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N° RG 22/00401 – N° Portalis DBVM-V-B7G-LGVE
N° Minute :
C3
Notification par LRAR
aux parties :
le :
copies exécutoires délivrées
aux avocats :
le :
la SELARL CABINET TUMERELLE
Me Emilie GUILLON
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
2ème CHAMBRE CIVILE
STATUANT EN MATIÈRE DE BAUX RURAUX
ARRET DU MARDI 02 MAI 2023
Appel d’une décision (N° RG 51-20-000001)
rendue par le Tribunal paritaire des baux ruraux de VALENCE
en date du 03 janvier 2022
suivant déclaration d’appel du 25 Janvier 2022
APPELANTS :
Monsieur [K] [Y]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Madame [H] [Y] née [T]
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentés par Me TUMERELLE de la SELARL CABINET TUMERELLE, avocat au barreau de VALENCE
INTIMEE :
E.A.R.L. LA FONTAINE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par Me Emilie GUILLON, avocat au barreau d’ARDECHE
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Emmanuèle CARDONA, Présidente,
Mme Anne-Laure PLISKINE, Conseiller,
M.Laurent GRAVA, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 février 2023, Anne-Laure Pliskine, conseillère, a été entendue en son rapport, en présence de Emmanuèle Cardona, président et Laurent Grava, conseiller, assistés de Caroline Bertolo, greffière,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries, les parties ont été entendus en leurs explications ;
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour l’arrêt être rendu ce jour.
EXPOSÉ DU LITIGE
Monsieur [K] [Y] et Madame [H] [T] épouse [Y] sont propriétaires de plusieurs parcelles sur la commune de [Localité 3].
Par deux baux en date du 1er novembre 2003, les consorts [Y] ont donné à bail à l’EARL La Fontaine six parcelles cadastrées comme suit, pour une superficie totale de 6ha84a78ca :
-YC 74
-YC 129
-ZX 144
-ZX 68
-ZX 47
-YC 101.
Deux congés pour reprise au profit de M.[W] [Y] ont été délivrés par chacun des époux par acte d’huissier à l’EARL La Fontaine le 16 octobre 2019.
Par requête en date du 12 décembre 2019, l’EARL La Fontaine a saisi le tribunal paritaire des baux ruraux de Valence afin d’obtenir l’annulation de ces deux congés.
M.[W] [Y] est intervenu volontairement à l’instance.
Par jugement du 3 août 2021, le tribunal paritaire des baux ruraux de Valence a :
-reçu l’intervention volontaire de M.[W] [Y],
-sursis à statuer dans l’attente de la décision administrative définitive sur la demande d’autorisation d’exploiter.
Les consorts [Y] ont communiqué l’arrêté préfectoral n°2021/10363 du 26 octobre 2021 autorisant M.[W] [Y] à exploiter les parcelles cadastrées [Cadastre 7], [Cadastre 6], [Cadastre 8], [Cadastre 10], [Cadastre 9], [Cadastre 5].
Par jugement rendu le 3 janvier 2022, le tribunal paritaire des baux ruraux de Valence a :
-annulé le congé de bail rural avec refus de renouvellement délivré le 16 octobre 2019 à effet du 31 octobre 2021 par madame [H] [Y] née [T] à l’EARL La Fontaine ;
-annulé le congé de bail rural avec refus de renouvellement délivré le 16 octobre 2019 à effet du 31 octobre 2021 par monsieur [K] [Y] à l’EARL La Fontaine ;
-ordonné le maintien de l’EARL LA FONTAINE dans l’exploitation pour un bail d’une nouvelle durée de neuf ans ;
-débouté l’EARL La Fontaine de sa demande de dommages et intérêts ;
-condamné solidairement madame [H] [Y] née [T] et monsieur [K] [Y] à payer à l’EARL La Fontaine la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-débouté les consorts [Y] de leur demande d’indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamné solidairement madame [H] [Y] née [T] et monsieur [K] [Y] aux dépens ;
-ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration d’appel du 25 janvier 2022, les consorts [Y] ont interjeté appel de cette décision.
A l’audience, ils demandent à la cour de:
Vu l’article L411-47 du code rural,
-valider les deux congés pour reprise émis par les consorts [Y] à l’encontre de l’EARL La Fontaine en date du 16 octobre 2019 ;
-déclarer Monsieur [W] [Y] comme remplissant les critères pour une reprise du bail ;
-donner injonction à l’EARL La Fontaine de stopper la mise en valeur et de quitter les parcelles appartenant aux consorts [Y] et ordonner son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef ;
-condamner l’EARL La Fontaine à verser une somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Au soutien de leurs demandes, les époux [Y] exposent qu’ils ont fait délivrer par huissier de justice les congés le 16 octobre 2019, soit quasiment 24 mois avant la date de fin des baux prévus, qu’en outre, ces derniers reprennent effectivement l’ensemble des conditions posées par les textes.
Ils déclarent que leur fils satisfait l’ensemble des conditions permettant une reprise de l’exploitation du bail, qu’ainsi, depuis le 1er janvier 2015, Monsieur [W] [Y] exerce la profession d’agriculteur et a créé son entreprise sous le numéro Siret 807 590 005 00011, tout en étant affilié auprès de la MSA, qui le reconnaît comme comme chef d’exploitation depuis le 1 er janvier 2018.
En réponse, l’EARL La Fontaine demande à la cour de:
-confirmer le jugement rendu par le tribunal paritaire des baux ruraux de Valence du 3 janvier 2022 dans toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a débouté l’EARL La Fontaine de sa demande de dommages-intérêts
Statuant à nouveau,
-condamner les époux [Y] à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice moral subi ;
-débouter les époux [Y] de l’intégralité de leurs demandes;
-les condamner solidairement au paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
-les condamner aux dépens.
L’EARL La Fontaine énonce que M.[W] [Y] ne remplit pas les conditions posées par les textes, qu’il ne justifie d’aucun des diplômes de la filière agricole ou certificats visés par l’article R.333-1 I du code rural et de la pêche maritime, et qu’il ne démontre pas avoir au moins cinq ans d’expérience professionnelle, soulignant que jusqu’au 31 août 2015, il était salarié chez un tiers.
Elle ajoute que la superficie exploitée est inférieure aux 22 hectares correspondant à au moins 1/3 de la surface agricole utile régionale moyenne.
Elle allègue qu’il ne justifie pas non plus d’une réelle volonté d’exploiter les terres personnellement pendant 9 ans, que le matériel figurant sur la facture faite par sa mère ne se rapporte qu’aux vergers, qu’enfin, il exerce une autre activité, à savoir gérant d’une société Klifruit.
MOTIFS
Sur la validité du congé pour non renouvellement et reprise au profit de M.[W] [Y]
Aux termes de l’article L.411-47 du code rural, le propriétaire qui entend s’opposer au renouvellement doit notifier congé au preneur, dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire.
A peine de nullité, le congé doit :
-mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur ;
-indiquer, en cas de congé pour reprise, les nom, prénom, âge, domicile et profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires devant exploiter conjointement le bien loué et, éventuellement, pour le cas d’empêchement, d’un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que l’habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les bénéficiaires du bien repris ;
-reproduire les termes de l’alinéa premier de l’article L. 411-54.
La nullité ne sera toutefois pas prononcée si l’omission ou l’inexactitude constatée ne sont pas de nature à induire le preneur en erreur.
Selon l’article L.411-58 alinéa 1, le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail s’il veut reprendre le bien loué pour lui-même ou au profit du conjoint, du partenaire d’un pacte civil de solidarité ou d’un descendant majeur ou mineur émancipé.
Selon l’article L.411-59, le bénéficiaire de la reprise doit, à partir de celle-ci, se consacrer à l’exploitation du bien repris pendant au moins neuf ans soit à titre individuel, soit au sein d’une société dotée de la personnalité morale, soit au sein d’une société en participation dont les statuts sont établis par un écrit ayant acquis date certaine. Il ne peut se limiter à la direction et à la surveillance de l’exploitation et doit participer sur les lieux aux travaux de façon effective et permanente, selon les usages de la région et en fonction de l’importance de l’exploitation. Il doit posséder le cheptel et le matériel nécessaires ou, à défaut, les moyens de les acquérir.
Le bénéficiaire de la reprise doit occuper lui-même les bâtiments d’habitation du bien repris ou une habitation située à proximité du fonds et en permettant l’exploitation directe.
Le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu’il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu’il répond aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle mentionnées aux articles L.331-2 à L.331 ou qu’il a bénéficié d’une autorisation d’exploiter en application de ces dispositions.
Selon l’article L.331-1du code rural, le contrôle des structures des exploitations agricoles s’applique à la mise en valeur des terres agricoles ou des ateliers de production hors sol au sein d’une exploitation agricole, quels que soient la forme ou le mode d’organisation juridique de celle-ci et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée.
L’objectif principal du contrôle des structures est de favoriser l’installation d’agriculteurs, y compris ceux engagés dans une démarche d’installation progressive.
Ce contrôle a aussi pour objectifs de :
1° Consolider ou maintenir les exploitations afin de permettre à celles-ci d’atteindre ou de conserver une dimension économique viable au regard des critères du schéma directeur régional des exploitations agricoles ;
2° Promouvoir le développement des systèmes de production permettant de combiner performance économique et performance environnementale, dont ceux relevant du mode de production biologique au sens de l’article L. 641-13, ainsi que leur pérennisation ;
3° Maintenir une agriculture diversifiée, riche en emplois et génératrice de valeur ajoutée, notamment en limitant les agrandissements et les concentrations d’exploitations au bénéfice, direct ou indirect, d’une même personne physique ou morale excessifs au regard des critères précisés par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.
Ainsi que l’a très justement rappelé le premier juge, le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu’il satisfait aux conditions précitées et qu’il répond aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle mentionnées par les articles L.331-2 à L.331-5 ou bien qu’il a bénéficié d’une autorisation d’exploiter.
La contestation porte sur deux points :
-le respect des conditions posées par l’article L.411-59 du code rural
-la volonté de M.[W] [Y] d’exploiter réellement l’exploitation.
Sur le respect des conditions posées par l’article L.411-59 du code rural
Il n’est pas contesté que M.[W] [Y] ne dispose pas du diplôme requis.
Quant à l’expérience professionnelle, il résulte des pièces produites que M.[Y], s’il est inscrit comme agriculteur à compter du 1er janvier 2015, n’a acquis du matériel qu’à compter du 31 décembre 2017, complété selon factures de février et mars 2021.
Par ailleurs, il doit justifier d’une expérience professionnelle sur une superficie égale au moins à 1/3 de la surface agricole utile régionale moyenne, fixée à 66 hectares dans le département de la Drôme, alors qu’iil exploite une parcelle de 10 ha 58 a et 9ca.
Dès lors, il ne justifie pas disposer d’une expérience professionnelle suffisante.
Pour autant, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 13 juillet 2006, le dernier alinéa de l’article L. 411-59 du code rural et de la pêche maritime dispose que « le bénéficiaire de la reprise doit justifier par tous moyens qu’il satisfait aux obligations qui lui incombent en application des deux alinéas précédents et qu’il répond aux conditions de capacité ou d’expérience professionnelle mentionnées aux articles L.331-2 à L.331-5 ou qu’il a bénéficié d’une autorisation d’exploiter en application de ces dispositions ».
En conséquence, si le bénéficiaire de la reprise a obtenu une autorisation d’exploiter, il n’a pas besoin de justifier d’un diplôme ou d’une expérience professionnelle, or M.[W] [Y] a bien obtenu cette autorisation d’exploiter.
Sur l’exploitation personnelle
Outre le fait que les factures communiquées montrent que M.[W] [Y] a acheté très peu de matériel, il convient en outre de relever qu’il salarie une personne à temps plein, mais qu’il fait également appel à trois salariés sur 8 mois, ainsi qu’à deux salariés en novembre et un au mois de décembre.
Par ailleurs, les consorts [Y] exposent que M.[W] [Y] a pour unique métier celui de chef d’exploitation et que la société Klifruits lui permet de vendre sa récolte aux particuliers.
Toutefois, ils restent taisants sur le fait que cette société Klifruits a pour objet, d’après ses statuts, « le négoce, l’import-export en gros et au détail de fruits et légumes et de tous produits dérivés, notamment produits alimentaires, emballages et autres, courtage, diffusion, promotion et distribution de ces produits. Elle peut réaliser toutes les opérations qui sont compatibles avec cet objet, s’y rapportent et contribuent à sa réalisation ».
L’EARL La Fontaine rapporte la preuve que cette société vend ainsi des kiwis de Nouvelle-Zélande à une chaîne de supermarchés, ce qui entre certes dans son objet, mais démontre que cette société a un objet bien plus large que la simple vente à des particuliers, qu’elle requiert de ce fait une gestion bien réelle, qu’au demeurant, elle emploie un à deux salariés.
En conséquence, M. [W] [Y] ne saurait sérieusement prétendre qu’il se consacre uniquement à l’exploitation de ses terres, alors qu’il est établi qu’il occupe un emploi à plein temps au sein de la société qu’il a créée.
En conséquence, c’est à juste titre que le premier juge a annulé les congés délivrés le 16 octobre 2019.
Sur la demande de dommages-intérêts de l’EARL La Fontaine
Il ressort des débats que les consorts [Y] ont intenté une nouvelle procédure envers l’EARL La Fontaine quelques mois seulement après avoir été déboutés de leurs demandes de résiliation du bail pour défaut de paiement du fermage.
Il convient également de relever que cette procédure fait également suite à plusieurs autres procédures ayant débouté les consorts [Y] de leurs demandes.
Une telle attitude caractérise une volonté de nuire, ce qui justifie d’octroyer à l’EARL La Fontaine la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts.
Les consorts [Y] qui succombent à l’instance seront condamnés aux dépens d’appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Confirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté l’EARL LLa Fontaine de sa demande de dommages-intérêts ;
et statuant de nouveau ;
Condamne in solidum les consorts [Y] à payer à l’EARL La Fontaine la somme de 3 000 euros à titre de dommages intérêts ;
Y ajoutant ;
Condamne in solidum les consorts [Y] à payer à l’EARL La Fontaine la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum les consorts [Y] aux dépens d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Mme Emmanuèle Cardona, Présidente de la deuxième chambre civile et par la Greffière,Caroline Bertolo, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE