Production audiovisuelle : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04776

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Production audiovisuelle : 20 avril 2023 Cour d’appel de Paris RG n° 20/04776
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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 8

ARRET DU 20 AVRIL 2023

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04776 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCERU

Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Juin 2020 -Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de PARIS – RG n° F16/12573

APPELANTE

Société NEWEN STUDIOS venant aux droits de la société TF & ASSOCIÉS

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Me Nathalie MICAULT, avocat au barreau de PARIS, toque : C1235

INTIMÉ

Monsieur [X] [B]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Me Thomas PIGASSE, avocat au barreau de PARIS, toque : C2498

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 14 Mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’étant pas opposés à la composition non collégiale de la formation, devant Madame Nathalie FRENOY, Présidente, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :

Madame Nathalie FRENOY, présidente

Madame Nicolette GUILLAUME, présidente

Madame Emmanuelle DEMAZIERE, vice-présidente placée

Greffier, lors des débats : Mme Nolwenn CADIOU

ARRÊT :

– CONTRADICTOIRE

– mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Madame Nathalie FRENOY, présidente et par Madame Nolwenn CADIOU, greffier à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

EXPOSÉ DU LITIGE

Ayant créé et animé un site internet rencontrant un grand succès, consacré à la série télévisée « Plus Belle La Vie » , Monsieur [X] [B] a été engagé par la société TF & Associés par contrat de travail à durée indéterminée du 20 décembre 2011, en qualité de Web Master, statut cadre de la convention collective de la production audiovisuelle, chargé de gérer l’écosystème numérique de la série, en contrepartie de la cession dudit site.

Monsieur [B] a été promu chef de projet en charge du même écosystème numérique à compter du 1er juillet 2012.

Son contrat de travail a été suspendu pour cause de maladie à compter du 27 septembre 2016.

Il a été convoqué par courrier du 8 novembre 2016 à un entretien préalable fixé au 21 novembre 2016 auquel il ne s’est pas présenté.

La société TF & Associés l’a licencié pour faute grave par courrier du 24 novembre 2016.

Constestant le bien fondé de son licenciement, Monsieur [B] a saisi le 20 décembre 2016. le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement rendu le 26 juin 2020, notifié aux parties par lettre du 29 juin 2020, a :

– dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– condamné la société TF & Associés à lui payer les sommes suivantes :

– indemnité compensatrice de préavis: 13 500 euros

– indemnité de congés payés afférents: 1 350 euros

– indemnité conventionnelle de licenciement: 4 500 euros

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 27 000 euros

– dommages intérêts pour harcèlement moral: 5 000 euros

– indemnité pour frais irrépétibles: 1 500 euros

– condamné la société TF & Associés aux intérêts au taux légal sur ces condamnations à compter du jugement,

– ordonné la remise par la société TF& Associés à Monsieur [B] d’un bulletin de salaire

et d’une attestation Pôle Emploi conformes aux condamnations,

– condamné la société TF& Associés aux dépens,

– ordonné l’exécution provisoire de la décision,

– débouté Monsieur [B] du surplus de ses demandes et la société TF&Associés de sa

demande d’indemnité.

Par déclaration du 27 juillet 2020, la société TF & Associés a interjeté appel de ce jugement.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 9 janvier 2023, la société Newen Studios, venant aux droits de la société TF & Associés, demande à la cour de :

– dire et juger recevable et bien fondée en son appel la société,

– débouter Monsieur [B] de la totalité de ses demandes, fins et conclusions,

– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il a :

*dit le licenciement de Monsieur [B] sans cause réelle et sérieuse,

*condamné la société TF& Associés à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes :

– indemnité compensatrice de préavis: 13 500 euros

– indemnité de congés payés afférents: 1 350 euros

– indemnité conventionnelle de licenciement: 4 500 euros

– indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 27 000 euros

– dommages intérêts pour harcèlement moral 5 000 euros

– indemnité pour frais irrépétibles 1 500 euros

*condamné la société TF& Associés aux intérêts au taux légal sur ces condamnations à

compter du jugement,

*ordonné la remise par la société TF & Associés à Monsieur [B] d’un bulletin de salaire et d’une attestation Pôle Emploi conformes aux condamnations,

*condamné la société TF & Associés aux dépens,

*ordonné l’exécution provisoire de la décision,

statuant à nouveau,

– dire le licenciement de Monsieur [B] justifié et fondé sur une faute grave,

– débouter Monsieur [B] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
– ordonner la restitution des sommes perçues par Monsieur [B] au titre de l’exécution

provisoire,

– condamner Monsieur [B] à payer à la société TF & Associés la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel

– condamner Monsieur [B] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 12 janvier 2021, Monsieur [B] demande à la cour de :

– confirmer le jugement dont appel en ce qu’il a :

*dit le licenciement de Monsieur [B] sans cause réelle et sérieuse,

*condamné la société TF & Associés à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes :

-indemnité compensatrice de préavis: 13 500 euros

-indemnité de congés payés afférents : 1 350 euros

-indemnité conventionnelle de licenciement : 4 500 euros

*ordonné la remise d’un bulletin de salaire et d’une attestation Pôle Emploi conformes aux condamnations,

*ordonné l’exécution provisoire de la décision,

*condamné la société TF&Associés aux dépens,

-l’infirmer en ce qu’il a :

*limité l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 27 000 euros,

*limité les dommages et intérêts pour harcèlement moral à la somme de 5 000 euros,

*limité l’indemnité pour frais irrépétibles à la somme de 1 500 euros,

*dit que les intérêts commenceront à courir à compter du jugement,

et, statuant à nouveau :

– condamner la société TF &Associés à payer à Monsieur [B] les sommes suivantes :

-indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse: 54 000 euros

-dommages et intérêts pour harcèlement moral : 27 000 euros

-indemnité pour frais irrépétibles en première instance: 5 000 euros

-dire que toutes les condamnations produiront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes du 20 décembre 2016,

-condamner la société TF& Associés à payer à Monsieur [B], avec intérêts au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir, la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,

-condamner la société TF&Associés aux entiers dépens.

L’ordonnance de clôture est intervenue le 10 janvier 2023 et l’audience de plaidoiries a été fixée au 14 mars 2023.

Il convient de se reporter aux énonciations de la décision déférée pour plus ample exposé des faits et de la procédure antérieure, ainsi qu’aux conclusions susvisées pour l’exposé des moyens des parties devant la cour.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur le licenciement :

La lettre de licenciement adressée le 24 novembre 2016 à Monsieur [B] contient les motifs suivants, strictement reproduits :

« Courant mars 2016, nous nous sommes aperçus que vous aviez indûment perçu des sommes importantes au titre de votre rémunération variable 2015 (% sur le montant du CA publicitaire généré par le site.org) sans que cela ne suscite de réaction ou d’alerte de votre part.

Ainsi, en février 2016, il vous a été versé une somme de 7200 € alors que seule une somme de 229 € vous était due.

Nous nous étions étonnés auprès de vous de votre absence de réaction ou d’alerte de cette erreur alors que d’une part, vous aviez via votre fonction une parfaite connaissance du chiffre d’affaires réalisé et donc de votre variable et que d’autre part l’importance du trop-perçu ne permettait pas qu’il passe inaperçu ou qu’il y ait un doute.

À compter de cette date les relations se sont dégradées et mi-septembre vous avez entamé une correspondance dénonçant une « situation hostile » et « une mise à l’écart ».

Dès le 16 septembre, nous vous avons reçu afin de faire le point de votre situation et de vos difficultés.

Pour toute réponse vous avez, détournant le contenu de l’entretien, estimé qu’il s’agissait d’une « nouvelle preuve de harcèlement », « de retrait de vos fonctions’ ».

Le 26 septembre, nous avons été informés par l’un de vos collègues que la page Facebook associée à notre site « PBLV.org » comptant 1,2 M de fans ( url d’origine https ://www.facebook.com/page/Plus-Belle-La-Vie/49362621100 ‘fref=ts) avait été détournée et renommée « Madame [Y] ».

Cette page Facebook était administrée par vous et vos 2 autres collègues (Monsieur [Z] et Mme [N]).

En conséquence de ce détournement, tout le trafic engendré auparavant par cette page et redirigé vers le site « PBLV.org » sert désormais aujourd’hui le site « Madame [Y] », sachant que ce détournement est en place depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Le lendemain vous nous avez notifié votre arrêt maladie.

En investigant sur ce détournement, nous avons appris par les services techniques de Facebook:

‘ que ce détournement avait pu avoir lieu car lorsqu’une page Facebook est administrée par 3 personnes (vous-même, Monsieur [Z] et Mme [N]), l’une d’elles peut décider seule de « bannir » les 2 autres de ladite page en leur retirant leur statut d’administrateur, et Facebook ne peut rien faire contre cela.

‘ qu’une tierce personne s’était manifestée auprès de Facebook, parallèlement à notre demande, en faisant valoir son statut de « propriétaire » de la page Madame [Y] ( ex page PBLV.org détournée), en les alertant sur le fait que la société Telfrance allait très certainement prendre contact avec eux en leur soumettant une demande de récupération de ladite page et de ses fans et enfin en leur demandant de ne pas faire droit à la demande de Telfrance.

Face à cette situation, s’apercevant d’un conflit entre Telfrance et l’un des administrateurs de la page Facebook « Madame [Y] » ( ex page PBLV.org), Facebook a décidé de bloquer toute opération, en faveur de l’une ou de l’autre des parties.

Par ailleurs, en votre absence nous avons été obligés de reprendre les opérations de régie publicitaire du site PBLV dont vous aviez la charge et la responsabilité.

Nous nous sommes alors aperçus que :

-le chiffre d’affaires s’effondrait :

*2015: 79K euros

*2016 (au 31/08/2016 soit 8 mois) : 19 K€

– le mot de passe du site de la régie publicitaire ([Courriel 5]) avait été modifié le 23 octobre 2016.

Or, jusqu’à très récemment vous avez eu la charge de la gestion de la régie de ce site.

Le mot de passe avait été créé par vous et seul vous et Madame [T] [A], qui a repris très récemment les tâches de la régie, aviez ce mot de passe, sachant que c’est précisément Madame [A] qui nous a informés du changement du mot de passe car elle ne pouvait plus accéder au site.

Enfin, dans le cadre de nos investigations, nous nous sommes aperçus, alors qu’il vous avait été demandé de renseigner les éléments informatiques ( mot de passe, adresse IPP etc.’) liés à l’écosystème numérique de PBLV et de sa régie, vous n’aviez jamais fait le nécessaire concernant la page Facebook attachée au site «.org », gardant pour vous seul des éléments importants et incontournables pour la gestion de l’écosystème.

Au terme des éléments que nous détenons, il ressort clairement :

– des défaillances dans les missions qui étaient les vôtres en votre qualité d’expert de l’écosystème numérique de PBLV:

*la non mis en place d’un système sécurisé permettant d’éviter le détournement de la page Facebook,

*la dégradation et l’érosion du chiffre d’affaires de la régie de PBLV,

– des manquements graves à vos obligations contractuelles :

*en n’alertant pas votre direction du détournement de la page Facebook dont vous aviez la gestion, détournement qui est effectif depuis plusieurs semaines voire plusieurs mois et que vous ne pouviez ignorer,

*en ne nous alertant pas sur la dégradation dramatique du chiffre d’affaires de la régie de PBLV et sur les raisons à l’origine de cette situation et a fortiori en ne nous proposant aucune mesure corrective permettant d’inverser cette tendance baissière,

*en refusant de renseigner les éléments informatiques (mot de passe, adresse IPP etc.’) liées à l’écosystème numérique de PBLV et de sa régie,

*en changeant le mot de passe de [Courriel 5], nous mettant ainsi dans l’impossibilité d’y accéder.

Par ailleurs, compte tenu de ces éléments, nous sommes en droit de nous interroger sur votre loyauté vis-à-vis de notre société et de la confiance que nous pouvons avoir en votre travail.

Ces défaillances à vos missions, ces manquements graves et votre déloyauté ont des conséquences graves pour notre société :

‘ l’impossibilité pour la société d’empêcher le détournement de la page Facebook associée à notre site « PBLV.org » et d’y remédier,

‘ l’impossibilité pour la société d’identifier, alors que les autres administrateurs n’ont plus accès à ladite page Facebook, le ou les auteurs à l’origine du détournement de la page Facebook associée à notre site «PBLV.org »,

‘ la perte de la communauté des 1,2 M de fans de la page […] engendrant des préjudices importants pour notre société :

– le désintérêt des annonceurs,

– un impact d’image pour PBLV,

– un impact sur les contrats commerciaux de partenariat et placement de produits,

– un impact avec le diffuseur de PBLV, France 3

‘ l’effondrement du chiffre d’affaires généré du site associé PBLV.org

‘ l’impossibilité pour la société d’accéder à [Courriel 5]

Compte tenu de la totalité de ces éléments, il est parfaitement impossible de maintenir plus avant notre relation contractuelle y compris pendant la période de votre préavis. Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute grave. »

La société Newen Studios, venant aux droits de la société TF&Associés, soutient que le licenciement est fondé sur une faute grave, à savoir d’une part le détournement de la page Facebook, qui était gérée par elle depuis sa cession à Telfrance et qui faisait partie des éléments constitutifs ou intégrés au site cédé, d’autre part la dégradation du chiffre d’affaires de la régie publicitaire dont le salarié avait la charge depuis 2013, enfin le défaut de renseignement des éléments informatiques et le changement du mot de passe du site de la régie.

L’intimé soutient que les faits reprochés sont mensongers, non démontrés et prescrits. Il rappelle que la page Facebook litigieuse lui appartient, qu’il n’était plus en charge de la régie publicitaire et qu’il a informé sa hiérarchie d’une prévisible baisse du chiffre d’affaires si des investissements n’étaient pas effectués. S’agissant du renseignement des éléments informatiques, M. [B] soutient avoir complété sa partie et fait valoir qu’il n’était pas chargé de la partie réseaux sociaux. Enfin, s’agissant du mot de passe de la régie publicitaire, l’intimé soutient d’une part que toute l’équipe le connaissait et, d’autre part, qu’au moment des faits reprochés, il était en arrêt maladie.

Sur la prescription des faits fautifs, il convient de rappeler que l’employeur ne peut sanctionner les faits fautifs reprochés à un salarié que dans les deux mois de leur découverte, conformément à l’article L 1332-4 du code du travail.

La société Newen Studios ne produit aucun élément permettant de démontrer la date à laquelle elle a eu connaissance du prétendu détournement de la page Facebook litigieuse (les attestations versées aux débats étant muettes à ce sujet), alors que Monsieur [B] produit un courriel du 8 septembre 2016 de Monsieur [Z] questionnant Facebook sur le devenir de ladite page ainsi qu’une attestation de Madame [N] faisant état de la découverte de la situation par TF&Associés depuis le mois de mai 2016 (‘En mai 2016, [X] [B] retire à [J] [Z] & moi-même les rôles d’administrateur qu’il nous avait confié sur sa page Facebook et dont il était propriétaire – ce qui lui conférait le droit et le pouvoir de le faire. Ce fait ne peut être ignoré en mai 2016, d’une part parce qu’il n’y a plus d’articles produits sur le site www.pblv.org et que [J] [Z] – community manager – ne fait plus de relais sur ladite page Facebook, et d’autre part parce que des réunions mensuelles portant sur l’audience et le chiffre d’affaires du numérique sont organisés avec [P] [G] et l’équipe’).

Le premier grief tiré de l’absence de mise en place d’un système sécurisé évitant le détournement et d’alerte de la direction à ce sujet doit donc être considéré comme prescrit.

En ce qui concerne la régie publicitaire, si Monsieur [B] en a eu la charge à compter de 2013, la société Newen Studios ne produit aucune pièce permettant de démentir que cette tâche lui a été retirée, comme s’en plaignait le salarié dans son courriel du 1er mars 2016 et comme le dit l’attestation de Mme [N] faisant état de ce qu’en avril 2016 toute action relative à la régie notamment avait été retirée à son collègue.

Par ailleurs, Monsieur [B] verse aux débats un courriel du 12 février 2015 évoquant la nécessité, selon lui, de développer la partie mobile du site pblv.org ‘comme je te le disais, si on ne développe pas cette partie, le chiffre d’affaires du .org va baisser au fil des mois car notre audience devient de plus en plus mobile. J’espère vraiment que tu pourras avoir le budget. Tiens moi au courant’, démontrant ainsi l’alerte donnée à l’employeur sur les perspectives d’avenir.

En ce qui concerne le mot de passe, il n’est pas contesté qu’au moins deux personnes le connaissaient et la preuve du comportement fautif du salarié lors de ce changement intervenu pendant son congé maladie n’est pas strictement rapportée, le doute devant lui profiter.

Les reproches au titre de la régie publicitaire – datant selon l’employeur de la fin de l’année 2016, alors que le contrat de travail du salarié était suspendu pour cause de maladie- ne sont donc pas démontrés.

Quant au grief tenant au refus de renseigner les éléments informatiques liés à l’écosystème numérique de PBLV et de sa régie, outre le fait qu’il n’est nullement daté par l’employeur qui ne rapporte pas la preuve qu’il l’a découvert moins de deux mois avant l’engagement de la procédure disciplinaire, il y a lieu de relever que Monsieur [B] produit plusieurs courriels échangés début avril 2016 avec l’administrateur système et réseau au sujet des renseignements qu’il a donnés à TF&Associés pour la partie technique lui incombant, communication non suivie de récriminations de la part de son destinataire, notamment quant à des données relatives à la page Facebook litigieuse.

Ce grief, au surplus opposé – comme une partie des autres contenus dans la lettre de licenciement – au salarié dans un contexte de litige quant à l’assiette de la cession intervenue à l’occasion de son recrutement, ne saurait fonder le licenciement de l’espèce.

C’est donc à juste titre que le jugement de première instance a dit la rupture du contrat de travail dépourvue de cause réelle et sérieuse et a condamné l’employeur à verser à Monsieur [B] les indemnités de rupture énumérées dans l’exposé du litige, dont le montant n’est pas strictement contesté.

Par ailleurs, eu égard aux éléments versés aux débats, le jugement entrepris a exactement estimé l’indemnisation du licenciement de Monsieur [B].

Il doit par conséquent être confirmé de ce chef.

Sur le harcèlement moral :

L’intimé soutient que plusieurs mois avant son licenciement, il a été progressivement déchargé de ses responsabilités et écarté par sa Direction, dans le but de le contraindre psychologiquement à la démission. Il dénonce un harcèlement moral dont il demande la réparation à hauteur de 27 000 €.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En vertu de l’article L. 1154-1 du code du travail dans sa version applicable au litige, lorsque survient un litige relatif à l’application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L.1153-1 à L.1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l’existence d’un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Monsieur [B] produit en ce sens son courriel en date du 1er mars 2016 indiquant ‘je t’avoue que j’ai beaucoup de mal à comprendre pourquoi tu souhaites me retirer la régie de pblv.org alors qu’à mon arrivée chez Telfrance, on avait convenu que je gérerai le site. De plus, une grande partie de mon variable est calculée en fonction du site pblv.org et je me suis impliqué pour la recherche des régies publicitaires depuis le début’, le courriel du second producteur de la série télévisée en date du 29 juin 2016 lui indiquant ‘pas de point particulier avec toi aujourd’hui ce n’est donc pas nécessaire que tu te joignes à nous sauf si tu y vois une certaine utilité’, l’attestation de Mme [N] faisant état de ce qu’ ‘en avril 2016, ils décident de lui retirer toute action sur le site www.pblv.org, que ce soit la régie ou l’éditorial des articles, alors qu’il s’en était toujours chargé spontanément jusque-là. Parallèlement il a été mis à l’écart du nouveau projet du site avec France 3 et à plusieurs reprises on me demande de faire en sorte qu’il ‘ne soit pas présent’ aux réunions que j’initiais ou encore aux ateliers qui ont eu lieu avec la chaîne France 3 à partir du mois d’avril 2016.[…] Après le départ de notre manager fin juin 2016, une réorganisation est envisagée et [R] m’ informe qu'[X] [B] ne fera pas partie de la nouvelle équipe et qu’il souhaite recruter une personne de France Télévision. Le 13 septembre, une invitation est envoyée pour une réunion numérique autour du nouveau site et l’on m’appelle au préalable pour me dire que l’absence d'[X] [B] dans la boucle est volontaire et qu’il ne faut pas qu’il ‘tente quand même de venir’, selon les ordres de la hiérarchie.’

L’intimé verse en outre aux débats deux courriels de sa part adressés à la secrétaire générale de l’entreprise, se plaignant dans le premier en date du 14 septembre 2016 de subir une ‘situation hostile’ et de ‘mise à l’écart’, réclamant une ‘réintégration’ et une invitation à la réunion numérique à laquelle il n’a pas été convié, se plaignant dans le second en date du 16 septembre de ‘l’exclusion dont (il) souffre depuis plusieurs mois’, du retrait de nombreuses de ses fonctions ainsi que de l’interdiction qui lui a été faite d’accéder aux réunions numériques , relatant qu’elle lui a dit de ‘ prendre un conseil car « l’aventure de 5 ans s’achève là »’.

Sont produits également les avis d’arrêt de travail du salarié en date des 19 octobre, 16 novembre et 15 décembre 2016, les attestations de paiement des indemnités journalières en 2016 et 2017, ainsi qu’un certificat médical faisant état de l’incompatibilité de sa santé avec sa présence à l’entretien préalable et un certificat de suivi psychiatrique dans le cadre d’un arrêt maladie du 27 septembre 2016 au 10 décembre 2017.

Ces éléments permettent de présumer l’existence d’une mise à l’écart du salarié, non convié à des réunions correspondant pourtant à son c’ur de métier et dépossédé d’une partie de ses attributions, données pouvant relever d’un harcèlement moral.

La société Newen Studios soutient que l’intimé, qui n’a à aucun moment alerté l’Inspection du travail, le médecin du travail, ni les représentants du personnel de cette mise à l’écart et de la dégradation de son état de santé, n’en rapporte pas la preuve, ni ne verse au débat aucune pièce susceptible de fonder ses dires. Enfin, l’appelante rappelle que le remboursement de l’indu par l’intimé – dont elle souligne la mauvaise foi- ne constitue pas un harcèlement moral.

La société appelante ne verse cependant aucun élément permettant de démentir la mise à l’écart de Monsieur [B], le retrait de certaines de ses attributions ainsi que les instructions données à au moins une de ses collègues de ne pas le ‘ mettre dans la boucle’ à l’occasion de réunions le concernant pourtant directement en sa qualité de chef de projet en charge de l’ensemble de l’écosystème numérique de ‘Plus belle la vie’.

C’est donc à juste titre que le jugement de première instance a constaté l’absence de justification objective des faits invoqués par le salarié et a condamné l’employeur à une indemnité de 5 000 €, au vu des pièces établissant le préjudice subi, en réparation de ce harcèlement moral.

Sur les intérêts :

Conformément aux dispositions des articles 1153, 1153-1 (anciens), 1231-6 et 1231-7 du Code civil et R1452-5 du code du travail, les intérêts au taux légal courent sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi ( rappels de salaire, indemnités compensatrices de préavis et de congés payés sur préavis, indemnité de licenciement) à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation, sur les créances indemnitaires confirmées à compter du jugement de première instance et sur les autres sommes à compter du présent arrêt.

Sur le remboursement des indemnités de chômage:

Les dispositions de l’article L 1235-4 du code du travail permettent, dans le cas d’espèce, le licenciement de Monsieur [B] étant sans cause réelle et sérieuse, d’ordonner le remboursement par la société Newen Studios des indemnités chômage perçues par l’intéressé, dans la limite de six mois d’indemnités.

Le présent arrêt devra, pour assurer son effectivité, être porté à la connaissance de Pôle Emploi, conformément aux dispositions de l’article R 1235-2 alinéas 2 et 3 du code du travail.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L’employeur, qui succombe, doit être tenu aux dépens de première instance, par confirmation du jugement entrepris, et d’appel.

L’équité commande de confirmer le jugement de première instance relativement aux frais irrépétibles, de faire application de l’article 700 du code de procédure civile également en cause d’appel et d’allouer à ce titre la somme de 2 500 € à Monsieur [B].

PAR CES MOTIFS

La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire prononcé par mise à disposition au greffe à une date dont les parties ont été avisées dans les conditions prévues à l’article 450 alinéa 2 du code de procédure civile,

CONFIRME le jugement entrepris, sauf en ses dispositions relatives aux intérêts sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi,

Statuant à nouveau du chef infirmé et y ajoutant,

CONDAMNE la société Newen Studios, venant aux droits de la société TF&Associés, à payer à [X] [B] la somme de 2 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DIT que les intérêts au taux légal sont dus à compter de l’accusé de réception de la convocation de l’employeur devant le bureau de conciliation sur les créances de sommes d’argent dont le principe et le montant résultent du contrat ou de la loi, à compter du jugement de première instance sur les sommes indemnitaires confirmées et à compter du présent arrêt sur le surplus,

ORDONNE le remboursement par la société Newen Studios, venant aux droits de la société TF & Associés aux organismes sociaux concernés des indemnités de chômage éventuellement payées à Monsieur [B] dans la limite de six mois,

ORDONNE l’envoi par le greffe d’une copie certifiée conforme du présent arrêt, par lettre simple, à la Direction Générale de Pôle Emploi,

REJETTE les autres demandes des parties,

CONDAMNE la société Newen Studios, venant aux droits de la société TF&Associés aux dépens d’appel.

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE

 


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