Production Audiovisuelle : 6 octobre 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 17/05196

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Production Audiovisuelle : 6 octobre 2022 Cour d’appel de Montpellier RG n° 17/05196

Grosse + copie

délivrées le

à

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER

3e chambre civile

ARRET DU 06 OCTOBRE 2022

Numéro d’inscription au répertoire général :

N° RG 17/05196 – N° Portalis DBVK-V-B7B-NKWO

ARRET N°

Décision déférée à la Cour :

Jugement du 31 AOUT 2017

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONTPELLIER

N° RG 15/00401

APPELANT :

Monsieur [E] [W] [B]

né le 23 Janvier 1955 à [Localité 18]

[Adresse 4]

[Localité 19]

Représenté par Me Cyrille AUCHE de la SCP VERBATEAM MONTPELLIER, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Anne CROS, avocat au barreau de MONTPELLIER

INTIMES :

Monsieur [Z] [V]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 19]

et

Madame [L] [A] épouse [V]

de nationalité Française

[Adresse 7]

[Localité 19]

et

COMMUNE DE [Localité 19] prise en la personne de son Maire en exercice, domicilié ès qualités

[Adresse 17]

[Adresse 17]

[Localité 19]

Représentés par Me Arnaud LAURENT de la SCP SVA, avocat au barreau de MONTPELLIER, substitué par Me Thierry VERNHET, avocat au barreau de MONTPELLIER

Ordonnance de clôture du 07 Juin 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 27 JUIN 2022,en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Fabrice DURAND, Conseiller, chargé du rapport.

Ce(s) magistrat(s) a (ont) rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

M. Thierry CARLIER, Conseiller faisant fonction de Président

M. Fabrice DURAND, Conseiller

Mme Marie-Claude SIMON, Vice-présidente placée par ordonnance du premier président du 20 avril 2022.

Greffier lors des débats : Mme Sabine MICHEL

ARRET :

– contradictoire

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;

– signé par M. Thierry CARLIER, Conseiller, faisant fonction de Président et par Mme Sabine MICHEL, Greffier.

*

**

EXPOSE DU LITIGE

Par acte notarié du 3 août 2012, M. [E] [W] [W] [B] acheté aux consorts [N] une maison d’habitation cadastrée section [Cadastre 15] et [Cadastre 10] située [Adresse 4] au prix de 370 000 euros.

L’accès principal à cette maison s’est toujours fait par un portillon située [Adresse 4] en passant par une petite impasse bitumée d’environ huit mètres de profondeur qui permet l’accès :

– au garage situé sur la façade de la maison formant un angle avec la rue ;

– au portillon situé au fond de cette petite impasse.

M. [Z] [V] et Mme [L] [A] épouse [V] sont propriétaires du fonds cadastré section [Cadastre 14] et [Cadastre 9] situé [Adresse 7]. Ils revendiquent la propriété de l’impasse litigieuse comme une partie intégrante de leur parcelle [Cadastre 14].

Durant les négociations en vue de la vente, les consorts [N] et M. [W] [B] ont pris attache avec M. et Mme [V] pour tenter de trouver une solution amiable concernant ce passage.

M. et Mme [V] ont proposé à M. [W] [B] de conclure une convention de passage lui octroyant l’usage de la parcelle litigieuse au prix de 20 000 euros avec obligation pour lui d’élever le mur de sa propriété de 1,50m à 2,35m avec interdiction de créer des vues droites et obliques.

Cette proposition a été refusée par M. [W] [B] en considération de son coût élevé et du statut juridique de l’assiette foncière de cette impasse, après étude des titres de propriété et de la documentation cadastrale de la parcelle concernée.

La vente a été alors conclue le 3 août 2012 sans qu’aucun arrangement ne soit trouvé avec M. et Mme [V].

L’acte notarié de vente portait la mention suivante :

« Le vendeur précise que depuis que cette propriété lui appartient, il accède à la [Adresse 4] par un portillon et un garage en passant par une parcelle cadastrée [Cadastre 14] qui ne lui appartient pas, il déclare qu’il n’existe aucune servitude de passage de droit écrit sur cette parcelle mais qu’il a toujours emprunté cet accès pour parvenir au portillon et au garage.

Conformément au code civil, l’acquéreur est subrogé dans tous les droits et obligations du vendeur, lequel déclare n’avoir jamais renoncé à aucun de ses droits.

L’acquéreur reconnaît avoir été averti que ce droit d’accès figure aujourd’hui sur une même et seule parcelle cadastrée section [Cadastre 16] et reconnaît avoir été averti tant par le notaire soussigné que par le notaire participant de cet état et déclare en faire son affaire personnelle. »

Après la vente de la maison à M. [W] [B], M. et Mme [V] se sont fermement opposés à ce que leur nouveau voisin continue d’accéder à sa maison par l’impasse litigieuse ainsi qu’ils avaient autorisé Mme [N] à le faire de son vivant.

Dès le mois d’août 2012, M. et Mme [V] ont empêché l’accès à l’impasse litigieuse en installant des rochers, des jardinières en béton et en posant une chaîne métallique et un python qu’ils ont scellé sur le pilier gauche du garage de M. [W] [B].

En juin 2013, M. et Mme [V] ont ajouté aux obstacles déjà installés trois imposants blocs de béton préfabriqués de 1,20 m de hauteur bloquant totalement l’accès au garage de M. [W] [B].

Par ordonnance du 27 juin 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier a partiellement fait droit aux demandes de M. [W] [B]. Constatant que M. et Mme [V] ne rapportaient pas la preuve incontestable de la propriété de la parcelle litigieuse, le juge des référés a ordonné une expertise aux frais avancés de M. et Mme [V] et les a condamnés à supprimer tout obstacle empêchant l’accès à l’impasse.

Le 10 juillet 2013, M. et Mme [V] enlevaient les trois blocs de béton déposés devant la propriété de leur voisin.

Par arrêt du 23 janvier 2014, devenu définitif après rejet du pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 27 janvier 2015, la cour d’appel de Montpellier a infirmé en toutes ses dispositions l’ordonnance de référé du 27 juin 2013 et a débouté M. [W] [B] de toutes ses demandes.

M. et Mme [V] ont ensuite saisi le juge des référés aux fins de voir condamner M. [W] [B] à leur payer le coût de la remise en place des blocs installés dans l’impasse litigieuse.

Par ordonnance du 6 mars 2014, le juge des référés a débouté M. et Mme [V] de cette demande de provision. La cour d’appel a confirmé l’ordonnance du 6 mars 2014 par arrêt du 6 novembre 2014.

Le 1er mai 2014, M. [W] [B] découvrait que M. et Mme [V] avaient scellé des grilles métalliques sur les murs de sa maison obstruant ainsi à la fois l’accès au portillon piéton et au garage de la maison.

Par acte d’huissier signifié le 29 décembre 2014, M. [W] [B] a fait assigner M. et Mme [V] devant le tribunal de grande instance de Montpellier aux fins de voir constater l’absence de titre de propriété de M. et Mme [V] sur la parcelle litigieuse, faire définitivement cesser les atteintes portées à sa propriété et se faire indemniser du préjudice subi.

Par jugement du 31 août 2017, le tribunal de grande instance de Montpellier a :

‘ constaté que M. et Mme [V] rapportaient suffisamment d’éléments pour établir leur propriété sur la parcelle dont M. [W] [B] revendique une propriété publique ;

‘ constaté que la commune de [Localité 19] déniait toute propriété sur cette parcelle ;

‘ rejeté la demande M. [W] [B] de voir cette parcelle considérée comme appartenant au domaine privé de la commune de [Localité 19] ou qualifiée de chemin d’exploitation ;

‘ rejeté sa demande d’expertise ;

‘ condamné M. [W] [B] à verser à M. et à Mme [V] la somme de 3 000 euros de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

‘ condamné M. [W] [B] à verser à M. et à Mme [V] la somme de 2 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et à la commune de [Localité 19] la somme de 1 000 euros sur ce même fondement ;

‘ condamné M. [W] [B] aux entiers dépens.

Par déclaration au greffe du 3 octobre 2017, M. [W] [B] a relevé appel de ce jugement.

Vu les dernières conclusions de M. [W] [B] déposées au greffe le 1er septembre 2021 ;

Vu les dernières conclusions de M. et Mme [V] déposées au greffe le 21 mars 2018 ;

Vu les dernières conclusions de la commune de [Localité 19] déposées au greffe le 21 mars 2018 ;

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 juin 2022.

MOTIFS DE L’ARRÊT

Sur la demande formée par M. et Mme [V] sur le fondement de l’article 24 du code de procédure civile,

M. [W] [B] soutient que la commune de [Localité 19] et M. et Mme [V] partagent les mêmes intérêts dans le dossier.

Ce propos n’est pas calomnieux et entre dans le cadre des éléments de fait qu’une partie est fondée à soutenir pour défendre sa position durant un procès. Le fait que la commune de [Localité 19] et M. et Mme [V] soient défendus par le même avocat est possible dans la mesure où leurs positions ne présentent aucun conflit d’intérêt.

En conséquence, la demande formée par M. et Mme [V] sur le fondement de l’article 24 du code de procédure civile sera rejetée.

Sur la recevabilité de l’appel en cause de la commune de [Localité 19],

La commune de [Localité 19] reproche à M. [W] [B] de l’avoir assignée sous l’entité inexacte de « ville de Sète » qui ne constitue pas une collectivité territoriale au sens de l’article 72 de la Constitution et n’a donc pas de personnalité morale.

Ainsi que l’exactement retenu le premier juge, la « ville de [Localité 19] » et la « commune de [Localité 19] » s’entendent comme la même collectivité territoriale dont la désignation et l’identification en langue française ne souffre aucune ambiguïté.

En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu’il a rejeté la fin de non recevoir soulevée sur ce fondement.

Sur l’objet principal du litige,

A titre principal, M. [W] [B] soutient que l’impasse litigieuse dont il souhaite conserver l’usage pour continuer d’accéder au portillon et au garage de sa propriété constitue un chemin rural dépendant du domaine privé de la commune de [Localité 19].

La commune de [Localité 19] se range au contraire du côté de M. et Mme [V] qui affirment être seuls propriétaires de cette impasse litigieuse.

Il convient en préalable de relever que c’est par erreur que le jugement déféré a mentionné dans ses motifs que « le vendeur [N] reconnaissait non seulement son absence de propriété sur le terrain litigieux, mais également son appartenance au fonds BO 419 et non au domaine public ou privé de la commune ».

En effet, l’acte notarié précise que les vendeurs n’ont renoncé à aucun de leurs droits et qu’ils n’ont pas connaissance d’une servitude de passage par titre au bénéfice de leur fonds. Pour autant, les consorts [N] n’ont pas fait part de leur avis quant à la propriété de l’impasse objet du présent litige.

Par ailleurs, contrairement à ce qui est soutenu par M. et Mme [V], le courrier du 23 mai 2012 de M. [W] [B] au notaire ne constitue pas un aveu judiciaire reconnaissant le droit de propriété des intimés dans la mesure où il n’est pas établi que ce courrier a été rédigé alors que son rédacteur disposait de toutes les données factuelles, documents et titres de propriété afférents à la parcelle objet du litige.

De même, l’attestation de M. [O] ne constitue pas un élément probant au regard des relations amicales anciennes liant ce témoin à M. et Mme [V] et de son contenu particulièrement flou et insuffisant pour établir un quelconque droit de propriété sur l’impasse litigieuse.

Les chemins ruraux sont notamment régis par les articles suivants du code rural :

Article L.161-1

Les chemins ruraux sont les chemins appartenant aux communes, affectés à l’usage du public, qui n’ont pas été classés comme voies communales. Ils font partie du domaine privé de la commune.

Article L.161-2

L’affectation à l’usage du public est présumée, notamment par l’utilisation du chemin rural comme voie de passage ou par des actes réitérés de surveillance ou de voirie de l’autorité municipale.

Lorsqu’elle est ainsi présumée, cette affectation à l’usage du public ne peut être remise en cause par une décision administrative.

La destination du chemin peut être définie notamment par l’inscription sur le plan départemental des itinéraires de promenade et de randonnée.

Article L.161-3

Tout chemin affecté à l’usage du public est présumé, jusqu’à preuve du contraire, appartenir à la commune sur le territoire de laquelle il est situé.

En l’espèce, l’examen de l’ancien plan cadastral établit qu’antérieurement à son intégration à la parcelle [Cadastre 14] en [Cadastre 3], l’impasse litigieuse constituait la partie terminale à l’est d’une parcelle plus grande en forme de chemin longeant la limite sud du fonds de M. et Mme [V] et cadastrée [Cadastre 12].

Cette parcelle [Cadastre 12] d’une superficie cadastrale de 217 m² a été vendue par acte notarié du 21 octobre 1974 par M. [I] à Mme [R] veuve [D].

Cette parcelle est décrite dans l’acte du 21 octobre 1974 comme étant délimitée :

‘ au nord : par Mme [D] ;

‘ au sud : par [T], [N] et [U] ;

‘ à l’ouest : par « le surplus de la parcelle restant la propriété des vendeurs » ;

‘ à l’est : par « la voie communale numéro 47 » devenue aujourd’hui la [Adresse 4].

L’acte du 21 octobre 1974 précise que l’origine de propriété de cette parcelle [Cadastre 12] se trouve dans l’acte du 21 avril 1955 aux termes duquel une partie du fonds des consorts [F] a été vendue à M. [I].

Cet acte de vente du 21 avril 1955 à M. [I] porte sur une parcelle alors cadastrée section [Cadastre 11] et [Cadastre 1] d’une surface de 3 828 m² correspondant aux parcelles actuellement cadastrées [Cadastre 13], [Cadastre 6] et [Cadastre 8].

L’acte du 21 avril 1955 ainsi que le plan du géomètre M. [Y] indiquent précisément que la parcelle vendue était limitée à l’est par « le chemin rural 45-4 » et par « Mademoiselle [G] et [H] ».

Le plan du géomètre M. [Y] annexé à l’acte du 21 avril 1955 (pièce n°7 de M. et Mme [V]) permet de visualiser très clairement cette limite à l’est et mentionne « chemin rural 45-4 impasse » à l’emplacement précis de la future parcelle [Cadastre 12].

En 1995, ce chemin rural n°45-4 reliait alors la propriété de M. [I] à la voie communale n°[Adresse 4].

Bien que la commune de [Localité 19] n’ait pas communiqué la documentation afférente à l’historique de ce chemin n°45-4, les éléments versés aux débats établissent avec certitude que ce chemin rural n°45-4 est devenu à une date indéterminée la parcelle [Cadastre 12].

Dans ses conclusions, la commune de [Localité 19] soutient que cette parcelle [Cadastre 12] ne constituait pas le chemin rural n°45-4 en s’appuyant sur un historique des noms successifs de la voie communale n°47 revenue la [Adresse 4] et en affirmant que « le requérant fait erreur en indiquant que la parcelle [Cadastre 5] était le chemin rural 45-4 situé à gauche du chemin CR41 ».

La commune de [Localité 19], en charge de la conservation de ses archives et de la gestion des biens communaux, n’a versé aux débats aucune pièce permettant de préciser les dénominations et les limites de ces chemins ruraux.

A défaut d’élément provenant de la documentation municipale, l’acte du 21 avril 1955 et le plan annexé de M. [Y] sont confortés par l’acte notarié 29 mai 1956 de vente de la maison de M. [K] à M. [N] (actuellement propriété de M. [B]) qui précise que cette maison était limitée, conformément aux mentions de l’acte notarié de vente immédiatement antérieur du 16 mai 1947 entre M. [C] et M. [K]:

‘ au nord « le chemin rural numéro 41 », ce qui établit que la [Adresse 4], avant d’être la voie communale 47, constituait le chemin rural n°41 ;

‘ à l’est « le chemin rural numéro 61 », qui deviendra la [Adresse 2] ;

‘ à l’ouest « l’impasse numéro 44 », dénomination erronée mais qui correspond nécessairement au chemin rural n°45-4 mentionné sur le plan de M. [Y] qui avait lui-même ajouté sur ce plan le mot « impasse ».

Cette erreur est confirmée par la lecture de l’acte antérieur de vente de la même maison du 28 juillet 1945 entre Mme [G] et M. [C] qui mentionne comme limite ouest du bien vendu « l’impasse 45-4 ».

‘ au sud « par un mur séparatif compris dans la présente vente Mademoiselle [G] ».

Contrairement à la position soutenue par M. et Mme [V] dans leurs écritures, l’acte de vente entre Mme [G] et M. [C] fait état d’une servitude qui ne concerne pas la porte et l’accès par l’impasse litigieuse mais une porte de communication reliant les deux parcelles de Mme [G] qui est parfaitement étrangère au présent litige.

Il convient de relever que l’entrée principale de la maison désormais propriété de M. [W] [B] s’ouvrait déjà en 1956 sur le chemin rural n°41 c’est-à-dire sur la [Adresse 4].

Ce chemin rural n°41 est bien répertorié sur l’état des chemins ruraux reconnus (pièce n°24 de M. et Mme [V]) et décrit « de la Butte ronde aux Pierres Blanches » ce qui correspond bien à la [Adresse 4] et à la rue d’Artois sur 1,2 km.

Sur le même document, le chemin 45-4 est décrit « impasse à gauche du CR 41 » d’une longueur de 70 m : ce chemin 45-4 correspond donc parfaitement à la parcelle [Cadastre 12] qui a été incorporée à sa propriété par M. [I] entre 1956 et 1974 sans que la commune de [Localité 19], propriétaire de cette parcelle, ne soit cependant intervenue pour céder cette dépendance de son domaine privé.

Contrairement à la position soutenue par la commune de [Localité 19], le fait que ce chemin rural ait comporté un numéro cadastral [Cadastre 12] ne constitue pas une anomalie s’agissant d’une parcelle dépendant du domaine privé communal et non du domaine public.

Enfin, l’examen du statut de l’impasse litigieuse est indépendant de la notion d’enclavement de la propriété de M. [W] [B] qui est sans objet dans le cadre du présent litige.

Il se déduit de ces éléments que M. [I] a vendu le 21 octobre 1974 à Mme [D] le chemin rural n°45-4 devenu parcelle [Cadastre 12] dont il n’était pas propriétaire par titre, puisque cette parcelle ne faisait pas partie du fonds qu’il avait lui-même acquis le 21 avril 1955.

C’est donc par une lecture erronée des actes notariés, des plans et autres documents versés aux débats que le jugement déféré a retenu que « il est donc faux de prétendre que le chemin rural 45-4 constituait la parcelle [Cadastre 5] puisque celle-ci était située au sud et non à l’est de la propriété [I] ».

M. [I] a donc vendu en 1974 à Mme [D] le chemin rural n°45-4, dépendance du domaine privé communal dont il n’était pas propriétaire sans que la commune de [Localité 19], son légitime propriétaire, n’intervienne à cette opération. Mme [D] a elle-même revendu par acte notarié du 29 juillet 2005 ce chemin rural n°45-4 à M. et Mme [V].

Le droit de propriété de M. et Mme [V] sur l’assiette foncière de ce chemin rural n°45-4 n’est pas présentement discuté concernant l’essentiel de sa surface située à l’intérieur du mur d’enceinte de leur propriété.

Le présent litige concernant l’impasse d’environ huit mètres de profondeur formant l’extrémité est de l’ancien chemin rural n°45-4, il convient de déterminer dans quelle limite cet ancien chemin a été annexé par la propriété [I] en 1974.

L’acte de vente du 21 octobre 1974 indique que la limite est de la parcelle [Cadastre 12] est constituée par « la voie communale numéro 47 » c’est-à-dire aujourd’hui la [Adresse 4].

L’emprise exacte de la voie communale n°47 à la date du 21 octobre 1974 n’est pas connue.

Par ailleurs, aucun bornage de cette parcelle [Cadastre 12] n’a jamais été effectué.

Le document opérant délimitation versé aux débats intitulé « document d’arpentage n°2366B » établi le 10 septembre 2003 n’a pas valeur de document d’arpentage ni de procès-verbal de bornage en l’absence de signature par tous les propriétaires concernés au premier rang desquels aurait dû figurer la commune de [Localité 19] propriétaire de cette parcelle.

La délimitation graphique du plan cadastral n’a aucune valeur juridique pour établir la limite de propriété.

Le fonds propriété de M. et Mme [V] a été clôturé à une date ancienne non déterminée en englobant la totalité de la parcelle [Cadastre 12] à l’exception de la portion de terrain formant l’impasse litigieuse.

Cette portion de terrain est demeurée à l’extérieur du mur d’enceinte de la propriété de M. et Mme [V] qui ne peuvent y accéder que par la voie publique. Ils n’ont jamais exercé d’acte de possession sur l’impasse litigieuse, du moins jusqu’à ce qu’ils en bloquent l’accès par divers ouvrages à partir d’août 2012.

L’examen de la configuration matérielle des lieux établit sans ambiguïté que les auteurs de M. et Mme [V], lorsqu’ils ont construit le mur d’enceinte de la propriété, ont volontairement exclu la surface de l’impasse litigieuse de leur propriété dans le but de maintenir l’accès à la maison du [Adresse 4] qui s’était toujours fait par le portillon d’entrée piéton toujours existant et qui bénéficiait de l’accès par ce chemin rural n°45-4 affecté à la circulation publique avant que ce chemin ne soit approprié par M. [I].

Le fait que la maison de M. [W] [B] comporte un second portail de garage au numéro [Adresse 2] n’enlève rien au fait que l’entrée principale piétonne de la maison se fait depuis au moins l’année 1956 par le [Adresse 4].

La limite de « la voie communale numéro 47 » mentionnée dans l’acte du 21 octobre 1974, à défaut de précision utile et de plan de bornage, doit donc s’entendre comme englobant l’espace ouvert à la circulation publique à proximité immédiate de la voie communale et permettant le maintien de l’accès des propriétaires de la maison du [Adresse 4] à leur portillon d’entrée et à leur garage.

Il se déduit de la configuration matérielle des lieux, à défaut de titre de propriété ou de procès-verbal de délimitation ou de bornage plus précis, que la propriété de la parcelle [Cadastre 12] a été transmise en 1974 par M. [I] à Mme [D] sans englober l’impasse litigieuse qui constitue un morceau du chemin rural n°45-4 demeuré propriété de la commune de [Localité 19].

Contrairement à la position soutenue par la commune de [Localité 19] et jusqu’à ce que M. et Mme [V] ne décident d’en bloquer matériellement l’accès, l’impasse litigieuse était bien affectée à l’usage du public et ouverte à la circulation publique. En effet, les véhicules pouvaient y circuler et stationner dans les limites imposées par la réglementation en vigueur.

Dans un quartier où les voies de circulation sont contraintes et les croisements de véhicules difficiles, l’accès public à cette impasse permet de sécuriser et de faciliter la circulation dans l’intérêt de la collectivité.

Par ailleurs, et en dépit du fait que l’identité de la personne qui a bitumé l’impasse litigieuse demeure indéterminée, l’existence de ce revêtement a créé une continuité parfaite avec la [Adresse 4] dont elle facilite et sécurise la circulation des véhicules et des piétons.

Il convient en outre de relever que le sous-sol de l’impasse litigieux renferme des réseaux publics révélés notamment par la présence de regards en fonte sur la canalisation d’eau potable et de regards en fonte de compteurs d’eau ouvrant sur la parcelle dont M. et Mme [V] revendiquent la propriété.

Il résulte des précédents développements que la présomption instituée par les articles L.161-2 et L.161-3 du code rural converge avec l’analyse des titres de propriété pour établir que l’impasse litigieuse constitue un chemin rural dépendant du domaine privée de la commune de [Localité 19].

Il en résulte que M. et Mme [V] ne sont pas autorisés à en bloquer l’accès à quiconque et notamment pas à M. [W] [B].

Ainsi qu’en dispose l’article L.161-2 du code rural dans sa rédaction issue de la loi n°2022-217 du 21 février 2022, « Lorsqu’elle est ainsi présumée, cette affectation à l’usage du public ne peut être remise en cause par une décision administrative. »

Il appartiendra à tout propriétaire voisin de la parcelle [Cadastre 14] ou à M. et Mme [V] de faire procéder au bornage contradictoire de l’impasse litigieuse, notamment aux fins de mise à jour du plan cadastral et du fichier immobilier.

Sur les demandes de dommages-intérêts formées par M. [W] [B],

Le jugement déféré a omis de statuer sur les différentes demandes indemnitaires formées par M. [W] [B].

Dès l’achat de leur propriété le 29 juillet 2005, et encore davantage à compter du moment où ils ont recherché avec les consorts [N] et M. [W] [B] une solution amiable concernant l’impasse litigieuse, M. et Mme [V] n’ont pu ignorer l’existence d’incertitudes juridiques quant à l’exercice du droit de propriété et à l’usage de cette impasse.

En particulier, M. et Mme [V] ne pouvaient pas ignorer que leurs auteurs avaient annexé un chemin rural à leur propriété et que la délimitation matérielle de leur parcelle par le mur d’enceinte contredisait leur position s’appuyant sur un plan cadastral par nature peu fiable.

M. et Mme [V] n’ignoraient pas davantage qu’une discussion allait légitiment s’élever concernant la pérennisation de l’accès immémorial du [Adresse 4] qu’ils avaient longtemps acceptés au bénéfice de Mme [N] mais qu’ils entendaient brutalement remettre en cause après le décès de Mme [N] et la vente de la maison par ses héritiers.

Dans ces conditions, les agissements unilatéraux de M. et Mme [V] visant à bloquer par la force l’accès au portillon et au garage de M. [W] [B] sont des voies de fait constitutives de fautes civiles au sens de l’article 1382 devenu 1240 du code civil.

Ces fautes ont été d’autant plus caractérisées après que l’ordonnance de référé du 27 juin 2013 a fait droit à l’action engagée par M. [W] [B] et ainsi confirmé le caractère sérieux des moyens de droit avancés par ce dernier, nonobstant le fait qu’elle a ensuite été infirmée par la cour d’appel.

Sur l’installation de la chaîne scellée en août 2012,

Outre la faute résultant du fait de bloquer par la force l’accès à une propriété utilisée au moins depuis 1956, M. et Mme [V] ont commis une faute en scellant la chaîne litigieuse dans le mur de la maison de leur voisin.

Toutefois, il n’est pas démontré par M. [W] [B] que ses voisins sont responsables du vol et de la dégradation de son véhicule ni de l’effacement du numéro « 237 » par de la peinture.

Le préjudice matériel consécutif à l’atteinte matérielle des murs de la maison est évalué à 1 500 euros.

Le préjudice de jouissance subi du fait de la présence de la chaîne, des rochers et des jardinières est évalué à 3 000 euros.

Le préjudice moral subi est évalué à 500 euros.

Sur l’installation des blocs de béton en juin 2013,

Fin juin 2013, M. et Mme [V] ont installé trois blocs de béton moulés monumentaux (1,20 mètre de hauteur) particulièrement hideux sur l’impasse litigieuse avant de les retirer le 10 juillet 2013.

Outre la faute résultant du fait de bloquer par la force l’accès à une propriété utilisée au moins depuis 1956, l’installation de ces blocs a généré un préjudice important en raison de leur caractère inesthétique et des risques causés notamment en cas de besoin urgent d’accéder à la maison par les services de secours.

Aucun préjudice matériel consécutif à la pose des blocs de béton n’est établi par M. [W] [B].

Le préjudice de jouissance subi du fait de la présence de trois énormes blocs de béton est évalué à 4 000 euros entre juin 2013 et le 10 juillet 2013.

Le préjudice moral subi par M. [W] [B] est fixé à 2 000 euros.

Sur l’installation de grilles métalliques en mai 2014,

Outre la faute résultant du fait de bloquer par la force l’accès à une propriété qui existait au moins depuis 1956, ces grilles ont été installées au moyen de trous pratiqués dans le sol et dans les murs de la maison, avant qu’un ami de M. [W] [B] ne les retire le 15 juillet 2014.

Ces agissements constituent une atteinte particulièrement grave en ce qu’ils ont contribué à emmurer M. [W] [B] dans sa maison en empêchant toute ouverture et tout passage à travers le portillon et le garage de la rue principale. Ces ouvrages ont créé un risque pour les occupants en cas de besoin urgent d’accéder à la maison par les services de secours et ont rendu l’accès à la maison et au garage situé près du portillon d’accès particulièrement difficile.

Le préjudice matériel consécutif à l’atteinte matérielle des murs de la maison est évalué à 1 000 euros.

Le préjudice de jouissance subi du fait de la présence des grilles est particulièrement important au regard de l’impact esthétique et du blocage total du portillon et du garage. Ce préjudice est évalué à 10 000 euros entre mai 2014 et le 15 juillet 2014.

Le préjudice moral subi par M. [W] [B] est fixé à 2 000 euros.

Sur la condamnation de M. [W] [B] pour procédure abusive,

La condamnation de M. [W] [B] par le jugement déféré pour procédure abusive ne pourra qu’être infirmée dans la mesure où celui-ci gagne son procès en appel contre M. et Mme [V] et qu’aucune faute civile n’est établie contre lui.

La demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée contre M. [W] [B] par la commune de [Localité 19], qui succombe également à l’instance, sera également rejetée.

Sur les demandes accessoires,

M. et Mme [V] succombent entièrement en appel et supporteront donc les entiers dépens de première instance et d’appel.

L’équité commande, au regard de la complexité, de la longueur et de la nature du litige de condamner in solidum M. et Mme [V] et la commune de [Localité 19] à payer une indemnité de 8 000 euros à M. [W] [B].

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Rejette la demande formée par M. [Z] [V] et Mme [L] [A] épouse [V] sur le fondement de l’article 24 du code de procédure civile ;

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Constate que l’impasse litigieuse (partie de la parcelle cadastrée section [Cadastre 14] sur la commune de [Localité 19] se trouvant à l’extérieur du mur d’enceinte des propriétés de M. et Mme [V] et du mur de la maison de M. [W] [B] et jusqu’en limite du domaine public) constitue une dépendance du domaine privée de la commune de [Localité 19] comme formant une partie subsistante du chemin rural n°45-4 ;

Condamne in solidum M. [Z] [V] et Mme [L] [A] épouse [V] à verser à M. [E] [W] [B] les sommes suivantes :

‘ pour les faits fautifs commis en août 2012 :

– 1 500 euros en réparation du préjudice matériel ;

– 3 000 euros en réparation du trouble de jouissance ;

– 500 euros en réparation du préjudice moral ;

‘ pour les faits fautifs commis en juin 2013 :

– 4 000 euros en réparation du trouble de jouissance ;

– 2 000 euros en réparation du préjudice moral ;

‘ pour les faits fautifs commis en mai 2014 :

– 1 000 euros en réparation du préjudice matériel ;

– 10 000 euros en réparation du trouble de jouissance ;

– 2 000 euros en réparation du préjudice moral ;

Condamne in solidum M. [Z] [V] et Mme [L] [A] épouse [V] et la commune de [Localité 19] à supporter les entiers dépens de première instance et d’appel ;

Condamne in solidum M. [Z] [V] et Mme [L] [A] épouse [V] et la commune de [Localité 19] à payer une indemnité de 8 000 euros à M. [E] [W] [B] ;

Déboute les parties de leurs plus amples demandes.

Le greffier, Le conseiller faisant fonction de président,

 


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