Production Audiovisuelle : 25 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00440

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Production Audiovisuelle : 25 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/00440

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 25 MAI 2023

(n° , 12 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00440 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBINH

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Décembre 2019 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’AUXERRE – RG n° F17/00022

APPELANTE

SARL ICAU FRANCE, placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de d’Auxerre en date du 5 juillet 2022

INTIMÉE

Madame [P] [M]

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Vincent RIBAUT, avocat au barreau de PARIS, toque : L0010

PARTIES INTERVENANTES

Me [Z] [D] ès qualités de Mandataire liquidateur de SARL ICAU FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 6]

Représenté par Me Evelyne PERSENOT-LOUIS, avocat au barreau d’AUXERRE

ASSOCIATION UNEDIC DELEGATION AGS CGEA [Localité 4]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 4]

N’ayant pas constitué avocat, assignation à personne morale le 2 décembre 2022

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 30 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Madame [P] [M] a été engagée par la société Icau France en qualité de commerciale télévendeuse par contrat à durée indéterminée à compter du 2 juin 2003.

Le 15 mars 2016, son employeur lui a proposé un avenant pour revoir son commissionnement à compter du 1er avril 2016 , proposition qu’elle a refusée.

A partir du 9 janvier 2017 jusqu’à fin décembre 2017, le contrat de travail de Madame [M] a été suspendu pour cause de maladie.

Parallèlement, elle a saisi le 9 mars 2017 le conseil de prud’hommes d’Auxerre en vue d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Le 3 avril 2017, la médecine du travail l’a déclarée inapte à tout poste dans l’entreprise.

L’employeur a contesté cet avis d’inaptitude; un expert a été désigné par le président du conseil de prud’hommes le 18 mai 2017.

L’employeur n’ayant pas repris le paiement de son salaire, Madame [M] a saisi le conseil de prud’hommes en référé le 12 octobre 2017.

Par ordonnance du 23 novembre 2017, le conseil de prud’hommes lui a accordé une provision de 3 000 euros et la Cour d’appel de Paris (6-2) a confirmé l’ordonnance déférée sauf en ce qui concerne le montant de la provision, condamnant la société Icau France à payer à la salariée la somme provisionnelle de 23’605,26 € à titre de rappel de salaire du 1er mai au 18 décembre 2017.

Le 4 décembre 2017, la société Icau France a saisi la juridiction prud’homale afin de contester l’inaptitude de Madame [M], laquelle a été licenciée par courrier du 21 décembre 2017.

Par jugement du 13 décembre 2019, le conseil de prud’hommes d’Auxerre a :

– joint les instances engagées sous les numéros RG F17/00022 et 17/000158,

– prononcé la résiliation judiciaire du contrat de Madame [M] à la date du 21 décembre 2017,

– condamné la société Icau France à lui payer les sommes suivantes :

* 4 690,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

* 469,04 euros à titre de congés payés sur préavis,

– dit que cette condamnation est prononcée en brut et qu’il appartiendra à l’employeur d’en déduire les charges sociales,

– dit qu’il devra justifier de ce calcul en cas d’exécution forcée éventuelle,

– condamné la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 9 380,95 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

– dit que les intérêts au taux légal courront à compter du 11 mars 2017, date de convocation de la défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation,

– dit, en application de l’article R 1454-28 du code du travail que l’exécution provisoire est de droit,

– condamné la société Icau France à payer à Madame [M] les sommes suivantes:

* 5 863,10 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Madame [M] du surplus de ses demandes,

– débouté la société Icau France de ses demandes reconventionnelles et l’a condamnée aux dépens.

Par déclaration du 13 janvier 2020, la société Icau France a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 10 mars 2023 et signifiées à l’Unédic AGS Sud [Localité 4] le 13 mars 2023 en sa qualité d’intervenant forcé à raison de la procédure de liquidation judiciaire la touchant, la société Icau France représentée par Maître [D], ès qualités de mandataire liquidateur, désigné par le Tribunal de commerce par jugement du 5 juillet 2022, demande à la cour de :
à titre principal,

– infirmer le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Auxerre en ce qu’il a :

*prononcé la résiliation judiciaire du contrat de Madame [M] à la date du 21 décembre 2017,

*condamné la société Icau France à payer à Madame [M] les sommes suivantes

– 4 690,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 469,04 euros à titre de congés payés sur préavis,

*dit que cette condamnation est prononcée en brut et qu’il appartiendra à l’employeur d’en déduire les charges sociales,

*dit qu’il devra justifier de ce calcul en cas d’exécution forcée éventuelle,

*condamné la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 9 380,95 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

*dit que les intérêts au taux légal courront à compter du 11 mars 2017, date de convocation de la défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation,

*dit, en application de l’article R 1454-28 du code du travail que l’exécution provisoire est de droit,

*condamné la la société Icau France à payer à Madame [M] les sommes suivantes :

– 5 863,10 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
*débouté Madame [M] du surplus de ses demandes,

*débouté la société Icau France de ses demandes reconventionnelles et l’a condamnée aux dépens,

et statuant à nouveau,

– annuler l’avis d’inaptitude de Madame [M] du 3 avril 2017,

– condamner Madame [M] à restituer les sommes provisionnelles qu’elle a perçues, soit 23 605,26 euros,

– confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Auxerre en ce qu’il a débouté Madame [M] du surplus de ses demandes,

– débouter Madame [M] de toutes ses demandes de condamnation de la société Icau France pour être irrecevables et mal fondées,

subsidiairement,

– infirmer le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Auxerre en ce qu’il a :

*prononcé la résiliation judiciaire du contrat de Madame [M] à la date du 21 décembre 2017,

*condamné la société Icau France à payer à Madame [M] les sommes suivantes :

– 4 690,48 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 469,04 euros à titre de congés payés sur préavis,

*dit que cette condamnation est prononcée en brut et qu’il appartiendra à l’employeur d’en déduire les charges sociales,

*dit qu’il devra justifier de ce calcul en cas d’exécution forcée éventuelle,

*condamné la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 9 380,95 euros à titre d’indemnité légale de licenciement,

*dit que les intérêts au taux légal courront à compter du 11 mars 2017, date de convocation de la défenderesse devant le bureau de conciliation et d’orientation,

*dit, en application de l’article R 1454-28 du code du travail que l’exécution provisoire est de droit,

*condamné la société Icau France à payer à Madame [M] les sommes suivantes :

– 5 863,10 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

-1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

*débouté Madame [M] du surplus de ses demandes,

*débouté la société Icau France de ses demandes reconventionnelles et l’a condamnée aux dépens,

et statuant à nouveau,

– débouter Madame [M] de toutes ses demandes de condamnation de la société Icau France, pour être irrecevables et mal fondées,

– annuler l’avis d’inaptitude de Madame [M] du 30 mars 2017,

– condamner Madame [M] à restituer les sommes provisionnelles qu’elle a perçues, soit 23 605,26 euros,

– confirmer le jugement rendu le 13 décembre 2019 par le conseil de prud’hommes d’Auxerre en ce qu’il a débouté Madame [M] du surplus de ses demandes,

à titre infiniment subsidiaire,

– débouter la salariée de ses demandes concernant le recalcul du préavis de l’indemnité de licenciement et les congés payés afférents,

en toutes hypothèses,

– réduire dans de notables proportions les demandes formulées par Madame [M],

– condamner Madame [M] à payer à Maître [Z] [D], ès qualités de liquidateur de la société Icau France une somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner Madame [P] [M] aux entiers dépens qui comprendront les frais et honoraires du rapport d’expertise désigné par ordonnance de référé du 18 mai 2017.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 29 novembre 2022, Madame [M] demande à la cour de :

principalement

-débouter la société Icau France de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes d’Auxerre sauf en ce qui concerne les

montants des condamnations prononcées,

– infirmer la décision entreprise de ces chefs,

statuant de nouveau,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 8178,8 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 817 euros au titre des congés payés sur préavis,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 3 289,4 euros au titre des congés payés (31,08 jours),

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 14 995,5 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 61 341 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit 15 mois de salaires,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des mesures vexatoires,

subsidiairement :

– annuler l’avertissement en date du 2 janvier 2017,

-débouter la société Icau France de sa demande de nullité de l’inaptitude de Madame [M] et de ses fins et conclusions,

– prononcer le caractère sans cause réelle et sérieuse du licenciement de Madame [M],

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 8 178,8 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 817 euros au titre des congés payés sur préavis,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 3 289,4 euros au titre des congés payés,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 14 995,5 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 61 341 euros au titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit 15 mois de salaires,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] la somme de 15 000 euros au titre de dommages et intérêts en réparation des mesures vexatoires,

très subsidiairement :

-ordonne la désignation d’un nouvel expert aux fins de conclure sur la déclaration d’inaptitude de Madame [M],

en tout état de cause :

– fixer le montant des condamnations précitées au passif de la liquidation judiciaire,

– dire que le CGEA fera l’avance des condamnations précitées,

– condamner la société Icau France à payer à Madame [M] à payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le CGEA de [Localité 4] n’a pas conclu.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 mars 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 30 mars 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail :

La société appelante, régulièrement représentée, conteste le jugement de première instance qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail, faisant valoir au contraire qu’avant l’introduction de la demande en justice, l’intimée ne justifie d’aucune réclamation salariale, d’aucune plainte, d’aucun arrêt de travail en lien avec son activité professionnelle et ce, depuis son embauche en 2003. Elle ajoute que la proposition de modification du contrat ne constitue pas une atteinte aux droits de la salariée, que les relations contractuelles se sont déroulées dans des conditions courtoises, confiantes, cordiales et sans animosité. Elle rappelle que seuls les faits antérieurs au 6 janvier 2017 peuvent être pris en compte puisque la salariée était en arrêt maladie ensuite et que le non-paiement des salaires ne saurait constituer un grief puisque l’avis d’inaptitude, remis en cause et donc annulé, ne peut justifier ledit paiement et qu’au surplus, la situation avait été régularisée au jour où le conseil de prud’hommes a statué. Enfin, elle souligne que les conditions de la reprise n’ont aucun rapport avec la relation de travail, l’intimée ayant eu son contrat de travail suspendu très en amont et, conjointement avec une de ses collègues, ayant contribué à la perte d’activité de l’entreprise, la concurrençant de façon déloyale après détournement de fichiers et de clients.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, Madame [M] met en avant une situation de harcèlement, de brimades, de dénigrements, antérieurement puis consécutivement à la proposition de baisse de sa rémunération en mars 2016 qu’elle a refusée avec sa collègue Madame [C], ainsi que le non-paiement de ses salaires, et enfin, le fait que la société Icau France voulait en réalité se débarrasser d’elle en la poussant à la démission, le dirigeant ayant vendu ses parts sociales et prévu de conserver un poste salarié après la cession.

Lorsqu’un salarié demande la résiliation de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur, et qu’il est licencié ultérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée.

Les manquements de l’employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être établis par le salarié et d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

La gravité des faits reprochés s’apprécie non à la date d’introduction de la demande de résiliation judiciaire mais en fonction de leur persistance jusqu’au jour du licenciement ou, le cas échéant, d’une régularisation intervenue dans l’intervalle.

En ce qui concerne la violation des salaires garantis par les arrêts maladie et par le régime d’inaptitude, premiers griefs développés par la salariée, la déduction d’une somme de 1302 € – dont le calcul n’est pas explicité – sur le salaire de septembre 2017 n’est pas justifiée par l’employeur, pas plus que la non-reprise du versement du salaire en violation de l’article L 1226-4 du code du travail, alors que la contestation (en date du 4 décembre 2017) de l’avis d’inaptitude du 30 mars précédent , sans effet suspensif- ne le dispensait pas de son obligation de paiement du salaire à l’issue du délai d’un mois visé par ce texte.

Par ailleurs, la salariée se plaint de pressions, d’agissements ayant eu pour effet une dégradation de ses conditions de travail et de son état psychique et physique, faits constitutifs de harcèlement moral.

Selon l’article L 1154 -1 du code du travail dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement.Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.

Madame [M] justifie de son refus de modification du contrat de travail en date du 23 mars 2016 et de la réponse de son employeur (en date du 11 avril 2016) espérant trouver ‘un compromis permettant la révision du barème datant du 1er janvier 2005′; elle produit également une copie d’une annonce d’emploi pour un commercial sédentaire en date du 5 avril 2016 émanant de la société Icau France, plusieurs candidatures reçues ensuite dans le courant du mois d’avril 2016, ainsi que différentes attestations.

Si les attestations d’anciennes salariées décrivant des pressions de l’employeur sur elles-mêmes à leur retour de congé maternité notamment, conduisant l’une d’elles à démissionner, ne peuvent nullement éclairer le débat relatif à Madame [M], si le document dactylographié émanant de Madame [U] et celui de Madame [K] – non accompagné d’un document d’identité- ne sauraient constituer une attestation conforme aux dispositions de l’article 202 du code de procédure civile, la salariée justifie d’attestations d’amis ou de connaissances faisant état de la dégradation de son état de santé, d’un arrêt de travail dont elle aurait pu bénéficier du 8 au 15 avril 2016 et qui, selon elle, n’a pas été effectif de peur de représailles de l’employeur, de prescriptions d’antidépresseurs, d’extraits de son dossier médical constitué par le médecin du travail faisant état d’une part, lors de la visite du 21 avril 2016, de ‘doléances professionnelles’, ‘depuis quelques mois problèmes relationnels avec employeur qui lui a soumis un avenant à son contrat aboutissant dit-elle à une diminution de la rémunération. A contacté insp. du travail qui a confirmé a priori, et donc a refusé de signer. Depuis employeur la surveille en permanence dit-elle, avec des propos jugés dévalorisants ; « bonne à rien », dit reçoit ordres contradictoires et « employeur lui ôte les moyens pour aboutir à ses objectifs »[…], d’autre part lors de la visite du 19 janvier 2017, de ‘dépression : en arrêt depuis le 7 jusqu’au 16 janvier. Signale des troubles du sommeil, de mémoire, recrudescence de migraines, polyalgies, gastralgies, dit se sent épuisée perte de poids ( constatée 4 kg) pleure après le travail au cours de l’entretien. A vu le psy ce jour (cf certificat). Ne veut retourner dans l’entreprise, dit ‘n’a plus de directives, ne fait jamais bien’.

Elle produit également différents certificats médicaux ainsi que sa prise en charge par le Centre Médico-psychologique d'[Localité 6] en date du 9 janvier 2017 et des avis de travail successifs à compter de cette date.

Mme [M] fait état aussi d’un courrier du 2 janvier 2017 de son employeur indiquant ‘lorsqu’un salarié met en cause un service Administratif ainsi que la Direction, en les soupçonnant d’avoir ouvert son ordinateur au matin, il traduit un sentiment destructeur et malsain pour l’équilibre professionnel. D’autre part et suite à un dysfonctionnement informatique, d’autres faits ont été mis en évidence et ont permis l’accès à des dossiers et autres documents à caractère confidentiel.

La Direction rappelle à tous ses salariés que les documents confidentiels ne doivent pas être consultés sans autorisation, même si l’action devient possible fortuitement. De plus, il est inadmissible que ces informations soient utilisées à titre de revendications personnelles. Il est d’ailleurs rappelé que le matériel ainsi que les informations ou documents restent la propriété de la société et ne doivent en aucun cas être exploités ou extraits. Je souhaite que de tels agissements ne se reproduisent plus pour l’harmonie et le respect dû à l’ensemble du personnel’.

Si ce courrier est à l’évidence une réponse à la dénonciation de Mme [M] d’un message affiché sur son ordinateur faisant état de son utilisation par une autre personne, il constitue une pression sur la salariée par les termes utilisés, mais ne saurait être considéré comme une sanction disciplinaire, en raison des termes généraux et de la volonté exprimée ‘d’éclaircir une situation disproportionnée’ et de rétablir l’harmonie au sein du personnel.

La demande d’annulation ne saurait donc être accueillie.

La salariée justifie également du contrat de mission conclu entre son employeur et l’agence ARAPE (Agence de Recherches et d’enquêtes Agréée pour Particuliers et Entreprises) en vue de rechercher si elle effectuait du travail dissimulé pendant sa période d’arrêt maladie ( pièce 5-41) ainsi que des démarches menées pour constater sa présence à la salle de sport dont son mari assure la gérance.

Au vu des pièces produites, Madame [M] présente des éléments de fait relatifs à diverses pressions et agissements laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral à son encontre.

Si la société Icau France, régulièrement représentée, conteste tout harcèlement moral, elle fait état d’éléments antérieurs à la proposition de modification du calcul des commissions de la salariée et produit diverses pièces montrant les bonnes relations entretenues par le gérant de la société Icau France avec son personnel, le travail dissimulé de Madame [M] au sein de la salle de sport de son époux, la lecture et la copie de fichiers de l’entreprise à partir d’un support externe, sans que ces éléments de fait, en tout état de cause postérieurs à ceux dénoncés et établis par la salariée, ne les justifient.

Par ailleurs, la société régulièrement représentée invoque la régularisation de la situation par le paiement de la somme fixée par la Cour d’appel au titre du rappel de salaire dû dans le cadre de l’article L 1226-4 du code du travail mais ne se réfère qu’à la copie d’un chèque en date du 23 novembre 2018, et donc très largement postérieur à la rupture du lien contractuel.

Il convient, dans ces conditions, de confirmer le jugement de première instance qui a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur, en en fixant la date au jour du licenciement.

Si l’ouverture de la procédure collective de la société Icau France fait obstacle à toute condamnation pouvant être prononcée à son encontre, l’irrecevabilité des demandes présentées par la salariée ne saurait être retenue, cette dernière ayant ajouté dans ses conclusions une demande de fixation du montant des condamnations au passif de la liquidation judiciaire.

En l’état de la résiliation judiciaire prononcée, il convient cependant d’infirmer le jugement de première instance relativement à l’indemnité compensatrice de préavis – s’élevant à réalité à la somme de 5 078,80 €-, aux congés payés y afférents, à l’indemnité de licenciement à hauteur de 11’871,30 €, ainsi qu’aux dommages- intérêts qu’ il convient de fixer à hauteur de 5 000 euros pour cette rupture sans cause réelle et sérieuse, eu égard à l’ancienneté de la salariée, par application des dispositions de l’article L 1235-3 du code du travail dans sa version applicable en l’espèce, s’agissant d’une rupture intervenue dans une entreprise employant habituellement moins de onze salariés.

Sur l’avis d’inaptitude:

Le mandataire liquidateur de la société Icau France soutient que la remise en cause par le médecin expert, le Docteur [S], de l’avis d’inaptitude emporte annulation dudit avis et sollicite le remboursement de la somme de 23’605,26 € correspondant au rappel de salaire du 4 mai au 18 décembre 2017. Il souligne que la salariée, comme sa collègue en arrêt de travail en même temps, avait de longue date formé le projet de quitter l’employeur pour constituer une société concurrente, la procédure d’inaptitude lui permettant de s’assurer un statut social. Il souligne que la désignation du Docteur [S], qui n’a pas fait l’objet d’un recours de la part de la salariée ne peut être remise en cause par cette dernière, la compétence territoriale de l’expert désigné étant conforme au texte, le médecin du travail dépendant des services de Bourgogne Franche-Comté, qu’aucune sanction n’est prévue en tout état de cause à ce sujet ni au sujet du délai de désignation de l’expert ou de remise de son rapport.

Il sollicite que ledit rapport soit retenu en l’état de l’appréciation qu’il contient et se substitue à l’avis d’inaptitude du 3 avril 2017.

L’intimée estime illégal le recours de l’employeur à l’encontre de la décision d’inaptitude, lequel ne porte pas exclusivement sur les éléments de nature médicale justifiant la décision du médecin du travail. Elle considère que l’expert a formé un avis sur la base de pièces non médicales préparées par l’employeur dans le cadre de sa réponse à la demande de résiliation judiciaire. Elle ajoute que le médecin expert n’était pas territorialement compétent et conteste les conclusions expertales au motif qu’elles sont dépourvues de tout caractère d’objectivité, les conditions de ladite expertise ne répondant pas au surplus aux prescriptions en la matière.

L’article L 4624-7 du code du travail dans sa version applicable au litige dispose que ‘ si le salarié ou l’employeur conteste les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail en application des articles L. 4624-2, L. 4624-3 et L. 4624-4, il peut saisir le conseil de prud’hommes d’une demande de désignation d’un médecin-expert inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel. L’affaire est directement portée devant la formation de référé. Le demandeur en informe le médecin du travail.

II.-Le médecin-expert peut demander au médecin du travail la communication du dossier médical en santé au travail du salarié prévu à l’article L. 4624-8, sans que puisse lui être opposé l’article 226-13 du code pénal.

III.-La formation de référé ou, le cas échéant, le conseil de prud’hommes saisi au fond peut en outre charger le médecin inspecteur du travail d’une consultation relative à la contestation, dans les conditions prévues aux articles 256 à 258 du code de procédure civile.

IV.-La formation de référé peut décider de ne pas mettre les frais d’expertise à la charge de la partie perdante, dès lors que l’action en justice n’est pas dilatoire ou abusive.’

L’article R 4624-45 du code du travail dispose qu”en cas de contestation des éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail mentionnés à l’article L. 4624-7, la formation de référé est saisie dans un délai de quinze jours à compter de leur notification. Les modalités de recours ainsi que ce délai sont mentionnés sur les avis et mesures émis par le médecin du travail.’

En l’espèce, il est constant qu’après une visite de reprise le 20 mars 2017 et la réalisation d’une étude de poste en date du 27 mars suivant, le médecin du travail a délivré le 3 avril 2017 un avis d”inaptitude confirmée au poste commerciale. L’état de santé de la salariée fait obstacle à tout reclassement dans un emploi de l’entreprise, entretien avec l’employeur du 27 mars 2017′. ‘Inapte en application des articles L 4621-4 et 5 du code du travail’.

Il est justifié de la saisine du conseil de prud’hommes en sa formation de référé le 11 avril 2017, par la société Icau France, en vue de la désignation d’un médecin-expert.

Après avoir relevé l’absence d’antécédent connu, patent ou déclaré de la patiente, en considération des déclarations faites le jour de l’expertise par l’intéressée et des documents fournis, le médecin expert désigné par ordonnance du 18 mai 2017 a retenu, comme facteurs psychosociaux pouvant être susceptibles d’avoir été pris en compte dans la décision d’inaptitude, ‘le risque de voir baisser le revenu de la patiente tiré de l’activité professionnelle’ ainsi que les ‘difficultés relationnelles avec la hiérarchie alléguées par l’intéressée’.

Prenant pour acquis l’exercice concomitant d’une activité professionnelle par la salariée, le médecin expert a considéré que l’état de santé de Madame [M] ‘ apparaît être la conséquence non pas du travail effectué, des activités professionnelles et de leurs conditions de réalisation, mais d’un conflit d’intérêts entre l’intéressée qui a sollicité le 08-04-16, avant la prescription d’un arrêt de travail, une rupture conventionnelle et l’employeur qui a refusé cette demande ‘et relevant les similitudes de sa situation avec celle de sa collègue, inscrite dans la même démarche de résiliation judiciaire de son contrat de travail, a estimé que ‘l’inaptitude apparaît être dans le cas présent une décision d’opportunité dans le cadre d’un conflit d’intérêt entre la salariée l’employeur […] et non une décision médicale justifiée par le fait que le maintien dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à la santé de l’intéressée ou que l’état de santé ferait gravement obstacle à la reprise du travail’. L’expert a conclu que l’avis d’inaptitude de Madame [M] ‘ n’apparaît pas médicalement justifié et qu’il n’est pas exclusivement en relation de causalité avec le travail effectué’.

Alors que l’employeur, en possession de cette expertise rendue le 4 juillet 2017, a attendu près de 5 mois avant de saisir le conseil de prud’hommes de sa contestation de l’avis d’inaptitude, le représentant de la société Icau France n’émet aucune contestation crédible portant sur ledit avis, et ne verse aucune pièce qui permettrait de démontrer que le médecin du travail aurait commis une erreur d’appréciation.

Les éléments médicaux produits par la salariée et listés par l’expert montrent pourtant, après de bonnes conditions de travail dont la salariée ne s’était pas plainte, une césure dans la qualité de la relation avec l’employeur, concomitante à son refus de signer un avenant considéré comme péjoratif en termes de rémunération, ayant généré diverses tensions ainsi qu’une dégradation des conditions de travail, d’ailleurs rapportées aux différents intervenants médicaux à l’origine des soins et des avis d’arrêt de travail.

Si le rapport expertal a constaté, le jour de l’examen et donc à un moment ponctuel plusieurs mois après le début de la suspension du contrat de travail, le ‘très bon état général apparent de la patiente’ et ‘l’absence de manifestation anxiodépressive patente’, il ne contient aucune analyse des bienfaits des différents traitements et prescriptions dont la patiente a bénéficié, ni aucune critique des données médicales antérieures prises en compte par le médecin du travail et ne conclut que sous l’angle du conflit d’intérêts entre la salariée et la société Icau France, lequel toutefois peut être intrinsèquement à l’origine d’un syndrome anxio-dépressif. En appréciant, comme le fait l’employeur, de façon téléologique les arrêts de travail, sans analyser la réalité des éléments médicaux produits, le rapport ne permet pas de remettre en cause l’avis d’inaptitude du 4 avril 2017.

Les demandes présentées à ce titre doivent donc être rejetées.

Sur la demande de congés payés :

Le bulletin de salaire du mois de décembre 2017 ainsi que le solde de tout compte – produits par la salariée- portent mention d’une indemnité compensatrice de congés payés à hauteur de 36,76 jours, que l’intéressée ne conteste pas avoir perçue.

En l’absence de tout élément relatif aux 31,08 jours de congés payés dont elle demande le paiement à hauteur de 3 289,40 €, sa demande doit être rejetée.

Sur les mesures vexatoires :

Mme [M] sollicite la somme de 15’000 € en réparation des ‘mesures vexatoires’.

La salariée n’explicite pas les mesures vexatoires dont s’agit. Au surplus, elle ne produit aucun élément objectif permettant de vérifier la réalité d’un préjudice qui en serait résulté pour elle, préjudice distinct de ceux d’ores et déjà réparés.

Sa demande doit donc être rejetée.

Sur la garantie de l’AGS :

Il convient de rappeler que l’obligation du C.G.E.A, gestionnaire de l’AGS, de procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail se fera dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L 3253-19 et L 3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D 3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d’un relevé de créance par le mandataire judiciaire, et sur justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L3253-20 du code du travail.

Le présent arrêt devra être déclaré opposable à l’AGS et au CGEA de [Localité 4].

Sur les intérêts :

Il convient de rappeler que le jugement d’ouverture de la procédure collective de la société Icau France a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels ( en vertu de l’article

L.622-28 du code de commerce).

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

La liquidation judiciaire de la société Icau France devra les dépens de première instance et d’appel.

Le jugement de première instance doit être confirmé relativement aux frais irrépétibles.

En revanche, l’équité commande de laisser à la charge de chaque partie les frais irrépétibles exposés en cause d’appel.

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement de première instance sous réserve de la fixation des sommes arbitrées au passif de la société employeur, sauf en ses dispositions relatives aux intérêts et au montant des indemnités compensatrices de préavis, de congés payés sur préavis, de licenciement et des dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail,

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,

CONSTATE la recevabilité des demandes présentées par la salariée,

FIXE au passif de la société Icau France la créance de Mme [P] [M] née [R] à hauteur de:

– 5 078,80 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

– 507,88 € au titre des congés payés y afférents,

– 11 871,30 € à titre d’indemnité de licenciement

– 5 000 € de dommages-intérêts au titre de la rupture du contrat de travail,

RAPPELLE que le jugement d’ouverture de la procédure collective de la société Icau France a opéré arrêt des intérêts légaux et conventionnels,

DIT la présente décision opposable au CGEA-AGS de [Localité 4],

DIT que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L 3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L3253-19 et L3253-17 du code du travail, limitées au plafond de garantie applicable, en vertu des articles L3253-17 et D3253-5 du code du travail, et payable sur présentation d’un relevé de créances par le mandataire judiciaire, et sur justification par ce dernier de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement en vertu de l’article L3253-20 du code du travail,

DÉBOUTE les parties de leurs autres demandes,

LAISSE les dépens d’appel à la charge de la liquidation judiciaire de la société Icau France.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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