Production Audiovisuelle : 30 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/09174

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Production Audiovisuelle : 30 mars 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 19/09174

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 30 MARS 2023

(n° , 9 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 19/09174 – N° Portalis 35L7-V-B7D-CARN2

Décision déférée à la Cour : Jugement du 21 Juin 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 18/04776

APPELANT

Monsieur [E] [N]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représenté par Me Na-ima OUGOUAG BERBER, avocat au barreau de PARIS, toque : P0203

INTIMÉE

SA NATIXIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Me Nathalie LESENECHAL, avocat au barreau de PARIS, toque : D2090

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 19 Janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

Mme Sophie GUENIER-LEFEVRE, Présidente de chambre

Mme Nicolette GUILLAUME, Présidente de chambre

Mme Emmanuelle DEMAZIERE, Vice-Présidente placée

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Madame Sophie GUENIER LEFEVRE, Présidente, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Sophie GUENIER-LEFEVRE, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [E] [N] a été engagé le 29 mars 2004, en qualité de juriste fiscaliste, initialement à temps partiel puis à compter du 1er juin 2011 à temps complet, par la banque IXIS, au droits de laquelle se présente aujourd’hui la société Natixis.

L’entreprise comporte plus de dix salariés et les relations de travail sont régies par la Convention collective de la Banque.

Le salaire brut de base est fixé à 125 000 euros.

M. [N] a saisi la juridiction prud’homale le 17 mars 2013 pour faire reconnaître le harcèlement moral dont il s’estimait victime de la part de son employeur et obtenir de ce fait des dommages-intérêts à divers titres et un rappel de bonus.

Cette procédure prud’homale a fait l’objet de renvois successifs en raison de l’engagement parallèle par le salarié d’une procédure pénale à l’encontre de son employeur pour harcèlement moral, et a finalement été radiée le 27 mars 2018, pour être réinscrite le 26 juin 2018 sous le numéro RG 18/4776.

Par jugement en date du 21 juin 2019 notifié aux parties le 29 août 2019, le Conseil de prud’hommes de Paris a débouté le demandeur de l’ensemble de ses demandes, la société Natixis de sa demande relative à l’article 700 du Code de Procédure Civile, et condamné M. [N] aux entiers dépens.

Par déclaration en date du 3 septembre 2019 ce dernier a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique en date du 15 novembre 2022, M. [N] demande à la Cour :

– d’infirmer le jugement déféré, et statuant à nouveau ,

– de juger qu’il a été victime d’un harcèlement moral depuis 2009, au sens de l’article L 1152-1 du code du travail ;

– de condamner la Société Natixis à réparer l’intégralité des préjudices en résultant, à savoir :

– Préjudice résultant de la perte irréversible d’audition : 300 000 euros (15 Keuros x 20 ans) nets à titre de dommages et intérêts sur le fondement des articles L 1152-1 et suivants du code du travail, et 1240 du code civil ;

– Préjudice résultant de la perte des bonus : 5 554 400 euros nets, sur le fondement des articles L 1152-1 et suivants du code du travail, et 1240 du code civil ;

– Préjudice résultant de l’absence d’augmentation : 500 000 euros nets (50 000 euros x 10 ans), sur le fondement des articles L 1152-1 et suivants du code du travail, et 1240 du code civil ;

– Préjudice résultant du blocage de sa carrière : 1 000 000 euros (50 000 euros x 20 ans), sur le fondement des articles L 1152-1 et suivants du code du travail, et 1240 du code civil ;

– Préjudice moral : 200 000 euros (20 000 euros x 10 ans), sur le fondement des articles L 1152-1 et suivants du code du travail, et 1240 du code civil.

– À titre subsidiaire, si la cour ne fait pas droit à la réparation du préjudice résultant de la perte des bonus, il lui est demandé de:

– condamner la société Natixis au paiement

– 5 554 400 euros, à titre de rappel de bonus 2008 à 2017, ainsi qu’au paiement de la somme de 555 440 euros au titre des congés payés afférents ;

– d ‘ordonner la publication du dispositif de l’arrêt à intervenir sur la page Intranet du groupe NATIXIS, à titre de réparation du préjudice moral né de l’atteinte à l’image et à la réputation professionnelle du salarié ;

– de condamner la SA Natixis au paiement de la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE ;

– de condamner la SA Natixis aux dépens qui comprendront les éventuels frais d’exécution forcée de la décision à intervenir.

Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées au greffe par voie électronique le 16 décembre 2022, la Société Natixis demande à la Cour :

– de déclarer recevable et fondée la société concluante en l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Y faisant droit,

– de confirmer le jugement entrepris , en ce qu’il a débouté M. [N] de l’ensemble de ses demandes,

– de le condamner à lui verser 3.000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 3 janvier 2023 et l’affaire a été appelée à l’audience du 19 janvier 2023 pour y être examinée.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour un plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure et aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS

I- sur le harcèlement moral,

Le harcèlement moral s’entend aux termes de l’article L 1152-1 du Code du Travail, d’agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail du salarié, susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l’article 1154-1 du Code du Travail, dans sa rédaction issue de la loi N° 2016-1088 du 8 août 2016, lorsque survient un litige au cours duquel le salarié évoque une situation de harcèlement moral, celui-ci doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’un harcèlement, l’employeur devant prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [N] présente les faits suivants à l’appui de sa demande:

– recruté initialement avec d’autres salariés pour développer une activité dite ‘Global Risk’, il a généré dans ce cadre des opérations fiables qui ont impliqué 230 millions d’euros de PNB pour la banque entre 2006 et 2008, la crise financière dite ‘des subprimes’de 2008 ayant conduit la nouvelle direction de l’établissement à cesser cette activité (mise de l’activité en ‘run off’ impliquant seulement la gestion du stock des affaires en cours), pour laquelle néanmoins parmi les membres de l’ancienne équipe, il a été seul retenu dans les effectifs de la société Natixis, mais en réalité placardisé en étant :

– retiré de l’organigramme, de l’activité global Risk sur lequel il n’apparaît plus à compter de mai 2009 (pièce N°19),

– non intégré par l’équipe de la filiale Nexgen en charge du ‘run off’ qui ne le conviait pas aux réunions ou ne l’informait pas des événements concernant ces opérations, ainsi qu’il le signale dans ses courriers électroniques du 25 novembre 2009 et du 10 février 2011 (pièces N° 20, 21 et 24),

– traité comme un assistant administratif, dont on exige dans un délai très bref des prestations à terme (pièce N° 48: ‘peux tu nous préparer un booklet des dossiers CA et EG pour demain’ ),

– brutalement rappelé à l’ordre lorsqu’il essaie d’attirer l’attention de l’équipe sur des risques spécifiques (demande de faire le point avec lui, courriel du 7 octobre 2009, pièce N° 52, ou observations sur ses écrits ‘tu dois réfléchir avant d’écrire tes missives, tu crées des problèmes graves (…), pièce N° 53),

– privé de bureau et d’interlocuteur au sein de la société Natixis qui, en outre, ne lui met pas à disposition comme cela était jusqu’alors, le matériel adapté à son handicap auditif,

Sur ce dernier point, M. [N] renvoie à des courriels des 12 et 18 mars 2010 (pièce N° 49 et 50) qui ne comportent aucune référence à l’absence de mise à disposition d’un téléphone adapté, cette seule affirmation ne pouvant constituer un fait précis susceptible d’être retenu au nombre des faits présentés.

– exclu des évaluations annuelles 2008, 2009 et 2010, subissant de ce fait une diminution de 95% de ses bonus,

– son état de santé s’est dégradé au point que le médecin du travail a mis en place une surveillance rapprochée en le déclarant apte mais en décidant de le revoir à intervalles réguliers et rapprochés (entre un et deux mois) ainsi que le révèlent les huit fiches d’aptitude délivrées entre le 26 janvier 2010 et le 23 septembre 2011.

– les audiogrammes de 2007 et de juin 2010 qu’il produit démontrent également que son handicap auditif s’est aussi aggravé sous le coup des difficultés professionnelles qui lui étaient faites.

– cette situation s’est aggravée malgré la lettre de mission du 17 mai 2011 aux termes de laquelle il était rappelé qu’il devait apporter assistance à l’équipe ‘Acquisition & stratégic finance’ sur leur activité Global Risk (pièce N° 61), puisque :

– il a été le seul collaborateur ainsi rapatrié dont la rémunération n’a pas augmentée,

– il a été isolé au deuxième étage sur 700 m², alors que le reste de l’équipe se trouvait installée au 9ème et ne faisait appel à lui qu’en cas de difficulté insurmontable,

– des difficultés lui sont faites pour ses remboursement de frais lui imposant de formuler des réclamations sur ce sujet ainsi que sur les tickets restaurants, ( courriers électroniques de réclamations pièces N° 49 et 50),

– la société a adopté une stratégie de ‘bonus zéro’ sur le fondement d’une évaluation de son N+1 formalisée selon les instructions de la direction des ressources humaines de la société. (Courrier électronique du 30 janvier 2014, pièce N° 57 ).

– il a fait l’objet d’une tentative de licenciement le 15 avril 2015 dans des conditions brutales dès lors que la convocation à entretien préalable lui a été remise par le responsable des ressources humaines, le lendemain de sa reprise après arrêt de travail, circonstances qui ont impliqué un malaise nécessitant son retour à domicile, le médecin du travail qui l’avait déclaré apte la veille, le déclarant inapte temporairement et la CPAM ayant reconnu le caractère professionnel de cet accident.

– dans la suite, il a été placé en arrêt de travail jusqu’au 27 mai suivant par le psychiatre spécialisé dans les pathologies liées au harcèlement moral qui le suivait depuis plusieurs mois et l’audiogramme réalisé le 23 avril 2015 dénotant une perte supplémentaire d’audition de 10% par rapport à celui d’octobre 2013.

– le médecin du travail signale au service des ressources humaines par courrier électronique du 4 mai 2015, sa préoccupation par ‘l’état de santé de M. [N] qui continue de se dégrader’ (pièce N° 28).

– l’employeur a tenté de s’opposer à sa désignation en qualité d’administrateur représentant les salariés pour le syndicat SNB au conseil de surveillance de BPCE, maison mère de la société Natixis.

– depuis 2016, il n’a plus d’activité concrète et ne se voit confier que des missions temporaires sans contenu, la proposition de transformation en mission pérenne n’ayant été formalisée que peu avant l’audience faisant suite à la citation directe.

– par courrier électronique du 15 février 2018, il a été informé qu’il était radié de la liste des ‘initiés habituels sur tout client de Natixis’ (pièce N° 79).

– il ne bénéficie plus d’évaluation depuis 2018.

– les faits de harcèlement moral se sont accentués concomitamment aux deux actions pénales qu’il a engagées à l’encontre de la société Natixis pour harcèlement moral, la première dans le cadre d’une plainte avec constitution de partie civile du 7 mars 2012 pour des faits commis depuis le mois de mai 2009 et la seconde par voie de citation directe du 9 février 2017.

– ces faits persistent aujourd’hui dès lors que le médecin du travail a interrogé la direction de l’entreprise le 10 novembre 2022 en constatant que l’intitulé due son poste de travail actuel ne figure pas dans l’annuaire de l’entreprise auquel le praticien se réfère habituellement (pièce N° 108).

Pris dans leur ensemble, les faits présentés, à l’exception de la seule allégation relative à la non mise à disposition d’un équipement adapté à son handicap auditif, sont suffisamment précis et circonstanciés comme reposant sur des documents et ne résultant pas de simples affirmations, pour laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral.

Il appartient donc à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Cette analyse doit être faite sans que les décisions intervenues dans le cadre des deux procédures pénales engagées par M. [N] au titre de son harcèlement moral puissent être considérées comme ayant, au civil, une autorité de chose jugée sur l’existence du dit harcèlement dès lors que l’autorité de la chose jugée au pénal sur le civil s’attache à ce qui a été définitivement, nécessairement et certainement décidé par le juge pénal sur la qualification ainsi que sur la culpabilité de celui à qui le fait est imputé, critères que ne remplissent ni la décision de non- lieu du 23 juin 2014, aujourd’hui définitive, ni le jugement du 22 janvier 2018 dont M. [N] précise sans être contesté qu’il a constaté la nullité de la citation directe pour vice de forme, et l’article 188 du code de procédure pénale étant étranger aux effets du non lieu au pénal sur le civil.

De part et d’autre il est admis que les conditions de travail de M. [N] ont évolué postérieurement à la mise en ‘run off’ du service ‘Global Risk’, le lien de cette évolution avec la crise financière des ‘subprimes’ devant être admis, la réduction significative des attributions initiales de M [N] dans ce service s’en trouvant justifiée par la restructuration décidée alors que l’intéressé reconnaît qu’il avait été recruté en qualité de fiscaliste senior en 2004, pour créer et développer cette activité.

Le fait que le salarié n’apparaisse pas sur l’organigramme du service ‘Global Risk’ postérieurement à cette mise en ‘run Off’ est donc objectivement justifié.

Cela d’autant plus que sans être démenti, l’employeur affirme que la gestion des affaires courantes du dit service a été confiée à M. [H] lequel n’apparaît pas non plus sur l’organigramme produit.

Il en est d’ailleurs de même de Mme [M], dont certains des courriels produits par M.[N] démontrent pourtant qu’elle intervient activement en 2010 dans le ‘Run Off’ du service (pièces N° 48 du salarié).

L’analyse des termes des courriers électroniques échangés avec cette dernière, mais également avec d’autres membres du service ‘Global Risk’, démontre que s’il a été demandé à l’intéressé de produire en urgence un document pour le lendemain, (mail du 18 mai 2010, Pièce N° 48), la légitimité de cette demande urgente résulte de la volonté de son auteur d’examiner les pièces lors d’un voyage en train, observation étant faite que la requête dont il n’est pas soutenu qu’elle ne rentre pas dans le domaine de compétence de M [N], est formulée en des termes courtois et se termine par la formule ‘merci’.

Par ailleurs, si M. [N] déplore dans le courrier électronique qu’il produit, de n’être pas mis ‘systématiquement’ (mot qu’il accentue par le biais des majuscules), en copie de mails (pièce N° 20), l’observation qu’il en fait et dont il ne dit pas qu’elle n’a pas été suivie d’effet, ne caractérise pas une volonté d’exclusion alors que l’échange suivant démontre que Mme [M] a expressément sollicité qu’il soit convié à une réunion en soulignant l’importance de ses connaissances (pièce N° 21 mail du 9 février 2011).

La brutalité que le salarié stigmatise dans les courriels des 30 septembre 2009 (pièce N°53) et 7 octobre suivant (pièce N° 53) ne résulte pas des échanges produits quand bien même contiennent-ils pour le premier l’observation selon laquelle M. [N] doit ‘réfléchir avant d’écrire’ et ‘crée des problèmes graves’, et pour le second l’invitation à relire les précédents e-mails pour avoir des explications, la justification de ces observations formulées en réponse, résultant du contenu et du ton des propres précédents messages du salarié.

Ni les avis d’aptitude successifs délivrés entre le 26 janvier 2010 et le 23 septembre 2011, ni le signalement du 4 mai 2015 par le médecin du travail à la direction des ressources humaines et au CHSCT ne font état de la non mise à disposition d’un bureau ou d’un isolement résultant de ce qu’il a été placé dans un bureau à un étage distinct de celui du reste de l’équipe alors que Mme [M] affirme, dans le cadre de l’enquête menée par l’employeur en 2012 sur le harcèlement moral dénoncé par M [N] et à laquelle l’intéressé n’a pas souhaité participer, qu’elle lui a proposé à plusieurs reprises de rejoindre le 9ème étage où elle même avait son bureau, le fait que l’immeuble de l’avenue Georges V dans lequel ils se situaient aient été ultérieurement abandonné dans les suites de la restructuration initiée depuis 2009 n’étant pas remise en cause.

La réalité d’un isolement fonctionnel ne peut être retenue alors que M. [N] produit de multiples échanges dans lesquels il exprime sur des points technique un avis circonstancié et échange avec différents membres de l’équipe ‘Global Risk’ mais également d’autres interlocuteurs de l’établissement.

Quant à l’absence d’évaluation annuelle, si le fait est avéré pour l’année 2010, l’employeur démontre par l’audition de Mme [M] qu’il produit, que cette situation n’a pas seulement touché M.[N], mais l’ensemble du département dont il faisait partie, élément qui pour regrettable qu’il soit, exclut l’isolement dont l’intéressé se dit victime, le lien avec la distribution de bonus ne pouvant en conséquence être opéré.

De plus, sur ce dernier point, le caractère discrétionnaire du dit bonus résulte de l’article 3 du contrat de travail selon lequel: ‘ un bonus discrétionnaire et modulable pourra vous être versé sur proposition de votre hiérarchie. Le versement de ce bonus est lié au type de métier que vous exercez au sein de la salle des marchés’.

De l’arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 7 mai 2015, il résulte que M. [N] a admis dans l’une de ses déclarations cotées D177, que sa ‘ligne de métier avait été mise en sommeil après 2008″, pour être ‘trop consommatrice de liquidités en 2009″ et la comparaison de sa situation avec celles d’autres salariés telles qu’elles résultent du tableau non critiqué figurant en page 17 des conclusions de l’employeur, démontre que l’ensemble de ses collègues intervenant sur l’activité Global Risk a subi la même dépréciation de bonus, et pour certains dans des proportions plus drastiques (Mme [F] ou M. [X]), le tout étant lié à la crise financière de 2008 dont le salarié lui même a reconnu les effets sur son métier et les pratiques qui existaient antérieurement.

Quant à l’aggravation de la situation de harcèlement moral postérieurement à son transfert au sein de Natixis et plus spécifiquement, à partir du 17 mai 2011, date à laquelle une lettre de mission a défini ses nouvelles fonctions, elle ne peut davantage être retenue.

En effet, ce document signé de M.[Y], son supérieur hiérarchique direct, dont il est admis qu’il s’inscrit dans le cadre de la restructuration du service et de la mise en ‘run off’ de l’activité principale ‘Global Risk’ à laquelle M. [N] était jusqu’alors rattaché, fait la liste de cinq missions confiées au salarié parmi lesquelles, sans hiérarchie particulière, est définie une mission d’assistance impliquant conseil technique et commercial à la nouvelle équipe Global Risk.

Les échanges de courriers électroniques qui s’en sont suivis sur lesquels le salarié se fonde pour asseoir ses demandes au titre du harcèlement moral, démontrent au contraire la réalité d’échanges correspondant à la mission de conseil qu’il avait acceptée, rien ne permettant de considérer qu’il n’était fait appel à lui qu’en cas de difficulté insurmontable, alors au demeurant que le recours à l’assistance qu’il s’était engagée à fournir sur l’activité en cause se conçoit d’une difficulté subsistante pour les autres membres de l’équipe.

Le salarié stigmatise aussi le fait qu’il est le seul à avoir subi l’absence de toute augmentation de son salaire fixe à l’occasion de son redéploiement vers l’entité dite DEFI en mai 2011, ce qui ne peut être retenu dès lors qu’il ne conteste pas le départ de l’ensemble des autres membres de l’équipe Global Risk dans le cadre des PDV instaurés dans les suites de la restructuration née de la crise financière de 2008.

Au demeurant, M. [Y] dans l’audition dont il a fait l’objet dans le cadre de l’enquête pénale telle que rapportée par la chambre de l’instruction dans l’arrêt précité, a relevé que l’activité ‘global Risk’ ne générait pas de travail de production, le travail de M.[N] étant réduit de manière importante et seuls les producteurs bénéficiant d’une augmentation.

Ces déclarations ne sont pas remises en cause par l’attestation que M.[Y] a rédigée le 10 juin 2016 , pièce acquise aux débats en l’absence de toute demande de retrait dans le dispositif des conclusions de la société.

Quant à l’adoption d’une ‘stratégie de bonus zéro’ sur le fondement d’une évaluation de son N+1 formalisée selon les instructions de la direction des ressources humaines de la société, il doit être relevé que les conseils contenus dans le courrier électronique du 30 janvier 2014, (pièce N° 57) et adressés à ce même M. [Y], supérieur hiérarchique de l’intéressé par le service des ressources humaines, ne justifient pas d’une stratégie mise en place par l’employeur alors que la société justifie par le courrier électronique qu’elle verse en pièce N° 15, que le conseil auprès du service des ressources humaines a été sollicité par l’évaluateur lui même et que ce dernier avait déjà en 2012 apporté une appréciation mitigée sur le travail de M. [N] en relevant que ce dernier ‘devait apprendre à communiquer son savoir, n’avait pas atteint certains objectifs et qu’il gagnerait ‘ à se remotiver’.

Si un processus de licenciement a été mis en oeuvre le 15 avril 2015, il ne peut être retenu qu’il relevait d’un harcèlement moral alors que l’employeur démontre la réalité d’incidents répétés à compter de 2014 jusqu’au premier semestre 2015 inclus, tenant au comportement de M [N] et ayant nécessité des mises au point (lecture de revues pendant des réunions, contestations sous des formes diverses de l’autorité légitime de son nouveau supérieur hiérarchique (pièce N°7), et au rejet de demandes (pièce N° 18) de déplacement jugé inutile au regard non seulement des nécessités d’économies de fonctionnement dont l’objectivation tenant à la disparition progressive du service Global Risk et donc aux effets de la crise financière de 2008 n’est pas contestée mais également de l’affaissement des responsabilités de M. [N] sur le dossier Gobal Risk, le fait que M [W], nouvellement responsable du service depuis 2014 ait lui même considéré comme inutile, son propre déplacement n’étant pas contesté.

Il en est de même des explications sollicitées relativement à des abonnements à des revues juridiques dès lors qu’une note sur ce point a été adressée à l’ensemble des salariés le 18 septembre 2012 et que la volonté d’économie trouve son fondement objectif dans la crise financière précédemment rappelée. .

Les nombreux éléments médicaux produits caractérisent certes, un état de santé qui se dégrade à partir de la crise financière de 2008 et de ses conséquences, ainsi qu’une aggravation du déficit auditif, mais dont il ne peut être considéré au regard de ce qui précède qu’ils sont la suite du harcèlement moral dont M. [N] s’est estimé victime de la part de son employeur, malgré le suivi spécifique mis en oeuvre par le médecin du travail dans le cadre de visites périodiques fréquentes et quand bien même le malaise survenu sur les lieux d’exercice de ses fonctions a-t-il été considéré comme accident du travail, la survenue de cet événement au temps et au lieu du travail en justifiant la prise en charge au titre de la législation spécifique en la matière.

Le fait que le processus de rupture du contrat de travail ait été interrompu au regard de la désignation du salarié en qualité d’administrateur représentant les salariés pour le syndicat SNB au conseil de surveillance de BPCE, maison mère de la société Natixis, est objectivé par l’octroi du statut de salarié protégé qu’impliquait cette désignation, l’employeur ayant pris acte de celle-ci, les interrogations qu’il a formulées auprès de l’organisation syndicale sur un éventuel conflit d’intérêt à raison des procédures pénales mises en oeuvre par le salarié étant sans effet sur ce point, alors qu’elles ne révèlent en elle même aucune volonté d’obstruction.

L’absence d’activité concrète depuis 2016 est contredite par les échanges entre M. [N] et M. [C], son nouveau supérieur hiérarchique qui lui a proposé le 6 juillet 2015 (pièce N° 36 de l’employeur) un poste de ‘chargé de missions /études fiscales’, que le salarié a accepté sans réserve, notamment quant à son réel contenu tel que défini dans la fiche de poste jointe au courrier électronique susvisé, acceptation renouvelée à les 15 septembre 2016 et 6 janvier 2017 dans le cadre de missions dont il déplore aujourd’hui le caractère temporaire, mais dont le service des ressources humaines lui a rappelé le 16 décembre 2015 (pièce N° 9 de l’employeur), la volonté de la société, opposée à la sienne, de convenir avec lui de leur caractère pérenne, la coïncidence de cette proposition avec la convocation devant le tribunal correctionnel sur citation directe ne pouvant être retenue alors que M. [N] fait lui même état d’une citation pour le 9 février 2017 sans préciser sa date de remise et ne la produit pas.

Quant au retard pris pour le remboursement de deux notes de frais à raison selon le salarié, d’un contrôle tatillon de son supérieur hiérarchique , il ne peut être retenu au nombre des éléments non justifiés alors que le bien fondé de vérifications sur leur nature et leur ampleur résulte du pouvoir hiérarchique de l’employeur, notamment dans le contexte post-crise économique ci-dessus rappelé et que le remboursement effectif des sommes exposées est intervenu dans le semestre suivant.

Aucune justification objective n’est en revanche donnée par l’employeur sur la radiation du 15 février 2018, de la liste des ‘initiés habituels sur tout client de Natixis’ (pièce N° 79) ni sur l’absence de toute évaluation depuis 2018.

Cependant, ces faits ne caractérisent pas la réalité du harcèlement moral dont se plaint M. [N], alors au demeurant que l’intéressé devenu depuis 2016 et avec son accord, ‘chargé de mission/ études fiscales’, ne met pas la cour en mesure de considérer que cette habilitation lui demeurait utile.

Le jugement ayant rejeté les demandes formées au titre du harcèlement moral doit en conséquence être confirmé.

II- sur le rappel de bonus,

Il résulte de ce qui précède que le caractère discrétionnaire des bonus tel que stipulé par le contrat de travail et ses avenants successifs est établi et leur réduction drastique à compter de 2009 a été considéré comme justifiée, d’autant qu’elle a touché l’ensemble des membres du service dont dépendait M [N].

La demande subsidiaire de e dernier ne peut donc prospérer.

Le jugement entrepris doit donc être également confirmé de ce chef.

Malgré l’issue du litige, il est équitable de laisser à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La cour,

CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

REJETTE en conséquence l’ensemble des demandes formées par M. [N],

LAISSE à chacune des parties la charge de ses propres frais irrépétibles,

CONDAMNE M. [N] aux dépens de première instance et d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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