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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
QUATRIÈME CHAMBRE CIVILE
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ARRÊT DU : 25 OCTOBRE 2023
N° RG 21/05526 – N° Portalis DBVJ-V-B7F-MLBH
S.A. GRISEL
c/
S.A. JYC
Nature de la décision : AU FOND
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 15 juillet 2021 (R.G. 2021F00279) par le Tribunal de Commerce de BORDEAUX suivant déclaration d’appel du 06 octobre 2021
APPELANTE :
S.A. GRISEL, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 3]
représentée par Maître Thomas PERINET de la SELAS OPTEAM AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX et assistée par Maître Guillaume ACHOU-LEPAGE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉE :
S.A. JYC, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège sis, [Adresse 4]
représentée par Maître Nicolas ROTHE DE BARRUEL de la SELARL AUSONE AVOCATS, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 juin 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Sophie MASSON, Conseiller chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Monsieur Jean-Pierre FRANCO, Président,
Madame Sophie MASSON, Conseiller,
Madame Marie GOUMILLOUX, Conseiller,
Greffier lors des débats : Monsieur Hervé GOUDOT
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du Code de Procédure Civile.
EXPOSE DU LITIGE :
La société anonyme Grisel, qui exerce une activité commerciale dans le secteur de l’immobilier, a acquis en l’état futur d’achèvement auprès de la société civile de construction vente Les Portes du Médoc un ensemble immobilier situé à [Localité 5] (Gironde), ce par acte authentique du 15 mai 2013.
La société Les Portes du Médoc avait elle-même, le 14 mars précédent, acheté cet immeuble à la société anonyme JYC, laquelle est également propriétaire d’un ensemble immobilier voisin au sein duquel elle exploite un supermarché à l’enseigne Intermarché avec galerie commerciale.
Par contrat du 17 juillet 2020, la société Grisel a donné à bail à la société Les Halles de Lalibert un local commercial situé au sein de l’ensemble immobilier acquis le 15 mai 2013 aux fins d’exploitation d’un commerce de vente de produits alimentaires.
Par courrier en date du 24 novembre 2020, la société JYC a mis en demeure la société Grisel de « faire cesser immédiatement et par tous moyens le trouble manifestement illite résultant de l’activité de vente alimentaire des Halles de Lalibert sur les parcelles de terrain vendues et ce sous huitaine ».
La société JYC a saisi le juge des référés du tribunal de commerce de Bordeaux par assignation délivrée le 11 décembre 2020 à la société Grisel.
Le juge des référés a, par ordonnance du 9 mars 2021, retenu l’existence d’une contestation sérieuse et a renvoyé l’affaire au fond en application des dispositions de l’article 873-1 du code de procédure civile.
Par jugement prononcé le 15 juillet 2021, le tribunal de commerce a statué ainsi qu’il suit :
– rejette l’exception d’incompétence soulevée par la société Grisel et se déclare compétent ;
– déboute la société Grisel de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions ;
– condamne la société Grisel à mettre fin au bail de location des locaux de la société Les Halles de Lalibert dans un délai de 6 mois à compter de la signification du présent jugement et sous astreinte de 2.000 euros par jour passé ce délai ;
– condamne la société Grisel à payer à la société JYC la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit que l’exécution provisoire est de droit.
La société Grisel a relevé appel de cette décision par déclaration au greffe du 6 octobre 2021.
***
Par dernières conclusions notifiées le 5 janvier 2022, la société Grisel demande à la cour de :
Vu les articles 686,1188 et 1191 du code civil,
Vu l’article L341-2 du code du commerce,
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
– réformer le jugement rendu le 15 juillet par le tribunal de commerce de Bordeaux en ce qu’il a :
-débouté la société Grisel de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions,
-condamné la société Grisel à mettre fin au bail de location des locaux de la société Les Halles de Lalibert dans un délai de 6 mois à compter de la signification du jugement et sous astreinte de 2.000 euros par jour passé ce délai,
-condamné la société Grisel à payer à la société JYC la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
-condamné la société Grisel aux dépens de l’instance ;
Puis statuant à nouveau,
– débouter la société JYC de toutes ses demandes, fins et conclusions ;
– condamner la SA JYC au paiement d’une somme de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner la SA JYC aux dépens.
***
Par dernières écritures notifiées le 4 avril 2022, la société JYC demande à la cour de :
Vu les articles 686, 1156,1157 et 1165 du code civil dans leur rédaction applicable à l’espèce,
Vu l’article L. 131-1 alinéa 1er du code des procédures civiles d’exécution,
– débouter la société Grisel de toutes ses demandes, fins et prétentions ;
– confirmer le jugement entrepris par le tribunal de commerce de Bordeaux en date 15 juillet 2021 en toutes ses dispositions ;
– condamner, au titre de la procédure d’appel, la société Grisel à payer à la société JYC une indemnité de 5.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens d’appel.
***
L’ordonnance de clôture est intervenue le 24 mai 2023.
Pour plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est, par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, expressément renvoyé à la décision déférée et aux dernières conclusions écrites déposées.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
1. L’article L.341-2 du code de commerce dispose :
« I.-Toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats mentionnés à l’article L. 341-1, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite.
II.-Ne sont pas soumises au I du présent article les clauses dont la personne qui s’en prévaut démontre qu’elles remplissent les conditions cumulatives suivantes :
1° Elles concernent des biens et services en concurrence avec ceux qui font l’objet du contrat mentionné au I ;
2° Elles sont limitées aux terrains et locaux à partir desquels l’exploitant exerce son activité pendant la durée du contrat mentionné au I ;
3° Elles sont indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre du contrat mentionné au I ;
4° Leur durée n’excède pas un an après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats mentionnés à l’article L. 341-1.»
L’article 686 du code civil énonce :
« Il est permis aux propriétaires d’établir sur leurs propriétés, ou en faveur de leurs propriétés, telles servitudes que bon leur semble, pourvu néanmoins que les services établis ne soient imposés ni à la personne, ni en faveur de la personne, mais seulement à un fonds et pour un fonds, et pourvu que ces services n’aient d’ailleurs rien de contraire à l’ordre public.
L’usage et l’étendue des servitudes ainsi établies se règlent par le titre qui les constitue ; à défaut de titre, par les règles ci-après.»
2. Au visa de ces textes, l’appelante fait grief au jugement déféré de l’avoir condamnée à mettre fin au bail commercial conclu avec la société Les Halles de Lalibert. La société Grisel soutient que ne lui est pas opposable la clause de non concurrence dont la société JYC demande l’application ; elle fait valoir qu’il s’agit d’une obligation personnelle présentant un caractère perpétuel et qu’elle est illicite.
3. L’intimée répond que la stipulation litigieuse organise une servitude de non concurrence à la charge du fonds servant constitué des parcelles acquises par la société Grisel et au bénéfice du fonds dominant sur lequel la société JYC exploite un supermarché, qui donne naissance à une obligation réelle dont il est constant qu’elle peut être perpétuelle.
4. Il faut relever tout d’abord que la société JYC a, le 14 mars 2013, cédé à la société civile de construction vente Les Portes du Médoc un ensemble immobilier situé à [Localité 5] parcelles cadastrées EH [Cadastre 1] à [Cadastre 2], avec la mention suivante expressément insérée aux pages quatre et cinq de l’acte authentique reçu par Maître [D] :
« Le vendeur expose qu’il exerce son activité de supermarché avec galerie marchande dans un bâtiment de 4.975 m² de SHON sur un site de plusieurs hectares (…)
L’acquéreur s’interdit d’exploiter directement ou indirectement, de louer, de donner à bail à construction, pour les activités suivantes :
– tout commerce alimentaire et de vente de produits alimentaires (…)
L’acquéreur s’obligeant, en cas de vente des parcelles, en tout ou en partie, ou des immeubles construits sur lesdites parcelles, à faire reprendre dans tous actes les obligations ci-dessus mentionnées, par son successeur et ayants-cause, ce dernier devant également les reprendre en cas de cession étant précisé que cette clause, relative aux activités prohibées est une clause essentielle de la cession sans laquelle le vendeur n’aurait pas contracté.
Les parties dispensent le notaire soussigné de procéder à la publication de la présente clause de non concurrence au service de la publicité foncière compétent.»
Egalement, l’acte portant état descriptif de division et règlement de copropriété, établi par Maître [Y] le 16 avril 2013, mentionne en page 8 et 9 cette clause de non concurrence.
Par la suite, l’acte authentique reçu le 15 mai 2013 par Maître [D] par lequel la société Les Portes du Médoc vend à la société Grisel les parcelles EH [Cadastre 1] et EH [Cadastre 2] reprend en pages quinze et seize, dans les mêmes termes, la stipulation citée ci-dessus, la seule différence portant sur la désignation de la société JYC, ici dénommée le ‘précédent propriétaire’.
Le règlement de copropriété du 16 avril 2013 est visé en page cinq de cet acte authentique, avec cette précision qu’il est en cours de publication au service de la publicité foncière ; de plus, la société Grisel déclare en page douze du même acte authentique qu’elle déclare avoir une parfaite connaissance de ce règlement de copropriété et qu’elle s’oblige à en respecter les dispositions.
5. Or il est constant en droit que, par application de l’article 686 du code civil cité supra, l’interdiction faite à l’acquéreur d’un fonds de l’affecter à un usage déterminé peut revêtir le caractère d’une servitude établie par le fait de l’homme attachée au fonds dans l’intérêt d’un autre fonds.
Il est également constant que cette servitude est valable pourvu que ce service n’ait rien de contraire à l’ordre public et qu’une convention restreignant sans limitation de temps l’exercice d’une activité commerciale définie est licite si elle est restreinte à un lieu déterminé ; elle peut alors être transmise de plein droit à tout acquéreur successif du fonds servant.
6. En l’espèce, il apparaît que la charge prévue par la clause ci-dessus énoncée bénéficie au fonds dont la société JYC est propriétaire et grève le fonds dont la société Grisel est propriétaire et qu’elle reste attachée au fonds servant sans limitation de durée, les vendeurs successifs du fonds servant étant tenus, en vertu de l’acte initial du 14 mars 2013, de la rappeler expressément dans leurs actes de cession.
Cette clause de non-concurrence, sans limitation de durée mais restreinte à un lieu déterminé, doit donc être qualifiée de servitude établie par le fait de l’homme et le droit constitué au bénéfice du fonds dominant, qui n’est pas contraire à l’ordre public, a été valablement transféré à la charge de la société Grisel, qui en a au demeurant été expressément informée à deux reprises.
Or il est établi par les pièces de la société Grisel elle-même qu’elle a, le 17 juillet 2020, donné à bail à la société Les Halles de Lalibert un local commercial édifié sur le fonds servant et que ce bail prévoit, en page deux, que la locataire y exploitera un fonds de commerce de ‘vente de produits alimentaires locaux et du terroir ainsi que de produits dérivés non alimentaires’.
L’intimée verse de plus à son dossier la copie d’un ticket d’achat de produits alimentaires au sein de l’établissement Les Halles de Lalibert le 7 octobre 2020.
7. La société JYC rapporte donc la preuve de ce que la société Grisel ne respecte pas l’obligation de non concurrence attachée à la propriété du fonds qu’elle a acquis le 15 mai 2013. Il y a lieu en conséquence, dans les limites de la saisine de la cour, de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Il convient de débouter la société Grisel de sa demande formée en exécution de l’article 700 du code de procédure civile et de la condamner à payer, à ce titre, la somme de 3.500 euros à la société JYC, ainsi que les dépens de l’appel.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire en dernier ressort,
Dans les limites de sa saisine,
Confirme le jugement prononcé le 15 juillet 2021 par le tribunal de commerce de Bordeaux.
Y ajoutant,
Déboute la société Grisel de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Grisel à payer à la société JYC la somme de 3.500 euros par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Condamne la société Grisel à payer les dépens.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier Le Président