Production Audiovisuelle : 24 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03548

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Production Audiovisuelle : 24 mai 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/03548

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 3

ARRET DU 24 MAI 2023

(n° , 6 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/03548 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB4VE

Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 Mars 2020 – Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° 17/01580

APPELANTE

S.A.S. NESPRESSO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Anne-bénédicte VOLOIR, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020

INTIMEE

Madame [Y] [N] épouse [F]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe VIGNEAU, avocat au barreau de PARIS, toque : D2128

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 04 Avril 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Fabienne ROUGE, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Fabienne ROUGE, présidente

Madame Anne MENARD, présidente

Madame Véronique MARMORAT, présidente

Greffier, lors des débats : Sarah SEBBAK

ARRÊT :

– contradictoire

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Fabienne ROUGE, présidente et par Madame Sarah SEBBAK, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSE DU LITIGE

Madame [Y] [F] a été embauchée, sous contrat à durée déterminée, en qualité d’Agent de recouvrement – catégorie ETAM, coefficient 200, du 12 novembre 2009 au 27 mai 2012 en remplacement de Madame [U] [T], absente pour congé maternité puis pour congé parental par la société NESPRESSO. En date du 8 janvier 2013, Madame [F] était engagée par contrat à durée indéterminée.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle des entreprises de vente à distance.

Madame [F] a été licenciée pour faute grave par courrier du 30 novembre 2016, énonçant les motifs suivants :

« …Vous avez été embauchée en qualité de « Agent de Recouvrement » par notre société à compter du 26 Mai 2010. Dans le cadre de vos fonctions, vous devez sécuriser le chiffre d’affaires par le contrôle régulier de l’encours de nos clients (factures échues et non échues) et ce, en vous assurant du respect du processus de relance globale. Processus de relance visant à réduire : les délais d’encaissement globaux, l’ancienneté des factures (balance âgée) ainsi que les délais de traitement des litiges détectés.

A ce titre, vous vous devez de respecter l’ensemble des processus et règles internes en matière de paiement et encaissement des factures, outre le respect de l’ensemble de nos politiques Groupe telle que par exemple, notre politique en matière de conflit d’intérêt ou encore, notre code de conduite professionnelle.

Au cours de cet entretien, nous vous avons exposé les faits qui vous sont reprochés :

Dans le cadre d’un audit interne réalisé au mois de septembre 2016, nous avons constaté des manquements graves à vos obligations professionnelles.

En effet sur votre compte personnel ‘Nessfort’ vous avez passé le 27 avril 2015 une première commande pour un montant de 144,54€ , le 28 avril soit le lendemain vous avez procédé à une mise en attente de cette commande

Le 30 avril 2015, une nouvelle commande identique à celle du 27 avril 2015 est passée sur le compte.

Le 4 ma 2015, vous vous entretenez avec notre partenaire en charge de la gestion de commandes « B2S » et les informez que vous ne souhaitez plus valider cette commande. Toutefois, en raison des délais entre votre commande et votre demande d’annulation, la commande avait déjà été expédiée dans un point relais choisi par vos soins.

Le 5 mai 2015, vous précisez sur votre compte personnel « Nessoft » que vous n’avez pas récupéré dans votre point relais cette commande du 30 avril 2015, or vous aviez au préalable demandé l’annulation de cette commande.

Le 06 mai 2015, vous précisez à notre partenaire en charge de la gestion de commandes « Acticall » que vous vous êtes rendue au point relais et que le colis, de la commande que vous aviez annulée, ne s’y trouvait pas.

Or, conformément à notre outil de suivi, la présence du colis est bel et bien notifiée dans ce point relais.

Le 8 juin 2015, vous contactez nos équipes de notre Centre de Relation clientèle afin de vous assurer qu’une note de crédit sera bien effectuée sur votre compte client. Ce qui a pour conséquence directe l’annulation de la facture et des sommes inhérentes à la commande effectuée et livrée. En tout état de cause, cette commande n’est jamais revenue dans nos entrepôts.

Vous n’êtes pas sans savoir que, d’une part, vous n’êtes pas autorisée à passer une commande sur votre propre compte, d’autre part, vous ne pouvez effectuer une demande de note de crédit et ce d’autant plus sans avoir mené une enquête au préalable de recherche de ces dites commandes. Ces manipulations doivent être réalisées par l’un de vos collègue et ou un manager.

En outre, vous n’êtes pas sans savoir que vous n’êtes pas autorisée à tirer profit d’un avantage professionnel à des fins personnelles, confère notre politique en matière de conflit d’intérêt ainsi que notre code de conduite professionnelle. En effet, vous avez modifié le mode de paiement sur votre propre compte, et avez opté unilatéralement d’une solution de paiement différé pour ces commandes.

En date du 21 juin 2016, vous avez passé une commande de 144.54 € depuis votre propre compte client, et avez une nouvelle fois utilisé un avantage professionnel à des fins personnelles, en substituant le mode de paiement « à réception de facture » au mode de paiement classique « paiement direct ». Cette man’uvre frauduleuse vous a permis de choisir une date d’échéance dans un premier temps au 11 juillet 2016. Puis de nouveau, vous êtes revenue sur votre compte client et avez modifié l’échéance de paiement au 21 décembre 2016, soit près de 6 mois après le délai de paiement normal. Cette facture a finalement été payée le 9 novembre 2016, soit le lendemain de votre entretien préalable et 141 jours après avoir passé commande.

Enfin, en date du 05 septembre 2016, vous avez passé une commande de 317.77 € depuis votre propre compte, et à nouveau, vous avez utilisé un avantage professionnel à des fins personnelles, en substituant le mode de paiement « à réception de facture » au mode de paiement classique « paiement direct ». Une fois de plus, cette man’uvre frauduleuse vous a permis de choisir une date d’échéance dans un premier temps au 26 septembre 2016 puis de reporter cette date d’échéance au 21 octobre 2016. Cette commande aurait été livrée à l’une de vos voisines qui aurait elle-même constaté un dysfonctionnement sur ladite machine et l’aurait retournée à nos services après-vente.

Force est de constater qu’à ce jour nos entrepôts n’ont toujours pas reçu cette machine, pour

autant, et toujours sans respecter la procédure de recherche auprès des services

concernés, vous avez unilatéralement décidé une nouvelle fois de procéder à

l’établissement d’une note de crédit.

Compte tenu des faits qui vous sont reprochés, nous sommes au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. La mise à pied conservatoire dont vous faisiez l’objet ne sera pas rémunérée.

Votre licenciement, sans préavis ni indemnité de rupture, sera effectif à la date d’envoi du présent courrier. A l’échéance habituelle de paie, nous tiendrons à votre disposition votre solde de votre compte, une attestation Pôle Emploi ainsi qu’un certificat de travail ».

Contestant son licenciement madame [F] a saisi le conseil de Prud’hommes .

‘ Par jugement du 13 mars 2020, le Conseil de prud’hommes de Paris a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamnait la société à lui régler les sommes suivantes :

– 1 366,23 € à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire ;

– 136,62 € au titre des congés payés y afférents ;

– 3 938,52 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 393,85 € au titre des congés payés y afférents ;

– 2 822,61 € à titre d’indemnité de licenciement ;

– 15 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1 500 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par acte du 15 juin 2020, la société NESPRESSO interjetait appel du jugement.

Par conclusions récapitulatives déposées par RPVA, le 10 janvier 2023, auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, la société NESPRESSO demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il a requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse en ce qu’il a condamné la société à verser à la salariée différentes sommes et indemnités ,statuant à nouveau de juger que le licenciement prononcé à l’encontre de Madame [F] repose sur une faute grave, de la débouter de l’intégralité de ses demandes , d’ordonner le remboursement par madame [F] de l’intégralité des sommes saisies dans le cadre de l’exécution provisoire, soit la somme de 27.191,39 euros, subsidiairement de confirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société à verser les sommes de 1.366,23 euros au titre du rappel de salaire et de 133,62 euros au titre des congés payés afférents, de 3.938,52 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de 393,85 euros au titre des congés payés afférents, 2.822,61 euros au titre de l’indemnité conventionnelle de licenciement et de limiter le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à 11.815,56 euros en précisant qu’il s’agit d’un montant brut, de prononcer la compensation entre le montant des condamnations et les sommes indûment saisies dans le cadre de l’exécution provisoire. Et condamner madame [F] à régler la somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions récapitulatives déposées par RPVA , le 11 novembre 2020 auxquelles il convient de se reporter en ce qui concerne ses moyens, madame [F] demande à la cour de débouter la société NESPRESSO de l’intégralité de son appel , de confirmer le jugement en ce qu’il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse , de porter le montant des indemnités à hauteur de la demande initiale de Madame [F] à savoir 30 000 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et condamner la société NESPRESSO à verser à Madame [F] la somme de 3000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile , de dire que les condamnations à intervenir porteront intérêts à partir de chaque échéance mensuelle avec capitalisation desdits intérêts selon l’article 1343-2 du Code civil à partir de la date de la saisine et de condamner la société NESPRESSO aux entiers dépens et aux frais d’exécution éventuels.

La Cour se réfère, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, à la décision déférée et aux dernières conclusions échangées en appel.

MOTIFS

Sur la prescription des faits fautifs

L’article L. 1332-4 du Code du travail prévoit que :

« Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. »

Madame [F] soutient que l’ensemble des faits dont se prévaut la SAS NESPRESSO tombe sous le coup de la prescription puisqu’ils remontent à avril 2015 et septembre 2016 et que prescrits, ces faits ne sauraient justifier une sanction disciplinaire.

Il résulte cependant du mail en date du 11 octobre 2016 que la société a connaissance ‘de commandes avec un process non conforme’, qu’il convient de considérer que ce mail confirme les soupçons pesant sur la salariée aux yeux de l’employeur et que c’est donc à compter de cette date que la société NESPRESSO est informée des faits. La lettre de licenciement est daté du 30 novembre dés lors aucune prescription n’est intervenue, étant soulignée que le début de la procédure a été initiée par la convocation à l’entretien préalable le 31 octobre 2016 .

Sur la faute grave

La faute grave est celle qui résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise et justifie son départ immédiat. L’employeur qui invoque la faute grave pour licencier doit en rapporter la preuve ;à défaut de faute grave, le licenciement pour motif disciplinaire doit reposer sur des faits précis et matériellement vérifiables présentant un caractère fautif réel et sérieux

Il résulte des articles L.1234-1 et L.1234-9 du code du travail que, lorsque le licenciement est motivé par une faute grave, le salarié n’a droit ni à un préavis ni à une indemnité de licenciement

Au vu des éléments versés aux débats en cause d’appel, il apparaît que les premiers juges, à la faveur d’une exacte appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits, non utilement critiquée en cause d’appel, ont à bon droit écarté dans les circonstances particulières de l’espèce l’existence d’une faute grave .

Ainsi que l’a relevé le juge départiteur, les seules présentations des documents internes relatifs aux règles générales applicablesen matière de gestion et d’annulation des commandes et des réclamations /retours produit et en matière de mode de paiement sont insuffisants pour caractériser le prétendu comportement frauduleux de madame [F] Il sera observé que les documents versés aux débats mentionnent ‘nous suspectons , apparemment’ ‘certes on ne sait pas si elle a bien reçu le colis’ termes qui suscitent le doute.

Il est également fait état d’enquête auprès des services chronopost dont le retour n’est pas versé aux débats concernant les livraisons et les retours des machines.

Il ne résulte pas du dossier d’accueil signé par la salariée que celle-ci ait reçu les documents intitulés ‘règlement immédiat 1ère commande , erreur dans la commande’ ni qu’elle ait eu connaissance du fait qu’il est strictement interdit aux employés Nespresso ayant accès à l’ERP NESSOFT y compris les gestionnaires Ressources humaines d’apporter une quelconque modification à leurs propres comptes BLP ou comptes personnels.

La salariée indiquait lors de son entretien préalable avoir utilisé son compte client personnel, ce que ne conteste pas la société. Il est manifestement possible de modifier le moyen de paiement en passant de règlement immédiat à règlement à réception et la société ne démontre pas en quoi le fait d’avoir utilisé cette possibilité est une faute.

Aucun élément ne permet d’établir que la salariée a réceptionné une ou des machines sans les payer , la salariée conteste avoir été cherché une livraison dans un point relais en avril 2015 et confirme ne pas l’avoir payé puisqu’elle ne l’a pas réceptionnée. Il apparait que l’autre machine commandée a fait l’objet d’une demande d’annulation.

La société ne prouve donc pas l’existence de la remise de ces commandes à sa salariée.

De même le caractère frauduleux des possibilités de décaler le paiement n’est pas établi .

Il sera rappelé que le doute profite au salarié et que la charge de la preuve d’une faute grave repose exclusivement sur l’employeur qui en l’espèce ne prouve aucun des faits reprochés.

Le licenciement est donc sans cause réelle et sérieuse .

Madame [F] était mise à pied à titre conservatoire du 1 er au 30 novembre, cette mesure n’étant pas justifiée il sera fait droit à sa demande en paiement d’un rappel de salaire , pour un montant de 1366,23 euros bruts, outre les congés payés afférents pour un montant de 136,62€ compte tenu des arrêts de travail dont elle a bénéficié pour la même période . Le jugement sera également confirmé sur le montant du salaire de référence fixée à 1969,26€ sur l’indemnité de préavis de 3938,52€ et 393,85 au titre des congés payés afférents et celle de 2822,61e à titre d’indemnité de licenciement .

Le montant alloué au titre de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 15000€ sera également confirmée.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l’article 450 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

– Dit que les condamnations au paiement de créances de nature salariale porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de la convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes et que les condamnations au paiement de créances indemnitaires porteront intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du présent arrêt ;

– Autorise la capitalisation des intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil;

Vu l’article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE la société NESPRESSO à payer à madame [F] en cause d’appel la somme de 2000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

DEBOUTE les parties du surplus des demandes ,

LAISSE les dépens à la charge de la société NESPRESSO

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE

 


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