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ARRET
N°
[X]
C/
S.A.S. ALKERN FRANCE
copie exécutoire
le 29 JUIN 2023
à
Me Broyon
Me Rumeaux
CPW/MR
COUR D’APPEL D’AMIENS
5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE
ARRET DU 29 JUIN 2023
*************************************************************
N° RG 22/03094 – N° Portalis DBV4-V-B7G-IPPT
JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE SOISSONS DU 02 JUIN 2022 (référence dossier N° RG F21/00065)
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
Madame [P] [X]
[Adresse 2]
[Localité 1]
représentée, concluant et plaidant par Me Ludovic BROYON de la SELARL LEFEVRE-FRANQUET ET BROYON, avocat au barreau de SOISSONS
ET :
INTIMEE
S.A.S. ALKERN FRANCE agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 4]
représentée par Me Hélène CAMIER de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS, postulant
concluant et plaidant par Me Cédric RUMEAUX, avocat au barreau de LILLE substitué par Me Frédérique PAILLET, avocat au barreau de LILLE
DEBATS :
A l’audience publique du 04 mai 2023, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, l’affaire a été appelée.
Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 29 juin 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :
Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :
Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,
Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,
Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,
qui en a délibéré conformément à la Loi.
PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :
Le 29 juin 2023, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.
*
* *
DECISION :
La société Alkern Nord faisait partie du groupe Alkern qui a une activité de fabrication et de distribution de produits dérivés du béton.
Suivant contrat de travail à durée indéterminée du 18 mai 1992, Mme [X] a été embauchée par la société Soprefa en qualité d’employée administrative. Son contrat de travail a été transféré courant 2010 à la société Alkern Nord (ci-après la société ou l’employeur). Au dernier état de la relation de travail, elle occupait un poste de référent administration du personnel au service des ressources humaines, niveau 5 échelon 2 sur le site de [Localité 3] Sologne de la société Alkern Nord.
La convention collective applicable est celle des ETAM industrie carrières et matériaux.
Par courrier du 7 octobre 2020 faisant suite à la décision du 27 mai 2020 d’une nouvelle organisation du service des ressources humaines et à un entretien avec la salariée du 15 septembre 2020, l’employeur a proposé à Mme [X] un transfert de son poste de [Localité 3] Salsogne à [Localité 4], modification de son contrat de travail qu’elle a refusée par courrier du 2 novembre suivant.
Le 12 novembre 2020 Mme [X] a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement.Son licenciement pour motif économique lui a été notifié le 15 décembre 2020 par lettre ainsi motivée :
« Depuis sa création en 2010, l’historique du Groupe ALKERN montre un développement basé sur une croissance externe vivace permettant une hausse du chiffre d’affaire de 122m€ en 2010 à 215,1m€ en 2019 sans pour autant démontrer de synergie en terme de résultat, la marge passant de 9,83% du CA en 2010 à 8,93% du CA en 2019.
La crise sanitaire liée à l’épidémie Covid-19 a généré en août 2020 le constat d’une baisse effective du CA de 12,5%, de tendances à -15% pour l’activité de notre secteur en 2020 et de forte inquiétude sur le secteur du TP et du Bâtiment pour 2021.
Cette période oblige le Groupe à revoir sa stratégie laquelle le Comité de Groupe a été consulté le 6 octobre 2020. Toujours à l’écoute des opportunités de croissance externe, l’entreprise se recentre néanmoins également sur les synergies organiques pour sauvegarder sa compétitivité. Dans ce cadre, des projets importants ayant le double objectif de permettre le développement du CA et d’améliorer l’efficacité de l’organisation sont en cours : Création de la société Alkern France par fusion des entités d’exploitation du Groupe, réorganisation de la direction financière, adaptation de la politique commerciale, réorientation de la force de vente, transformation de la relation client.
Le Groupe ALKERN est donc dans la situation de rechercher l’ensemble des solutions qui lui permettrait de sauvegarder sa compétitivité notamment de prendre en considération toutes les opportunités d’améliorer son efficacité interne.
La Direction des Ressources Humaines, en charge d’enjeux importants de transformations fondamentales du Groupe autour de modifications de l’organigramme juridique, de réorganisations internes et d’accompagnement du changement, s’est réorganisée pour répondre aux obligations qui lui reviennent. Cette nouvelle organisation, communiquée fin mai 2020 et dont la mise en place s’est achevée début septembre compte tenu du confinement et de ses contraintes pour pouvoir être pleinement opérationnelle afin de préparer la fusion des entités juridiques du groupe au 1er janvier 2021, a prévu :
La mise en place de pilotes de processus et de services centraux en charge de structurer, de compléter et de mesurer l’efficacité des processus RH (recruter, former, évaluer administrer, rémunérer, représenter) et de manager l’accompagnement RH des projets d’entreprise.
La mise en place d’un service de développement des Ressources Humaines répondant aux besoins évidents de développement des compétences, de recrutement pour lesquels l’organisation antérieure n’était pas satisfaisante et pour lesquels, compte tenu des projets du Groupe, il devenait urgent de répondre.
La séparation du métier de Paye/Administration du Personnel et du métier de responsable RH, les premiers se concentrant sur leur expertise technique, les seconds sur le déploiement des politiques RH de l’entreprise sur l’ensemble de nos sites.
Dans ce contexte d’évolutions lié à la nécessité de transformer l’entreprise pour en sauvegarder la compétitivité, votre poste s’avère devoir être modifié. Ce dernier consistait à mener des tâches de comptabilité (pour 30% de vos occupations) et d’administration du Personnel (pour 70% de vos occupations), l’ensemble limité au périmètre de la société ALKERN NORD.
En ce sens, votre poste était affecté à la Direction des Ressources Humaines au service Administration/Paye et la réorganisation de la Direction financière a amené à la réaffectation de vos tâches comptables à d’autres acteurs au sein de cette direction dans une logique de transversalité liée à la création d’une société d’exploitation nationale.
Parallèlement, la disparition annoncée du périmètre de la société ALKERN Nord (cette dernière fusionnant dans la société nationale ALKERN France au 1er janvier 2021) et votre spécialisation en matière d’administration du Personnel sans expertise Paye (cette dernière étant réalisée par Mme [W] qui se situait à vos côtés à [Localité 3] avant son départ en retraite en juillet 2020) ne permet pas que vos tâches d’administration du personnel soient maintenues sur un périmètre partiel. Pour cette raison nous vous avons demandé de travailler ponctuellement sur le périmètre national (gestion de l’activité partielle, bilan formation…).
La fusion de nos entreprises devenant effective au 1er janvier 2021, il nous est impossible désormais de pérenniser au long cours un fonctionnement à distance qui ne permet aucun travail d’équipe au quotidien, ni aucun management de proximité et qui génère d’éventuelles problématiques de sécurité liées à votre isolement sur votre lieu de travail. Nous vous avons proposé par conséquent le transfert de votre poste de travail sur le site de [Localité 4] en date du 7 octobre 2020.
Par courrier en date du 2 novembre vous avez refusé cette proposition et nous avez demandé de renoncer à ce transfert. Ne pouvant répondre favorablement, nous vous avons convoquée à un entretien préalable le 30 novembre. Entretien au cours duquel vous nous avez indiqué :
Etre titulaire d’un BAC G et d’un BTS Bureautique/secrétariat, Avoir des compétences Word, Excel, Un peu sur Power Poàint et que vous connaissiez notre système AS400
Que vous n’accepteriez pas de proposition de reclassement à plus de 40 kms de votre
périmètre actuel de travail, limitant de fait la recherche à l’établissement de [Localité 3], voire [Localité 5] mais sans certitude de votre part,
Que vous accepteriez une offre de reclassement si cette dernière prévoyait une baisse de rémunération mais dans la limite de 5% de votre rémunération actuelle
Que vous accepteriez une offre de reclassement avec un statut inférieur car votre priorité
portait plus sur la rémunération
Que vous ne souhaitiez pas de temps partiel.
Dans ce contexte, vous avez indiqué que vous refusiez les 2 offres de reclassement qui vous ont été faites, avant avoir eu connaissance de ces positionnements, à savoir :
Un poste de comptable fournisseur sur [Localité 4] (59)
Un poste d’assistante administration des ventes sur [Localité 6] (47).
Il vous a été confirmé qu’à ce jour aucun poste n’était disponible ni sur l’établissement de [Localité 3], ni sur celui de [Localité 5].
Nos démarches de reclassement ne pouvant aboutir, nous sommes donc amenés à vous notifier votre licenciement.»
Contestant la légitimité et la régularité de son licenciement, Mme [X] a saisi le conseil de prud’hommes de Soissons le 12 juillet 2021, qui,par jugement du 2 juin 2022, l’a déboutée de toutes ses demandes, qui étaient de dire que son licenciement est dépourvu de motif économique et non justifié par une cause réelle et sérieuse comme exigé par l’article L.1233-2 du code du travail, que son licenciement n’est pas individuel et que la procédure n’a pas été respectée, que son licenciement est verbal et l’offre de reclassement irrégulière, et en conséquence, de condamner la société à lui verser diverses sommes pour irrégularité de la lettre de convocation, pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse, pour l’irrégularité de la procédure (article L.1235-12 du code du travail), et au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre la condamnation de l’employeur aux dépens.
Le 22 juin 2022, Mme [X] a interjeté appel de ce jugement en toutes ses dispositions.
Dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 22 février 2023, elle demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau de :
– requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société à lui verser :
50 740 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
10 000 euros pour non respect de la consultation du comité économique et social ;
– subsidiairement, condamner la société à lui verser 2 537 euros à titre de dommages et intérêts pour irrégularité de la procédure ;
– en tout état de cause, condamner la société à lui verser 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.
Dans ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 12 décembre 2022, la société Alkern France venant aux droits d’Alkern Nord demande à la cour de confirmer le jugement entrepris et y ajoutant, de condamner la salariée à lui payer 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens de première instance et d’appel.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 19 avril 2023.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS :
Sur le bien fondé du licenciement
– Sur le motif économique
Mme [X], qui sollicite l’infirmation de la décision déférée, conteste la réalité du motif économique avancé par l’employeur en soutenant en substance que la réorganisation voulue de l’entreprise n’était pas justifiée par ses difficultés mais était uniquement le résultat d’un choix raisonnable de la direction de se préparer avant la fusion, destiné à une amélioration du fonctionnement dans le cadre de rachats multipliés d’entreprises par le groupe ; que les documents produits par la société ne démontrent pas une situation nécessitant son licenciement alors que la situation économique de la société était excellente jusque fin 2019 et que si les bilans de 2019 et 2020 montrent que la baisse de chiffre d’affaires de 15% alléguée n’est pas avérée, et qu’il est plutôt constaté un progrès de 5,20% avec une progression de la marge brute de 60% et un bénéfice avant impôt en augmentation qui ne s’explique pas uniquement par l’absorption de la société Alkern Lepaire ; que la société qui compte plus de 1 200 salariés ne justifie donc pas, en août 2020, d’une baisse de son chiffre d’affaires ou de son activité durant 4 trimestres consécutifs comme exigé par les textes alors que les nombreux rachats de sociétés concurrentes démontrent la bonne santé du groupe Alkern ; que l’impact du Covid 19 n’est pas un élément pertinent alors que la réorganisation du service des ressources humaines avait débuté en mars 2020 alors que la situation économique était excellente, et donc avant les effets de la crise sanitaire ; qu’en réalité, la baisse d’activité et le chiffre d’affaires de l’employeur est dû au confinement qui a eu lieu entre mars et mai 2020, mais dès la fin de cette période, l’entreprise a repris normalement son activité et a retrouvé son chiffre d’affaires ; qu’en tout état de cause, l’employeur ne justifie pas des difficultés économiques du groupe Alkern ; que l’argument relatif à une inquiétude pour l’année 2021, est irrecevable, dès lors qu’il s’agit uniquement d’éventuelles difficultés financières futures qui au demeurant se sont révélées infondées au regard des déclarations des dirigeants du groupe dans la presse dont il ressort au contraire que le groupe a continué à se développer.
La société réplique en substance que la sauvegarde de la compétitivité à l’égard de Mme [X] à l’occasion de son refus d’accepter une modification de son contrat de travail dans le cadre d’une réorganisation mise en oeuvre à la fin de l’année 2020 et non dans le cadre d’un licenciement pour suppression de poste qui n’avait jamais été envisagée ; que pour obtenir une meilleure efficacité, il est apparu nécessaire de centraliser au siège de l’entreprise la globalité de l’équipe ; qu’elle a subi une baisse inquiétante de son chiffre d’affaires sur l’année 2020 ; que la comparaison entre l’année 2020 et 2019 doit être faite au regard de l’absorption au 1er janvier 2020 de la société Alkern Lepaire par la société Alkern Nord ; que dans ses domaines d’activité, ses concurrents sont tous des grosses sociétés, et que pour exister, il est nécessaire de réaliser une croissance externe par le rachat d’autres entreprises ; que faire des opérations de croissance externe n’est donc nullement un signe d’excellente santé financière comme le prétend la salariée, étant souligné que les communications dans la presse ne sont pas pertinentes dès lors qu’elles se font plutôt sur des projets positifs que sur des difficultés ; que si la réorganisation a été pensée début 2020, c’était dans l’optique de constituer une seule société et donc une dynamisation et une optimisation du fonctionnement ; que le comité de groupe a été informé et consulté pour un projet à finaliser au 1er janvier 2021, mais l’impact du Covid a amené l’entreprise à se réorganiser pour sauvegarder sa compétitivité et plus globalement pour permettre au secteur d’activité du groupe de sauvegarder sa compétitivité, dès lors que les éléments chiffrés mettent en avant, pour la société Alkern Nord en 2020 une nette dégradation de sa situation ; que ce projet a été soumis à l’information/consultation du comité économique et social de la société Alkern Nord dans sa partie réorganisation et sauvegarde de la compétitivité, qui a généré 9 avis favorables sur 10 votes, démontrant ainsi une adhésion massive des membres du comité à ce projet et leur conscience des difficultés et de la nécessité d’une telle sauvegarde.
Sur ce,
La légitimité d’un licenciement économique consécutif au refus du salarié d’accepter la proposition de modification de son contrat de travail qui lui a été faite suppose établi le motif économique invoqué comme cause de la modification du contrat, à défaut de quoi le licenciement consécutif au refus d’acceptation de la modification par le salarié est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
La lettre de licenciement qui invoque une réorganisation (tout en précisant son incidence sur l’emploi ou le contrat de travail du salarié) satisfait aux exigences légales de motivation et ouvre le champ des justifications économiques susceptibles d’être invoquées en cas de contestation lors du débat probatoire et qu’il appartiendra au juge de contrôler, à savoir difficultés économiques, mutations technologiques ou nécessité de sauvegarder la compétitivité menacée de l’entreprise ou du groupe dans son secteur d’activité.
Aux termes de l’article L.1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique tel qu’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient situées sur le territoire national, sauf fraude.
Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits, biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché.
En l’espèce, le groupe Alkern a entendu réorganiser ses structures ressources humaines concernant 13 établissements dont la société Alkern Nord, afin de préparer une unification des pratiques, règles et usages de gestion des personnels qui différaient suivant les sites, et ce en vue d’une fusion devant intervenir en janvier 2021.
Le 24 juillet 2020, une note informait le personnel du projet de réduire la complexité des structures en une seule société ainsi que la négociation des règles de gestion des temps de travail avec des structures de représentation du personnel unique pour tous les sites à compter de janvier 2021.
Il ressort également du procès verbal de réunion du comité économique et social extraordinaire de l’UES Alkern Nord du 8 juillet 2020, que Mme [Y], directrice des ressources humaines, a précisé que «la réorganisation de la direction financière doit intervenir avant la réorganisation juridique du groupe pour anticiper la prise en charge du groupe fusionné au 1er janvier 2021» résulte d’un «choix raisonnable de la direction de se préparer avant la fusion», et que «le but de la réorganisation juridique est d’unifier le groupe.»
Il ne résulte d’aucun des documents produits que la suppression du poste de travail de Mme [X] était alors envisagée, étant souligné que le conseil de prud’hommes a exactement précisé que le 27 mai 2020, la note d’organisation de la direction des ressources humaines montre que la salariée figure bien sur l’organigramme contrairement aux affirmations de Mme [W] dans son attestation qui n’est corroborée par aucun autre élément et qui est ainsi dépourvue de valeur probante.
Toutefois, si une réorganisation de l’entreprise peut constituer une cause économique de licenciement, cette réorganisation ne doit pas être justifiée par le seul souci d’améliorer le fonctionnement de l’entreprise, mais être indispensable à la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ou du secteur d’activité du groupe auquel elle appartient, ce qui suppose démontré que cette compétitivité soit menacée et que l’organisation existante de l’entreprise soit impuissante à y pallier.
La société employeur ne contestant pas appartenir à un groupe, les difficultés économiques comme la nécessité de sauvegarder la compétitivité doivent s’apprécier au niveau du secteur d’activité commun à la société Alkern Nord et aux entreprises du groupe Alkern auquel elle appartient.
C’est dès lors avec pertinence que Mme [X] souligne que dans ses conclusions et pièces, la société intimée se focalise étonnamment sur les seuls éléments concernant la société Alkern Nord.
Le motif économique du licenciement de Mme [X] porte d’ailleurs précisément la situation du groupe Alkern.
La lettre de licenciement précise que la rupture du contrat de travail de Mme [X] est motivée par le fait que notamment depuis sa création en 2010, l’historique du groupe montre un développement basé sur une croissance externe vivace permettant une hausse du chiffre d’affaires de 122m€ en 2010 à 215,1m€ en 2019 sans pour autant démontrer de synergie en terme de résultat, la marge passant de 9,83% du CA en 2010 à 8,93% du CA en 2019, en expliquant que la période liée aux risques sanitaires a obligé le groupe à revoir sa stratégie, le groupe Alkern étant dans la situation de rechercher l’ensemble des solutions qui lui permettrait de sauvegarder sa compétitivité notamment de prendre en considération toutes les opportunités d’améliorer son efficacité interne.
La consultation/information sur le projet de réorganisation juridique du groupe Alkern du comité économique et social du 9 juin 2020 produite par la société, évoque d’ailleurs la nécessité de sauvegarder la compétitivité du groupe dans un contexte économique 2020 dégradé, en détaillant l’historique du groupe de 2010 à 2020 et l’évolution du chiffre d’affaires, de l’excédent brut d’exploitation et de la marge entre 2010 et 2019, puis entre 2018 et 2020, puis les prévisions budgétaires pour 2020 pour le groupe.
Or, alors que les difficultés économiques de l’entreprise comme du groupe doivent être établies de façon objective, notamment par la production des bilans, de documents comptables officiels, de liasses fiscales, d’éléments chiffrés relatifs au secteur d’activité et à l’évolution du marché du bâtiment, sur l’évolution des prix, ou autre, et malgré les contestations adverses, l’employeur se contente d’affirmations sans l’appui du moindre document comptable ni d’aucun document de nature à justifier tant l’existence de difficultés économiques au niveau de la société et du groupe que d’une menace pesant sur la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont relève la société Alkern Nord ayant nécessité en janvier 2021 la nécessité de la réorganisation envisagée dès mars 2020 en vue d’une sauvegarde de la compétitivité du groupe prouvant du fait d’une anticipation des risques et le cas échéant des difficultés à venir. Les seules pièces comptables produites sont les comptes de résultat 2021 de la société Alkern Nord et 2020 de la société Alkern Lapaire (absorbée par la société Alkern en janvier 2020) qui sont à ce titre tout à fait insuffisantes.
La société intimée ne produit pas non plus d’éléments sur une évolution de ses parts de marchés par rapport à ses concurrents au cours des années qui ont précédé le licenciement, ou de nature à démontrer la réalité d’une concurrence accrue en 2020 ou à venir en 2021.
Rien ne démontre d’ailleurs que les résultats du groupe ne lui permettaient pas d’investir et d’innover pour maintenir une position concurrentielle. Il en va de même de ceux de la société Alkern Nord au regard du seul compte de résultat 2021 produit qui démontre une augmentation du chiffre d’affaires comme du bénéfice avant impôts en 2020.
S’agissant de la société Alkern Nord, il ressort même du procès verbal de la réunion du comité économique et social Alkern Nord du 14 octobre 2020 produit par l’employeur, que le président a souligné que « la stratégie de croissance externe est importante pour Alkern car c’est grâce à elle que l’on a pu sauvegarder notre capacité d’investissement. Elle n’est d’ailleurs pas réalisée à l’exclusion de la croissance interne : nous avons racheté le fonds de commerce de Petit ville, réinvesti dans une rectifieuse sur Tourville et désormais ces produits font 60% du site de Tourville. Il s’agit bien, en termes de politique industrielle de trouver des synergies entre ces deux voies.», et a répondu à la question «pourquoi continue t on à faire des investissements sur des marchés non porteurs, par exemple les rectifieuses sur un marché en blocen décroissance’» que «C’est faux, là où on a investi dans des rectifieuses, le marché du bloc est en croissance. La croissance de notre chiffre d’affaires, de nos parts de marché et de nos résultats préservent nos capacités d’investissement.» Il ressort également de ce document que la société, en sortie de confinement et donc dès avant le licenciement de Mme [X], a «bénéficié d’un afflux de commande à un rythme inédit.»
S’agissant du groupe, il ressort des coupures de presse produites par Mme [X] et en particulier de l’article du 2 mars 2021 sur batiweb que «si la crise sanitaire liée au Covid 19 a eu des conséquences directes sur le secteur de la construction : la plupart des chantiers ont été à l’arrêt pendant plusieurs semaines. Pourtant, le groupe Alkern reprend rapidement ses activités. En effet, dès le 24 mars, une semaine seulement après l’annonce du premier confinement, Alkern reprend ses livraisons et redémarre progressivement ses activités», le président du groupe ayant notamment déclaré que «(…) 2020 a été une année «inattendue». En effet, de juin à décembre Alkern a vu son activité aménagement extérieur progresser de +20% par rapport à 2019. (…) Même constat pour l’activité bâtiment du groupe, puisqu’elle enregistre +10% en 2020. «Nous avons rattrapé le retard des chantiers arrêtés, mais surtout il y a eu une bonne dynamique de ventes sur le second trimestre de l’année». (…) », la société intimée ne produisant pas le moindre élément contredisant ces propos ainsi tenus par la direction du groupe.
Il ne résulte d’aucun des documents produits que la crise sanitaire liée à l’épidémie Covid-19 a, comme l’indique l’employeur dans la lettre de licenciement, généré en août 2020 le constat d’une baisse effective du chiffre d’affaires « de 12,5%, de tendances à -15% pour l’activité de notre secteur en 2020 et de forte inquiétude sur le secteur du TP et du Bâtiment pour 2021.»
De plus, même à se contenter des chiffres figurant dans le compte rendu de l’information/consultation du comité économique et social en juin 2020, il demeure qu’ils ne démentent pas ces propos d’une bonne santé du groupe malgré la période de crise sanitaire. Alors que trois situations peuvent être qualifiées de difficultés économiques, à savoir l’évolution significative d’une baisse des commandes ou du chiffre d’affaires, des pertes d’exploitation (s’agissant d’un résultat d’exploitation négatif), ou d’une dégradation de la trésorerie ou de l’excédent brut d’exploitation, il ressort néanmoins des éléments indiqués au comité économique et social, dont certains sont repris dans la lettre de licenciement (la baisse de la marge), que :
– le chiffre d’affaires du groupe est passé de 122 Keuros en 2010 à 215,1 en 2019, est passé de façon détaillée de 189,6 en 2018 (réalisé) à 215,1 en 2019 (réalisé) et 233,3 en 2020 (budgété) et apparait donc en constante augmentation depuis 2018 ;
– il n’est évoqué aucune baisse des commandes ou perte de marché au niveau du secteur d’activité commun à la société Alkern Nord et aux entreprises du groupe Alkern auquel elle appartient ;
– il n’est pas non plus précisé une évolution négative significative du résultat d’exploitation du groupe Alkern ;
– l’excédent brut d’exploitation du groupe est passé de 12 Keuros en 2010 à 19,2 en 2019, est passé de façon détaillée de 18,4 en 2018 (réalisé) à 19,2 en 2019 (réalisé) et 20,5 en 2020 (budgété) et apparait donc en constante augmentation depuis 2018.
Ainsi, la seule marge du groupe passée de 9,70% en 2018, à 8,93% en 2019 et budgétée à 8,79% en 2020, mise en avant dans la lettre de licenciement, n’est pas un indicateur pertinent pour démontrer tant l’existence de difficultés économiques au niveau de la société comme du groupe que l’existence d’une menace pesant sur la compétitivité du secteur d’activité du groupe dont relève la société Alkern Nord nécessitant, en décembre 2020, au moment de la notification du licenciement ou en janvier 2021 au moment de la fusion programmée entre plusieurs sociétés du groupe dont la société Alkern Nord, une anticipation des risques et le cas échéant des difficultés à venir en 2021. Au demeurant son évolution n’est pas suffisamment importante et durable à la date du licenciement, et n’est pas même significative au regard de l’importance du groupe et de l’absence de tout autre élément alors qu’il est indiqué dans le compte rendu que de mars à mai 2020 la marge est de 8,9% (réel) et est ainsi supérieure à celle prévisionnelle pour l’année 2020.
Dans ces conditions, il résulte de l’analyse de la situation que la réorganisation litigieuse répondait moins à une nécessité économique qu’à une volonté du groupe d’harmoniser des pratiques entre ses sociétés et de privilégier son niveau de rentabilité, ce qui, même s’il s’agit d’une volonté cohérente et légitime, ne peut constituer un motif économique justifiant un licenciement.
Par voie de conséquence, sans qu’il soit utile d’examiner les autres moyens et arguments développés par les parties notamment sur le reclassement, la cour retient sur la base des éléments ci-dessus exposés, que le licenciement économique est privé de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé de ce chef et en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire.
Compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant mensuel moyen de la rémunération de Mme [X] (2 537 euros), de son âge au moment de la rupture (pour être née le 16 septembre 1967), de son ancienneté de près de 29 ans, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation, à son expérience professionnelle et aux actions personnalisées pour faciliter le retour à l’emploi dont elle a bénéficié au titre du congé reclassement qu’elle a accepté, la cour retient que l’indemnité à même de réparer intégralement le préjudice de la salariée est de 35 518 euros, soit un montant correspondant à 14 mois de salaire, en application de l’article L.1235-3 du code du travail qui prévoit une indemnité minimale de 3 mois de salaire et une indemnité maximale de 20 mois.
– Sur l’absence de consultation du comité économique et social
Mme [X] sollicite l’infirmation du jugement déféré en ce qu’il a rejeté sa demande indemnitaire résultant de l’absence de consultation du comité économique et social par l’employeur, en faisant valoir en substance que la société ayant licencié plusieurs salariés à la suite de la réorganisation de l’entreprise, il s’agit d’un licenciement collectif au sens de l’article L.1233-26 du code du travail et que dès lors les représentants du personnel auraient dû être consultés, ce qui n’a pas été le cas ; que lors de la consultation du comité économique et social le 14 octobre 2020, son licenciement n’a pas été abordé et la consultation est donc irrégulière ; qu’en l’absence de respect de la procédure de consultation ouvre droit au salarié à une indemnisation complémentaire qu’elle est donc fondée à solliciter en réparation du préjudice subi.
La société Alkern Nord réplique en substance qu’il résulte du procès verbal de la réunion du comité économique et social du 6 octobre 2020 qu’elle ne prévoyait pas de suppression de poste, et qu’il n’y en a pas eu, étant rappelé que le licenciement de Mme [X] est dû à son refus d’une proposition de modification de son contrat de travail et non à la suppression de son poste de travail ; que Mme [X] a été la seule salariée au sein de la société à avoir été licenciée pour motif économique sur une période de 30 jours et il n’y a donc pas de licenciement économique ; que dans ces conditions, la consultation du comité économique et social telle qu’elle a été opérée est parfaitement régulière et elle a respecté la totalité de ses obligations ; qu’en tout état de cause, Mme [X] ne fait pas état d’un préjudice lié à cette prétendue méconnaissance de la réglementation au moment du licenciement, préjudice qui doit nécessairement être distinct de celui lié à la rupture du contrat de travail.
Sur ce,
En vertu de l’article L.1233-8 du code du travail, dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, l’employeur envisageant de licencier moins de 10 salariés dans une même période de 30 jours doit, sous peine de délit d’entrave, réunir et consulter le comité social et économique sur ce projet.
L’article L.1233-10 du code du travail impose par ailleurs à l’employeur d’adresser aux représentants du personnel, avec la convocation à la réunion prévue à l’article L. 1233-8 précités, tous renseignements utiles sur le projet de licenciement collectif, et d’indiquer la ou les raisons économiques, financières ou techniques du projet de licenciement, le nombre de licenciements envisagé, les catégories professionnelles concernées et les critères proposés pour l’ordre des licenciements, le nombre de salariés, permanents ou non, employés dans l’établissement, le calendrier prévisionnel des licenciements et les mesures de nature économique envisagées.
L’article L.1235-12 du même code prévoit qu’en cas de non-respect par l’employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d’information de l’autorité administrative, le juge accorde au salarié compris dans un licenciement collectif pour motif économique une indemnité à la charge de l’employeur calculée en fonction du préjudice subi.
En l’espèce, Mme [X] évoque le licenciement de plusieurs salariés sans évoquer le licenciement de plus de 10 salariés, et en tout état de cause sans offre de preuve de la multiplication des licenciements et sans la moindre précision de dates, alors qu’il ne ressort pas des documents produits de part et d’autre que plusieurs licenciements seraient intervenus dans une même période de 30 jours. Il résulte d’ailleurs au contraire de l’information communiquée à l’autorité administrative le 21 décembre 2020, postérieurement à la notification du licenciement de Mme [X], qu’il s’agissait d’un licenciement individuel.
Aucune irrégularité de procédure de consultation des représentants du personnel engageant la responsabilité de l’employeur à l’égard de la salariée ayant fait l’objet d’un licenciement pour motif économique à raison du préjudice subi ne saurait donc être retenue, étant en outre souligné que la preuve d’un quelconque préjudice fait également défaut. Mme [X] doit en conséquence, par voie de confirmation, être déboutée de sa demande de dommages et intérêts.
Sur le remboursement des indemnités à Pôle emploi
Les conditions étant réunies en l’espèce, il convient de condamner la société Alkern Nord à rembourser au Pôle emploi les indemnités de chômage versées à Mme [X] dans la proportion de six mois en application de l’article L.1235-4 du code du travail.
Sur les autres demandes
Le sens du présent arrêt conduit à infirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.
La société Alkern Nord succombant au principal, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel.
Il ne serait pas équitable de laisser à la charge de Mme [X] les frais qu’elle a dû exposer en première instance et en cause d’appel, et qui ne sont pas compris dans les dépens et il convient donc de lui allouer une somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu’il a rejeté la demande indemnitaire de Mme [X] au titre de l’absence de consultation du comité économique et social ;
Confirme le jugement entrepris de ce seul chef ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société Alkern France à verser à Mme [X] la somme de 35 518 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Ordonne le remboursement par la société Alkern Nord au profit de Pôle emploi des allocations versées à Mme [X] dans la limite de six mois d’indemnités ;
Condamne la société Alkern France à verser à Mme [X] 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Alkern France aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.