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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 5 – Chambre 11
ARRET DU 03 MARS 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/10178 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDYSL
Décision déférée à la Cour : Jugement du 10 Mai 2021 -Tribunal de Commerce de PARIS – RG n° 2018000374
APPELANTE
S.A.S.U. DSTORAGE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 4]
[Localité 3]
immatriculée au registre du commerce et des sociétés D’EPINAL sous le numéro 511 962 979
représentée par Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Assistée de Me Ronan HARDOUIN, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
S.A. SOCIETE GENERALE
prise en la personne de ses représentants légaux
[Adresse 1]
[Localité 2]
N° SIRET : 552 12 0 2 22 ( RCS PARIS)
représentée par Me Denis-clotaire LAURENT de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : R010
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 05 Janvier 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposé, devant Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
M.Denis ARDISSON, Président de chambre,
Mme Marion PRIMEVERT, Conseillère,
Mme Marie-Sophie L’ELEU DE LA SIMONE, Conseillère,
Qui en ont délibéré.
Greffier, lors des débats : M.Damien GOVINDARETTY
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M.Denis ARDISSON, Président de chambre, et par Damien GOVINDARETTY, Greffier présent lors de la mise à disposition.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Il sera succinctement rapporté que la sas Dstorage, créée en 2009, propose des services de stockage de contenus sur ses serveurs, utilisables par tout internaute depuis le site internet 1fichier.com. Son modèle d’affaires est basé sur une offre « Freemium » qui consiste à fournir de manière gratuite une grande partie des services proposés de manière dégradée, afin que l’utilisateur les teste avant d’y souscrire. Ainsi un utilisateur peut stocker de manière gratuite des fichiers sur les serveurs 1fichier.com, mais pour une durée de stockage limitée seulement ; pour que le stockage devienne permanent, l’utilisateur doit souscrire un abonnement payant au service. L’internaute se voit remettre, pour chaque contenu déposé, un lien hypertexte sécurisé qui lui permet d’accéder au contenu et, s’il le souhaite, d’indiquer « le chemin d’accès » aux personnes auxquelles il destine le contenu. L’utilisateur est également libre de ne pas communiquer le lien d’accès et de se réserver l’utilisation du service 1fichier.com à des seules fins de stockage sécurisé de ses contenus de manière dématérialisée. Le lien de téléchargement fourni lors du dépôt de fichier est, en lui-même, un identifiant, un code et un mot de passe, permettant d’accéder au contenu déposé.
Pour le paiement de sa prestation en ligne, Dstorage a souscrit, le 4 janvier 2013, auprès de la sa Société Générale (ci-après SG) un contrat monétique intitulé « Sogenactif » s’articulant autour d’une prestation de services de paiement et d’une prestation technique, lui permettant de recevoir des paiements à distance par cartes bancaires « CB », « Visa » et « MasterCard » de la part des utilisateurs de son site Internet.
Pour courrier du 6 juillet 2015 invoquant 2.358 nouveaux fichiers accessibles sur le site www.1fichier.com signalés comme illicites par la société Zee Entertainment Enterprises au regard des droits de propriété intellectuelle, ainsi qu’un lien accessible sur ce site vers un film alors à l’affiche signalé par la société Mastercard, SG lui a notifié sa décision de résilier le contrat monétique en visant l’article 1.4 du contrat souscrit en 2013, à compter de la première présentation de ladite lettre (pièce 16 SG).
Après plusieurs instances en référé, Dstorage a assigné SG devant le tribunal de commerce de Paris le 14 novembre 2017 en vue de voir déclarer la résiliation abusive, ordonner le rétablissement du service de paiement sécurisé en ligne objet du contrat monétique du 4 janvier 2013 et condamner SG à lui payer 227.450€ au titre de son préjudice matériel, 1.500.000€ au titre de la perte de chance de se développer et 300.000€ au titre du préjudice moral subi.
***
Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 10 mai 2021 qui a :
– débouté la Société générale de sa demande de renvoi de l’affaire pour communication d’un dossier pénal,
– débouté Dstorage de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– débouté Dstorage de toutes ses demandes à l’encontre des ministères de la culture et de l’économie et des finances,
– condamné Dstorage à payer à la Société générale 10.000€ en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné Dstorage à payer aux ministère de l’économie et des finances 726€ en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire,
– condamné Dstorage aux dépens.
***
Vu l’appel interjeté par la sas Dstorage le 31 mai 2021,
***
Vu l’article 455 du code de procédure civile,
Vu les dernières conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 9 novembre 2022 pour la sas Dstorage, par lesquelles elle demande à la cour de :
Vu les articles 6-I-2 et 6-I-5 de la LCEN,
Vu les articles 1224 et suivant du Code civil,
Vu l’article 1231-3 du Code civil,
Vu l’article 1104 du Code Civil,
Vu le Contrat SOGENACTIF,
Vu les comptes-rendus de la mission follow the money,
Vu l’article 6 de la CEDH,
Vu l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen sur la liberté du commerce et de l’industrie,
Vu les pièces et jurisprudences versées au débat,
Sur la prétention n°1 :
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a retenu que la Société Générale rapportait la preuve de sa qualité de personne informée au sens du Contrat Monétique ;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a retenu la Société Générale a motivé la résiliation en annexant dans le courrier du 6 juillet 2015 actant cette résiliation une liste de fichiers présumés illicites,
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a retenu que les règles d’imputation de la responsabilité énoncées par la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique du 21 juin 2004 n’était pas applicable au litige ;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a retenu que le contexte de 2015 et la procédure follow the money pouvait justifier la résiliation ;
En conséquence,
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a retenu que le contrat Monétique résilié ne pouvait être rétabli ;
Et statuant à nouveau,
– JUGER que la Loi pour la Confiance en l’Économie Numérique est applicable au litige
– JUGER, en conséquence, qu’aucun acte de contrefaçon ne peut être imputé à la société DSTORAGE
– JUGER que la résiliation unilatérale du contrat Monétique par la Société Générale est abusive
– JUGER que le contrat Monétique doit être rétabli.
Sur la prétention n°2 :
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a débouté l’ensemble des demandes de dommages et intérêts ;
En conséquence,
– JUGER que la société DSTORAGE a subi un préjudice matériel, un préjudice de réputation, un préjudice d’affection en la personne de son dirigeant et une perte de chance de développer son activité ;
– CONDAMNER la Société Générale à payer la somme de deux cent vingt-sept mille quatre cent cinquante euros (227.450 €) à la société DSTORAGE en réparation du préjudice matériel ;
– CONDAMNER la Société Générale à payer la somme de deux cent mille euros (200.000€) à la société DSTORAGE en réparation de son préjudice de réputation ;
– CONDAMNER la Société Générale à payer la somme de cent mille euros (100.000 €) à Monsieur [I] en sa qualité de président de la Société DSTORAGE en réparation de préjudice d’affection ;
– CONDAMNER la Société Générale à payer la somme d’un million cinq cent mille euros (1.500.000 €) en réparation de la perte de chance de se développer suite à la résiliation abusive du contrat Monétique ;
En tout état de cause,
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE aux entiers dépens ;
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE au paiement de la somme de dix mille euros (10.000 €) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au profit de la Société Générale
– INFIRMER le jugement en ce qu’il a condamné la société DSTORAGE au paiement de la somme de sept cent vingt-six euros (726 €) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au profit du ministère de l’Économie et des finances ;
Et statuant à nouveau
– CONDAMNER la Société Générale à payer la somme de cinquante mille euros (50.000 €) à la société DSTORAGE au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.
Vu les conclusions remises par le réseau privé virtuel des avocats le 2 décembre 2022 pour la sa Société Générale, par lesquelles elle demande à la cour de :
Vu les articles 1134 (1103 et 1104 nouveaux), 1150 (1231-3 nouveau), 1151 (1231-4 nouveau) et 1315 (1353 nouveau) du Code civil,
Vu l’article L.442-6 I 2° du Code de commerce,
Vu les articles 699 et 700 du Code de procédure civile,
Sur la prétention N°1 :
A titre principal
– Dire que la Cour n’est valablement saisie d’aucune demande de rétablissement du service monétique déterminée .
A titre subsidiaire
– Débouter la société Dstorage de tous ses moyens, fins et conclusions et de sa demande de rétablissement du service monétique
Sur la prétention N°2 :
A titre principal
– Débouter la société Dstorage de tous ses moyens, fins et conclusions et de ses différentes demandes indemnitaires,
En tout état de cause,
– Débouter la société Dstorage de tous ses moyens, fins et conclusions et de toutes autres demandes,
– Condamner la société Dstorage au paiement de la somme de 50.000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu l’ordonnance de clôture du 15 décembre 2022,
***
SUR CE, LA COUR,
A titre liminaire
Aux termes de l’article 31 du code de procédure civile, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
La cour relève, comme le demande SG (page 47 de ses conclusions), que la demande de l’appelante de « CONDAMNER la Société Générale à payer la somme de cent mille euros (100.000 €) à Monsieur [I] en sa qualité de président de la Société DSTORAGE en réparation de préjudice d’affection » est irrecevable faute pour celui-ci d’être partie à l’instance et Dstorage n’ayant aucune qualité à agir pour lui.
De même, vu l’article 472 du code de procédure civile, il n’est rapporté aux débats aucune signification en intervention forcée en appel du Ministère de l’Économie et des Finances, qui n’est d’ailleurs pas visé comme partie dans les conclusions de l’appelante, de telle sorte que la demande d’infirmation de la condamnation de Dstorage en première instance à verser à celui-ci une somme au titre de l’article 700 du code de procédure civile, est également irrecevable.
Sur les relations entre les parties
Sur l’application de la loi LCEN
La loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN), en transposant la directive sur le commerce électronique, établit un droit français de l’internet et pose des règles relatives au commerce électronique. Elle définit aussi un régime de responsabilité pour ses acteurs. Elle pose le principe de l’absence d’obligation pour les prestataires techniques de surveiller les contenus qu’ils stockent ou acheminent mais impose aux hébergeurs de retirer promptement les contenus illicites à partir du moment où ils en ont eu connaissance effective. L’article 6-I.-2 précise ainsi que les personnes physiques ou morales qui assurent (…) le stockage de signaux d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services, soit les « hébergeurs », ne peuvent pas voir leur responsabilité civile engagée du fait des activités ou des informations stockées à la demande d’un destinataire de ces services si elles n’avaient pas effectivement connaissance de leur caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ou si, dès le moment où elles en ont eu connaissance, elles ont agit promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible. L’alinéa 5 de cet article 6 instaure un système de présomption de connaissance des faits litigieux pour les hébergeurs à qui un certain nombre d’éléments d’information ont été notifiés. Le Conseil Constitutionnel, saisi au sujet de l’exercice d’une liberté constitutionnellement protégée, soit la liberté de communication ou la liberté d’entreprendre, et alors qu’il n’est pas interdit au législateur de faire supporter à certaines catégories de personnes, pour un motif d’intérêt général, des charges particulières, dès lors qu’il n’en résulte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques, a validé cette disposition légale en précisant dans sa décision n°2004-496 du 10 juin 2004 que « les dispositions contestées de l’article 6 de la loi pour la confiance dans l’économie numérique ont pour seule portée d’écarter la responsabilité civile et pénale des hébergeurs dans les deux hypothèses qu’elles envisagent. Elles ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers, si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère ou si son retrait n’a pas été ordonné par un juge ».
Ainsi, l’article 6 de la loi LCEN institue t-il un régime de responsabilité allégée à l’endroit de l’hébergeur, dont la responsabilité peut être engagée dès lors qu’une notification sans formalisme lui a été faite, que l’information dénoncée comme illicite par un tiers présente manifestement un tel caractère (à savoir les faits mentionnés à l’article 6 I 7 de la loi, c’est-à-dire l’apologie, la négation ou la banalisation des crimes contre l’humanité, la provocation à la commission d’actes de terrorisme et leur apologie, l’incitation à la haine raciale, à la haine à l’égard de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur identité de genre ou de leur handicap ainsi que la pédopornographie, l’incitation à la violence, notamment l’incitation aux violences sexuelles et sexistes, ainsi que les atteintes à la dignité humaine, tout comme la diffamation et les données contrefaisantes), et qu’il n’a pas agit promptement pour supprimer ces données ou en interdire l’accès. Il appartient dans ce dernier cas à l’hébergeur de rapporter la preuve des actions menées.
Dans le présent litige, si la qualité d’hébergeur n’est pas contestée par Dstorage en ce qu’elle ne jouait aucun rôle actif, son intervention se limitant à la structuration du site, ainsi qu’à la classification des informations mises à disposition du public et à l’uniformisation formelle de la présentation des données pour faciliter l’usage de son service, et qui ne comprenait ni la détermination, ni la vérification des contenus qui y étaient publiés sous la seule responsabilité des internautes, le litige soumis à la cour s’inscrit sur le terrain de l’exécution des clauses du contrat conclu avec SG et non sur celui de la recherche d’une responsabilité délictuelle par un tiers ou un prestataire de la société Dstorage tel que l’instaure la loi LCEN.
Partant c’est à juste titre que le tribunal de commerce a écarté l’application de la loi LCEN en tant que telle pour répondre à l’assignation de SG par Dstorage.
Sur l’application du contrat entre les parties
Le 4 janvier 2013, la société Dstorage a conclu avec la Société Générale un contrat de prestation intitulé Sogenactif. Ce contrat s’inscrit dans un processus de sécurisation des paiements par carte bancaire mis en place par le GIE des cartes bancaires dans le domaine du commerce électronique et la vente à distance avec l’objectif d’éviter que des tiers non autorisés accèdent aux données liées à une carte CB ou agréée CB et afin de limiter l’utilisation du seul numéro de carte pour donner un ordre de paiement. La société Dstorage qui adhère au système de paiement à distance sécurisé, est appelée ‘l’Accepteur’. La Société Générale dont il est précisé qu’elle a signé par ailleurs un contrat d’acceptation avec le GIE, est ‘l’Acquéreur de l’Accepteur’.
En vertu de l’article 9 de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, les contrats conclus avant le 1er octobre 2016 demeurent soumis à la loi ancienne. En l’espèce, le contrat litigieux a été conclu en 2013, pour une durée indéterminée (article 1.1 de la partie 3. Pièce 1 SG) de sorte qu’il est ainsi soumis au code civil tel qu’antérieur à cette réforme.
En application de l’article 1134 du code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes de l’article 3.1.4 ‘ Partie I ‘ « l’accepteur s’engage à : utiliser le système de paiement à distance sécurisé en s’abstenant de toute activité illicite », parmi lesquelles « des actes de contrefaçon d”uvres protégées par un droit de propriété intellectuelle ». L’article 1.4 ‘ Partie 3 ‘ prévoit quant à lui que la « Société Générale peut suspendre ou résilier le service sans préavis, sans autre formalité que l’envoi d’une lettre recommandée avec demande d’avis de réception, dès lors qu’elle est informée de l’illicéité du contenu du site Internet de l’Accepteur ». Dstorage indique elle-même (conclusions page 16) que « la lettre de l’article 3.1.4 – Partie 3 ‘ permet de qualifier l’obligation attendue par la société DSTORAGE. En tant qu’obligation d’abstention, elle est nécessairement de résultat ».
Il ressort de ces clauses que SG dispose de la faculté de mettre fin au contrat dès lors qu’elle est informée de cette illicéité sans référence aux mécanismes et exigences posées par la LCEN en matière de responsabilité de l’hébergeur, applicables à des relations non contractuelles.
Si Dstorage fait valoir que le site 1fichier.com ne peut être considéré comme illicite même s’il peut être détourné à des fins illicites par les utilisateurs, la clause acceptée par Dstorage dans le contrat ne vise pas un « site illicite » mais « l’illicéité du contenu du site » à raison notamment de contrefaçons. Dans l’arrêt que cite Dstorage du 22 juin 2021 (Affaire C-682/18), la Cour de justice de l’Union Européenne a rappelé au visa de l’article 3 de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 que, pour pouvoir considérer qu’un exploitant de plateforme effectue un acte de communication au public, il faut qu’il joue un rôle incontournable dans la mise à disposition des contenus illicites, ce critère étant bien rempli par les plateformes telles que celles auxquelles Dstorage s’identifie, puisqu’en leur absence, « le libre partage sur Internet de ces contenus s’avérerait impossible ou, à tout le moins, plus complexe » (§ 77). Certes pour la CJUE, le seul critère du rôle incontournable de la plateforme ne suffit pas à établir l’existence d’un acte de communication au sens de la directive susvisée, le caractère délibéré de l’intervention de l’exploitant de plateforme devant être démontré. La CJUE rappelle que ce caractère délibéré peut se déduire de différents éléments de faits qu’elle énumère en retenant que le seul but lucratif de la plateforme ne peut suffire à établir une telle présomption. En revanche selon la CJUE, « constituent à cet égard des éléments pertinents, notamment, le fait qu’un tel exploitant, alors même qu’il sait ou devrait savoir que, d’une manière générale, des contenus protégés sont illégalement mis à la disposition du public par l’intermédiaire de sa plateforme par des utilisateurs de celle-ci, s’abstient de mettre en ‘uvre les mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur sur cette plateforme » (§ 84).
Il se trouve que s’agissant de ce site, suite à la mise en ‘uvre d’un système de détection d’éventuelles activités illicites des clients des banques, notamment la surveillance de leurs sites internet afin de s’assurer que ses produits et services n’y soient pas associés, et par courrier du 15 juin 2015 (pièce 2 SG) le groupe Mastercard a informé SG que suite à des commandes réalisées par lui impliquant l’utilisation d’une carte bancaire Mastercard, il avait été constaté l’illicéité de contenus disponibles sur le site 1fichier.com exploité par Dstorage, comme violant les droits de propriété intellectuelle de la société de production audiovisuelle indienne Zee Entertainment Enterprises et de ses filiales d’exploitation, en permettant le téléchargement illégal de séries et de films. La propriété intellectuelle de ces contenus a été confirmée par Zee Entertainment Enterprises (pièce 4 SG).
Par courriel du 19 juin 2015, SG a notifié à Dstorage la situation d’illicéité dénoncée par Mastercard ainsi qu’une plainte sur ces contenus de Aiplex Software pour Zee Entertainment Enterprises du 28 octobre 2014 (pièce 7 SG).
Par courrier du 25 juin 2015 (pièce 16 Dstorage), SG a rappelé son courriel du 19 juin et les plaintes de Mastercard et de Aiplex Software, et mis en demeure Dstorage de supprimer les 740 fichiers identifiés par Zee Entertainment Enterprises dans les 24h de la réception du courrier, en confirmant cette suppression par mail à SG. SG informait Dstorage qu’à défaut, elle procéderait à la résiliation du contrat monétique en application de l’article 1.4 partie 3 des conditions générales du contrat.
Par ces notifications contenant suffisamment d’éléments pour permettre à l’exploitant de cette plateforme de s’assurer, sans examen juridique approfondi, du caractère illicite de ces communications et de la compatibilité d’un éventuel retrait de ce contenu avec la liberté d’expression, Dstorage avait connaissance des illicéités dénoncées.
Au sens de la jurisprudence de la CJUE, les mesures techniques suffisantes afin de prévenir et de faire cesser les violations du droit d’auteur sur sa plateforme peuvent consister notamment en la combinaison de mesure comme : installer un bouton de notification et un procédé spécial d’alerte pour signaler et faire supprimer des contenus illicites ainsi qu’un programme de vérification des contenus et des logiciels de reconnaissance de contenu facilitant l’identification et la désignation de tels contenus.
Or Dstorage ne rapporte à aucun moment la mise en ‘uvre par elle, sur cette période et concernant les liens hypertextes dénoncés, des mesures techniques appropriées qu’il est permis d’attendre d’un opérateur normalement diligent dans sa situation pour contrer de manière crédible et efficace des violations du droit d’auteur au regard de celles notamment décrites par la CJUE. L’attestation générale fournie par un acteur d’internet, postérieurement à la résiliation (pièce 40 Appelante) ne rapporte la preuve d’aucune mesure mise en ‘uvre du chef des dénonciations de SG. Si Dstorage indique « proposer aux titulaires de droit de propriété intellectuelle une interface de retrait des contenus » (page 27 de ses conclusions), la cour relève que :
– le lien qu’elle produit en note de bas de page n°38 page 27 de ses conclusions (https://1fichier.com/abus.html) renvoie à une page de son site tel qu’actuellement en fonctionnement et non aux mesures prises en 2015 lors des faits dénoncés,
– le rapport de M. [F] [V] qu’elle produit en pièce 44 sur ces mesures est un rapport d’expertise privé, à ce titre insuffisant à rapporter la preuve attendue, dont la cour relève en outre qu’il ne porte aucune date et ne constate de manière certaine à aucun moment la date des captures d’écran réalisées, afin de rattacher ces constats aux faits ici dénoncés,
– les contrats qu’elle produit en pièces 45 et 32 respectivement avec Gold Access Inc et Aiplex ne sont de même pas datés, et ainsi sans lien avec le présent litige.
Ainsi, alors que Dstorage ne rapporte avoir mis en ‘uvre aucune des mesures techniques attendues suite à la connaissance par elle des contenus illicites déposés sur la plateforme qu’elle exploite, c’est à bon droit que SG, en application des conditions générales du contrats et après mise en demeure, a procédé à la résiliation du contrat monétique de Dstorage le 6 juillet 2015 sans préavis (pièce 18 Appelante).
Au demeurant, constatant la persistance de ces illicéités, par courrier du 10 août 2015, le groupe Mastercard a notifié à SG une pénalité de 157.471,00 $ à titre de sanction en raison des faits déjà intervenus et a informé la Banque qu’il allait renouveler et durcir la sanction en cas de maintien de l’utilisation de son système Mastercard pour l’exploitation par Dstorage de fichiers illicites (pièce 17 SG). La pénalité a été facturée pour 157.471 $ le 23 août 2015 avec ce libellé : « Non Compliance Fees Business Risk Assess and litigation DSTORAGE ».
C’est ainsi à juste titre que le tribunal a retenu que la résiliation du contrat monétique était intervenue à bon droit et a débouté Dstorage de sa demande de rétablissement du contrat.
En conséquence, Dstorage, en l’absence de faute de SG dans l’exécution du contrat, doit être déboutée également de l’ensemble de ses demandes indemnitaires en réparation des préjudices invoqués à la suite.
Ainsi le jugement sera confirmé dans l’ensemble de ses dispositions.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement, confirmé dans l’ensemble de ses dispositions, sera également confirmé en ce qu’il a statué sur les dépens et frais irrépétibles de la première instance.
Statuant de ces chefs en cause d’appel, l’appelante qui succombe sera condamnée aux dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.
Dstorage, tenue aux dépens, sera en conséquence condamnée à payer à SG la somme de 25.000€ au titre des frais irrépétibles, en application de l’article 700 du même code.
PAR CES MOTIFS,
Déclare irrecevable la demande de la sas Dstorage de « condamner la Société Générale à payer la somme de cent mille euros (100.000 €) à Monsieur [I] en sa qualité de président de la Société Dstorage en réparation de préjudice d’affection »,
Déclare irrecevable la demande de la sas Dstorage de « infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Dstorage au paiement de la somme de sept cent vingt-six euros (726 €) au titre de l’article 700 du Code de procédure civile au profit du ministère de l’Économie et des finances »,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne la sas Dstorage aux dépens de l’appel,
Condamne la sas Dstorage à payer à la la SA Société Générale la somme de 25.000€ (vingt cinq mille euros) au titre des frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile,
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT