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COUR D’APPEL DE BORDEAUX
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
————————–
ARRÊT DU : 01 JUIN 2023
N° RG 22/05533 – N° Portalis DBVJ-V-B7G-NAK7
S.A.S. LES 4 VINS
c/
[C] [Y]
[O] [M] épouse [Y]
[H] [Y]
[P] [Y]
Nature de la décision : AU FOND
APPEL D’UNE ORDONNANCE DE REFERE
Grosse délivrée le :
aux avocats
Décision déférée à la cour : ordonnance de référé rendue le 28 novembre 2022 par le Président du Tribunal Judiciaire de BORDEAUX (RG : 22/00511) suivant déclaration d’appel du 07 décembre 2022
APPELANTE :
S.A.S. LES 4 VINS, agissant en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social sis [Adresse 4]
représentée par Maître Sylvain GALINAT de la SELARL GALINAT BARANDAS, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMÉS :
[C] [Y]
né le 21 Août 1979 à PARIS (75)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
[O] [M] épouse [Y]
née le 01 Juin 1955 à NOUMEA
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
[H] [Y]
née le 07 Juin 1978 à PARIS (75)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 1] (IRLANDE)
[P] [Y]
né le 29 Août 1942 à VERSAILLES (78)
de nationalité Française
demeurant [Adresse 2]
représentés par Maître Jean-Jacques DAHAN, avocat postulant au barreau de BORDEAUX, et assités par Maître Samuel ZEITOUN, avocat plaidant au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 912 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 06 avril 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Bérengère VALLEE, conseiller, chargé du rapport,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Roland POTEE, président,
Bérengère VALLEE, conseiller,
Emmanuel BREARD, conseiller,
Greffier lors des débats : Véronique SAIGE
En présence de Bertrand MAUMONT, magistrat détaché en stage à la cour d’appel de Bordeaux
ARRÊT :
– contradictoire
– prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile.
* * *
EXPOSE DU LITIGE ET DE LA PROCÉDURE
Par acte sous seing privé du 23 mai 2013, M. [C] [Y], Mme [O] [Y], Mme [H] [Y] et M. [P] [Y] (les consorts [Y]) ont donné à bail commercial à la société JIM and CO, aux droits de laquelle se trouve la SAS les 4 Vins, des locaux situés [Adresse 3], moyennant le paiement d’un loyer annuel de 19 800 euros, payable à hauteur de 4 950 euros par trimestre.
Estimant que la locataire avait changé la destination de l’immeuble et exercé à ce titre des activités non autorisées occasionnant des troubles de voisinage sonores et olfactifs, les consorts [Y] ont, après mise en demeure, délivré le 18 août 2021 à la société les 4 Vins un commandement d’avoir à respecter les termes du bail commercial.
Aux motifs qu’il n’avait pas été déféré à ce commandement dans le délai d’un mois qui était imparti, les consorts [Y] ont, par acte du 8 mars 2022, assigné la société les 4 Vins devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux aux fins de voir constater la résiliation du bail commercial par acquisition de la clause résolutoire et statuer sur ses conséquences.
Par ordonnance de référé du 28 novembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a :
– débouté la société les 4 Vins de sa demande de délais,
– constaté l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial liant les consorts [Y] et la société les 4 Vins,
– dit qu’à compter du 19 septembre 2021, la société les 4 Vins est devenue redevable d’une indemnité mensuelle d’occupation,
– ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans le mois de la signification de l’ordonnance, l’expulsion de la société les 4 Vins, de ses biens et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 5] et ce, avec le concours éventuel de la force publique,
– dit que la société les 4 Vins est redevable à compter du 19 septembre 2021 d’une indemnité d’occupation égale au loyer en vigueur à cette date,
– condamné la société les 4 Vins à payer aux consorts [Y] in solidum la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– débouté les consorts [Y] du surplus de leurs demandes,
– débouté la société les 4 Vins de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée aux dépens.
La société les 4 Vins a relevé appel de cette ordonnance par déclaration du 7 décembre 2022.
Par conclusions déposées le 22 mars 2023, la société les 4 Vins demande à la cour de :
– débouter les intimés de l’ensemble de leurs demandes, fins et conclusions,
Réformant la décision entreprise,
In limine litis,
Sur l’exception d’incompétence :
– constater l’existence d’une contestation sérieuse et l’absence d’urgence réelle,
– se déclarer incompétent pour statuer sur les demandes présentées par le bailleur,
En conséquence,
– renvoyer l’indivision [Y] à mieux se pourvoir au fond,
Sur le fond :
– débouter l’indivision [Y] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– juger que les manquements visés aux termes du commandement et de l’assignation délivrée ne sont pas justifiés,
– suspendre les effets de la clause résolutoire,
– débouter les bailleurs de leur demande tendant à ordonner l’expulsion de la société locataire,
– accorder à la société les 4 Vins un délai de six mois afin de justifier que son activité est parfaitement conforme à la destination du bail et qu’aucun manquement ne saurait lui être reproché,
– condamner l’indivision [Y] au paiement d’une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– juger que la démarche du bailleur relève de la plus parfaite mauvaise fois,
– constater la bonne foi du locataire.
Par conclusions déposées le 31 janvier 2023, les consorts [Y] demandent à la cour de :
A titre principal :
– débouter la société les 4 Vins de l’ensemble de ses demandes,
– confirmer l’ordonnance rendue le 28 novembre 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux,
A titre subsidiaire :
– débouter la société les 4 Vins de l’ensemble de ses demandes,
– confirmer l’ordonnance rendue le 28 novembre 2022 par le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, sauf en ce qui concerne la motivation tirée de la méconnaissance du règlement de copropriété et à ce titre :
* constater que la motivation tirée de la méconnaissance du règlement de copropriété est surabondante et n’entache pas d’illégalité le fond de la décision prise,
* substituer à cette motivation la motivation pertinente,
En tout état de cause :
– condamner la société les 4 Vins à payer aux consorts [Y] la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société les 4 Vins à payer aux consorts [Y] les entiers dépens de la présente instance en vertu de l’article 699 du code de procédure civile.
L’affaire a été fixée à l’audience rapporteur du 6 avril 2023 par ordonnance et avis de fixation à bref délai, avec clôture de la procédure à la date du 23 mars 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur l’acquisition de la clause résolutoire et ses conséquences
Fondant leur action sur les dispositions des articles 834 et 835 du code de procédure civile, les consorts [Y] soutiennent que dès lors que la société les 4 Vins n’a pas mis son activité en conformité avec la destination prévue au contrat de bail dans le mois du commandement du 18 août 2021 qu’elle lui a fait délivrer à cette fin et qui visait l’acquisition de la clause résolutoire, celle-ci est acquise depuis le 18 septembre 2021et la société les 4 Vins occupe les lieux sans droit ni titre depuis cette date.
La cour observe au préalable que les dispositions de l’article 835 du code de procédure civile, selon lequel ‘Le président du tribunal judiciaire…. peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.’ sont inappropriées dès lors que si, en vertu de ces dispositions, la juridiction des référés peut ordonner des mesures de remise en état propres à faire cesser un trouble manifestement illicite, la constatation de l’acquisition de la clause résolutoire ne constitue pas une mesure de remise en état propre à faire cesser un trouble manifestement illicite mais la simple reconnaissance par la juridiction des référés qu’en vertu des dispositions du bail et de ce qui a été convenu entre les parties, la clause résolutoire est acquise.
La cour ajoute que c’est à la condition que l’acquisition de la clause résolutoire soit constatée que l’existence d’un trouble manifestement illicite est avérée, dès lors que le preneur, désormais sans droit, continue à occuper les lieux, l’occupation sans droit ni titre constituant en ce cas un trouble manifestement illicite que la juridiction des référés a le pouvoir de faire cesser en prononçant une mesure de remise en état appropriée, en l’occurrence, une expulsion.
En l’espèce, c’est donc sur le fondement de l’article 834 du code de procédure civile que la juridiction des référés a le pouvoir de constater l’acquisition de la clause résolutoire prévue au contrat de bail, lequel dispose :
‘Dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence, peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend’.
Au sens de ce texte, il y a urgence dès lors qu’un retard dans la décision qui doit être prise serait de nature à compromettre les intérêts légitimes du demandeur, ce qui est nécessairement le cas lorsque la clause résolutoire est acquise, puisque le bailleur est privé de son droit de récupérer les locaux qui lui appartiennent. N’est donc pas pertinent l’argument de la société les 4 Vins qui invoque l’absence d’urgence dès lors que 7 mois se seraient écoulés entre la délivrance du commandement visant la clause résolutoire et l’assignation en référé.
Il appartient aux consorts [Y] de rapporter la preuve que le constat de l’acquisition de la clause résolutoire insérée au contrat de bail ne se heurte à aucune contestation sérieuse, en application des dispositions précitées.
A ce titre, la société les 4 Vins soulève l’existence de plusieurs contestations sérieuses, qui s’opposeraient à ce que soit constatée l’acquisition de la clause résolutoire tenant à l’imprécision de la rédaction de la clause résolutoire (a), au défaut de compréhension des infractions reprochés à la lecture du commandement du 18 août 2021 (b), à l’absence de manquement aux obligations contractuelles du bail (c).
a) Aux termes de l’article XI du contrat de bail :
‘Les parties conviennent expressément que :
– en cas de manquement par le preneur à l’une quelconque de ses obligations contractuelles, qui sont toutes de rigueur,
– en cas de violation des dispositions imposées au preneur par les textes légaux et réglementaires, dont les articles L. 145-1 et suivants du code de commerce, le bail sera résilié de plein droit un mois après mise en demeure d’exécuter délivrée par exploit d’huissier resté sans effet : les conditions d’acquisition de la clause résolutoire seront constatées judiciairement et l’expulsion du preneur devenu occupant sans droit ni titre, ordonnée par le juge.’
Comme justement relevé par le premier juge, cette clause contractuelle est dénuée de toute ambiguité et ne suppose aucune interprétation du contrat qui échapperait à la compétence du juge des référés. Elle se réfère aux obligations résultant du bail, lesquelles sont clairement énoncées par celui-ci à l’article IX du contrat qui stipule notamment que :
‘Le preneur est tenu des obligations principales suivants :
(…)
Destination de l’immeuble : User des locaux suivant la destination prévue au bail et exploiter effectivement le fonds.’
La contestation soulevée n’apparaît donc pas sérieuse.
b) Après avoir clairement indiqué que selon le contrat de bail et l’acte de cession du fonds de commerce de la société Jim and Co au profit de la société les 4 Vins, la destination des locaux est décrite comme suit : ‘la vente à consommer sur place, à emporter ou à livrer de pâtisseries, sandwiches, salades, quiches, petite restauration et produits dérivés, boissons relevant de la licence II (vin, bière et champagne), salon de thé ainsi que produits d’épicerie fine et non alimentaire, sous enseigne haut de gamme GUST ou qualitativement équivalent.’, le commandement du 18 août 2021 met le preneur en demeure de respecter ses obligations contractuelles dans le délai d’un mois après avoir rappelé qu’a été constaté le ‘non-respect de la destination des lieux loués : les locaux sont utilisés à usage de bar à coktails et de restaurant.’
Contrairement à ce que prétend l’appelante, le commandement est suffisamment précis pour permettre au preneur de connaître les infractions à ses obligations qui lui sont reprochées et d’y remédier.
La contestation soulevée n’apparaît donc pas sérieuse.
c) Tant le bail initial que le contrat de cession du fonds de commerce de la société Jim and Co à la société les 4 Vins prévoient que sont exclusivement autorisées les activités de ‘vente à consommer sur place, à emporter ou à livrer de pâtisseries, sandwiches, salades, quiches, petite restauration et produits dérivés, boissons relevant de la licence II (vin, bière et champagne), salon de thé ainsi que produits d’épicerie fine et non alimentaire, sous enseigne haut de gamme GUST ou qualitativement équivalent.’
Or, il résulte des pièces versées aux débats (échanges de courriels produits en pièces n°4,5 et 6 des intimés et captures d’écran datées du 20 juillet 2021 de la page Facebook de la société 4 Vins) que la société les 4 Vins exploite à l’adresse des locaux loués un bar dénommé ‘KING KONG BAR’
Les procès-verbaux de constat d’huissier des 24 janvier, 15 et 23 septembre 2022 confirment que l’activité exercée est celle d’un bar de nuit dansant sous l’enseigne ‘KING KONG BAR’, ce que ne conteste pas la société les 4 Vins. L’établissement y est décrit comme ouvert tous les jours sauf le dimanche et le lundi, de 17h à 2 h, et son activité comme celle d’un ‘bar à cocktail à ambiance musicale’ avec service de cocktails, vins, bières, tapas ou rations et possibilité de soirées privées, étudiantes, groupe, entreprises ou soirées de fin d’année. Enfin, un message des services des débits de boissons à la préfecture de Gironde confirme que l’établissement exploite une licence IV, ce qui n’est au demeurant pas contesté par la preneuse qui, comme le souligne le premier juge, se limite à argumenter sur la disparition de la licence II et de sa fusion avec la licence III.
Si le premier juge a effectivement retenu à tort la non-conformité au règlement de copropriété alors que celle-ci n’était nullement invoquée en première instance, il reste qu’il n’est pas sérieusement contestable que l’activité exercée par la société les 4 Vins n’est pas conforme aux activités que les parties ont convenu d’autoriser dans le bail, le débat sur les nuisances sonores et olfactives étant sans pertinence dans le cadre du présent litige.
La société les 4 Vins ayant persisté à exercer l’activité non autorisée au bail passé le délai d’un mois de la délivrance du commandement du 18 août 2021, l’acquisition de la clause résolutoire du bail est acquise depuis le 19 septembre 2021.
La société les 4 Vins ayant été plusieurs fois mise en demeure en vain de respecter les clauses du bail, c’est à bon droit que le premier juge a rejeté sa demande de délais.
L’ordonnance sera en conséquence confirmée en ce qu’elle a débouté la société les 4 Vins de ses demandes et en ce qu’elle a constaté l’acquisition de la clause résolutoire du bail et ordonné l’expulsion de la locataire.
Sur les autres demandes
L’ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles de première instance. L’appelante sera condamnée aux dépens de la procédure d’appel et à payer aux consorts [Y], ensemble, la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Confirme l’ordonnance déférée,
Y ajoutant,
Condamne la société les 4 Vins à payer aux consorts [Y], ensemble, la somme de 2.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société les 4 Vins aux dépens d’appel.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Roland POTEE, président, et par Madame Véronique SAIGE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, Le Président,