Production Audiovisuelle : 23 juin 2022 Cour d’appel de Bourges RG n° 20/01092

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Production Audiovisuelle : 23 juin 2022 Cour d’appel de Bourges RG n° 20/01092

CR/RP

COPIE OFFICIEUSE

COPIE EXÉCUTOIRE

à :

– SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS

– SELARL ALCIAT-JURIS

– Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES

LE : 23 JUIN 2022

COUR D’APPEL DE BOURGES

CHAMBRE CIVILE

ARRÊT DU 23 JUIN 2022

N° – Pages

N° RG 20/01092 – N° Portalis DBVD-V-B7E-DJUJ

Décision déférée à la Cour :

Jugement du Tribunal de Commerce de NEVERS en date du 21 Octobre 2020

PARTIES EN CAUSE :

I – S.A.S. CYRUS, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :

6 rue du Cloître Saint Cyr

58000 NEVERS

N° SIRET : 750 973 232

Représentée par la SCP AVOCATS BUSINESS CONSEILS, avocat au barreau de BOURGES

Plaidant par l’AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS

timbre fiscal acquitté

APPELANTE suivant déclaration du 26/11/2020

INCIDEMMENT INTIMÉE

II – M. [D] [J]

né le 02 Juin 1954 à COSNE COURS SUR LOIRE (58200)

9 avenue de la Gare

58150 POUILLY SUR LOIRE

– Mme [P] [W] épouse [J]

née le 30 Mars 1958 à CESSY LES BOIS (58220)

9 avenue de la Gare

58150 POUILLY SUR LOIRE

Représentés par la SELARL ALCIAT-JURIS, avocat au barreau de BOURGES

Plaidant par l’AARPI BOUTRON-MARMION ASSOCIÉS, avocat au barreau de PARIS

timbre fiscal acquitté

INTIMÉS

INCIDEMMENT APPELANTS

23 JUIN 2022

N° /2

III – S.A.S. [J], agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège social :

ZI des Chamonds

58640 VARENNES VAUZELLES

N° SIRET : 379 213 184

Représentée par Me Adrien-Charles LE ROY DES BARRES, avocat au barreau de BOURGES

Plaidant par Me Maxime CLÉRY-MELIN, avocat au barreau de PARIS

timbre fiscal acquitté

INTERVENANTE VOLONTAIRE suivant conclusions du 17/09/2021

23 JUIN 2022

N° /3

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 3 mai 2022 en audience publique, La Cour étant composée de :

M. WAGUETTEPrésident de Chambre

M. PERINETTIConseiller, entendu en son rapport

Mme CIABRINIConseiller

***************

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Mme GUILLERAULT

***************

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

**************

EXPOSÉ :

[D] [J] et son épouse [P] [W] étaient actionnaires majoritaires de la SAS [J], immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nevers, exerçant une activité d’extraction, exploitation et négoce de sables et de graviers.

Le 16 février 2016, une convention de cession d’actions de la SAS [J] a été signée au profit de la SAS CYRUS, elle aussi inscrite au registre du commerce et des sociétés de Nevers, aux termes de laquelle les actions ont été cédées moyennant un prix fixe de 4 995 500 € versé au comptant et un complément de prix de 776 000 € subordonné à l’obtention par la société [J] d’une autorisation d’exploitation supplémentaire de la carrière de Couargues, au plus tard dans un délai de 42 mois à compter de la réalisation définitive de la cession.

Estimant que les conditions nécessaires pour le versement du complément de prix n’ont pas été respectées, la société CYRUS n’a pas versé ledit complément de 776 000 €.

Le 15 mai 2019 Monsieur et Madame [J] ont adressé une mise en demeure à la société CYRUS puis ont saisi, le 19 juin suivant, par voie de requête le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Nevers afin d’être autorisés à pratiquer une saisie conservatoire de droits d’associés.

Le 20 août 2019, Monsieur et Madame [J] ont assigné la société CYRUS devant le tribunal de commerce de Nevers, demandant à cette juridiction de :

‘ Constater l’inexécution par la société CYRUS de la convention de cession d’actions du 16 février 2016 en ne leur versant pas le complément de prix expressément convenu entre les parties à l’article 8,

‘ Condamner, en conséquence, la société CYRUS au paiement de la somme de 776 000 € avec intérêts au taux légal,

‘ Condamner la société CYRUS au paiement de la somme de 10 000 € à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice subi distinct du non versement du complément de prix,

‘ La condamner également au paiement de la somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts en raison du préjudice moral subi,

‘ Débouter la société CYRUS de l’ensemble de ses demandes,

‘ À titre subsidiaire, constater l’existence de la créance à hauteur de 776 000 € au titre du complément de prix dû suivant la convention de cession d’actions signée le 16 février 2015, outre les dommages-intérêts prononcés au titre du taux légal à compter de la date de l’assignation,

‘ Autoriser l’huissier de justice compétent à convertir le procès-verbal de saisie conservatoire de droits d’associés signifié à la société [J] le 23 juillet 2019 et dénoncé par la société CYRUS le 26 juillet 2019 afin de pouvoir les désintéresser de leur créance à l’encontre de la société CYRUS,

‘ Condamner la société CYRUS au paiement d’une indemnité de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure ainsi qu’aux entiers dépens.

Par jugement rendu le 21 octobre 2020, le tribunal de commerce de Nevers a :

‘ Condamné la SAS CYRUS à verser à Monsieur et Madame [J] la somme de 776 000 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise à disposition du jugement,

‘ Condamné la société CYRUS à leur verser la somme de 10 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Débouté les parties du surplus de leurs demandes,

‘ Condamné la société CYRUS aux entiers dépens,

‘ Dit que l’exécution provisoire n’est pas prononcée.

La SAS CYRUS a interjeté appel de cette décision par déclaration enregistrée le 26 novembre 2020.

Elle demande à la cour, dans ses dernières écritures notifiées par RPVA le 26 avril 2022, à la lecture desquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, de :

Vu les articles 1109, 1110, 1116, 1134 et 1382 du Code civil dans sa version antérieure à la réforme du droit des obligations, applicable au litige ;

Vu l’article 562 du Code de procédure civile ;

Vu les pièces ;

Vu le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Nevers le 21 octobre 2020 ;

A titre principal,

– ANNULER le jugement attaqué ;

Statuant au fond,

– JUGER que M. et Mme [J] se sont rendus coupables de réticence dolosive envers la société Cyrus ;

– CONDAMNER in solidum M. et Mme [J] à payer 435 000 euros à la société Cyrus en réparation de son préjudice ;

– CONDAMNER M. [J] à payer 10 000 euros à Cyrus en réparation de son préjudice né du surcoût de travail entraîné par le caractère irrégulier et incomplet du dossier de demande d’extension préparé et déposé par M. [J] ;

– REJETER toutes les demandes de M. et Mme [J] ;

A titre subsidiaire,

– INFIRMER le jugement attaqué en toutes ses dispositions sauf en celles ayant débouté M. et Mme [J] de leurs demandes d’indemnisation d’un préjudice matériel à hauteur de 10.000€ et d’un préjudice moral à hauteur de 5.000€ ;

Statuant à nouveau,

– JUGER que M. et Mme [J] se sont rendus coupables de réticence dolosive envers la société Cyrus ;

– CONDAMNER in solidum M. et Mme [J] à payer 435 000 euros à la société Cyrus en réparation de son préjudice ;

– CONDAMNER M. [J] à payer 10 000 euros à Cyrus en réparation de son préjudice né du surcoût de travail entraîné par le caractère irrégulier et incomplet du dossier de demande d’extension préparé et déposé par M. [J] ;

En tout état de cause,

– DEBOUTER M. et Mme [J] de toutes leurs demandes ;

– CONDAMNER in solidum M. et Mme [J] à payer 50 000 euros à Cyrus sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens de première instance et d’appel.

La société [J], intervenante volontaire, demande quant à elle à la cour dans ses dernières écritures notifiées par électronique le 25 avril 2022 à la lecture desquelles il est également renvoyé en application de l’article 455 du code de procédure civile précité, de :

Vu les articles 1165 et 1382 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016,

Vu les articles 699 et 700 du code de procédure civile,

‘ Condamner Monsieur [J] à lui verser la somme de 34 244,40 € au titre de l’indemnisation des frais engagés en vue de la régularisation de la demande d’extension non conforme

‘ Condamner Monsieur [J] à lui verser la somme de 52 053,06 € au titre de la perte de chance de générer une marge brute supplémentaire causée par le dépôt de la demande d’extension non conforme

‘ Dans l’hypothèse où la cour ne ferait pas droit à la demande de la société CYRUS tendant à l’octroi de 435 000 € en réparation du préjudice né de la réticence dolosive, condamner Monsieur et Madame [J] à lui verser la somme de 1 683 049,04 € au titre de la perte de chance de générer une marge brute supplémentaire causée par le dépôt de la demande d’extension non conforme, étant précisé que ce préjudice vient en complément du précédent

‘ Débouter Monsieur et Madame [J] de l’intégralité de leurs demandes

‘ Lui octroyer une indemnité de 15 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

[D] [J] et [P] [J], née [W] demandent quant à eux à la cour, dans leurs dernières écritures notifiées par voie électronique le 8 avril 2022, à la lecture desquelles il est également renvoyé pour plus ample exposé des moyens en application de l’article 455 du code de procédure civile, de :

Vu l’article 342 du Code de procédure civile,

Vu l’article 1383 et 1383-2 du Code de procédure civile,

Vu l’article 1103 du Code civil,

Sur la demande principale de l’appelante :

– REJETER la demande de la société CYRUS tendant à voir à annuler le Jugement rendu le 21 octobre 2020 par le Tribunal de Commerce de Nevers,

– CONSTATER que la société CYRUS acquiesce devoir verser le complément du prix de 776 000 euros aux époux [J], indépendamment de sa demande de dommages et intérêts,

– REJETER la demande tendant à voir condamner les époux [J] à verser à la société CYRUS, la somme de 435 000 euros au titre de dommages et intérêts,

– REJETER toutes autres demandes, fins et conclusions de la société CYRUS,

Sur la demande subsidiaire de l’appelante :

– CONFIRMER le Jugement rendu le 21 octobre 2020 par le Tribunal de Commerce de Nevers en toutes ses dispositions, SAUF EN CE QU’il a débouté M. et Mme [J] de leurs demandes tendant à voir condamner la société CYRUS à verser la somme de 10 000 euros au titre de leur préjudice matériel et 5 000 euros au titre de leur préjudice moral,

Statuant à nouveau,

– CONDAMNER la société CYRUS au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice matériel subi distinct du non-versement du complément de prix, somme à parfaire jusqu’à la décision à intervenir,

– CONDAMNER la société CYRUS au paiement de la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts en raison du préjudice moral subi distinct du non-versement du complément de prix, somme à parfaire jusqu’à la décision à intervenir,

Sur les demandes de la société [J], intervenant volontaire :

– REJETER la demande de la société [J] tendant à voir condamner M. [J] au paiement de la somme de 34 244,40 euros au titre des frais prétendument engagés pour la régularisation du dossier d’extension

– REJETER la demande de la société [J] tendant à voir condamner M. [J] au paiement de la somme de 52 053,06 euros au titre de la perte de chance de marge brute complémentaire

– REJETER la demande subsidiaire de la société [J] de voir condamner in solidum M. et Mme [J] au paiement de la somme de 1 683 6049,04 euros au titre de la perte de chance de marge brute complémentaire dans l’hypothèse où la société CYRUS serait déboutée de sa demande d’indemnisation au titre de la réticence dolosive à hauteur de 435 000 euros

– REJETER toutes demandes, fins et conclusions de la société [J],

En tout état de cause,

– CONDAMNER la société CYRUS à payer à M. et Mme [J], la somme de 15 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,

– CONDAMNER la société [J] à payer à M. et Mme [J], la somme de 15 000 euros au titre des disposition de l’article 700 du Code de procédure civile,

– CONDAMNER la société CYRUS et la société [J], solidairement aux entiers dépens de la présente instance et de ses suites.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 29 avril 2022.

SUR QUOI :

I) sur la demande formée à titre principal par la société CYRUS tendant à l’annulation du jugement dont appel pour défaut d’impartialité :

En application de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme, «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle».

Selon l’article 342 du code de procédure civile, «la partie qui veut récuser un juge ou demander le renvoi pour cause de suspicion légitime devant une autre juridiction de même nature doit, à peine d’irrecevabilité, le faire dès qu’elle a connaissance de la cause justifiant la demande. En aucun cas, la demande ne peut être formée après la clôture des débats».

Ainsi, la nullité du jugement pour défaut d’impartialité sur le fondement de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme précité ne peut être utilement sollicitée que lorsque la procédure de récusation ne pouvait être engagée en temps utile, notamment lorsque le justiciable n’avait pas connaissance du défaut d’impartialité du juge puisque la composition de la juridiction amenée à statuer ne lui avait pas été communiquée avant l’audience.

En l’espèce, la société CYRUS, qui rappelle que l’exigence d’impartialité doit s’apprécier objectivement, c’est-à-dire en fonction non pas nécessairement de l’attitude effective de la personne en cause, mais de la perception que le justiciable peut légitimement avoir d’un risque d’impartialité, soutient que la formation de jugement du tribunal de commerce de Nevers était présidée par [D] [S], qui entretient une relation d’affaires de longue date avec Monsieur et Madame [J] en sa qualité de gérant de la société Eleas Assurances qui assurait la société [J], ce qui constitue un conflit d’intérêt qui aurait dû conduire le président de la formation à se déporter.

Il résulte toutefois des pièces numéros 24 et 25 du dossier de Monsieur et Madame [J] que l’avocat postulant de la SAS CYRUS est Maître [F] [U], du barreau de Nevers, à laquelle le greffe du tribunal de commerce de Nevers a adressé, par courrier électronique du 23 juin 2020 à 8h57, le rôle de l’audience du mercredi 24 juin 2020 à 14h30 comprenant la mention : «juge présidant l’audience : Monsieur [D] [S]».

L’erreur de plume figurant dans l’objet de ce courrier électronique et mentionnant «commerce ‘ audience du 26 juin 2020» apparaît sans incidence, dès lors que le contenu même de ce message contient la formule : «veuillez trouver ci-joint le rôle d’audience de contentieux du mercredi 24 juin 2020».

Il apparaît ainsi établi que la société CYRUS a eu connaissance, avant l’audience de plaidoirie par l’intermédiaire de son conseil, de la circonstance que [D] [S] participait à la formation de jugement lors de l’audience du 24 juin 2020 à 14h30, et qu’il lui était donc loisible de solliciter, en application de l’article 342 du code de procédure civile précité, la récusation de celui-ci.

Dès lors qu’elle n’a pas fait usage de la possibilité qui lui était, ainsi, conférée, l’appelante n’apparaît pas bien fondée à solliciter l’annulation du jugement entrepris, la demande formée à cet égard devra donc nécessairement être rejetée.

II) sur la demande formée par la société CYRUS au titre de la réticence dolosive imputée à Monsieur et Madame [J] :

Selon les articles 1109 et 1116 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016 et applicable au contrat litigieux du 16 février 2016, «il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ; le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man’uvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces man’uvres, l’autre partie n’aurait pas contracté».

Il appartient à la société CYRUS, qui se prévaut de telles dispositions pour solliciter l’octroi de la somme de 435 000 €, de rapporter la preuve de l’existence, au moment de la formation du contrat, d’une dissimulation pouvant être imputée à ses cocontractants et portant sur une information déterminante de son consentement, et de l’intention dolosive de ces derniers.

L’appelante reproche, à ce titre, à Monsieur et Madame [J] d’avoir mentionné dans le contrat de cession que le dossier de demande d’autorisation d’extension porterait «au minimum sur des superficies de 7 ha et des tonnages à extraire de 100 000 tonnes», alors qu’ils préparaient selon elle, depuis plusieurs années, un dossier portant sur une surface réduite de 6,2 ha et sur un tonnage moyen limité à 80 000 tonnes par an.

Les époux [J], intimés, soutiennent, au contraire, que la société CYRUS avait une parfaite connaissance de la superficie totale du dossier d’extension à hauteur de 6,2 hectares aussi bien au stade contractuel ‘ pour avoir été notamment destinataire du document établi au mois de septembre 2015 par le géomètre expert Monsieur [N] reprenant l’étendue des parcelles visées par l’extension, des contrats de fortage, de l’étude d’impact écologique de 2013 ainsi que des échanges avec le bureau d’études en charge de l’élaboration du dossier de demande d’extension ‘ qu’au stade post-contractuel dès lors que l’appelant a pris part au traitement de la demande d’autorisation et a rédigé les courriers au préfet reprenant la superficie litigieuse et qu’elle a, d’ailleurs, confié un pouvoir de gestion de la demande d’extension à Monsieur [J]. Ils font par ailleurs état, dans leurs dernières écritures, d’une attestation rédigée par Monsieur [K] (pièce numéro 41) dans laquelle celui-ci indique notamment que «M. [O] avait bien connaissance de l’intégralité des informations relatives à la demande d’extension de [J] puisque je l’avais mis en relation avec le bureau d’études DAT» ‘ ladite attestation faisant l’objet de vigoureuses critiques de la part de l’appelante et ayant donné lieu à un dépôt de plainte le 22 avril 2022 pour fausse attestation et tentative d’escroquerie au jugement.

En tout état de cause, la demande formée par la société CYRUS au titre de la réticence dolosive ne saurait prospérer que si celle-ci rapporte la preuve que l’information qu’elle reproche aux époux [J] d’avoir dissimulée, en l’occurrence les perspectives d’extension réelles de la carrière, constituait un élément déterminant de son consentement à souscrire le contrat de cession des parts litigieux.

Or, il résulte du paragraphe 10 du contrat de cession (page numéro 12) intitulé «dossier d’extension d’autorisation d’exploitation de la carrière de Couargues» que «ce point constitue le critère déterminant du versement du complément de prix convenu à l’article précédent», de sorte que la réalisation des formalités nécessaires à l’obtention de l’autorisation d’extension de la carrière ne remettait en cause que le complément du prix à verser, et non pas le principe même de la cession des parts figurant au contrat, les parties prévoyant, d’ailleurs, dans l’article 9-1 (page 11) que le solde à verser serait exigible et acquitté dans un délai de 60 jours «dans l’hypothèse de la mise en ‘uvre du complément de prix».

Il en résulte que la possibilité d’une extraction supplémentaire des carrières constituait un élément complémentaire comportant un aléa connu de l’ensemble des parties et subordonnant, seulement, le versement du complément de prix de 776 000 € stipulé par les parties.

La société CYRUS apparaît, dès lors, mal fondée à solliciter la condamnation des époux [J] au titre de la réticence dolosive en leur reprochant d’avoir dissimulé des informations de nature à déterminer son consentement.

Les demandes formées par cette dernière et tendant à l’octroi des sommes de 435 000 € et 10 000 € au titre des préjudices prétendument subis devront donc nécessairement être rejetées.

III) sur la demande de Monsieur et Madame [J] tendant à la condamnation de la société CYRUS au paiement de la somme de 776 000 € au titre du complément du prix :

Les époux [J] font valoir, en premier lieu, que l’appelante a expressément reconnu, dans ses écritures de première instance comme à l’audience devant le tribunal de commerce du 24 juin 2020, devoir le complément de prix de 776 000 €.

Selon l’article 1383 du code civil, «l’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. Il peut être judiciaire ou extrajudiciaire».

Il résulte de l’article 1383 ‘ 2 du même code que «l’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté. Il fait foi contre celui qui l’a fait. Il ne peut être divisé contre son auteur. Il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait».

Pour soutenir qu’un tel aveu judiciaire se trouve caractérisé, les intimés se prévalent des écritures de première instance de la société CYRUS comprenant, en page 21, la phrase suivante : «le préjudice de perte d’exploitation lié au déficit de tonnage à extraire est donc de 12 x 95 000 = 1 140 000 € ; déduction faite du complément de prix non versé, le préjudice de la société CYRUS est égal à 723 400 €».

Toutefois, un aveu judiciaire ne peut être retenu que s’il émane des écritures d’une partie une manifestation non équivoque de sa volonté de reconnaître pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques.

Force est de constater, à la lecture des conclusions de première instance, que le caractère non équivoque de cette volonté fait défaut en l’espèce, dès lors que tout au long de ses écritures judiciaires, la société CYRUS a indiqué qu’elle s’opposait à la demande formée au titre du complément du prix en indiquant notamment expressément en page 12 «le tribunal de céans ne pourra que dire et juger que le complément de prix n’est pas dû et débouter les époux [J] de leur demande de condamnation de la société CYRUS au paiement du complément de prix», sollicitant, dans le dispositif de ces dernières, que le tribunal «déboute les époux [J] de l’intégralité de leurs fins, moyens et prétentions et dise et juge que le complément de prix n’est pas dû, les conditions de versement du prix prévues au titre de la convention de cession d’actions n’étant pas satisfaites» .

Il ne saurait, dès lors, être fait droit à la demande des époux [J] tendant à ce qu’il soit constaté «que la société CYRUS acquiesce devoir verser le complément du prix de 776 000 €».

En application de l’article 1134 alinéa premier du Code civil applicable au contrat en cause, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

Il appartient à Monsieur et Madame [J] de rapporter la preuve que les conditions fixées par les parties dans la convention de cession d’actions du 16 février 2016 sur l’exigibilité du versement du complément de prix sont réunies.

Les parties étaient convenues, en pages 9 et 10 de ladite convention, que le prix des actions cédées par ce contrat était «structuré de la manière suivante» : outre un prix fixe minimum non révisable de 4 995 500 €, «un complément de prix fixé dès à présent à 800 000 € pour 100 % des actions, soit à 776 000 € pour 485 actions qui représentent 97 % du capital de la société, pour être fixé à la somme globale et définitive de 5 771 500 € pour 485 actions qui correspondent à 97 % du capital de la société. Ce complément de prix est expressément subordonné à l’obtention par la société, au plus tard dans un délai de 42 mois à compter de la réalisation définitive de la cession, de l’autorisation d’extension d’exploitation supplémentaire de la carrière de Couargues, expurgée de tous recours, étant précisé que ladite extension est actuellement en cours de préparation, avec comme objectif le dépôt du dossier le 30 juin 2016. Cette demande devra porter au minimum sur des superficies de 7 ha et des tonnages à extraire de 100 000 tonnes et respecter les formes prévues par les articles R 512 ‘ 6 et suivants du code de l’environnement».

Il résulte (pièce numéro 12 du dossier de la société appelante) que par courrier du 27 septembre 2016, faisant suite à une demande d’extension déposée le 27 juin précédent, le directeur de la DREAL du Cher a fait part au directeur de la société [J] que le dossier de demande d’extension était «irrégulier et incomplet», invitant celui-ci à le régulariser au vu des éléments requis aux articles R 512 ‘ 2 à R 512 ‘ 9 du code de l’environnement, ensuite des 61 irrégularités mentionnées dans ce courrier.

Il est établi (pièce numéro 13 du même dossier) que la demande d’extension de la sablière a été par la suite renouvelée dans un document présentant, sous forme de récapitulatif, les «caractéristiques du projet» en ces termes : «(‘) superficie sollicitée en extension : 62 071 m², superficie totale en carrière : 195 247 m² (‘) production moyenne : 80 000 t/an, production maximale : 100 000 t/an (‘)».

Cette demande a donné lieu à un arrêté pris le 21 juin 2018 par le préfet du Cher (pièce numéro 14 du même dossier), retenant la superficie totale de 195 247 m² figurant dans la demande précitée, et prévoyant que «la quantité maximale de matériaux extraits de la carrière est de 100 000 tonnes / an avec une moyenne de 80 000 tonnes / an. La quantité maximale traitée dans l’installation de premier traitement est de 100 000 tonnes /an» (page 5 de l’arrêté).

Il apparaît donc établi que la demande d’autorisation déposée par Monsieur [J] portait sur une extension de surface de 6,2 ha (62 071 m²), ce qui n’est pas conforme aux stipulations des parties prévoyant que «cette demande devra porter au minimum sur des superficies de 7 ha (‘)».

Il convient donc de considérer que Monsieur [J] n’a pas respecté son obligation de déposer une demande d’autorisation conforme aux stipulations du contrat de cession, de sorte que les conditions du paiement du complément de prix de 776 000 € ne sont pas réunies.

En conséquence, une telle demande en paiement du complément de prix devra être rejetée, la décision de première instance se trouvant, ainsi, infirmée sur ce point.

Les demandes subséquentes formées au titre du préjudice matériel subi et du préjudice moral subi distincts du non versement du complément du prix seront, de la même façon, écartées.

IV) sur les demandes formées par la société [J] :

Il est constant que le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui a causé un dommage.

En l’espèce, la société [J], intervenante volontaire en cause d’appel, soutient que le manquement contractuel commis par Monsieur [J] dans le cadre du dépôt de la demande d’extension de l’autorisation d’exploiter la carrière de Couargues lui a causé un dommage constitué, d’une part, par la nécessité dans laquelle elle s’est trouvée d’engager des frais pour régulariser la demande d’extension irrégulière, incomplète et non conforme et, d’autre part, par la perte de marge brute en raison de la perte d’une chance d’exploiter une surface et un tonnage supplémentaires.

Le manquement contractuel de Monsieur [J] à l’obligation qui lui incombait aux termes du contrat du 16 février 2016 de déposer une demande d’extension d’exploitation supplémentaire de la carrière de Couargues portant «au minimum sur des superficies de 7 ha et des tonnages à extraire de 100 000 tonnes» a été retenu par la cour selon la motivation figurant supra.

Contrairement à ce que soutiennent Monsieur et Madame [J], la société [J] justifie régulièrement (pièce numéro 12 de son dossier) qu’en raison de la non-conformité de la demande d’autorisation déposée par Monsieur [J], elle a dû exposer des frais aux fins de régularisation de cette dernière d’un montant total de 34 244,40 € selon les justificatifs suivants :

– une facture n°16/22 émise le 20 octobre 2016 par le bureau d’études DAT correspondant au versement du premier acompte du devis n°16/11 portant sur «la reprise et l’actualisation du dossier de demande d’autorisation de COUARGUES-HERRY suite à l’avis de la DREAL», d’un montant de 5 385 € HT, soit 6 462 € TTC ;

– une facture n°FA16249 émise le 31 octobre 2016 par la SARL ERM pour une «étude hydrologique et hydraulique pour un dossier ICPE de carrière à HERRY» nécessitant notamment la «prise en compte des remarques de la DREAL», d’un montant de 2 320 € HT, soit 2 834 € TTC ;

– une facture n°16/24 émise le 16 novembre 2016 par le bureau d’études DAT portant sur «la reprise et l’actualisation du dossier de demande d’autorisation de COUARGUES-HERRY suite à la modification d’emprise et à la réalisation de l’abandon de travaux», d’un montant de 1 795 € HT, soit 2 154 € TTC ;

– une facture n°F160288 émise le 18 novembre 2016 par la société AEPE-GINGKO pour un «complément de réponse Couargues» réalisé par un «Ingénieur ‘ Chargé d’étude Faune et Flore», d’un montant de 400 € HT, soit 480 € TTC ;

– une facture n°17/04 émise le 10 février 2017 par le bureau d’études DAT portant sur «l’assistance à la réunion du 03/02/2017 à la chambre d’agriculture du Cher pour le dossier de COUARGUES», d’un montant de 920 € HT, soit 1 104 € TTC ;

– une facture n°17/07 émise le 23 février 2017 par le bureau d’études DAT portant sur «l’assistance à la réunion du 22/02/2017 à la DDT du Cher pour le dossier de COUARGUES», d’un montant de 580 € HT, soit 696 € TTC ;

– une facture n°17/16 clôturant le devis 17/15 du bureau d’études DAT portant sur «le tirage définitif du dossier de demande d’autorisation de COUARGUES-HERRY suite à la recevabilité », d’un montant de 2 785 € HT, soit 3 342 € TTC ;

– une facture n°17/30 émise le 13 novembre 2017 par le bureau d’études DAT portant sur «l’assistance à la réunion du 8 novembre 2017 à la PREFECTURE DU CHER et aux entretiens à la DDT qui ont suivis pour le dossier de COUARGUES», d’un montant de 1 080 € HT, soit 1 296 € TTC ;

– une facture n°17/27 émise le 16 octobre 2017 par le bureau d’études DAT portant sur «l’assistance à la réunion du 11 octobre 2017 à la DREAL CENTRE pour le dossier de COUARGUES», d’un montant de 2 248,50 € HT, soit 2 698 € TTC ;

– une facture n°18/02 émise le 5 février 2018 par le bureau d’études DAT correspondant aux «frais engagés pour l’assistance pour la procédure du dossier de COUARGUES», d’un montant de 375 € HT, soit 450 € TTC ;

– une facture n°074-18-02-EXP émise le 5 février 2018 par la société GEOPROJECTION pour un «relevé drone Carrière [J] et alentours», d’un montant de 3 550,50 € HT, soit 4 260 € TTC ;

– une facture n°4781/01/18 émise le 31 janvier 2018 par le bureau d’étude PIERRES & EAU pour une étude hydraulique et une analyse des impacts et mesures compensatoires du projet d’«extension d’une sablière», d’un montant de 3 980 € HT, soit 4 776 € TTC ;

– une facture n°18/07 émise le 9 avril 2018 par le bureau d’études DAT portant sur «l’assistance à la CNDPS du 16/04/2018 à la Préfecture du Cher pour le dossier de COUARGUES», d’un montant de 695 € HT, soit 834 € TTC ; et

– une facture n°18/11 émise le 14 mars 2018 par le bureau d’études DAT portant sur «l’assistance à la CNPENAF du 03/05/2018 à la Préfecture du Cher pour le dossier de COUARGUES», d’un montant de 1 555 € HT, soit 1 866 € TTC.

Il y aura donc lieu de faire droit à la demande formée par la société [J] à concurrence de ce montant total de 34 244,40 €.

En second lieu, la société [J] sollicite la condamnation de Monsieur [J] à lui verser la somme de 52 053,06 € au titre de la perte de chance de générer une marge brute supplémentaire causée par le dépôt de la demande d’extension non conforme et, dans l’hypothèse où la cour ne ferait pas droit à la demande de la société CYRUS au titre de la réticence dolosive ‘ ce qui est le cas selon la motivation figurant supra ‘ au paiement de la somme de 1 683 049,04 €.

Il doit toutefois être rappelé que seule constitue une perte de chance réparable la disparation actuelle et certaine d’une éventualité favorable.

La partie du contrat prévoyant le versement d’un complément de prix de 776 000 € avait pour contrepartie l’extension possible de l’exploitation des carrières et constituait, sur ce point, une opération contractuelle aléatoire, en l’absence totale de certitude de l’issue pouvant être donnée par les autorités administratives à la suite d’une telle demande d’extension.

En conséquence, l’aléa nécessairement inhérent à cette demande d’extension exclut toute possibilité pour la société [J] de se prévaloir d’une perte de chance, de sorte que la demande formée par cette dernière au titre de la perte de marge brute devra nécessairement être rejetée.

V) sur les autres demandes :

La décision rendue le 21 octobre 2020 par le tribunal de commerce de Nevers se trouvant infirmée en toutes ses dispositions, les entiers dépens de première instance et d’appel devront être laissés à la charge de Monsieur et Madame [J].

Aucune considération d’équité ne commande, en outre, de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile dans le cadre de la présente instance.

PAR CES MOTIFS :

La cour,

‘ Déboute la société CYRUS de sa demande tendant à l’annulation du jugement entrepris,

‘ Infirme, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris.

Et, statuant à nouveau,

‘ Déboute [D] [J] et [P] [W] épouse [J] de leur demande tendant à la condamnation de la société CYRUS à leur verser la somme de 776.000 € au titre du complément du prix figurant dans le contrat du 16 février 2016 et de leur demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Y ajoutant,

‘ Déboute la société CYRUS de ses demandes formées au titre de la réticence dolosive,

‘ Rejette les demandes formées par [D] [J] et [P] [W] épouse [J] au titre du préjudice matériel et du préjudice moral subis distincts du non versement du complément du prix,

‘ Condamne [D] [J] à verser à la société [J] la somme de 34.244,40 € au titre des frais engagés pour la régularisation du dossier d’extension,

‘ Déboute la société [J] de ses autres demandes,

‘ Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile,

‘ Rejette toutes autres demandes, plus amples ou contraires,

‘ Dit que les entiers dépens de première instance et d’appel seront à la charge de [D] [J] et de [P] [W] épouse [J].

L’arrêt a été signé par M. WAGUETTE, Président et par Mme GUILLERAULT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,

V. GUILLERAULTL. WAGUETTE

 


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