cet article concomitamment au recours formé contre une décision de sanction, ni d’un recours autonome sur le fondement de ce même article L. 621-30 relatif aux recours dirigés contre les décisions individuelles de l’AMF » (observations page 15). Elle soutient ensuite que « la décision de notifier des griefs est insusceptible de faire l’objet d’un recours, que ce recours soit autonome ou formé concomitamment à un recours contre la décision de la commission des sanctions dont elle constitue un acte préparatoire, seule la régularité de la notification de griefs pouvant être examinée dans le cadre du recours formé à l’encontre de ladite décision de la commission des sanctions » (observations pages 15/16).

42.Les requérants soulignent, d’abord, que les observations de l’AMF devant la Cour ont exclusivement pour « objectif d’éclairer la cour sur la régularité de la procédure en cause et de la décision rendue » par la Commission des sanctions (CA Paris, 23 mai 2019, RG n° 18/18638). Ils en déduisent que l’AMF ne saurait donc ni opposer des moyens au recours formé par les personnes sanctionnées, ni formuler de prétentions à leur encontre. Ils considèrent que, s’il en va différemment du président de l’AMF, lorsqu’il produit des observations conformément à l’article R. 621-46 du code de commerce, en l’espèce, aux termes des observations du 5 avril 2022, c’est bien l’AMF (personne morale) ‘ et non pas son Président de l’époque (personne physique) ‘ qui prétend opposer une fin de non-recevoir. Ils en déduisent que la Cour devrait logiquement déclarer irrecevable la demande qui lui est ainsi faite par l’AMF, laquelle n’est pas une « partie » à l’instance.

43.Ils font valoir, ensuite, dans l’hypothèse où la Cour admettrait la recevabilité de la demande, que celle-ci doit être écartée. Ils invoquent en ce sens la jurisprudence de la Cour ayant retenu que l’absence de recours autonome ou immédiat « ne prive pas les demandeurs au recours de tout accès au juge pour contester la régularité de la décision de notification des griefs, la régularité de la procédure pouvant être contestée ultérieurement à l’occasion du recours exercé contre la décision de la Commission des sanctions », dont l’approche a été confirmée par la Cour de cassation (Com., 14 avril 2021, n° 20-1 2.599). Ils relèvent que c’est très exactement ce qu’ils ont fait en l’espèce.

44.Le ministère public estime qu’il résulte de la jurisprudence récente (CA Paris, 9 juillet 2020, RG n° 19/19061 ; Com., 14 avril 2021, n° 20-1 2.599) que tant la notification des griefs qui la formalise, que la décision de notification des griefs, ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours sur le fondement de l’article L. 621-30 du CMF, que ce recours soit autonome et immédiat ou formé concomitamment à un recours contre la décision de la Commission des sanctions, dont elles constituent des actes préparatoires. Il considère que cette situation ne prive pas les demandeurs au recours de tout accès au juge pour contester la régularité de la décision de notification des griefs, dès lors qu’il appartient à la cour d’appel de statuer, le cas échéant, sur la régularité de cet acte lorsque celle-ci est contestée dans le cadre d’un recours portant sur la décision de sanction et qu’il est allégué que cette irrégularité peut avoir des conséquences sur la décision de la Commission des sanctions. Il demande en conséquence à la Cour de déclarer irrecevable le recours en annulation formé contre la décision de notification du collège de l’AMF en date du 20 décembre 2019.

Sur ce, la Cour,

45.Sur la recevabilité de la fin de non-recevoir opposée par l’AMF, contestée par les requérants, la Cour rappelle que l’article R. 621-46 du CMF permet au président de l’AMF de produire des observations écrites devant la cour d’appel, qu’il ait ou non exercé un recours incident, c’est-à-dire en sa qualité de représentant de l’AMF lorsqu’aucun recours incident n’est exercé ou lorsqu’il a mis en ‘uvre son pouvoir propre de former un tel recours (Com., 23 juin 2021, pourvoi n° 19-18.216). Cette faculté implique, contrairement à ce que postulent les requérants, celle d’opposer des moyens au recours principal formé par la personne sanctionnée. La fin de non-recevoir soulevée par l’AMF est ainsi elle-même recevable.

46.Sur le bien-fondé de cette fin de non-recevoir, il convient de rappeler que si le législateur n’a pas entendu ouvrir un recours contre la notification de griefs et la décision de notifier des griefs qui l’a précédée « indépendamment de la décision de la Commission des sanctions » (Com. 16 décembre 2020, n° 19-21.091) et n’a ainsi pas prévu qu’elles puissent faire l’objet du recours prévu à l’article L. 621-30 du CMF « de manière autonome et distincte du recours ouvert contre la décision de sanction » (Com., 14 avril 2021, n° 20-12.599), la personne sanctionnée doit en revanche être admise, à l’occasion du recours formé contre la décision de la Commission des sanctions, à contester la régularité de tous les actes de la procédure qui fondent les poursuites et sur laquelle repose la décision de sanction qui lui fait grief. C’est donc à tort que l’AMF soutient que les requérants sont irrecevables à contester la régularité de certains actes de la procédure aux motifs qu’ils constituent de simples actes préparatoires.

47.Le recours principal formé contre la décision du 28 mai 2021, en ce qu’il tend également à l’annulation de la décision du Collège de l’AMF du 20 décembre 2019, ainsi que de l’ensemble de la procédure de sanction engagée à l’encontre de la société GDT et M. [B], est en conséquence recevable.

B. Sur la recevabilité des écritures déposées le 30 janvier 2023 et la qualité procédurale occupée par son auteur dans la présente instance

48.Les requérants relèvent, en premier lieu, que Mme [J], signataire des écritures déposées le 30 janvier 2023, n’a pas précisé les mentions requises par l’article 648 du code de procédure civile concernant son identité. Ils estiment, bien qu’il soit de notoriété publique qu’elle est l’actuelle présidente de l’AMF, qu’en l’espèce elle a agi en son nom personnel. En effet, ils considèrent que le mémoire déposé n’est manifestement pas établi au nom de M. [I], seul auteur du recours incident selon eux. Ils soulignent que ce mémoire a été déposé en « complément » de ce recours incident, de sorte qu’il s’analyse comme une tentative d’intervention volontaire. Or, ils soutiennent qu’une telle intervention n’est pas possible dans le cadre des recours formés à l’encontre des décisions de la Commission des sanctions de l’AMF (citant en ce sens CA Paris, 18 février 2021, RG n° 20/03031). Ils considèrent que Mme [J] est tiers à la présente instance les opposant tant à l’AMF qu’à M. [I].

49.Ils soutiennent, en deuxième lieu, dans l’hypothèse où le mémoire produit serait considéré comme établi par M. [I], dans le cadre de son recours incident, que ce mémoire complémentaire ne reprend aucun des moyens développés par M. [I] à l’occasion de son recours incident et que, de la même manière, lorsqu’elle semble s’exprimer au nom de l’AMF elle ne reprend aucun des développements contenus dans les observations de l’AMF du 5 avril 2022. Or, ils estiment que devant chaque juridiction et peu important le stade de la procédure, les parties doivent impérativement reprendre les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures et, qu’à défaut, les parties sont réputées avoir abandonné leurs conclusions antérieures, le juge ne statuant qu’au vu des dernières écritures (invoquant en ce sens Civ 3., 27 oct. 2009, n° 08-21.446 et Civ 1., 4 nov. 2015, n° 14-25.864). Ils demandent en conséquence à la Cour de ne statuer qu’à la lumière des moyens développés dans ce « mémoire complémentaire ».

Sur ce, la Cour,

50.Sur l’identité du demandeur au recours incident, la Cour rappelle qu’aux termes des articles L. 621-30 et R. 621-44 et suivants du CMF, le président de l’AMF peut former un recours incident contre la décision de la Commission des sanctions de l’AMF. Il s’ensuit que la qualité de demandeur au recours incident est attachée à la fonction de président de l’AMF exercé et non à la personne physique qui le représente à la date des actes de procédure réalisés.

51.En l’espèce, un acte intitulé « déclaration de recours incident formé par le président de l’AMF » a été déposé, le 30 septembre 2021 auprès du greffe de la Cour, « au nom et pour le compte de M. [E] [I], né le 31 août 1956 à Angoulême, de nationalité française, président de l’Autorité des marchés financiers (ci-après, « AMF »), autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, sise [Adresse 2], y élisant domicile », précisant « après accord donné par le collège de l’AMF à son président le 7 septembre 2021, former un recours incident contre la décision du 28 mai 2021 » en vue de « soumettre à la censure de la cour d’appel de Paris le seul quantum de ces sanctions en sollicitant le prononcé d’une sanction pécuniaire de 1,5 million d’euros à l’encontre de GDT et d’une sanction pécuniaire de 1,5 million d’euros à l’encontre de M. [B] ».

52.Cet acte comporte, conformément aux exigences de l’article R. 621-46 du CMF, les moyens invoqués au soutien de ce recours.

53.Il ressort sans ambiguïté de ces éléments que le recours incident a été régulièrement formé par M. [I] ès-qualités de président de l’AMF exerçant les pouvoirs propres qui lui sont dévolus par les articles L.621-30 et R. 621-45 du CMF, et non à titre personnel comme le soutiennent à tort les requérants.

54.Sur la recevabilité du mémoire complémentaire déposé le 30 janvier 2023, la Cour rappelle qu’en réplique aux « conclusions récapitulatives » déposées par les requérants le 29 novembre 2022, un « MÉMOIRE COMPLÉMENTAIRE DANS LE CADRE DES RECOURS CONTRE LA DÉCISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS DU 28 MAI 2021 RENDUE A L’ÉGARD DE LA SOCIÉTÉ GLOBAL DERIVATIVE TRADING GmbH ET DE M. [C] [B] » a été déposé le 30 janvier 2023, signé par Mme [K] [J], précisant sa qualité de présidente de l’AMF.

55.Il n’est pas contesté que le mandat de M. [I] a pris fin le 1er août 2022, qu’en application de l’article L. 621-2 du CMF et conformément à la décision n° 672 du 5 février 2019, la suppléance du président a été assurée par M. [F] [P] jusqu’à la nomination de Mme [K] [J] aux fonctions de présidente de l’AMF par décret du 26 octobre 2022 (JORF n° 0250 du 27 octobre 2022). Ces éléments, non contestés, figurent dans le mémoire complémentaire déposé.

56.Ce mémoire complémentaire rappelle également que « [l]e 9 décembre 2022, la présidente de l’AMF a sollicité un délai pour déposer un mémoire complémentaire dans le cadre de cette procédure » et que « le 13 décembre 2022, la présidente de la chambre 5-7 de la cour d’appel de Paris a répondu favorablement à cette demande, accordant « au Président de l’AMF/ l’AMF un délai jusqu’au 31 janvier 2023 afin de produire des observations en réplique. Les requérants pourront de leur côté répliquer à ces observations jusqu’au 7 mars 2023 ». Il ajoute encore que « C’est dans ce cadre que s’inscrit le présent mémoire complémentaire, qui vient répondre aux demandes nouvelles de la société GDT et de M. [B]. »

57.Il résulte de l’ensemble de ces éléments que Mme [K] [J] a poursuivi l’instance en cours, en sa qualité de présidente de l’AMF. Elle ne saurait donc être considérée comme un tiers à la procédure, ni comme une intervenante volontaire, comme le soutiennent à tort les requérants.

58.S’agissant du respect de l’article 648 du code de procédure civile, la Cour rappelle qu’aux termes de l’article R. 621-46 du CMF, « [à] peine d’irrecevabilité prononcée d’office, [la déclaration de recours] comporte les mentions prescrites par l’article 648 du code de procédure civile et précise l’objet du recours ».

59.Ce dernier texte prévoit que :

« Tout acte d’huissier de justice indique, indépendamment des mentions prescrites par ailleurs :

1. Sa date ;

2. a) Si le requérant est une personne physique : ses nom, prénoms, profession, domicile, nationalité, date et lieu de naissance ;

b) Si le requérant est une personne morale : sa forme, sa dénomination, son siège social et l’organe qui la représente légalement.

3. Les nom, prénoms, demeure et signature de l’huissier de justice ;

4. Si l’acte doit être signifié, les nom et domicile du destinataire, ou, s’il s’agit d’une personne morale, sa dénomination et son siège social.

Ces mentions sont prescrites à peine de nullité ».

60.En l’espèce, la déclaration déposée « au nom et pour le compte de M. [E] [I], né le 31 août 1956 à [Localité 9], de nationalité française, président de l’Autorité des marchés financiers (ci-après, « AMF »), autorité publique indépendante dotée de la personnalité morale, sise [Adresse 2], y élisant domicile » satisfaisait aux exigences applicables au « président de l’AMF ».

61.Aucun formalisme n’étant attaché aux observations déposées ultérieurement, c’est en vain que les requérants reprochent à la présidente de l’AMF, Mme [J], qui a succédé à M. [I] dans cette fonction ‘ ce point n’étant pas contesté ‘ de ne pas y avoir fait figurer les mentions prescrites par l’article 648 du code de procédure civile.

62.S’agissant de la portée du mémoire complémentaire, il convient de rappeler que, conformément à l’article R. 621-45 du CMF, « par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l’article R. 621-46 du présent code ». Le titre VI du livre II du code de procédure civile comprend les articles 899 à 959 du code de procédure civile, de sorte que l’article 954 de ce même code n’est pas applicable au présent recours.

63.Il s’ensuit que les requérants ne peuvent demander à la Cour de ne statuer « qu’à la lumière des moyens développés dans ce mémoire complémentaire » au regard du principe selon lequel la Cour ne statue que sur les dernières écritures et au motif que les « parties doivent impérativement reprendre les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures », principe implicitement tiré des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile appliquées dans la jurisprudence invoquée au soutien du moyen (Civ. 3, 27 oct. 2009, n° 08-21.446, Civ. 1., 4 nov. 2015, n° 14-25.864).

64.La Cour ajoute que s’il est d’usage devant la présente chambre que les parties prennent des conclusions récapitulatives lorsqu’elles sont représentées par un avocat, force est de constater qu’il est vain d’invoquer un tel usage à l’égard du président de l’AMF qui n’a pas constitué avocat.

65.En outre, en l’état des dispositions applicables, et sauf mention expresse contraire, un mémoire complémentaire ne saurait être interprété comme valant renonciation aux prétentions et moyens invoqués antérieurement.

66.La Cour relève, en l’espèce, que :

‘ la déclaration de recours incident précise que « [l]es observations de l’AMF en réponse aux moyens du recours formé par la société GDT et M. [B] seront déposées ultérieurement » et que des observations, intitulées « OBSERVATIONS DE L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS SUR LE RECOURS FORMÉ PAR LA SOCIÉTÉ GLOBAL DERIVATIVE TRADING GMBH ET M. [C] [B] CONTRE LA DÉCISION DE LA COMMISSION DES SANCTIONS DU 28 MAI 2021 » ont été déposées le 5 avril 2022 ;

‘ le mémoire complémentaire du 30 janvier 2023 indique répondre « aux demandes nouvelles de la société GDT et de M. [B] » présentées pour la première fois dans les conclusions récapitulatives du 29 novembre 2022 et précise que « les autres développements produits par la société GDT et M [B] n’appellent pas d’observations complémentaires écrites de la part de l’AMF ou de sa présidente », renvoyant ainsi implicitement aux écritures antérieures, sans y renoncer.

67.Le mémoire du 30 janvier 2023 est ainsi recevable et les moyens rejetés.

C. Sur la recevabilité des demandes reconventionnelles de la société GDT et de M. [B] figurant dans les mémoires récapitulatifs

68.La présidente de l’AMF soulève l’irrecevabilité des demandes reconventionnelles présentées par la société GDT et M. [B] pour la première fois dans leur mémoire du 29 novembre 2022.

69.Elle ajoute que les dispositions de l’article 32-1 du code de procédure civile ne sont pas compatibles avec la nature propre du contentieux en cause, à savoir celui des décisions de sanction. Elle en déduit que cette demande, fondée sur des dispositions inapplicables à la présente procédure, est irrecevable et, en tout état de cause, dénuée de fondement.

70.Les requérants rappellent que c’est en réaction au recours incident formé le 30 septembre 2021 et aux écritures déposées par l’AMF le 5 avril 2022, qu’ils ont, le 29 novembre 2022, sollicité, à titre reconventionnel, des demandes venant s’ajouter à leurs demandes initiales.

71.Ils critiquent la confusion opérée entre prétentions et moyens et rappellent que, conformément à l’article 4 du code de procédure civile, l’objet du litige peut être modifié en cours d’instance, si les conditions relatives aux demandes incidentes sont réunies. Ils rappellent également que les dispositions relatives aux demandes incidentes ‘ communes à toutes les juridictions civiles ‘ incluent l’article 64 du code de procédure civile relatif aux demandes reconventionnelles et qu’en leur qualité de défendeur au recours incident ils ont la possibilité de formuler de telles demandes (invoquant Civ. 2, 10 janvier 2013, n° 10-28.735).

72.Ils soulignent que, dans le cadre de la décision QPC du 11 mars 2022, rendue par le Conseil constitutionnel, il a été indiqué que la possibilité offerte au président de l’AMF de former un recours incident se justifiait d’autant plus que les dispositions légales qui l’autorisent permettent toujours à la personne sanctionnée de formuler des demandes reconventionnelles tendant à l’annulation ou à la réformation de la sanction prononcée à son encontre, compte tenu des dispositions des articles 63 à 70 du code de procédure civile.

73.Ils font valoir que c’est le recours incident formé par le président de l’AMF de l’époque qui a lui-même orienté les débats sur le terrain de la réformation et que les demandes reconventionnelles de réformation, à la baisse, ont pour unique objet de répondre ‘ par symétrie ‘ aux demandes contenues dans le recours incident, tendant à obtenir la réformation de la sanction à la hausse. Ils concluent ainsi à la recevabilité des demandes reconventionnelles en cause.

74.Ils ajoutent, concernant l’invitation faite à la Cour de faire application de l’article 32-1 du code de procédure civile, que ce dernier fait partie du Livre I « dispositions communes à toutes les juridictions », auquel il n’est pas dérogé par l’article R. 621-45 du CMF (qui ne vise que le Livre II Titre VI). Ils relèvent également qu’à partir du moment où l’article L. 621-30 du CMF reconnaît ‘ à un nombre limité de personnes (parmi lesquelles figurent la personne sanctionnée et le président du collège de l’AMF, sur accord de ce dernier) ‘ la faculté de former un recours, rien ne permet de déroger au principe selon lequel toute « action en justice » doit être initiée à bon escient. Ils constatent que dans les commentaires liés à la QPC du 11 mars 2022 (pièce GDT n° 20) il est précisé que concernant le recours principal et le recours incident formés par le président de l’AMF « [l]eur régime est prévu par les dispositions particulières figurant aux articles R. 621-44 à R. 621-46 du CMF et les dispositions générales du code de procédure civile », ces dernières incluant l’article 32-1 du code de procédure civile. Ils invoquent également plusieurs arrêts de la Cour ayant statué sur de telles demandes indemnitaires (CA Paris, 12 mai 2022, RG n° 21/22517, CA Paris, 1er juillet 2021, RG n° 20-08364 ; CA Paris, 18 mai 2017, RG n° 16/26029 ; CA Paris, 13 sept. 2016, RG n° 16/17611). Ils demandent en conséquence à la Cour de faire application de l’article 32-1 du code de procédure civile et de déclarer recevable leur demande reconventionnelle tendant au versement de la somme globale de 200 000 euros en réparation de leur préjudice moral d’anxiété qui résulte d’un abus du droit d’agir de M. [I].

75.Le ministère public relève qu’il est constant que c’est pour la première fois dans leurs écritures en réplique du 29 novembre 2022 que les requérants ont sollicité la réformation et la réduction des amendes prononcées à leur encontre, laquelle ne figurait pas dans la déclaration de recours du 30 juillet 2021 assortie de l’exposé des moyens ayant fixé les termes du litige. Il rappelle que dans un arrêt du 2 mars 2023 (RG n° 21/00887) et sur le fondement de l’article R. 621-46, I du CMF, la Cour a déclaré irrecevable le moyen développé par les requérants, dans leurs conclusions en réplique, pris du caractère disproportionné des sanctions prononcées à leur encontre et tendant à la réduction de leur montant, après le recours incident du président de l’AMF sollicitant l’aggravation du quantum de la sanction prononcée. Il invite en conséquence à déclarer irrecevable ce moyen nouveau, relatif au quantum des sanctions.

76.Concernant l’application de l’article 32-1 du code de procédure civile, il considère que ce texte concerne l’abus d’ester en justice qui relève de la théorie générale de l’abus de droit, lequel ne saurait trouver de limite dans une matière particulière (à la différence des textes relatifs à l’intervention volontaire). Il considère toutefois qu’en l’espèce, la société GDT et M. [B] ne démontrent pas le caractère abusif du recours incident du président de l’AMF.

Sur ce, la Cour,

77.Aux termes de l’article R. 621-46 du CMF, « [à] peine d’irrecevabilité prononcée d’office, [la déclaration de recours] comporte les mentions prescrites par l’article 648 du code de procédure civile et précise l’objet du recours. Lorsque la déclaration ne contient pas l’exposé des moyens invoqués, le demandeur doit, sous la même sanction, déposer cet exposé au greffe dans les 15 jours qui suivent le dépôt de la déclaration ».

78.Conformément à l’article R. 621-45 du CMF, « par dérogation aux dispositions du titre VI du livre II du code de procédure civile, les recours sont formés, instruits et jugés conformément aux dispositions de l’article R. 621-46 du présent code ».

79.Il s’ensuit que les dispositions du code de procédure civile applicables à la procédure suivie devant la Cour étant celles auxquelles il n’est pas expressément dérogé par les textes spéciaux du CMF, l’article 64 du code de procédure civile n’est pas en lui-même exclu. Ce texte a donc vocation à s’appliquer lorsque, comme en l’espèce, un recours incident est formé et confère au demandeur au recours principal une position de défendeur qu’il n’occupait pas lorsqu’il a introduit son recours. Cette application est d’autant plus nécessaire lorsque le demandeur au recours principal trouve dans la déclaration de recours incident des éléments donnant à la décision de sanction un éclairage différent de celui qu’il avait pu avoir à la lecture de ses seuls motifs.

80.Il convient dès lors d’admettre la recevabilité des demandes reconventionnelles tendant à réformer la décision de sanction, à réduire les amendes prononcées à un montant individuel n’excédant pas la somme de 475 500 euros et à condamner solidairement l’auteur du recours incident et l’AMF à verser à la société GDT et à M. [B], la somme globale de 200 000 euros, en réparation d’un préjudice moral d’anxiété résultant d’un abus du droit d’agir de M. [I].

81.La demande de rejet du recours incident qui, par définition, ne pouvait être présentée à la date du recours principal, est également recevable.

II. SUR LE RECOURS PRINCIPAL

A. Sur l’atteinte alléguée à la présomption d’innocence

82.La société GDT et M. [B] estiment que l’AMF a porté atteinte à la présomption d’innocence en utilisant l’indicatif au lieu du conditionnel dans la notification de griefs, ainsi que dans les conclusions du rapport d’enquête. Ils précisent que l’AMF a présenté les faits comme étant déjà établis, en ces termes : « Dans la mesure où, comme vous l’avez déclaré dans votre audition du 10 juillet 2018, vous êtes personnellement responsable de toute activité de négociation de GDT, cette société ne dispose d’ailleurs pas de salariés, vous en êtes par ailleurs l’unique détenteur de parts et le dirigeant ; il s’en déduit que vous êtes personnellement à l’origine et responsable de tous les ordres introduits par GDT dans le carnet d’ordres du FOAT et du FGBL et de l’éventuelle annulation de ces ordres. Vous êtes ainsi personnellement à l’origine et responsable des manipulations de cours ci-dessous décrites. En conséquence, le manquement aux dispositions de l’article 631-1 du RGAMF vous est imputé à titre personnel » (pièce GDT n° 5). Ils invoquent la nullité de la procédure administrative sur le fondement de l’article 6 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après « CSDH ») résultant de l’atteinte portée à la présomption d’innocence. Ils entendent démontrer l’illégalité de la décision de notification ayant procédé à la saisine de la Commission des sanctions, considérant qu’elle a pour effet d’entrainer la nullité de l’ensemble de la procédure administrative ayant conduit à la décision de sanction, sans que la Cour ne puisse faire usage de son pouvoir d’évocation.

83.Ils précisent, en réponse à l’AMF, que leur exposé des moyens se fonde sur la rédaction de l’acte formalisant la décision du Collège en date du 20 décembre 2019 (notification de griefs), pour critiquer la régularité de cette décision, dont le contenu ne leur est connu qu’au travers des notifications de griefs, datées du 14 mai 2020, qui leur ont été adressées le 29 mai 2020 par le président de l’AMF. Ils font observer, qu’il s’agisse de critiquer la régularité de la décision de 2019 ou celle de l’acte (notification de griefs) qui l’a formalisée cinq mois plus tard (en mai 2020), l’objectif recherché est identique : demander à la Cour d’en tirer les conséquences en prononçant la nullité de la procédure mise en ‘uvre ultérieurement devant la Commission des sanctions de l’AMF et donc celle de la décision de sanction.,

84.L’AMF relève que les requérants se limitent à la critique de la décision du 20 décembre 2019, sans directement viser dans leurs observations les notifications de griefs du 14 mai 2020. Elle précise, dans le cas où la critique porterait en réalité sur la régularité des notifications de griefs, que le moyen n’est pas fondé. Elle rappelle la jurisprudence constante aux termes de laquelle il est jugé qu’une notification des griefs n’est pas de nature à s’inscrire en méconnaissance du principe de présomption d’innocence dès lors qu’elle constitue un acte d’accusation qui n’emporte ni déclaration de culpabilité, ni pré-jugement.

85.Le ministère public partage cette analyse et relève que les notifications de griefs en cause ne se prononcent pas sur le bien-fondé de l’accusation qu’elles énoncent mais précisent la matérialité des faits reprochés, la qualification envisagée et son fondement textuel. Il souligne que les agissements sont envisagés au conditionnel et que ce sont leur qualification juridique qui font l’objet de l’utilisation du présent de l’indicatif.

Sur ce, la Cour,

86.Il est de jurisprudence constante que les exigences découlant de l’article 6 de la CSDH, relatives notamment à la présomption d’innocence, s’appliquent à la procédure de sanction ouverte par la notification des griefs.

87.Il est tout aussi constant que la notification des griefs est un acte d’accusation ayant pour objet de porter à la connaissance de la personne mise en cause le manquement susceptible d’être retenu contre elle et d’ouvrir, à son égard, la phase contradictoire de l’instruction. Son objet, à l’instar du rapport d’enquête confidentiel qui n’est pas porté à la connaissance du public, est de décrire ce qui, aux yeux de son auteur, peut conduire à une qualification des faits constatés et à leur sanction éventuelle, sans emporter ni déclaration de culpabilité ni pré-jugement. Il importe peu, en conséquence, que les énonciations ne soient pas toujours formulées au mode conditionnel.

88.La Commission spécialisée du Collège de l’AMF, qui est un organe distinct de la Commission des sanctions chargée des fonctions de jugement, ne procède pas davantage à une déclaration de culpabilité ni à un pré-jugement lorsqu’elle décide d’ouvrir une procédure de sanction et de notifier des griefs.

89.Ces actes et décisions du collège ne peuvent ainsi, en eux-mêmes, porter atteinte à la présomption d’innocence, ce que la Commission des sanctions a relevé à juste titre.

90.Le moyen est inopérant.

B. Sur la compétence de la Commission des sanctions de l’AMF

91.M. [B] et la société GDT soutiennent, en premier lieu, que la décision de notification du 20 décembre 2019 est entachée d’une illégalité interne tenant à une erreur de droit. Ils estiment en effet que les griefs notifiés ne relèvent pas d’un manquement aux dispositions de l’article 631-1 du RGAMF, dans sa rédaction au moment des faits, dont le champ d’application est défini par l’article 611-1 du RGAMF.

92.Ils précisent à cet égard que l’instrument financier en cause est le FOAT, coté sur le marché règlementé Eurex, en Allemagne et que le livre VI dont relève l’article 631-1 du RGAMF relatif aux manipulations de cours est appliqué selon les critères rappelés à l’article 611-1 du même règlement. Ils soulignent que le FOAT relève de la catégorie des « instruments financiers mentionnés à l’article L. 211-1 du CMF » visé au 2° de cet article et qu’étant négocié sur Eurex, marché réglementé allemand, il relève de ceux « [a]dmis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre (‘) » visé au c) du 2° de ce même article. Ils en déduisent que l’article 631-1 du RGAMF n’était susceptible de trouver application aux « opérations portant sur » le FOAT (coté en Allemagne), que « dans les cas mentionnés au d) du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier », c’est-à-dire si les actes litigieux avaient été commis en France. Ils considèrent que la décision de sanction l’a reconnu au § 38.

93.Ils soutiennent qu’une erreur de droit a ainsi été commise par la Commission des sanctions tenant à l’interprétation qu’il convient de faire des dispositions du c) du II de l’article L. 621-15 du CMF, considérant que la notion d’instrument financier lié qui figure au c) de cet article ne vise que les instruments financiers qui ne sont pas cotés.

94.Ils relèvent que le manquement de manipulation de cours en droit européen ou en droit français, en utilisant les termes « cours » et « marché » induisent une manipulation sur un instrument financier « coté » et qu’il importe peu que celui-ci soit ‘ le cas échéant ‘ le dérivé ou le sous-jacent d’un autre instrument financier (instrument « lié »). Ils estiment que l’application des dispositions de l’article L. 621-15 II du CMF ‘ peu important qu’il s’agisse du c) ou du d) ‘ dépend des termes de l’article 611-1 du RGAMF fixant le champ d’application de l’article 631-1 du RGAMF, et non l’inverse.

95.Ils soutiennent que ce qui a conduit à réformer le c) et le d) du II de l’article L. 621-15 du CMF lors du vote de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, c’est la volonté de soumettre des catégories de dérivés non cotés au contrôle des autorités boursières (en particulier celui de l’AMF pour la France) dans un contexte de forte croissance du marché « occulte » des dérivés de gré à gré (forwards, options et swaps en particulier). Ils relèvent que cette démarche était inutile pour les dérivés cotés, comme le FOAT, puisqu’ils étaient déjà contrôlés du fait de leur cotation et couverts par la directive MAD. Ils se prévalent en ce sens de l’exposé sommaire de l’auteur de l’amendement CF 105 qui est à l’origine de cette modification législative (pièce GDT n° 16), ainsi que du rapport n° 703 relatif à la position de la commission des finances du Sénat (page 214), et écartent l’argumentation de l’AMF relative « au silence de la loi » concernant la définition à retenir de la notion d’instrument lié, au regard du caractère explicite des travaux parlementaires.

96.Ils estiment également que la rédaction issue de la loi n° 2016-819 du 21 juin 2016 renvoie à une notion équivalente, n’ayant pas entrainé d’évolution majeure, ce que la Cour a relevé dans son arrêt, déjà évoqué, du 25 mars 2021. Ils indiquent par ailleurs que l’amendement de 2016 avait également pour objectif de ne pas créer de divergence avec le champ prévu par le nouvel article L. 465-3-4 du CMF relatif aux délits d’abus de marché. Ils rappellent que celui-ci s’applique :

‘ 1°) aux instruments négociés sur une plate-forme de négociation (‘), ce qui renvoie aux instruments cotés ;

‘ et (2°) « aux instruments financiers autres que ceux mentionnés au 1° », renvoyant ainsi à des instruments non cotés, la précision « dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier mentionné au même 1° » renvoyant elle-même à la notion d’instrument lié (pièce GDT n°14).

97.Ils observent que la notion d’instrument financier lié est clairement circonscrite, du moins pour l’application du texte pénal, à la catégorie des instruments financiers « autres » que ceux qui sont « négociés sur une plate-forme de négociation ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur une plate-forme de négociation a été présentée », donc à des instruments non cotés. Ils considèrent qu’il en allait de même de l’ancienne notion d’ « instrument financier lié », introduite aux c) et d) de l’article L. 621-15 II du CMF par la loi n° 2010-1249, auxquels les versions ultérieures n’ont apporté que « quelques améliorations rédactionnelles » sans apporter aucune « évolution majeure » concernant les instruments faisant l’objet des opérations poursuivies.

98.Ils rapprochent également leur interprétation de l’article 2 du règlement MAR, relatif à son champ d’application, des dispositions relatives aux « abus de marché » qui visent des instruments cotés aux a) (admis sur un marché réglementé), b) (négociés sur un MTF) et c) (OTF) et désigne la catégorie d) comme visant les « instruments financiers non couverts par les points a), b) ou c) dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier visé auxdits points ». Ces derniers correspondent selon eux à ceux qui sont exclusivement négociés de gré à gré, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas cotés. Ils précisent que si la Commission des sanctions a effectivement raison d’exposer que les dispositions du règlement MAR, « [‘] font apparaître, notamment à la lecture combinée des articles 2.1 et 2.3, que ce règlement n’a jamais entendu exclure les instruments financiers cotés de la catégorie des instruments financiers liés », c’est uniquement en ce qu’elles permettent de sanctionner une « manipulation de cours » se rapportant à un instrument coté en France (comme l’OAT), qui serait passée par l’utilisation (à l’étranger) d’instruments financiers (non cotés) qui auraient été « liés » à l’OAT (au sens de l’article 2.1. d) du règlement MAR). En revanche, ils estiment que les dispositions susvisées ne signifient pas que ce règlement reconnaîtrait qu’on puisse sanctionner une manipulation de cours sur un instrument financier « lié » qui serait visé au point d) de l’article 2.1 (c’est-à-dire non coté). Selon eux, cela n’aurait aucun sens en l’absence de « marché » susceptible d’être manipulé. Ils distinguent à cet égard : la cible d’une éventuelle « manipulation de marché » (qui est nécessairement un instrument financier coté disposant d’un « marché » et donc d’un « cours » susceptible d’être manipulé), et l’utilisation (pour ce faire) de l’un des instruments financiers qui lui seraient « liés » (y compris s’il n’est négocié que de gré à gré et qu’il ne peut donc pas lui-même faire l’objet d’une « manipulation de cours »). Dans le même temps, ils relèvent que le champ d’application des dispositions du règlement MAR relatives aux manipulations de marché est plus large que celui des (anciennes) dispositions du RGAMF relatives aux manipulations de cours, de sorte qu’il n’est pas possible de donner une application rétroactive à ces dispositions plus sévères, mais considèrent que « ce n’est pas la question au cas d’espèce », puisque les opérations litigieuses de la société GDT ont exclusivement porté sur les instruments financiers cotés (FOAT).

99.Ils font valoir, en deuxième lieu, que la décision individuelle prise à leur encontre est également entachée d’illégalité externe, car elle a conduit à l’ouverture d’une procédure de sanction devant la Commission des sanctions de l’AMF, alors que cette dernière est juridiquement incompétente pour examiner les griefs qui leur ont été notifiés. Ils invoquent en ce sens la règle de compétence de l’article 22 du règlement (UE) n° 596/2014 du

Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 dit règlement « MAR », d’application immédiate et à effet direct en droit interne et qui est substantiellement la même que celle de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché (abus de marché) (ci-après la directive « MAD »).

100.Ils considèrent que deux chefs cumulatifs de compétence ressortent de ce texte : d’une part, la réalisation d’actes sur le territoire d’un État membre (transmission d’ordres ‘), d’autre part, le lieu de cotation des instruments concernés. Ils soutiennent que l’AMF est ainsi compétente pour connaître des abus de marché commis sur le territoire français (y compris ceux concernant des instruments financiers cotés à l’étranger), comme ceux commis à l’étranger mais concernant des titres cotés en France. Ils en déduisent la compétence exclusive du régulateur allemand pour traiter des « actions » réalisées en Allemagne et « se rapportant à » des instruments financiers (les contrats FOAT) qui sont cotés sur Eurex, c’est-à-dire « admis à la négociation sur un marché (‘) opérant sur son territoire ». Ils précisent également qu’ils n’ont pas réalisé d’ « actions » « se rapportant à des instruments admis à la négociation sur un marché (‘) » opérant sur le territoire de l’AMF, à savoir les OAT. Ils considèrent que le fait que le FOAT soit incontestablement un dérivé (future) et qu’il puisse donc être considéré ‘ techniquement ‘ comme étant « lié » à son sous-jacent (l’OAT) coté sur le marché règlementé français, est totalement indifférent pour déterminer la compétence territoriale de l’AMF à l’égard des interventions de la société GDT, qui n’ont pas eu lieu en France.

101.Ils ajoutent qu’en l’espèce il n’existe aucune transaction croisée sur des instruments cotés sur plusieurs marchés, à la différence de l’affaire examinée par la Cour dans l’arrêt rendu le 25 mars 2021 (RG 20/02492, § 55), relevant que la société GDT n’est pas intervenue sur l’OAT. Ils relèvent également que, dans cette précédente affaire, la question de la compétence de la Commission des sanctions sur le fondement de l’article L. 621-15, II d) du CMF n’avait pas été examinée par la Cour.

102.Ils font valoir la nécessaire conformité de la loi française au droit de l’Union. Ils considèrent que ce qui gouvernait l’application de la règle posée par l’article 10 de la directive MAD était le territoire sur lequel auraient été accomplis des « actes » concernant un instrument financier coté. Ils ajoutent que la définition d’un « instrument financier » donnée à l’article 1, 3) de cette directive permet de vérifier que ce terme recouvre non seulement « les contrats financiers à terme (futures), y compris les instruments équivalents donnant lieu à un règlement en espèces », mais aussi « tout autre instrument admis ou faisant l’objet d’une demande d’admission à la négociation sur un marché réglementé dans un État membre », de sorte que la directive traite bien des produits dérivés. Ils soutiennent qu’en l’espèce le régulateur français empiète sur la compétence territoriale exclusive de son homologue allemand, en violation de l’article 10 de la directive MAD. Ils estiment que l’extension (matérielle mais aussi géographique à l’égard des produits dérivés qui peuvent être utilisés à l’étranger) n’était envisageable que pour les produits dérivés « non cotés », de manière à ne pas déroger à la règle de compétence territoriale fixée par l’article 10 précité. Ils produisent au soutien de leur analyse le rapport n° 575 du 4 mai 2016 relatif à la proposition de loi réformant le système de répression des abus de marché, dans le cadre duquel était résumée la situation relative à la compétence territoriale de l’AMF telle qu’elle existait depuis 2010 (pièce GDT n° 14, page 68). Ils estiment que la seule façon de résoudre le conflit (apparent) de compétence ‘ entre les dispositions des c) et d) de l’article L. 621-15 II du CMF ‘ est de reconnaître que les instruments financiers « liés » à des instruments financiers côtés, en France (cas envisagé au « c » de cet article) ou dans un autre État membre (cas envisagé au « d » du même texte) ne peuvent pas être eux-mêmes cotés.

103.Ils ajoutent qu’en l’espèce il n’y a aucune dimension transfrontière justifiant des compétences concurrentes mais une cotation (FOAT) et des opérants à 100 % allemands.

104.Ils considèrent en outre « qu’à la lettre du texte français, les contrats FOAT sont bien des instruments financiers dérivés (ayant pour sous-jacents les OAT cotées en France) « autres que ceux mentionnés au septième alinéa du présent c) (i.e. ceux qui sont cotés en France) », si bien qu’ils peuvent (formellement) sembler visés par le huitième alinéa du c) de l’article L. 621-15 II du code monétaire et financier, au résultat de ce qui s’analyse toutefois comme une probable « erreur de plume » ». Toutefois, ils soutiennent que si le c) du II de l’article L. 621-15 du CMF pouvait se lire comme permettant à l’AMF de sanctionner des opérations de manipulation de cours réalisées en Allemagne et « concernant » les FOAT cotés en Allemagne, alors le texte français devrait être regardé comme inconventionnel, dans la mesure où l’article 22 du règlement MAR réserve expressément la compétence territoriale de la BaFin dans un tel cas de figure. Ils invitent la Cour, le cas échéant, à poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne (ci-après la « CJUE »), si elle estime que la réponse n’est pas évidente.

105.Troisièmement, ils invoquent une dénaturation par la Commission des sanctions des griefs notifiés. Ils relèvent ainsi que pour identifier l’objet des opérations susceptibles de constituer une manipulation de cours, la Commission a substitué au terme « portant sur » utilisé à l’article 611-1, 3° du RGAMF, le terme « concernant », tandis qu’il est constant que les requérants n’ont jamais été soupçonnés de manipulation de cours sur les OAT. Ils considèrent que cette erreur entraine des conséquences importantes en ce que les opérations « portant sur » les contrats FOAT, qui sont des instruments financiers dérivés cotés dans un autre État membre que la France, relèvent du 2° de l’article 611-1 du RGAMF et doivent ainsi avoir été commises en France pour être contrôlées par l’AMF. À cet égard, ils interprètent le c) du 2° de l’article 611-1 du RGAMF comme précisant que le livre VI (et donc l’article 631-1 du RGAMF) ne s’applique que dans les cas mentionnés au d) du II de l’article L. 621-15 du CMF (auquel il renvoie) pour les instruments admis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre de l’Union européenne.

106.Ils considèrent que si la Commission avait vraiment voulu dire que les opérations litigieuses de la société GDT étaient constitutives d’un manquement de manipulation de cours (au sens du droit français) sur les OAT, elle serait alors sortie du champ de sa saisine, strictement délimitée par les notifications de griefs, en procédant à une telle requalification. Ils ajoutent que l’OAT pourrait elle-aussi être regardée (réciproquement) comme un instrument financier « lié » aux contrats FOAT (cotés en Allemagne) et qu’ainsi à supposer qu’on soit en présence d’opérations qui « concernent » l’OAT (en tant qu’instrument financier « lié » au FOAT coté dans un autre État membre) la compétence de la Commission des sanctions aurait supposé que les actes de manipulation de cours aient été commis en France.

107.En tout état de cause, ils demandent l’annulation de la décision de sanction, sans que la Cour ne puisse faire usage de son pouvoir d’évocation compte tenu de la nullité de l’ensemble de la procédure administrative suivie devant la Commission des sanctions, qui n’était pas compétente pour examiner le grief.

108.L’AMF rappelle, en premier lieu, les termes des articles 611-1 du RGAMF et L. 621-15, II du CMF, ainsi que la jurisprudence ayant admis que « la notion « d’instrument lié » permet d’englober tant les produits dérivés, juridiquement liés à un autre instrument, que les instruments financiers liés entre eux par une corrélation économique. ». Elle admet que les FOAT sont des instruments financiers admis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre au sens du d) de l’article L. 621-15, II du CMF, en l’espèce Eurex.Toutefois, elle relève qu’ils ont pour sous-jacent l’OAT qui est négocié sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation supervisé par l’AMF. Elle constate également que les données de l’enquête, non contestées, établissent que les contrats FOAT partagent avec les OAT sous-jacente un fort coefficient de corrélation positif. Elle considère, par conséquent, que le FOAT doit être requalifié en instrument financier lié à l’OAT, rentrant dans les dispositions de l’article L. 621-15, II, c) du CMF. Elle en déduit qu’aucune erreur de droit n’affecte la notification des griefs dès lors que les interventions de la société GDT sur les contrats FOAT en cause portent sur l’OAT sous-jacente, qui est un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation supervisé par l’AMF au sens du RGAMF. Elle en conclut que les interventions litigieuses s’analysant comme des opérations portant sur des instruments financiers, le livre VI du RGAMF s’applique.

109.En deuxième lieu, elle estime qu’à la différence de l’article L. 621-15, II du CMF, l’article 10 de la directive MAD ne traite pas des cas particuliers des produits dérivés cotés sur un marché règlementé d’un État membre de l’Union ayant un sous-jacent coté sur une plateforme supervisée par un autre État membre, mais traite des cas des instruments financiers en général, dont font partie les produits dérivés. Elle souligne également que cette directive ne mentionne pas la notion d’« instrument financier lié », laquelle a été introduite par la loi n° 2010-149 du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière qui lui est postérieure. Invoquant la jurisprudence de la Cour (CA Paris, 25 mars 2021, RG n° 20/02404), elle considère que la notion d’instrument lié doit être interprétée dans un sens préservant l’effet utile de cette législation et que l’article 10 précité n’apparait pas pertinent pour apprécier la compétence de la Commission des sanctions, en l’espèce.

110.Elle ajoute que cet article 10 ne peut être interprété comme instituant une compétence territoriale exclusive des autorités de régulation pour sanctionner des manquements de manipulation de cours, que rien dans le texte ne conduit à retenir une approche restrictive et qu’au contraire l’article 16 (3) de la directive MAD évoque d’éventuelles compétences concurrentes en précisant que « [l]es autorités compétentes des différents États membres qui sont compétentes aux fins de l’article 10 se consultent mutuellement sur le suivi qu’il est proposé de donner à leur action ». Elle estime au regard de ce qui précède qu’il n’y a pas lieu d’interroger la CJUE sur l’interprétation à donner à ce texte.

111.En troisième lieu, elle relève que les requérants n’ont pas été poursuivis ni sanctionnés pour des manquements de manipulation de cours à raison d’intervention sur l’OAT mais bien à raison d’intervention sur le FOAT.

112.Le ministère public relève que le FOAT est un contrat à terme standardisé de taux d’intérêt qui est un instrument financier ‘ en application des dispositions combinées des articles L. 211-1 et D. 211-1 A du CMF ‘ coté sur Eurex, marché réglementé allemand, qui a pour sous-jacent l’OAT qui est un titre de créance qui relève de la catégorie des instruments financiers au sens de l’article L. 211-1 du CMF, négocié sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation, supervisé par l’AMF. Il en déduit que la Commission des sanctions a ainsi valablement retenu sa compétence, dès lors que les manquements concernent un instrument financier lié à un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation supervisé par l’AMF. Il rappelle que les contrats FOAT en cause partagent avec l’OAT sous-jacente un coefficient de corrélation positif de 0,97 à 0,99, de sorte que le cours des contrats FOAT est intrinsèquement lié à celui de l’OAT.

113.Il estime par ailleurs que, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l’application de l’article 631-1 du RGAMF (fondement des griefs notifiés) ne saurait être restreinte uniquement aux cas mentionnés au d) du II de l’article L. 621-15 du CMF, lequel concerne exclusivement des actes commis en France, auquel renvoie le c) du 2° de l’article 611-1 du RGAMF pour les instruments admis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre. Il rappelle que le pouvoir règlementaire ne peut en effet restreindre le champ d’application d’une disposition légale.

114.Il considère que les FOAT en cause peuvent également être qualifiés d’instruments financiers liés à l’OAT au sens de l’article L. 621-15, II, c) dans la mesure où les interventions sur les contrats FOAT en cause portent, même indirectement, sur l’OAT sous-jacente, au sens du 3° de l’article 611-1, laquelle est un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation supervisé par l’AMF au sens du a) et du b) du 2° de l’article 611-1 du RGAMF. Il relève que la pratique décisionnelle de l’AMF va dans le sens d’une interprétation de l’article 611-1 du RGAMF comme permettant la répression de faits qui n’ont pas été commis en France (AMF, 16 mai 2014, n° SAN-2014-07).

115.Concernant l’incidence de l’article 10 de la directive MAD, il observe que cet article n’institue pas de compétence territoriale exclusive des autorités nationales de régulation pour sanctionner des manquements de manipulation de cours, et relève que rien dans le texte de la directive ne conduit à retenir une approche restrictive de la portée de la compétence de ces autorités en la matière. En témoigne, selon lui, l’article 16, paragraphe 3 de la directive MAD qui prévoit d’éventuelles compétences concurrentes entre les autorités de régulation européennes.

116.Concernant l’application de l’article 22 du règlement MAR, il constate que ce texte n’a pas pour objet ni pour effet de prévoir une compétence exclusive des régulateurs nationaux (en l’espèce, la BaFin) pour statuer sur des manquements de manipulation de cours. Il relève qu’il découle de plusieurs articles de ce règlement (articles 25(5), 30 et 31 notamment) que celui-ci prévoit l’hypothèse de compétences concurrentes et non exclusives entre les autorités de régulation des États membres de l’Union Européenne. Il souligne qu’il organise ainsi les modalités de leur consultation réciproque et de la coordination de leur action, afin d’éviter tout chevauchement ou double emploi de sanctions ou mesures administratives. Il résulte, selon lui, de la lecture combinée des articles 22 et 2(1) d) du règlement MAR, que, s’agissant de manquements de manipulation de cours commis à l’étranger, chaque autorité nationale européenne est compétente pour connaître d’actions réalisées sur des instruments financiers liés à des instruments financiers admis à la négociation [i.e., cotés] sur un marché réglementé, un MTF ou un OTF opérant sur son territoire, sans préjudice d’éventuelles compétences concurrentes. Il considère, à la lumière de l’interprétation du texte donnée dans l’affaire jugée par la Cour le 25 mai 2021 (RG 20/02404), qu’il suffit d’un lien de rattachement comme les effets sur l’OAT pour justifier de la compétence de la Commission sur le fondement de l’article L. 621-14, II c) du CMF, sans méconnaitre l’article 22 précité.

117.À titre subsidiaire, il considère que la Cour pourrait inviter les parties à se prononcer sur la formulation exacte d’une question préjudicielle à la CJUE portant sur le point de savoir s’il convient d’entendre la formulation « se rapportant à » de l’article 22 du règlement MAR comme des actions « portant sur [l’OAT] » ou s’il est suffisant de constater l’existence d’un lien de rattachement (en l’espèce économique) comme les effets et de l’interpréter comme « ayant des effets sur [l’OAT] ».

Sur ce, la Cour,

118.Les opérations litigieuses ont été réalisées entre le 1er juillet et le 13 octobre 2015.

119.Il n’est pas contesté que la compétence de la Commission des sanctions doit être appréciée à la lumière du II de l’article L. 621-15 du CMF, dans sa version en vigueur du 22 février 2014 au 3 juillet 2016, la version postérieure ne pouvant pas être considérée comme moins sévère et faire l’objet d’une application rétroactive pour les motifs, non critiqués, figurant au § 19 de la décision de sanction.

120.Aux termes de l’article L. 621-15, II du CMF, dans la version applicable précitée, « [l]a commission des sanctions peut, après une procédure contradictoire, prononcer une sanction à l’encontre des personnes suivantes :

c) Toute personne qui, sur le territoire français ou à l’étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au premier alinéa du I de l’article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :

‘ un instrument financier (‘) admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation qui se soumet aux dispositions législatives ou réglementaires visant à protéger les investisseurs contre les opérations d’initiés, les manipulations de cours et la diffusion de fausses informations, ou pour lequel une demande d’admission aux négociations sur de tels marchés a été présentée, dans les conditions déterminées par le règlement général de l’Autorité des marchés financiers ;

‘ un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à l’alinéa précédent ;

(‘)

d) Toute personne qui, sur le territoire français, s’est livrée ou a tenté de se livrer à une opération d’initié, à une manipulation de cours, à la diffusion d’une fausse information ou s’est livrée à tout autre manquement mentionné au dernier alinéa du I de l’article L. 621-14, dès lors que ces actes concernent :

‘ un instrument financier (‘) admis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou pour lequel une demande d’admission aux négociations sur un tel marché a été présentée ;

‘ un instrument financier lié à un ou plusieurs instruments mentionnés à l’alinéa précédent ;

(‘)

‘ un instrument financier négocié sur un système multilatéral de négociation, admis à la négociation sur un tel marché ou pour lequel une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ; » (soulignement ajouté par la Cour)

121.Force est de constater qu’aucune définition de l’instrument financier « lié » visé au c) de l’article L. 621-15, II du CMF n’est donnée.

122.Les travaux parlementaires nationaux, comme les réformes entreprises au niveau européen, confirment néanmoins l’importance d’une interprétation préservant l’effet utile d’une législation qui a pour objectif « d’assurer l’intégrité des marchés financiers communautaires et renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés » (considérant 12 de la directive MAD) et de s’adapter « aux nouvelles formes de négociation ou aux nouvelles stratégies potentiellement abusives » (considérant 38 du règlement MAR).

123.Par suite, en l’absence de restriction apportée par l’article L.621-15, II du CMF, la notion d’ « instrument lié » permet d’englober tant les produits dérivés, juridiquement liés à un autre instrument, que les instruments financiers liés entre eux par une corrélation économique. Pour le même motif, le libellé du texte ne permet pas de restreindre sa portée en considérant que le lien entre les instruments ne peut s’opérer que dans un sens, et exclurait que le cours de l’instrument lié puisse diriger celui de l’instrument admis sur le marché régulé par l’AMF, ni davantage de retenir que les instruments financiers « liés » à des instruments financiers cotés en France, visés au c) de l’article L. 621-15 II du CMF, ne peuvent pas être eux-mêmes cotés, sauf à introduire une restriction que le texte ne comporte pas.

124.À cet égard, le fait que la situation des produits dérivés négociés de gré à gré (c’est-à-dire non cotés) qui échappaient au contrôle des autorités boursières a été évoquée à l’occasion des travaux parlementaires relatifs à la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010, dont est issue la nouvelle rédaction de l’article précité, et que la terminologie choisie ait eu pour ambition d’inclure ces instruments dans le dispositif n’induisent pas, en eux même, que la notion d’instrument lié utilisée par le texte final doit être interprétée comme nécessairement limitée aux produits dérivés non cotés, et ainsi comprise comme excluant par principe de la catégorie des « produits liés » tous ceux qui sont cotés.

125.Il est également indifférent que l’article 2 du règlement MAR énonce dans son champ d’application, de manière distincte :

‘ d’une part, des instruments cotés visés aux a) « (‘) instruments financiers admis ou faisant l’objet d’une demande d’admission à la négociation sur un marché règlementé » ; b) « (‘) instruments financiers négociés sur un MTF, admis ou faisant l’objet d’une demande d’admission à la négociation sur un MTF » et c) « (‘) instruments financiers négociés sur un OTF » ;

‘ d’autre part, ceux visés au d) dont le cours ou la valeur dépend du cours ou de la valeur d’un instrument financier relevant des points qui précèdent ou qui a un effet sur ce cours ou cette valeur, qui correspondent aux « instruments financiers non couverts par les points a), b) ou c), [‘] y compris, sans s’y limiter, les contrats d’échange sur risque de crédit et les contrats financiers pour différence ».

126.En effet, cette énumération a eu pour objectif, s’agissant des manipulations de marché, de « prévoir des mesures adaptables aux nouvelles formes de négociation ou aux nouvelles stratégies potentiellement abusives » (considérant 38 du règlement MAR) pour permettre d’étendre son champ aux instruments non cotés liés à un instrument coté, mais n’ont pas eu pour objectif de soustraire les instruments financiers cotés, par définition couverts par la règlementation, du champ de ses dispositions lorsque les opérations dont ils font l’objet ont une incidence sur le cours d’un autre instrument coté auquel ils sont liés.

127.Les considérants 8 et 43 du règlement MAR confortent cette analyse. Le premier précise en effet que « [l]e champ d’application du présent règlement devrait donc inclure les instruments financiers négociés sur un marché réglementé, sur un MTF ou un OTF, et tout autre type de comportement ou d’action susceptible d’avoir un effet sur un instrument financier, indépendamment du fait qu’il a lieu ou non sur une plate-forme de négociation » (soulignement ajouté par la Cour). Le second que « [l]e présent règlement devrait également préciser que les manipulations de marché ou les tentatives de manipulation de marché concernant un instrument financier peuvent passer par l’utilisation d’instruments financiers liés, tels que des instruments dérivés négociés sur une autre plate-forme de négociation ou un OTC » ce dont il résulte que les instruments liés peuvent faire l’objet de cotations.

128.S’agissant de l’article 611-1 du RGAMF, il convient de rappeler qu’il prévoit expressément que « [s]auf dispositions particulières, le présent livre [Livre VI-Abus de marché] s’applique : [‘] 2°[a]ux instruments financiers mentionnés à l’article L. 211-1 du code monétaire et financier » (catégorie dont relèvent tant le FOAT que l’OAT qui en est le sous-jacent) et « 3° [a]ux opérations portant sur ces instruments, que celles-ci aient été effectivement exécutées ou non sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation défini à l’article L. 424-1 du code monétaire et financier ».

129.Le 2° énonce ensuite trois hypothèses, en identifiant ceux :

« a) Admis aux négociations sur un marché réglementé au sens de l’article L. 421-1 dudit code ou pour lesquels une demande d’admission sur un tel marché a été présentée ; ou

b) Admis aux négociations ou négociés sur un système multilatéral de négociation défini à l’article L. 424-1 dudit code ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ; ou

c) Admis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou pour lesquels une demande d’admission sur un tel marché a été présentée dans les cas mentionnés au d) du II de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier ; »

130.En l’espèce, le FOAT est un contrat à terme standardisé sur taux d’intérêt ayant pour sous-jacent une OAT, qui est un titre de créance constituant un instrument financier en vertu de l’article L. 211-1 du code monétaire et financier. Comme l’a justement relevé la Commission des sanctions, il constitue donc un contrat à terme relatif à un instrument financier et, par suite, doit être regardé lui-même comme un instrument financier en application des dispositions combinées des articles L. 211-1 et D. 211-1 A du CMF, ce qui n’est pas contesté.

131.Il est tout aussi constant que les contrats FOAT en cause partagent avec l’OAT sous-jacente un coefficient de corrélation positif de 0,97 à 0, 99, de sorte que le cours des contrats FOAT est intrinsèquement lié à celui de l’OAT.

132.Il est exact que le FOAT, en tant qu’« instrument admis aux négociations sur un marché réglementé d’un autre État membre » (visé au c) du 2°), de l’article 611-1 précité relève par principe de l’hypothèse prévue au d) du II de l’article L. 621-15 du CMF qui donne compétence à la Commission des sanctions pour prononcer une sanction à leur égard, dans l’hypothèse d’une manipulation de cours intervenue « sur le territoire français ». En revanche, une telle limitation n’a pas lieu d’être lorsque l’opération litigieuse visée au 3° est appréhendée au regard de sa qualité « d’instrument lié » à un instrument visé aux a) ou b) du 2° de l’article 611-1 du RGAMF (en l’occurrence l’OAT).

133.Toute autre interprétation de ce texte, de simple valeur règlementaire, reviendrait à méconnaitre la portée d’une disposition légale (l’article L. 621-15, II, du CMF) prévoyant que la Commission des sanctions peut prononcer une sanction dès lors que ces actes concernent « c) [t]oute personne qui, (‘) à l’étranger, s’est livrée ou a tenté de se livrer à (‘) une manipulation de cours (‘) dès lors que ces actes concernent (‘) un instrument financier lié à (‘) un instrument financier (‘) admis aux négociations sur un marché réglementé ou sur un système multilatéral de négociation (‘) ».

134.S’agissant du concours de compétence susceptible de naitre d’une telle interprétation, il est exact qu’en tant qu’instrument financier « admis aux négociations sur un marché réglementé » celui-ci est automatiquement soumis, par un critère territorial, à la compétence de l’Autorité qui contrôle le marché réglementé sur lequel il est coté et qu’en tant qu’instrument lié à un autre instrument financier « admis aux négociations sur un marché réglementé » il peut être soumis au contrôle de l’Autorité qui exerce sa compétence sur le marché de l’instrument sous-jacent.

135.S’agissant de l’article 10 de la directive MAD, invoqué par les requérants, celui-ci prévoyait que :

« Chaque État membre applique les interdictions et obligations prévues par la présente directive :

a) aux actes accomplis sur son territoire ou à l’étranger concernant des instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé situé ou opérant sur son territoire ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur ce marché a été présentée ;

b) aux actes accomplis sur son territoire concernant des instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé dans un État membre ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été présentée ».

136.Il doit être rappelé que cette directive a été abrogée, avec effet au 3 juillet 2016, et que le règlement MAR lui a succédé pour doter l’Union européenne d’un instrument tenant compte des « changements législatifs, de l’évolution du marché et des évolutions technologiques intervenus depuis l’entrée en vigueur de cette directive, lesquels ont considérablement modifié le paysage financier » (considérant 3 du règlement MAR). Le champ d’application de ce règlement a été élargi pour inclure « tout autre type de comportement ou d’action susceptible d’avoir un effet sur un instrument financier, indépendamment du fait qu’il a lieu ou non sur une plate-forme de négociation » (considérant 8).

137.Il n’est pas contesté que lors des travaux parlementaires entrepris en 2010, le législateur français a entendu adopter une terminologie (« instrument lié ») qui s’inscrit dans le sens d’une réforme européenne qu’il a devancée, en adaptant les textes à l’évolution des formes d’abus de marché sans attendre la révision de la directive MAD.

138.Même à supposer que la référence aux termes de l’article 22 du règlement MAR soit pertinente pour apprécier la question de compétence en discussion, ce que la Cour ne retient pas dans la mesure où les dispositions de fond de ce règlement ne peuvent faire l’objet d’une application rétroactive et que les poursuites sont fondées sur les dispositions de l’article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, il convient de revenir sur leur libellé.

139.Aux termes de cet article 22, « Sans préjudice des compétences des autorités judiciaires, chaque État membre désigne une autorité administrative compétente unique aux fins du présent règlement. Les États membres en informent la Commission, l’AEMF et les autres autorités compétentes des autres États membres. L’autorité compétente veille à l’application des dispositions du présent règlement sur son territoire, en ce qui concerne l’ensemble des actions réalisées sur son territoire et les actions réalisées à l’étranger se rapportant à des instruments admis à la négociation sur un marché réglementé, pour lesquels une demande d’admission à la négociation sur un tel marché a été introduite, mis aux enchères sur une plate-forme d’enchères ou qui sont négociés sur un MTF [système multilatéral de négociation] ou sur un OTF [système organisé de négociation] ou pour lesquels une demande d’admission à la négociation a été présentée sur un MTF opérant sur son territoire » (soulignement ajouté par la Cour).

140.Compte tenu de l’objectif poursuivi par ce règlement ‘ tenant au renforcement des moyens permettant d’assurer l’intégrité du marché intérieur des services financiers, en prévoyant « des mesures adaptables aux nouvelles formes de négociation ou aux nouvelles stratégies potentiellement abusives » (considérant 38) ‘ et du contexte de marchés hautement interconnectés et mondialisés, de nature à générer des abus de marché qui peuvent concerner plusieurs marchés et pays, qui est susceptible de faire naître des risques systémiques significatifs, il est manifeste que la formule « les actions réalisées à l’étranger se rapportant à des instruments admis à la négociation sur un marché réglementé (‘) ou qui sont négociés sur un MTF (‘) ou sur un OTF (‘) opérant sur son territoire » ne saurait être interprétée comme se limitant aux interventions directes sur ces instruments (« portant sur’ »), ce qui aurait pour effet de priver une Autorité de toute compétence pour appréhender des manipulations de cours intervenues à l’étranger sur un instrument lié à un instrument admis à la négociation sur un marché réglementé soumis à son contrôle. Contrairement à ce que soutiennent M. [B] et la société GDT, les effets manipulatoires produits sur l’OAT confèrent à l’abus de marché retenu par la Commission des sanctions, au titre des opérations menées sur le FOAT qui lui est lié, une dimension transfrontalière justifiant que les autorités compétentes concernées puissent coordonner leurs actions pour garantir le bon fonctionnement des différents marchés financiers susceptibles d’être affectés et préserver la confiance du public en ces marchés.

141.À cet égard, la Cour rappelle qu’au considérant 67, le règlement MAR prévoit que « [l]es abus de marché pouvant se produire par-delà les frontières et les marchés, dans tous les cas, sauf cas exceptionnels, les autorités compétentes devraient être tenues de coopérer et de partager des informations avec d’autres autorités compétentes et de régulation, ainsi qu’avec l’AEMF, en particulier dans le cadre d’enquêtes. Lorsqu’une autorité compétente a la conviction qu’un abus de marché est en cours ou a été réalisé dans un autre État membre ou porte atteinte à des instruments financiers négociés dans un autre État membre, elle devrait en avertir l’autorité compétente et l’AEMF. En cas d’abus de marché ayant des répercussions transfrontalières, l’AEMF devrait être habilitée à coordonner l’enquête si l’une des autorités compétentes concernées le demande ».

142.En l’espèce, les éléments de la procédure, mentionnés en début d’arrêt, révèlent que tout au long des investigations (et dès 2017) l’autorité de régulation allemande a été associée à la procédure, a transmis à l’AMF les éléments qu’elle détenait concernant d’éventuels abus de marché sur ses plateformes d’échanges, a mis les enquêteurs en contact avec Eurex pour négocier les modalités d’extraction et de transmission des données, a satisfait la requête qui lui a été adressée par l’AMF pour auditionner M. [B] dans ses locaux, a été rendue destinataire des actes de poursuite et qu’elle a, en toute connaissance de la procédure française, limité sa propre action au comportement de négociation de M. [B] sur Eurex sur la période antérieure (26 janvier 2015, 9 avril 2015, 30 avril 2015, 12 mai 2015 et 13 mai 2015) pour des interventions qui impliquaient des interventions croisées sur Eurex relatives aux FGBL (Euro-Bund Future), FGBM (Euro-Bobl Future), FDAX (DAX Future), FESX (EURO STOXX 50 Index Future) et FOAT (Euro-OAT Future). Il en résulte que l’interprétation des textes en cause, telle qu’elle a été appliquée par ces deux autorités, permet la coordination de leur action, afin d’éviter tout chevauchement ou cumul de sanctions ou mesures administratives pour des comportements identiques, assurant l’effet utile des règles applicables aux abus de marché, dans le respect des droits fondamentaux reconnus par les États membres.

143.En l’absence de doute raisonnable sur le sens à donner au dispositif européen et compte tenu du fait que le règlement MAR n’a pas vocation à s’appliquer sur le fond, il n’y a pas lieu de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.

144.S’agissant du moyen tiré d’une dénaturation des griefs, la Cour relève qu’en retenant, au paragraphe 40 de la décision de sanction qu’ « [i]l résulte de ce qui précède que l’article 631-1 du règlement général de l’AMF est applicable aux interventions litigieuses de GDT [‘], dès lors que [‘] ces opérations concernent des titres admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation supervisé par l’AMF au sens du 3° de l’article 611-1 du règlement général de l’AMF. » la Commission des sanctions n’a pas sanctionné des interventions sur l’OAT en méconnaissance des termes de la notification des griefs, mais s’est référée aux opérations de manipulation de cours visés dans cette notification, à raison d’interventions sur le FOAT dans une configuration de corrélation entre le FOAT et l’OAT sous-jacente.

145.Les moyens aux fins d’annulation de la procédure, des actes fondant les poursuites et de la décision de sanction sont rejetés.

C. Sur l’imputabilité des manquements à M. [B]

146.M. [B] et la société GDT reprochent encore à la décision de sanction d’avoir imputé le manquement à M. [B], dirigeant de la société GDT, « alors que cette personne physique n’a pourtant réalisé aucune des opérations portant sur le FOAT », qui ont toutes été réalisées en Allemagne par la société GDT. Ils relèvent que l’énoncé des faits par la décision de sanction renvoie à la société GDT (§ 24, 46, 47, 48, 52 et 68) de même que les griefs énoncés aux paragraphes 49 et 54.

147.Ils ajoutent que contrairement au Livre II du RGAMF, pour lequel il est prévu par l’article 221-1 que « [l]es dispositions du présent titre sont également applicables aux dirigeants de l’émetteur, de l’entité ou de la personne morale concernés », il n’existait pas de semblables règles d’imputation « par ricochet » dans le Livre VI, en particulier pour les « manipulations de cours » prévues à l’article 631-1 du RGAMF. De même, ils relèvent qu’une approche différente avait été retenue à l’article 622-2 du RGAMF (relatifs aux « opérations d’initiés ») qui permettait ‘ contrairement à celles de l’article 631-1 du RGAMF qui ne prévoyaient pas l’équivalent en matière de « manipulation de cours » ‘ de sanctionner une personne physique qui n’aurait pas elle-même réalisé l’opération litigieuse, mais « participé » à la décision de la personne morale (initiée) de la réaliser.

148.Ils précisent que l’article «12. 1 a) » du règlement MAR prévoit que « [l]orsque la personne visée dans le présent article est une personne morale, le présent article s’applique également, conformément au droit national, aux personnes physiques qui prennent part à la décision de mener des activités pour le compte de la personne morale concernée. » et considère que l’article 631-1 du RGAMF implique une distinction entre, d’une part, la personne morale « au nom et pour le compte » de laquelle les activités litigieuses ont été menées, d’autre part, les personnes physiques prenant part au processus décisionnel au sein de cette personne morale, mais sans procéder à la moindre « opération ». Ils estiment que cette distinction confirme ‘ en tant que de besoin ‘ que ces personnes physiques ne sont pas coupables du même manquement que la personne morale, auteur d’une (autre) « manipulation de marché » ( celle qui est définie à l’article 12.1 du règlement MAR), sans quoi l’article 12.4 du règlement MAR n’aurait aucun sens.

149.Ils ajoutent qu’en l’absence d’équivalence entre les nouvelles dispositions du règlement MAR relatives aux « manipulations de marché » (en particulier celles de l’article 12) et les anciennes dispositions du RGAMF (article 631-1), c’est le principe de non-rétroactivité de la loi répressive plus sévère qui s’applique et en déduisent que M. [B] ne pouvait pas se voir appliquer rétroactivement les dispositions de l’article 12.4.

150.Ils soulignent que la société GDT est la seule à avoir mené une « activité litigieuse » au sens de l’article « 12.1 » précité, en effectuant des opérations portant sur le FOAT au sens de l’article 631-1, M. [B] « n’étant jamais intervenu sur le FOAT » et « n’étant manifestement pas l’auteur » d’une « manipulation de cours » au sens de l’article 631-1 du RGAMF, « surtout lorsqu’on éclaire ces dispositions à la lumière de celles qui figurent désormais à l’article 12 du Règlement MAR, en particulier sous son paragraphe (4) ».

151.L’AMF relève qu’à l’époque des faits reprochés à la société GDT et à M. [B], l’intégralité des textes relatifs à ce manquement se référait à « toute personne » : l’article 611-1 du RGAMF, relatif au champ d’application du livre VI, la définition donnée du manquement de manipulation de cours à l’article 631-1 du RGAMF et l’article L. 621-15 du CMF relatif à sa sanction. Elle constate que l’article L. 621-15 précité est demeuré applicable et inchangé quant aux personnes visées indépendamment de l’entrée en application du règlement MAR, et rappelle que les dispositions antérieures du RGAMF sont seules applicables.

152.Elle ajoute qu’il ressort des éléments de l’enquête, non contestés par les requérants, que M. [B] était personnellement responsable de l’activité de négociation de la société GDT à l’époque des agissements reprochés et que c’est donc vainement que les requérants soutiennent que les manquements de manipulation de cours du FOAT ‘ qu’ils ne réfutent à aucun moment sur le fond ‘ ne sont pas imputables à M. [B].

153.Elle fait observer que la Commission des sanctions a déjà imputé des manquements de manipulation de cours à la fois à la société trading pour le compte de laquelle les ordres litigieux avaient été passées et à son dirigeant également trader.

154.En l’absence de doute quant à l’interprétation de l’article 12 (4) du règlement MAR, elle considère que rien ne justifie de saisir la CJUE par voie de question préjudicielle et invite la Cour à rejeter le moyen d’annulation de la décision de sanction tiré de l’impossibilité d’imputer à M. [B] les manquements de manipulation de cours.

155.Le ministère public relève, d’abord, qu’il n’est contesté, ni par l’AMF, ni par les requérants, que l’article 12 du règlement MAR n’est pas applicable aux faits. Il souligne ensuite que les textes nationaux prévoyant la répression à l’égard de « toute personne », la prétendue limitation du champ de l’article 631-1, alléguée, ne ressort pas de la lettre du texte. Il rappelle que la Cour a déjà sanctionné les agissements d’un trader personne physique « ayant concouru à la réalisation du manquement de manipulation de cours » (CA Paris, 8 déc. 2016, n° 15/23987) au moyen de la méthode du faisceau d’indice « de pouvoir de direction effective », et considère que cette méthode devrait a fortiori permettre d’imputer un tel manquement au dirigeant de droit d’une société dans laquelle il n’y a pas de salarié, et dans laquelle dès lors, la distinction avancée par les requérants entre « participer » et « se livrer à » apparait dénuée de pertinence.

Sur ce, la Cour,

156.À l’instar de l’article L. 621-15 du CMF, l’article 631-1 du RGAMF, dans sa version en vigueur à l’époque des faits, s’applique à « toute personne » et lui impose l’obligation de s’abstenir de procéder ou de tenter de procéder à des manipulations de cours, ce qui permet de désigner tant les personnes physiques que les personnes morales.

157.Les personnes morales étant les principaux acteurs des marchés financiers, ce texte s’applique nécessairement aux actes réalisés au nom et pour leur compte, lesquels sont dès lors imputables tant aux personnes morales qu’à la personne physique qui les réalise matériellement en leur nom. Toute autre interprétation priverait le texte d’effet utile.

158.En l’espèce, comme l’a relevé la décision de sanction, sans que ces points ne soient contestés, M.[B], fondateur et unique gérant de la société GDT, est personnellement responsable de toute activité de négociation de la société GDT, qui exerce une activité de négociation sur instruments financiers de type « trading intra journalier ».

159.Tous les éléments de la procédure confirment par ailleurs que M. [B] a matériellement mis en ‘uvre les interventions litigieuses réalisées au nom de la société GDT qui n’a pas de salarié, ce qu’il n’a jamais contesté, ni dans sa réponse à la lettre circonstanciée (pièce GDT n° 8) ni dans ses observations en réponse au rapport (pièce GDT n° 10).

160.À titre d’exemples, concernant la réalisation matérielle des opérations litigieuses par M. [B], la Cour renvoie aux éléments suivants :

‘ retranscription des auditions dans les locaux de la BaFin (annexe 1.1 au rapport) ; « M. [B] a déclaré en audition utiliser des stratégies « purement discrétionnaires », donc ne pas avoir de stratégie ou de durée de détention spécifique » (pièce GDT n° 6, retranscription au rapport, page 15). « Interrogé sur l’élaboration de sa stratégie, il a été répondu : « La stratégie a été « élaborée » de sa propre initiative. Il fonctionne plutôt par tâtonnement (méthode « Try and Error »): il essaie un type de négociation, observe les résultats et modifie sa stratégie rapidement. M. [B] négocie de façon discrétionnaire, en fonction d’une situation concrète, souvent de manière intuitive ».) ; « Interrogé sur la durée de détention de ses positions, il a été répondu :« le plus souvent, ce sont des positions intrajournalières. De temps en temps, je les conserve quelques jours ou quelques semaines comme couverture d’urgence » ; « Interrogé sur les raisons pour lesquelles 2/3 de ses ordres sur le FGBL ont porté sur une taille de 200 contrats, et1/3 de ses ordres sur une taille de 79 contrats, il a été répondu :«Taille par défaut paramétrée par M. [B] pour la souris: souris gauche :79, souris droite :200 » » (pièce GDT n° 6, retranscriptions page 34).

‘ lettre circonstanciée du 9 mai 2019 : « Vous avez précisé en audition avoir réalisé personnellement l’ensemble des opérations pour la société GDT et être personnellement responsable de toute l’activité de négociation de GDT, si bien qu’un manquement de manipulation de cours pourrait également vous être imputé à titre personnel » (pièce GDT n° 7, page 1) ;

‘ réponse du conseil de M. [B] à la lettre circonstanciée: « Mon client vous avait pourtant déclaré, lors de son audition en date du 10 juillet 2018: « il existe des règlements uniformes depuis la mi-2016 (Règlement relatif aux abus de marché). II ne connaît pas d’autres règlements. Avant cela, Il n’avait aucune connaissance de la réglementation en France. Le FOAT est négocié sur l’EUREX, une place boursière allemande, et non sur le marché à terme français. Par conséquent, il a supposé qu’il devait respecter les règles allemandes ». (pièce GDT n° 8, page 2)

‘ rapport d’enquête: « Le manquement de manipulation de cours pourrait être reproché à la société Global Derivative Trading GmbH au nom et pour le compte de laquelle les opérations ont été réalisées, ainsi qu’à son dirigeant, M.[C] [B], dès lors qu’il est établi qu’il est lui-même l’auteur de ces interventions » (pièce GDT n° 6, page 2) ;

‘ la notification de griefs adressée à M. [B] (page 2) : « Dans la mesure où, comme vous l’avez déclaré dans votre audition du 10 juillet 2018, vous êtes personnellement responsable de toute activité de négociation de GDT, cette société ne dispose d’ailleurs pas de salariés [À l’exception d’une personne employée en « mini job » pour s’occuper de la comptabilité.], vous en êtes par ailleurs l’unique détenteur de parts et le dirigeant ; il s’en déduit que vous êtes personnellement à l’origine et responsable de tous les ordres introduits par GDT dans le carnet d’ordres du FOAT et du FGBL et de l’éventuelle annulation de ces ordres. Vous êtes ainsi personnellement à l’origine et responsable des manipulations de cours ci-dessous décrites. En conséquence, le manquement aux dispositions de l’article 631-1 du RGAMF vous est imputé à titre personnel » (pièce GDT n° 5).

161.M. [B] ne peut donc sérieusement soutenir que l’AMF « cherche à dénaturer les faits en faisant référence aux manipulations de cours commises par GDT et M. [B] » au motif que la décision de sanction, dans ses développements factuels, se réfère de manière générique aux « interventions de GDT ». Les différents moyens développés, tirés d’une absence de réalisation des opérations portant sur le FOAT par M. [B], qui repose sur un postulat factuel manquant totalement en fait, sont ainsi inopérants.

162.Si les expressions « M. [B] n’est jamais intervenu sur le FOAT » et « n’est manifestement pas l’auteur d’une « manipulation de cours » figurant dans les écritures déposées devant la Cour devaient être interprétées comme renvoyant au fait qu’il a agi « au nom » de la société GDT, ce que cette dernière ne conteste pas, la Cour observe, au regard des éléments présents dans la notification des griefs et les rapports également non contestés, que M. [B] a lui-même décidé et mis en ‘uvre les interventions litigieuses, ayant reconnu être « personnellement responsable de tous les ordres » et indiqué « surveille[r] lui-même les risques économiques » et « les risque de conformité » (rapport, cote D673).

163.La Cour ajoute qu’il est, par ailleurs, vain de se prévaloir des différences observées entre le livre II relatif aux « Émetteurs et information financière » et le livre IV qui concerne les « abus de marché-opérations d’initiés et manipulations de marché », pour en tirer argument que la législation nationale n’aurait pas expressément prévu la possibilité de retenir la responsabilité du dirigeant en matière de manipulation de cours, comme le prévoit l’article 15 du règlement MAR qui a succédé à l’article 631-1 du RGAMF, alors que les deux Livres précités portent sur des manquements de nature différente. Le livre II peut en effet conduire à sanctionner des omissions déclaratives (abstention d’agir), tandis que la manipulation de cours visée au Livre VI repose sur des actes positifs, induisant une démonstration différente de l’implication personnelle du dirigeant de la personne morale dans la réalisation de l’acte prohibé.

164.L’argument tiré de ce que l’article 622-2 du RGAMF permettait « de sanctionner une personne physique qui n’aurait pas elle-même réalisé l’opération litigieuse, mais « participé » à la décision de la personne morale (initiée) de la réaliser » ‘ sur la base duquel M. [B] déduit que l’article 631-1 ne prévoyant pas d’équivalent il ne serait pas possible de lui imputer le manquement en cause ‘ est tout aussi inopérant, dès lors que M. [B] a passé les ordres litigieux lui-même. La circonstance que M. [B] soit le dirigeant de droit d’une société dans laquelle il n’y a pas de salarié, dont il assure l’activité de négociation sur instruments financiers de type trading intra journalier, permet de lui imputer le manquement, comme l’a justement retenu la Commission des sanctions.

165.La Cour observe enfin que c’est au prix d’une dénaturation de la décision de sanction qu’il est soutenu, au regard du principe de non rétroactivité de la loi répressive plus sévère, que « Monsieur [C] [B] ne pouvait certainement pas se voir appliquer rétroactivement les dispositions de l’article 12.4. du Règlement MAR ». En effet, la décision de sanction a précisément relevé que « le règlement MAR ne comporte pas de dispositions moins sévères relatives à l’imputabilité qui seraient susceptibles de recevoir une application rétroactive » (§ 88) et se fonde de manière exclusive sur l’article 631-1 du RGAMF (§ 86) pour se déterminer sur l’imputabilité des manquements. Ce moyen, qui manque également en fait, n’est pas fondé.

166.La Commission des sanctions s’étant fondée sur l’article 631-1 du RGAMF, dans sa rédaction applicable à la date des faits et l’interprétation du règlement MAR ne suscitant aucun doute par rapport à la question en discussion, la situation ne requiert pas de saisir la CJUE d’une question préjudicielle.

167.En cet état, et compte tenu de ce que la matérialité des faits, comme la qualification qui leur a été appliquée dans les griefs notifiés, ne sont pas discutés par M. [B] et la société GDT, la décision de sanction n’encourt pas l’annulation demandée.

III. SUR LE RECOURS INCIDENT

168.La décision de sanction a prononcé à l’encontre de la société GDT une sanction pécuniaire de 1 200 000 euros et infligé à M. [B] une sanction pécuniaire d’un montant équivalent.

169.Le recours incident a pour seul objet l’augmentation du quantum des sanctions pécuniaires prononcées, rappelant qu’en la matière les sanctions prises doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Son auteur estime que la Commission des sanctions, par une appréciation incorrecte de la gravité des manquements retenus et une insuffisante prise en compte de la situation financière et patrimoniale des requérants, n’a pas tiré les conséquences qui s’imposaient. Il demande à la Cour que les sanctions prononcées à l’encontre de la société GDT et de M. [B] soient portées de 1,2 à 1,5 million d’euros pour chacun d’eux.

170.La présidente de l’AMF fait valoir, en premier lieu, que le manquement édicté à l’article 631-1 du RGAMF est empreint d’une gravité intrinsèque certaine, puisqu’il constitue une manipulation qui nuit à l’intégrité des marchés financiers et ébranle la confiance du public dans les valeurs mobilières et les instruments dérivés. Elle relève également la gravité particulière des manquements retenus en l’espèce, qui ont porté sur 303 séquences, ont duré 3 mois et demi, ont permis de dégager un profit estimé à 336 920 euros et occasionné un préjudice aux autres intervenants sur le marché qui ont subi des conditions de transaction inéquitables sur le FOAT. Elle estime que de tels constats devaient conduire au prononcé de sanctions supérieures. Elle relève que ces manquements sont d’autant plus graves qu’il ressort du dossier que la société GDT est intervenue concomitamment sur un autre instrument financier coté sur Eurex ‘ le FGBL ‘ en appliquant une stratégie de négociation similaire, lesquelles ont permis de réaliser un profit évalué à 726 000 euros (cotes R0018 et suivantes, pièce GDT n° 6) qui, compte tenu de la très forte corrélation entre le FOAT et le FGBL, a été généré au moins pour partie par les manipulations de cours du FOAT. Elle en déduit que le facteur de gravité relatif à leurs interventions sur le FGBL, que les requérants ne contestent pas, n’a pas été pris en compte par la Commission dans la décision de sanction.

171.Concernant l’écart séparant les sanctions qui ont été infligées par la Commission et l’amende de « 40 000 euros » prononcée par l’autorité de régulation allemande, elle l’estime indifférent, d’autant que cette amende sanctionne une seule transaction sur le FOAT.

172.Concernant la situation financière de la société GDT, elle rappelle le manque flagrant de transparence de la part de la société GDT et de M. [B] devant la Commission des sanctions, renvoie aux paragraphes 98 et 99 de la décision de sanction sur ce point et considère que la Commission des sanctions n’en a pas tiré les conséquences qui s’imposaient.

173.À l’audience, elle constate qu’aucune pièce n’a été produite au soutien de la demande de réformation et indique, à toutes fins utiles, que les pièces n° 7 et 7 bis « SAE » produites devant le délégué du président de la Cour, sont des éléments comptables qui ne sont pas récents, dans la mesure où ils concernent l’exercice 2019. Elle ajoute que leur lecture révèle plusieurs incohérences entre des montants mentionnés dans la traduction libre et la version originale allemande du bilan de la société GDT, ces montants différents ou manquants étant de nature à faire douter de leur fiabilité.

174.Elle estime également que l’existence de fonds propres négatifs n’empêche pas la société de continuer son activité, comme l’établit la pièce « SAE » n° 7 qui révèle que ceux-ci étaient déjà négatifs à la fin de l’exercice 2016 sans que cela ne mette un terme à son activité.

175.Elle considère enfin que la pertinence de la pièce « SAE » n° 12 également évoquée dans la procédure de sursis à statuer, supposée démontrer que la société GDT n’est pas imposable en Allemagne, doit également être relativisée dans la mesure elle ne comprend qu’une seule page traduite librement en français sur les vingt pages composant la totalité de ce document ‘ dix-neuf d’entre elles étant rédigées en allemand et partant, n’étant pas exploitables dans les débats devant la Cour.

176.Elle en déduit que l’argumentaire en défense sur la situation financière de GDT doit être rejeté.

177.Les requérants relèvent que les sanctions prononcées par le régulateur français (montant cumulé de 2,4 millions d’euros pour des plus-values estimées à 336 920 euros, ce qui représente un multiple de 7) revêtent un caractère excessif et hors de toute proportion par rapport à la gravité des faits, comme en atteste l’écart très significatif qui les sépare de l’amende prononcée par la BaFin à raison de faits comparables « d’un montant de 40 000 euros » (pièce GDT n° 9).

178.Ils soulignent que le fait que la société GDT est intervenue concomitamment sur un autre instrument financier coté sur Eurex ‘ le FGBL ‘ en appliquant une stratégie de négociation similaire, dont la matérialité n’est pas contestée, est étranger aux faits reprochés qui concernent le FOAT.

179.Ils se prévalent des pièces soumises à l’examen du magistrat délégué par le premier président de la cour d’appel de Paris concernant leur situation financière et patrimoniale dans le cadre de leur requête aux fins de sursis à exécution de la décision de sanction. Ils invoquent notamment les niveaux de fonds propres négatifs et d’endettement auprès des établissements de crédit pour la société GDT.

180.Ils ajoutent avoir fourni des éléments sur la situation de la société GDT, notamment ses comptes rédigés en langue allemande et précisent qu’il n’avait pas été jugé nécessaire ‘ à ce stade ‘ d’engager des frais pour les traduire en français, dans la mesure où le rapporteur, Madame [A] [R], est de nationalité franco-allemande (pièce GDT n° 17) et avait elle-même publiquement déclaré qu’elle était bilingue (pièce GDT n° 17 bis).

181.En ce qui concerne sa situation patrimoniale, M. [B] précise avoir indiqué, sans que cela ne soit contesté, que celle-ci se résume essentiellement à la détention de ses parts au capital de la société GDT, laquelle est si lourdement endettée que sa valeur liquidative est proche de zéro et d’une « faible rémunération d’environ 3150 euros par mois ». Il considère que son impécuniosité a été reconnue par le délégué du premier président de la Cour dans le cadre de l’instance engagée aux fins de sursis à exécution de la décision de sanction.

182.En définitive, ils estiment avoir fourni des éléments récents faisant apparaître : des fonds propres négatifs (report à nouveau négatif à hauteur de – 42 millions d’euros pour un capital social de 51 129 euros au 31 décembre 2019) ; des pertes enregistrées en 2018 à hauteur de – 31 millions d’euros ; un niveau d’endettement auprès des établissements de crédit (22 millions d’euros dont 13 millions d’euros à court terme) et un important déficit (différence entre son actif circulant et son passif exigible) non couvert par ses fonds propres (42 millions d’euros) (pièces « SAE » 7 et 7 bis, non produites devant la Cour). Ils précisent ne pas avoir de pièce certifiée de nature fiscale ou comptable dans la mesure où la société GDT ne dispose pas d’auditeurs légaux (compte tenu des règles allemandes) et n’est pas imposable (faute de bénéfices). Ils invoquent le caractère excessif du montant des amendes prononcées et demandent à la Cour, à titre subsidiaire d’en limiter le montant à 475 500 euros.

183.Le ministère public souligne la nécessité du prononcé de sanctions suffisamment dissuasives en répression des abus de marché en raison des principes d’ordre public économique qui sous-tendent cette législation qui a pour objectif d’assurer l’intégrité des marchés financiers communautaires et de renforcer la confiance des investisseurs en ces marchés. Il considère que les quantum de sanctions prononcées sont conformes à la pratique décisionnelle de l’AMF en la matière et s’en rapporte quant à l’augmentation sollicitée.

Sur ce, la Cour,

184.Aux termes du III c) de l’article L. 621-15 du CMF, dans sa rédaction en vigueur du 22 février 2014 au 5 décembre 2015, non modifiée depuis dans un sens moins sévère sur ce point, prévoit que les sanctions applicables sont : « [p]our les personnes autres que l’une des personnes mentionnées au II de l’article L. 621-9, auteurs des faits mentionnés aux c à g du II, une sanction pécuniaire dont le montant ne peut être supérieur à 100 millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement réalisés ; les sommes sont versées au Trésor public. [‘] ».

185.Les sanctions de 1 200 000 euros infligées à chacun des requérants sont ainsi inférieures au montant de la sanction pécuniaire encourue par chacun d’eux, qui ne pouvait excéder 100 millions d’euros ou le décuple du montant des profits éventuellement réalisés.

186.Le III ter de l’article L. 621-15 du CMF, dans sa rédaction en vigueur depuis le 11 décembre 2016, précise les critères qui peuvent être, notamment, pris en compte pour déterminer la sanction.

187.C’est à la lumière des critères pertinents pour les faits de la cause que la Cour appréciera les mérites du recours incident, comme la proportionnalité de la sanction infligée, et notamment en tenant compte de la gravité et de la durée du manquement, de la qualité et du degré d’implication de la personne en cause, de sa situation et sa capacité financière, de l’importance des gains ou avantages obtenus, ainsi que des pertes subies par des tiers du fait du manquement, dans la mesure où elles peuvent être déterminées.

188.La Cour constate que pour retenir une sanction individuelle de 1,2 million d’euros, la décision de sanction a retenu la gravité des manquements « qui ont porté sur 303 séquences et ont duré 3 mois et demi », un profit estimé à 336 920 euros, un préjudice occasionné aux autres intervenants victimes de conditions de transaction inéquitables sur le FOAT et a pris en compte les éléments communiqués sur la situation financière des mis en cause, ainsi que l’absence d’éléments transmis sur leur patrimoine.

189.Il convient de relever que deux types de manquements ont été retenus par la Commission des sanctions. Le premier correspond à « 207 séquences avec A/R [aller-retour] sur le FOAT » et « 96 séquences sans A/R sur le FOAT ». Ces 303 interventions sont constitutives d’une manipulation de cours par indications fausses ou trompeuses au sens du 1° a) de l’article 631-1 du RGAMF. Le second est limité aux « 207 séquences avec A/R sur le FOAT », constitutives d’une manipulation de cours du FOAT par construction d’une position dominante ayant pour effet la création de conditions de transaction inéquitables, également contraire à l’article 631-1, a) du RGAMF.

190.Ces deux manquements sont graves, par nature, puisqu’ils nuisent à l’intégrité des marchés financiers et ébranlent la confiance du public dans les valeurs mobilières et les instruments dérivés. Ils ont également présenté in concreto une gravité particulière au regard des circonstances dans lesquelles ils ont été réalisés, des modalités de mise en ‘uvre et de la qualité des mis en cause. À cet égard, la Cour constate qu’il ne ressort pas des paragraphes 95 à 98 de la décision de sanction que ces éléments ont été pris en compte dans leur intégralité pour déterminer le montant des sanctions.

191.La Cour constate, d’abord, que les manquements sont imputés à une société exerçant une activité de négociation sur instruments financiers de type « trading intra journalier » et à son dirigeant, en charge de l’activité de négociation de la société, de sorte qu’ils étaient particulièrement avertis du fonctionnement des marchés.

192.Il convient de relever, ensuite, qu’il ressort de la décision de sanction comme des éléments de la procédure, notamment rappelés dans la notification des griefs (pièce GDT n° 5), non contestés, que les séquences manipulatoires détectées sur le FOAT correspondaient à un mode opératoire élaboré, se décomposant en trois temps : création d’un déséquilibre du côté acheteur du carnet, réalisation de transactions en sens inverse du déséquilibre coté acheteur par vente des contrats et annulation partielle ou totale des ordres leurres.

193.La première phase du mode opératoire précité a consisté à entrer des ordres d’achat dans le carnet du FOAT à un prix proche ou égal à la meilleure limite à l’achat, mais inférieur à la meilleure limite à la vente. Par suite, en l’absence d’ordres de vente à la limite proposés par la société GDT, les ordres d’achat ainsi introduits ne pouvaient pas être exécutés. Ils constituaient donc des « ordres passifs » visibles des autres intervenants, qui portaient sur d’importantes quantités de FOAT et traduisaient, auprès des autres intervenants, l’existence d’un fort intérêt acheteur. En constatant l’importance des volumes présents aux trois meilleures limites à l’achat, les vendeurs pouvaient en déduire l’existence d’un fort intérêt acheteur pour le contrat FOAT et, en conséquence, repositionnaient leurs ordres de vente à des cours supérieurs. Ces ordres passifs, placés pour des quantités significatives, constituaient des ordres leurres dès lors qu’ils n’avaient pas pour objet d’être exécutés mais avaient pour effet, en créant un déséquilibre côté acheteur du carnet, d’entrainer un mouvement à la hausse sur le FOAT.

194.Il ne ressort pas davantage des paragraphes 95 à 98 de la décision de sanction que les éléments de la procédure, qui ne sont pas contestés, établissant que les ordres leurres étaient importants en volume et ont exercé une pression, acheteuse ou vendeuse selon le cas, significative d’un côté du carnet d’ordres, ont été pris en compte pour apprécier la gravité du manquement. Il avait toutefois été constaté que le déséquilibre résultant des interventions sur le FOAT, dans les séquences avec aller-retour, avait entraîné un décalage de la fourchette de cotation de deux ticks (§ 72). Ayant concerné de nombreuses opérations, sur une période prolongée, sur le marché des dérivés sur obligations souveraines françaises, selon un mode opératoire sophistiqué, mis en ‘uvre par des mis en cause intervenant de manière habituelle sur le marché, les manquements revêtent une gravité certaine justifiant une particulière sévérité.

195.S’agissant des éléments invoqués par la présidente de l’AMF au soutien de son recours, il est constant que les requérants n’ont pas été poursuivis pour des manipulations de cours portant sur le FGBL.

196.Il n’en demeure pas moins que les manipulations sur le FOAT doivent être appréciées dans le contexte dans lequel elles ont eu lieu, à savoir concomitamment avec des opérations sur le FGBL. Cet élément n’est pas nouveau et figurait dans la notification de griefs qui mentionne « qu’entre le 1er juillet et le 13 octobre 2015, GDT intervenait de manière quasi systématique et dans le même sens à la fois sur le FOAT et le FGBL, ce qui s’explique par l’effet d’entrainement du FOAT sur le FGBL et réciproquement (cf. supra, Effet d’entrainement du FOAT sur le FGBL et réciproquement) : les interventions sur l’un des deux instruments financiers contribuent aux variations de cours de l’autre » et que « les ordres passés concomitamment sur le FGBL et le FOAT participaient à une stratégie unique. Le profit total réalisé par GDT au cours des 207 séquences identifiées sur le FOAT (concomitantes à 78 séquences identifiées sur le FGBL) est estimé à 764 630 euros (336 920 euros + 427 710 euros). » (notification des griefs, pièce n° 5 GDT pages 5 et 6).

197.La décision de sanction l’avait également évoqué, renvoyant aux constats opérés dans l’acte de notification de griefs, en indiquant « que, sur la période en cause, GDT est intervenue concomitamment, de manière quasi systématique et dans le même sens, à la fois sur le FOAT et le FGBL » (§ 48) et avait également constaté que les griefs notifiés n’étaient pas discutés par les personnes mises en cause (§ 55).

198.C’est en conséquence à juste titre que la présidente de l’AMF fait valoir qu’il est pertinent de tenir compte de cette circonstance pour apprécier la gravité des interventions réalisées sur le FOAT.

199.Si les motifs de la décision de sanction, par leur caractère succinct, ne font pas ressortir à sa juste mesure la gravité des manquements en cause, il n’en demeure pas moins que le montant de 1,2 millions d’euros retenu par la Commission des sanctions et le choix de l’infliger à chacun des mis en cause, dans le contexte de l’espèce, assurent aux sanctions prononcées un caractère répressif et suffisamment dissuasif, satisfaisant les objectifs de la lutte contre les abus de marché.

200.Sur ce point, la Cour relève que les requérants ne peuvent utilement invoquer la sanction infligée par la BaFin « pour des interventions comparables ». Outre le fait que la Commission des sanctions n’est pas liée par la décision prise par la BaFin, pour des manquements distincts, force est de constater que la pièce versée aux débats, correspondant à la traduction des seules pages 1, 2 et 48 de cette décision, ne permet pas de déterminer les éléments qui ont été pris en compte pour sanctionner la société GDT. Ne sont ainsi pas connus, notamment, le nombre d’interventions opérées sur ces dates et le profit qui en a été éventuellement retiré. La Cour relève également que la sanction infligée n’a pas été de 40 000 euros, comme le prétendent les requérants, mais a atteint un montant cumulé de 200 000 euros à raison de 40 000 euros pour chacun des quatre manquements retenus (commis les 26 janvier 2015, 9 avril 2015, 30 avril 2015, 12 mai 2015 et 13 mai 2015) relatifs au comportement de négociation adopté sur Eurex par M. [B] agissant au nom de la société GDT qu’il dirige (pièce GDT n° 9).

201.Il convient enfin de vérifier si la sanction de 1,2 millions d’euros retenue à l’encontre de chacun des requérants n’est ni sous-évaluée, ni disproportionnée, par rapport à leur situation, la présidente invoquant l’absence d’éléments comme un facteur de rehaussement tandis que les requérants allèguent que « la valeur liquidative est proche de zéro » pour ce qui concerne la société GDT et une « impécuniosité (objective) de M. [B] ».

202.Force est de constater qu’il n’a été fourni aucun élément sur le patrimoine des requérants, tant au stade de l’enquête, comme l’a confirmé la BaFin (Annexe 6.3 au rapport versé en pièce GDT n° 6 : correspondant à la réponse de la BAFIN du 19 juin 2019 sur le patrimoine de M. [B]), que devant la Commission des sanctions (§ 99 de la décision de sanction).

203.Il ressort notamment des termes de l’audition effectuée devant la BaFin (annexe 1.1 au rapport versé aux débats en pièce GDT n° 6) qu’en réponse à la Question 3 « Donnez-nous un aperçu de votre patrimoine » il a été indiqué :

« M. [B] fait usage de son droit de refuser de fournir des renseignements.

Avocat : Nous ne répondrons pas à ce type de questions. Il existe un risque d’auto-incrimination, car la situation financière peut jouer un rôle dans la sanction. En tout cas, selon le droit allemand, les amendes/sanctions pécuniaires sont calculées en fonction de la situation financière de la personne concernée. Par conséquent, les déclarations concernant la situation financière peuvent être auto-incriminantes ».

204.La Cour a, pour sa part, relevé à l’audience qu’aucune pièce n’a été versée à la présente procédure permettant d’étayer les allégations des requérants sur leur situation financière actuelle et appuyer leur demande de réformation des sanctions à la baisse. À cet égard, la Cour fait observer qu’elle ne saurait être liée par les appréciations portées dans le cadre d’une autre instance concernant des documents qui ne lui ont pas été présentés et dont l’analyse et la portée sont contestées par la présidente de l’AMF.

205.Par conséquent, les requérants ne sauraient invoquer la disproportion des sanctions prononcées tout en s’abstenant de fournir le moindre élément permettant de la constater à la date à laquelle la Cour statue.

206.À cet égard, les pièces GDT n° 12 et 12 bis qui révèlent qu’un compte ouvert au nom de la société GDT a été fermé à [Localité 10] au printemps 2021 (par RJO’Brien) et qu’un échange de courriel de novembre 2022 mentionne que des « FCM » [Futures Commission Merchant] (« ED&F Man, Phillip Capital, Wedbush, FC Stone ») « n’étaient pas disposés à ouvrir un compte [‘] pour la négociation de contrats à terme sur le CME » en raison des sanctions prises, afférentes à des manipulations de cours, tendent à établir que l’activité de cette société allemande ne se limite manifestement pas à Eurex.

207.Aucun relevé de comptes bancaires (notamment compte titres ou placements financiers) aucun élément comptable et financier à jour, aucune donnée fiscale ou élément relatif à leur situation patrimoniale ne sont versés aux débats. Or, toute banque peut délivrer à ses clients l’état actualisé des actifs en compte et de l’endettement en cours, de même qu’un expert-comptable peut être chargé d’établir une attestation sur la situation financière de la société, accompagnée des derniers bilans et comptes permettant d’apprécier ses facultés contributives actuelles, et ce nonobstant l’absence éventuelle de bénéfices imposables. Les requérants sont les seuls en mesure d’apporter des éléments venant actualiser la portée des informations recueillies au cours de la procédure.

208.La Cour constate, en l’espèce, que les éléments de la procédure contredisent les allégations, dépourvues d’offre de preuve, selon lesquelles la situation de M. [B] « se résume essentiellement à la détention de ses parts au capital de la société GDT et d’une rémunération d’environ 3 150 euros par mois comme dirigeant de GDT ».

209.À titre d’illustrations, la Cour renvoie aux réponses données par M. [B] aux questions de la BaFin (annexe 1.1 au rapport versé aux débats en pièce GDT n° 6).

210.Ainsi, en réponse à la Question 2 « Quelle(s) activité(s) professionnelle(s) exercez-vous ‘ » il a été mentionné par M. [B] « Gérant de GDT GmbH, qui négocie les actifs de la société. D’autres sociétés, dont je suis également l’unique associé. Ces sociétés n’interviennent pas sur l’EUREX. Je suis indépendant ».

211.Le rapport, précité, reprend également, en haut de la page 15, l’information selon laquelle la Bafin a signalé aux enquêteurs que « M. [B] est actionnaire d’autres sociétés » et la décision de sanction a acté pour sa part que M. [B] a « déclaré gérer plusieurs autres entreprises qu’il détient à 100 %, dont Global Markets Trading GmbH et Alpha Investments GmbH ».

212.Les réponses aux questions 27 à 29 posées lors de l’audition précitée font également état de la détention de parts dans d’autres sociétés (comme Easy Software présentée comme « entretemps (‘) devenue rentable » ou Intica pour laquelle « M. [B] a nommé un Directoire et un Conseil de surveillance. La société est désormais sur la bonne voie »). La réponse à la question 31 (« Quand avez-vous commencé ce genre d’activité d’investissement ‘ ») précise à cet égard « Mologen en 2004, Designbau autour de 2007, EasySoftware et Intica également autour de 2007 ».

213.En réponse à la question 32 « Quel est le montant de vos actifs sous gestion ‘ » il a été répondu « Ils sont tous répertoriés. M. [B] ne peut pas estimer le montant des actifs ».

214.Interrogé à l’audience sur la situation actuelle de M. [B] et de la société GDT, leur conseil a indiqué ne pas être en mesure d’apporter le moindre élément à la Cour.

215.Quant au patrimoine immobilier, la réponse à la question 1 (« Pourriez-vous vous présenter brièvement, en commençant par votre parcours d’études, puis les expériences professionnelles qui ont suivi ‘ ») mentionne une résidence secondaire à [Localité 4], sur laquelle il n’a été fourni aucun détail.

216.Il se déduit de l’ensemble de ces éléments que la sanction de 1,2 millions d’euros retenue à l’encontre de chaque requérant, qui répond de manière adaptée aux caractères dissuasif et répressif des sanctions infligées au titre d’abus de marché, est également adaptée à la dernière situation connue des requérants et n’est pas disproportionnée. En particulier, s’agissant de M. [B], la Cour renvoie à ses nombreux investissements dans différentes sociétés lui conférant un statut d’actionnaire unique, et s’agissant de la société GDT, au montant des transactions habituellement réalisées, qui s’inscrivaient dans une ligne de crédit de 20 millions d’euros « chez ABN » (réponse à la question 32f de l’annexe 1.1 au rapport d’enquête versé aux débats en pièce GCT n° 6), qui aurait été portée à 22 millions selon les écritures des requérants (§ 147 du mémoire du 29 novembre 2022). Cette ligne de crédit est d’ailleurs en cohérence avec le constat effectué par le rapporteur selon lequel les activités de la société GDT ont généré des revenus nets de « 3l 085 238,43 euros en 2018 » (rapport du rapporteur page 37).

217.Les demandes de réformation de la sanction, à la hausse comme à la baisse, sont rejetées.

IV. SUR LA DEMANDE INDEMNITAIRE DIRIGÉE CONTRE L’AMF

218.Dans leur déclaration de recours et exposé des moyens, les requérants ont sollicité la condamnation de l’AMF à leur payer une somme de 15 000 euros, chacun, « en réparation des préjudices qu’ils ont subis par sa faute » sur le fondement de l’article 1240 du code civil. Dans leurs conclusions récapitulatives, ils ont porté cette demande d’indemnisation à la somme globale de 50 000 euros « compte tenu des nombreux refus d’ouverture de comptes qu’elles ont essuyés de la part d’établissements bancaires (pièce GDT n° 12 bis), depuis que l’AMF a publié leur condamnation à 2,4 millions d’euros pour « manipulation de cours », qui handicape le bon fonctionnement de leur activité sur le marché Eurex ».

219.Sur la recevabilité de leur demande, contestée par l’AMF, ils soulignent à titre liminaire que la fin de non-recevoir qui leur est opposée ne semble pas entrer dans l’objet d’observations ayant exclusivement pour objectif d’éclairer la Cour sur la régularité de la procédure en cause et de la décision rendue par la Commission des sanctions (CA Paris, 23 mai 2019, RG n° 18/18638).

220.Sur le fond, ils soutiennent que l’obstination à se déclarer compétente pour connaître des opérations réalisées sur le FOAT en Allemagne caractérise indéniablement une faute lourde de la part de l’AMF. Ils estiment que ce comportement traduit un « acharnement regrettable et inadéquat », s’accompagnant de surcroît d’une accumulation d’erreurs de la part des services de l’AMF dont le caractère grossier ressort du contexte dans lequel elles s’inscrivent, dans la mesure où l’article 22 du règlement MAR était déjà entré en vigueur et où les parties avaient développé une argumentation en ce sens dès la lettre circonstanciée.

221.Ils ajoutent que la décision de sanction adoptée à l’encontre de la société GDT par la BaFin, en janvier 2020 (pièce GDT n° 9), aurait dû achever de convaincre l’AMF qu’elle ne pouvait pas se déclarer elle-aussi compétente pour le même type d’opérations que celles qui avaient fait l’objet d’une sanction par son homologue allemand.

222.Ils invoquent un préjudice tenant à l’atteinte grave à leur image et à leur réputation qu’a entrainé la publicité donnée à la décision de sanction, au travers notamment de la publication d’un communiqué en langue anglaise sur le site internet de l’AMF, dont les termes ont largement été repris par la presse internationale (pièce GDT n° 11). Ils font valoir que « cette publicité diffamatoire (i.e. portant atteinte à la réputation) » a notamment conduit l’une des banques avec laquelle travaillaient les requérants à exiger la fermeture immédiate du compte de la société GDT (pièce GDT n° 12). Ils estiment que la publicité diffamatoire dont ils se plaignent n’aurait pas eu lieu si la Commission des sanctions ne s’était pas déclarée compétente pour connaître et sanctionner des manquements de manipulation de cours des FOAT.

223.L’AMF fait valoir que la Cour est saisie de recours fondés sur l’article L. 621-30 du CMF formés contre une décision de sanction, et non d’un recours en responsabilité contre l’AMF ou son président. Elle en déduit que la demande d’indemnisation est irrecevable, la cour d’appel n’ayant pas le pouvoir d’ordonner une telle indemnisation. Elle ajoute également que la cour d’appel de Paris a déjà jugé que : « en toute hypothèse, la responsabilité [de la commission des sanctions] ne pourrait être mise en cause devant la cour chargée du recours contre la Décision déférée » (CA Paris, 30 janvier 2014, RG n° 2012/16612). Elle fait valoir que le simple fait pour la Commission de retenir sa compétence ne peut en aucun cas constituer une « faute » de sa part de nature à entraîner une éventuelle responsabilité.

224.Le ministère public rappelle que le principe est celui de la compétence de la cour d’appel de Paris en matière de demande d’indemnisation des conséquences dommageables des décisions individuelles de l’AMF, ainsi que l’a jugé à plusieurs reprises le Tribunal des conflits. Il est donc d’avis que la demande est recevable, ce que la Cour a déjà admis (CA Paris, 2 mars 2023 – RG n° 21/00887, § 229).

225.S’agissant du bien-fondé de cette demande d’indemnisation, il estime que l’engagement de la responsabilité d’une autorité de régulation nécessite la démonstration d’une faute lourde qui n’est pas établie par les requérants, qui argent d’« une succession d’erreurs » ayant conduit à retenir la compétence de l’AMF sans démontrer l’existence d’une faute lourde au sens de la jurisprudence.

Sur ce, la Cour,

226.La Cour rappelle, à titre liminaire, que la circonstance que les observations déposées par l’AMF dans le cadre du recours exercé par une personne sanctionnée ont pour objectif d’éclairer la Cour, tant sur la régularité de la procédure en cause que sur la décision rendue par la Commission des sanctions, ne saurait faire obstacle à ce qu’elle puisse se défendre lorsque le demandeur au recours entend lui conférer une qualité de partie en dirigeant contre elle une demande indemnitaire.

227.Il convient, ensuite, de rappeler que l’article L. 621-30 du CMF réserve à l’autorité judiciaire la compétence pour connaître des recours formés contre les décisions individuelles de l’AMF, autres que celles relatives aux personnes et entités mentionnées au II de l’article L. 621-9 du même code, et, par suite, qu’il en va de même pour les actions tendant à la réparation des conséquences dommageables nées de telles décisions (en ce sens, Tribunal des conflits, 2 mai 2011, C 3766, dans le même sens que Tribunal des conflits, 22 juin 1992, n° 02671).

228.Dans la mesure où la demande indemnitaire présentée à la Cour est rattachée aux conséquences dommageables, alléguées, de la décision de sanction et de la communication qui en a été faite, il doit être admis qu’une telle demande ne présente pas un degré d’autonomie suffisant par rapport à la décision de sanction pour en être détachable et donner lieu à un contentieux distinct de celui engagé devant la Cour.

229.La demande est ainsi recevable, en son principe.

230.Sur le fond, il convient de rappeler, en premier lieu, qu’en cas d’actions tendant à la réparation des conséquences nées de telles décisions, la mise en jeu de la responsabilité de l’AMF, devant la juridiction judiciaire, est soumise aux règles et principes de la responsabilité administrative, et partant à l’exigence d’une faute lourde (en ce sens, voir notamment Civ. 2, 23 novembre 1956, n° 56-11.87, Bull. civ. II, n° 407). Ainsi, le seul fait pour la Commission des sanctions de retenir sa compétence ne saurait constituer, en lui-même, une faute susceptible d’ouvrir droit à indemnisation.

231.Il y a lieu, en deuxième lieu, de relever que la circonstance que des sanctions ont été infligées par l’autorité allemande « pour des opérations du même type » est totalement inopérante pour établir la compétence exclusive de la BaFin en la matière et caractériser un comportement fautif de l’AMF envers M. [B] et la société GDT. C’est d’ailleurs en toute connaissance de la procédure suivie devant la Commission des sanctions, à laquelle elle a été associée et a prêté son concours, que la BaFin, a précisément limité les sanctions qu’elle a infligées au « comportement de négociation de M. [B] sur Eurex » sur une période distincte de la présente espèce (en l’occurrence, les 26 janvier 2015, 9 avril 2015, 30 avril 2015, 12 mai 2015 et 13 mai 2015) concernant des interventions sur plusieurs produits Eurex (en l’espèce, FGBL (Euro-Bund Future), FGBM (Euro-Bobl Future), FDAX (DAX Future), FESX (EURO STOXX 50 Index Future) et FOAT (Euro-OAT Future)) (pièce GDT n° 9), tandis que les manquements de manipulation de cours retenus à l’encontre de la société GDT et de M. [B] par la Commission des sanctions concernent des ordres sur le FOAT qui portent sur la période du 1er juillet au 13 octobre 2015.

232.En troisième lieu, la Cour observe qu’il incombe à l’AMF de veiller à l’information des investisseurs, ainsi qu’au bon fonctionnement des marchés d’instruments financiers, et qu’elle doit pouvoir rendre compte de son action en l’adaptant aux spécificités de chaque affaire. Par conséquent, « la publication d’un communiqué en langue anglaise sur le site internet de l’AMF » ne présente pas, en elle-même, un caractère fautif, et ce d’autant moins que la procédure en cause présente des éléments d’extranéité et a associé l’autorité d’un autre État membre de l’Union européenne, justifiant les modalités de communication retenues.

233.Les requérants, qui se bornent à mentionner que la sanction de la BaFin « n’avait pas eu cet effet en 2020 », n’indiquent pas davantage en quoi le communiqué de l’AMF aurait constitué une « publicité diffamatoire ».

234.La Cour ajoute que, la « couverture médiatique » internationale alléguée par les requérants relève, en tout état de cause, de la presse qui s’en fait l’écho, et non de l’AMF qui n’a pas à répondre des agissements de tiers.

235.Partant, le « lien de causalité directe » entre le refus de l’AMF de reconnaître son incompétence à l’égard des opérations en cause et le préjudice allégué par les requérants, dont l’image et la réputation auraient « souffert de la publicité internationale donnée aux décisions de l’AMF », n’est pas davantage établi.

236.La demande est en conséquence rejetée.

V. SUR LES DEMANDES RECONVENTIONNELLES AU TITRE DE L’ABUS DU DROIT D’ESTER

237.M. [B] et la société GDT estiment, tout d’abord, que l’annonce faite par le président de l’AMF selon laquelle la ligne de conduite retenue est que « le président fait en principe toujours un recours incident lorsque la personne sanctionnée fait un recours principal contre une décision qui l’a sanctionné pour un quantum inférieur à celui demandé par le collège. L’idée est bien de faire comprendre qu’un recours n’est pas une sorte d’option gratuite, où, l’on risque, au pire, la confirmation de la sanction prononcée » démontre une automaticité qui expose l’auteur d’un tel recours à se voir sanctionner au titre d’un abus du droit d’agir, au regard des circonstances de l’espèce.

238.Ils considèrent, ensuite, que M. [I] a fait preuve d’un acharnement certain à leur encontre dans la mesure où il avait déjà transmis leur dossier au Procureur de la République Financier, le 12 février 2020 (pièce GDT n° 18), alors qu’il leur apparait évident que les interventions de la société GDT sur le FOAT ne constituaient pas des délits relevant de la compétence du juge pénal français. Ils invoquent à nouveau le fait que les interventions sur le FOAT en cause ne relevaient pas de la compétence de l’AMF et considèrent que M. [I] ne pouvait pas ignorer que le raisonnement suivi par la Direction des enquêtes de l’AMF était erroné et qu’il en avait conscience lorsqu’il a adressé les notifications de griefs.

239.Ils estiment que la demande tendant à obtenir une somme additionnelle de 600 000 euros dans un tel contexte traduit une réelle intention de nuire. Ils indiquent que pour quantifier le préjudice causé par cet abus, ils ont adopté la même méthode que l’auteur du recours incident. Ils partent du constat selon lequel le président a intégré les interventions sur le FGBL (qui auraient permis à la société GDT de réaliser un profit de 726 000 euros), pour retenir des profits cumulés d’un peu plus d’un million d’euros, et proposer une sanction de 3 millions d’euros en multipliant le chiffre des profits par trois. Ils estiment que cette sanction reposait sur la prise en compte de la totalité des profits, générés à hauteur de 68 % par des interventions sur le FGBL et à hauteur du solde (32 % seulement) par des interventions sur le FOAT. Ils estiment que tout ce qui dépasse le montant réclamé rattachable aux seuls FOAT (soit 951 000 euros correspondant à 32 % du montant total requis par le président) peut être considéré comme excessif et disproportionné dès lors que M. [I] savait très bien que son réquisitoire prenait en compte des profits dégagés sur le FGBL, alors qu’aucun manquement correspondant n’avait été notifié aux requérants. C’est la raison pour laquelle, « pour rester dans le même ordre de grandeur », ils demandent, à titre reconventionnel, à recevoir la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts, en réparation de leur préjudice moral d’anxiété.

240.Le ministère public considère, en l’espèce, que la société GDT et M. [B] ne démontrent pas le caractère abusif du recours incident du président de l’AMF.

241.Il observe que le préjudice réparable doit être certain, que les requérants ne démontrent pas, ni ne justifient a minima par un certificat médical d’un préjudice effectivement subi par la personne physique et qu’en outre le montant des dommages-intérêts demandés s’appuie, contrairement au principe de réparation intégrale, sur celui de l’augmentation du montant de la sanction sollicitée par le président de l’AMF.

Sur ce, la Cour,

242.Il convient de rappeler, d’abord, que l’exercice d’une action en justice ne peut constituer un abus de droit que dans des circonstances particulières le rendant fautif.

243.Lorsqu’il exerce le recours visé à l’article L. 621-30, alinéa 3, du CMF, le président de l’AMF, qui agit après accord du collège, représente l’autorité de poursuite. Il lui est en conséquence loisible de définir la politique qui lui semble la mieux à même de protéger les intérêts publics qu’il défend concernant la mise en ‘uvre des recours formés contre une décision de sanction retenant un quantum inférieur à celui demandé par le collège. La circonstance qu’une ligne de conduite prévoit « en principe » l’engagement d’un recours incident dans une telle situation n’exclut pas toute appréciation in concreto sur l’opportunité d’exercer un tel recours et ne saurait induire de facto que l’action a été introduite de manière non raisonnée ou formée avec légèreté.

244.C’est d’ailleurs en considération d’éléments mentionnés dans la notification de griefs qui n’étaient pas contestés, concernant le fait « qu’entre le 1er juillet et le 13 octobre 2015, GDT intervenait de manière quasi systématique et dans le même sens à la fois sur le FOAT et le FGBL, ce qui s’explique par l’effet d’entrainement du FOAT sur le FGBL et réciproquement ([‘]) : les interventions sur l’un des deux instruments financiers contribuent aux variations de cours de l’autre » et que « les ordres passés concomitamment sur le FGBL et le FOAT participaient à une stratégie unique. Le profit total réalisé par GDT au cours des 207 séquences identifiées sur le FOAT (concomitantes à 78 séquences identifiées sur le FGBL) est estimé à 764 630 euros (336 920 euros + 427 710 euros) » (notification des griefs, pièce GDT n° 5, pages 5 et 6) et que les requérants n’avaient à dessein fourni aucun élément sur leur patrimoine, que le président de l’AMF a considéré que la gravité du comportement des mis en cause n’avait pas été apprécié par la Commission des sanctions à sa juste mesure, de même que leur situation patrimoniale réelle. Ces mêmes éléments figuraient également dans le rapport (pièce GDT n° 6, pages 18 et suivantes). Le recours entrepris n’était donc pas dépourvu de tout caractère sérieux.

245.La transmission du dossier au Procureur de la République Financier, le 12 février 2020, ne traduit par ailleurs aucun acharnement procédural, mais a pour objectif d’éviter un cumul de poursuites, en répondant aux exigences de l’article L. 465-3-6 du CMF, lequel prévoit que « III. – Avant toute notification des griefs pour des faits susceptibles de constituer un des délits mentionnés à la présente section, l’Autorité des marchés financiers informe de son intention le procureur de la République financier. Celui-ci dispose d’un délai de deux mois pour lui faire connaître son intention de mettre en mouvement l’action publique pour les mêmes faits et à l’encontre de la même personne. Si le procureur de la République financier ne fait pas connaître, dans le délai imparti, son intention de mettre en mouvement l’action publique ou s’il fait connaître qu’il ne souhaite pas y procéder, l’Autorité des marchés financiers peut procéder à la notification des griefs. ».

246.Le caractère abusif du recours ne saurait davantage résulter d’une erreur de droit ayant une incidence sur la compétence de la Commission des sanctions, serait-elle-même établie, née à l’occasion de l’application d’une disposition législative ou règlementaire dans des circonstances inédites.

247.N’ayant pas été à l’initiative du recours querellé, il est par ailleurs vain de rechercher la responsabilité de l’AMF au titre d’une action relevant des pouvoirs propres de son président, au seul motif qu’elle s’en est rapportée à la Cour sur les mérites du recours incident.

248.Enfin, outre l’absence de démonstration d’une faute, force est de constater que le montant des dommages-intérêts n’est pas rattaché à l’existence d’un préjudice subi, dans le respect du principe de réparation intégrale, mais sur un ratio appliqué à la somme supplémentaire que l’auteur du recours incident demandait à la Cour de mettre à leur charge.

249.Pour l’ensemble de ces motifs, la demande indemnitaire est rejetée et il n’y a donc pas lieu de faire application de l’article 32-1 du Code de procédure civile.

VI. SUR LES DEMANDES FONDÉES SUR L’ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ET SUR LES DÉPENS

250.La société GDT et M. [B] ont précisé à l’audience diriger leur demande de versement de 191 794,13 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile à l’encontre de l’AMF et de l’auteur du recours incident (pièces GDT n° 13 et 13 bis).

251.Les requérants succombant en leur recours, il y a lieu de rejeter leur demande et de laisser à chaque partie la charge de ses propres dépens

PAR CES MOTIFS

DÉCLARE recevable le recours de la société GDT et M.[B] en ce qu’il est dirigé concomitamment contre la décision de la Commission des sanctions n° 9 du 28 mai 2021 et celle de la commission spécialisée n° 1 du Collège de l’Autorité des marchés financiers du 20 décembre 2019 ;

DÉCLARE recevable le « mémoire complémentaire dans le cadre des recours contre la décision de la Commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers du 28 mai 2021 rendue à l’égard de la société Global Derivative Trading GmbH et de M. [C] [B] » déposé au greffe de la Cour le 30 janvier 2023 par la présidente de l’AMF ;

DÉCLARE recevables les demandes reconventionnelles présentées par la société GDT et M.[B] ;

REJETTE le recours formé par la société GDT et M.[B] ;

REJETTE le recours incident exercé par la présidente de l’AMF contre cette décision ;

REJETTE l’ensemble des demandes indemnitaires et reconventionnelles présentées par la société GDT et M.[B] ;

REJETTE la demande présentée par la société GDT et M.[B] sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

LAISSE à chaque partie la charge de ses propres dépens.

LA GREFFIÈRE,

Véronique COUVET

LA PRÉSIDENTE,

Frédérique SCHMIDT

 


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