AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice, à PARIS, le vingt juin mil neuf cent quatre vingt dix, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller MORELLI, les observations de la société civile professionnelle RICHE, BLONDEL et THOMAS-RAQUIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l’avocat général PERFETTI ;
Statuant sur les pourvois formés par :
1°) X… Jean-Claude,
LA SOCIETE « BIASI-ALINQUANT »,
2°) LA SOCIETE DES AUTEURS COMPOSITEURS ET
EDITEURS DE MUSIQUE (SACEM), partie iicivile,
contre l’arrêt de la cour d’appel de VERSAILLES, 9ème chambre, du 10 avril 1986, qui a condamné le premier à 3 000 francs d’amende pour contrefaçon, a déclaré la société « Biasi-Alinquant » civilement responsable, et s’est prononcé sur les intérêts civils ;
Vu les mémoires produits ; d
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Attendu qu’il appert de l’arrêt attaqué que sans verser les redevances correspondantes, Jean-Claude X…, gérant d’une discothèque, a diffusé dans cet établissement des oeuvres musicales appartenant au répertoire de la SACEM ; que sur la plainte de celle-ci, il a été poursuivi du chef de contrefaçon ;
En cet état ;
Sur le pourvoi de Jean-Claude X… et de la société Biasi-Alinquant :
Attendu qu’aucun moyen n’est produit ;
Sur le pourvoi de la SACEM :
Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles 426, 425, 2 alinéa nouveau du Code pénal, des articles 1 et suivants de la loi du 11 mars 1957, de l’article 1382 du Code civil, de l’article 593 du Code de procédure pénale, en ce que l’arrêt attaqué fixe à 150 000 francs, toutes causes de préjudice confondues, le montant de la réparation due par X… et la société Biasi-Alinquant à la SACEM à raison du délit de représentation d’oeuvres musicales en violation des droits de leurs auteurs ;
« aux motifs que le pourcentage sur les recettes réclamé par la SACEM n’a qu’une valeur indicative ; qu’il n’est d’ailleurs pas uniforme pour toutes les discothèques, que ce même taux descend à l’étranger alors qu’ailleurs on a recours à l’évaluation forfaitaire de la redevance ; que l’on ne pourrait connaître le montant mathématiquement exact du préjudice dès lors que le taux légitime de la redevance ne peut que faire l’objet d’une appréciation ex aequo et bono ; que pour ce faire la Cour dispose du contrat proposé à X… dont les chiffres ont été ci-dessus rappelés ainsi que des contrats passés et de la connaissance des sommes qui lui ont été réclamées en vertu de ces contrats ; qu’elle a également un certain nombre d’indications sur la fréquentation de la discothèque, le prix des consommations, le nombre d’oeuvres musicales des répertoires de la SACEM, exécutées… ; que par extrapolation, il est donc possible d’évaluer valablement les facultés contributives de cette discothèque par rapport à l’utilisation qui en est faite d des
répertoires de la SACEM et d’en mesurer l’importance par rapport à l’exploitation de ce fonds de commerce ; qu’il apparaît équitable à la Cour de fixer l’indemnité au vu de l’ensemble de ces éléments en sa possession ;
« alors, d’une part, que le droit de l’auteur dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée se traduit dans son exercice par une autorisation intimement liée à une rémunération fixée par ce même auteur ; que sous la seule réserve d’abus susceptibles de procéder de leur position dominante, les sociétés d’auteurs exercent à la place de chaque auteur le même droit ; que le critère de l’indemnisation était nécessairement en l’espèce la rémunération que la SACEM aurait demandée et perçue si son autorisation avait été non pas violée, mais obtenue, rémunération dont l’arrêt exclut lui-même préalablement tout abus ; qu’en s’y refusant sur le fondement d’une appréciation personnelle du juge, liée à diverses considérations, la Cour a violé les textes susvisés ;
« alors très subsidiairement, d’autre part, que la Cour ne pouvait, sans priver son arrêt de base légale, omettre de fixer le taux de redevance qu’elle avait décidé d’arbitrer et prendre en considération, pour réparer un dommage sur des bases prétendument équitables, les facultés contributives de l’auteur du délit » ;
Sur le second moyen de cassation pris de la violation de l’article 426 du Code pénal, des articles 1 et suivants de la loi du 11 mars 1957, de l’article 1382 du Code civil, de l’article 593 du Code de procédure pénale, en ce que l’arrêt attaqué fixe à 150 000 francs, toutes causes de préjudice confondues, le montant de la réparation due par X… et la société Biasi-Alinquant à la SACEM à raison du délit de contrefaçon par représentation habituelle d’oeuvres musicales en violation des droits de leurs auteurs ;
« aux motifs notamment que « s’agissant de phonogrammes, le droit de reproduction qui consiste dans « l’enregistrement mécanique » au sens de l’article 28 de la loi du 11 mars 1957, est cédé au fabricant de phonogrammes ; que ce droit est déjà versé à l’auteur lorsque les phonogrammes sont mis sur le marché ; que le droit de 1,65 % réclamé s’analyse donc comme un droit de reproduction complémentaire lequel, bien que non mentionné en tant que tel dans le contrat proposé au prévenu par la SACEM va, au moins pour l’essentiel, aux « éditeurs de musique », membres de la SACEM ; d
« »considérant cependant que X… est, en l’espèce, poursuivi exclusivement pour avoir « représenté ou exécuté, fait ou laissé représenter ou exécuter » les oeuvres du répertoire de la SACEM sans autorisation ;
« »considérant que l’article 30 de la loi du 11 mars 1957 dispose que la cession du droit de représentation (de diffusion ou d’exécution publique) n’emporte pas celle du droit de reproduction et vice versa ;
« »considérant que seul le délit visé à la prévention (article 426 du Code pénal) est celui de représentation, diffusion ou exécution publique en violation des droits de l’auteur à l’exclusion du délit de reproduction en violation des droits de l’éditeur (ou même de l’auteur) ;
« »considérant en conséquence que les prétentions de la SACEM ne peuvent être ici prises en considération qu’à concurrence de 6,60 % du montant des recettes, redevance qui correspond au délit poursuivi
dans la présente instance et non à hauteur de 8,25 %, redevance qui comprend pour 1,65 % la rémunération complémentaire du droit de reproduction alors que le prévenu n’a pas à répondre dans la présente instance d’un délit quelconque de reproduction sans autorisation de l’éditeur ou de l’auteur pour lequel la SACEM ne l’a pas traduit devant la juridiction pénale » ;
« alors que les faits de « représentation » ou d’ »exécution » illicites des oeuvres musicales imputés à X… dans la poursuite en violation des droits des auteurs et compositeurs de musique selon l’article 426 précité du Code pénal incluaient nécessairement la méconnaissance du droit de reproduction mécanique des auteurs et compositeurs dès lors que ces représentations ou exécutions nécessitaient une autorisation de l’auteur, et de la SACEM pour les oeuvres dont elle assure la gestion, au titre non seulement du droit de représentation mais encore du droit de reproduction s’agissant de phonogrammes dont la destination avait été limitée à un usage privé lorsque leur reproduction avait été autorisée » ;
Ces moyens étant réunis ;
Vu lesdits articles ;
b Attendu que les juges doivent réparer intégralement le préjudice résultant d’une infraction ;
Attendu que statuant sur les conséquences dommageables du délit de contrefaçon reproché à Jean-Claude X…, la juridiction du second degré se prononce par les motifs reproduits aux moyens ;
Mais attendu que ne pouvait être ainsi exclue de l’indemnité allouée la fraction de la redevance afférente au droit de reproduction mécanique alors que, la cession de celui-ci ayant initialement visé le seul usage privé, et non une destination commerciale, la SACEM était habilitée, en vertu de ses accords avec la SDRM, à réclamer forfaitairement au titre dont il s’agit une rémunération complémentaire due pour chaque représentation publique qui, réalisée grâce au support matériel d’un phonogramme, méconnaissait nécessairement le droit précité de reproduction d’une oeuvre musicale protégée par la loi du 11 mars 1957 ; qu’en procédant comme elle l’a fait la cour d’appel n’a pas réparé intégralement, contrairement au principe ci-dessus rappelé, le préjudice de la partie civile et que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
REJETTE le pourvoi de Jean-Claude X… et de la société « Biasi-Alinquant » ;
Condamne ces demandeurs aux dépens ;
Sur le pourvoi de la SACEM :
CASSE ET ANNULE l’arrêt susvisé de la cour d’appel de Versailles, en date du 10 avril 1986, en ses dispositions relatives à l’évaluation du préjudice de la SACEM, toutes autres dispositions étant expressément maintenues, et pour qu’il soit à nouveau jugé conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d’appel de Paris, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
ORDONNE l’impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d’appel de Versailles, sa mention en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement annulé ;
d Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Où étaient présents : M. Le Gunehec président, M. Morelli conseiller rapporteur, MM. Angevin, Diémer, de Bouillane de Lacoste, Carlioz conseillers de la chambre, M. Pelletier conseiller référendaire, M. Perfetti avocat général, Mme Mazard greffier de chambre ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;