Production Audiovisuelle : 15 décembre 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/04939

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Production Audiovisuelle : 15 décembre 2022 Cour d’appel d’Amiens RG n° 21/04939

ARRET

[I]

C/

Fondation [5]

copie exécutoire

le 15 Décembre 2022

à

Me Guillon-Dellis

Me Bredon

CPW/MR/SF

COUR D’APPEL D’AMIENS

5EME CHAMBRE PRUD’HOMALE

ARRET DU 15 DECEMBRE 2022

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N° RG 21/04939 – N° Portalis DBV4-V-B7F-IHXJ

JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES – FORMATION PARITAIRE DE CREIL DU 09 SEPTEMBRE 2021 (référence dossier N° RG 19/00282)

PARTIES EN CAUSE :

APPELANTE

Madame [B] [I]

[Adresse 1]

[Localité 2]

représentée, concluant et plaidant par Me Pascale GUILLON-DELLIS de la SELARL GUILLON DELLIS, avocat au barreau de SENLIS substituée par Me Anne VIGNER, avocat au barreau de SENLIS

ET :

INTIMEE

Fondation [5] agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège :

[Adresse 4]

[Localité 3]

représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d’AMIENS substitué par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d’AMIENS, avocat postulant

concluant et plaidant Me Guillaume BREDON de la SAS BREDON AVOCAT, avocat au barreau de PARIS susbtitué par Me Faouza CAULET de la SAS BREDON AVOCAT, avocat au barreau de PARIS

DEBATS :

A l’audience publique du 20 octobre 2022, devant Mme Caroline PACHTER-WALD, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile et sans opposition des parties, ont été entendus :

– Mme Caroline PACHTER-WALD en son rapport,

– les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.

Mme Caroline PACHTER-WALD indique que l’arrêt sera prononcé le 15 décembre 2022 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Malika RABHI

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

Mme Caroline PACHTER-WALD en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Corinne BOULOGNE, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,

qui en a délibéré conformément à la Loi.

PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :

Le 15 décembre 2022, l’arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Caroline PACHTER-WALD, Présidente de Chambre et Mme Malika RABHI, Greffière.

*

* *

DECISION :

Mme [I], née le 20 mai 1962, a été embauchée par la fondation [5] (ci-après la fondation) à compter du 19 janvier 2009 par contrat à durée indéterminée, en qualité de directrice du Centre de rééducation A. [5].

La relation de travail est régie par la convention collective des établissements privés d’hospitalisation, de soins, de cure et de garde à but non lucratif du 31 octobre 1951. La fondation emploie près de 1 000 salariés.

Par courrier remis en main propre le 20 mars 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable fixé au 2 avril 2019, avec mise à pied conservatoire. Son licenciement pour faute grave lui a été notifié le 16 avril 2019 par courrier ainsi libellé :

« Par courrier en date du 20 mars 2019, nous vous avons convoquée à un entretien préalable fixé le 2 avril 2019, avec mise à pied conservatoire, en vue d’une éventuelle sanction disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement pour faute grave. Vous vous êtes présentée à cet entretien, assistée de Monsieur [X] [D], représentant du personnel. J’étais moi-même accompagnée de Monsieur [L] [EN], Secrétaire Général.

Les observations que nous avons pu recueillir de votre part au cours de cet entretien n’ont pas permis de modifier notre appréciation des faits. Nous vous notifions donc par la présente votre licenciement pour faute gave pour les raisons qui vous ont été exposées lors de cet entretien et que nous vous rappelons ci-après.

Vous exercez, au dernier état, les fonctions de Directrice du Centre de Réadaptation Alphonse [5] (CRAR).

La direction générale a été alertée de difficulté rencontrée par les membres de votre équipe au regard notamment de certains de vos agissements et discours entraînant une détérioration importante de leurs conditions de travail. C’est dans ces conditions que nous avons été amenés à initier une mission d’écoute.

Nous vous reprochons, en premier lieu, votre management très autocratique, basé sur la crainte que vous inspirez aux collaborateurs placés sous votre responsabilité.

A titre d’exemple, vous avez ouvertement et délibérément ignoré la situation de souffrance de Madame [U] [E], Responsable des admissions, qui vous a alertée à plusieurs reprises et par écrit de sa surcharge de travail. Elle vous a également demandé à disposer d’un temps dédié, hors accueil du public, pour traiter les dossiers complexes, comme les créances impayées : or, sa demande est restée sans réponse de votre part entrainant une pénibilité plus élevée et des risques d’erreurs. Vous avez également refusé de payer les heures supplémentaires réalisées par Madame [E], et justifiées par la baisse d’effectif, l’effectif du service étant passé de 2 ETP à 1,6 puis 1,8. Cette salariée a par ailleurs dû être placée en arrêt maladie en septembre 2018 suite à « de nombreuses agressions verbales » de votre part. Entre autres, vous vous présentiez souvent dans son bureau pour lui faire des reproches incessants devant sa collègue et en présence de patients. De la même façon, vous n’aviez de cesse de lui couper la parole et de lui intimer de « se taire ». Madame [U] [E] a subi votre attitude inconvenante comme « une atteinte à sa personne que ce soit professionnellement et humainement ». Il apparaît que vous avez adopté une attitude méprisante et cassante a son égard qui l’a placée dans une situation d’inconfort professionnel et de remise en cause.

Votre comportement a eu pour effet de déstabiliser Madame [E], comme ces propos : « je préfère avoir dans mon personnel des personnes comme vous, seule avec des enfants, dont la situation ne leur permet pas de démissionner ». Cependant, Madame [E] a finalement démissionné car elle venait au travail « la boule au ventre avec une angoisse permanente », et qu’elle estimait que ses conditions de travail dégradées mettaient en péril sa santé physique et psychologique, du fait de vos agissements.

Vous pratiquez, en effet, un management par la terreur, certains de vos collaborateurs n’hésitant plus à nous alerter sur le fait qu’ils avaient « peur » de vous, ou encore que vous exercez un « management par les reproches ».

Ce type de ressenti de vos collaborateurs, directement induit par votre comportement, a également été subi par Madame [M] [IW], qui a occupé la fonction de directrice adjointe de l’établissement du 22 décembre 2014 au 5 mai 2017. Alors que, durant plus d’une année, elle n’a pu bénéficier que d’un « espace »dans le bureau de l’assistante RH en guise de bureau, elle était soulagée parla suite d’avoir obtenu un bureau éloigné du votre, ce qui lui permettait « de craquer sans que les salariés puissent en être témoins ». Vous aviez également une attitude « cassante à son égard » qui l’empêchait notamment d’intervenir en réunion.

Vous lui avez également dit « vous me coûtez cher, vous ne méritez pas votre salaire ». Selon cette salariée, vous exercez un management par les reproches. Il vous est arrivé de lui dire « vous être punie » pour l’empêcher de participer à des moments conviviaux.

Vous avez d’ailleurs contraint Madame [M] [IW] à faire une demande de rupture conventionnelle et à mentir aux équipes sur le motif de son départ: vous l’avez interrogée brutalement lors d’une réunion « et vous- [M], vous n’avez rien à dire ‘ » afin quelle prétende publiquement avoir souhaité démissionner. [M] [IW] s’est alors sentie meurtrie, étant contrainte de partir dans ces conditions et « s’est effondrée » en réunion.

Votre comportement inadapté et incompatible avec le niveau de responsabilité que vous occupez aujourd’hui est également confirmé par Madame [V] [RD], diététicienne, qui fait savoir que vous lui avez fait des reproches virulents quant à la prise en charge de votre mère, que vous aviez fait hospitaliser au CRAR. Vous lui avez demandé de ne pas appliquer les prescriptions du médecin en matière de régime sans sel, malgré la maladie cardiaque de la patiente, ce qui a généré le désarroi de la salariée et la remise en question de ses capacités professionnelles. Après l’avoir violemment agressée verbalement, vous avez conclu : « Si je vous paie à temps plein, ce n’est pas pour avoir ce type de prise en charge ».

De la même façon, Madame [GS] [W], Directrice adjointe depuis le 22 janvier 2018, a notamment évoqué les conditions de son intégration au sein du CRAR. Alors que sa période d’essai était terminée, vous lui avez dit « votre vraie période d’essai sera jusqu’en octobre 2018, nous en reparlerons ensemble ». Madame [W] n’a pas reçu de fiche de poste à son arrivée sur le poste de Directrice Adjointe. Elle n’a reçu qu’une « fiche de tâches à finaliser ” le 13 novembre 2018, après plusieurs relances de sa part. Un autre document lui a été remis le 6 février 2019, intitulé « fiche de poste directeur adjoint », mais non représentatif des missions qui lui étaient confiées. Pire encore, au lieu d’accompagner cette collaboratrice durant cette période d’intégration, vous l’avez régulièrement découragée en tenant des propos tels que « je n’ai pas besoin d’un directeur adjoint, le poste de directeur adjoint est le souhait du siège, pas le mien » (alors que le poste de Directeur Adjoint a toujours existé dans cet établissement) ou encore « vous avez un schéma mental particulier » ou enfin « le rôle d’un Directeur Adjoint est d’être un fusible », « c’est bien que les gens aient peur de moi, c’est normal, je suis la Directrice ». Peu de temps après son arrivée, vous lui avez indiqué qu’un poste de Directeur Adjoint était vacant au sein de la Fondation Condé et vous l’avez invitée à y postuler.

Ce comportement inacceptable va encore plus loin puisque vous lui avez interdit de communiquer avec les services du siège de la Fondation, ce qui a rendu son travail très compliqué et lui avez demandé de ne pas respecter les procédures mises en place au sein de la fondation [5].

Monsieur [LA], Responsable Immobilier et Sécurité, nous a précisé que ses relations avec vous sont difficiles, car vous lui « criez dessus », la communication est « compliquée », et « vos reproches l’ont fait douter » de lui. Il relate aussi que, le 16 décembre 2016, vous lui avez « hurlé dessus » pour lui demander de finir immédiatement l’installation des décorations de Noël dans l’établissement. Ce même jour se déroulait aussi le repas du CE (40 salariés attendus), et il avait l’obligation de préparer, en sus, 3 salles de réunion. Ce jour, Monsieur [LA] s’est cassé 3 tendons a l’épaule gauche. Il est reconnu travailleur handicapé et a dû s’arrêter de travailler pendant 14 mois en accident de travail, au cours desquels il a subi des interventions chirurgicales. Lors de sa reprise, vous avez refusé de le positionner en mi-temps thérapeutique pourtant prescrit, tant par le médecin du travail que par ses médecins traitants. Vous avez justifié ce refus par la difficulté de trouver un agent technique à temps partiel dans le secteur. Monsieur [LA] a également précisé qu’il « est très compliqué de travailler dans un tel contexte et climat » et que vous prenez les décisions sans tenir compte de la charge de travail des équipes et sans la moindre concertation.

Votre comportement destructeur a également été confirmé par Madame [F] [VL], Cadre de soins, qui a été témoin du « harcèlement qu’ont pu subir certains de [vos] collaborateurs »et par de nombreux témoignages de salariés. Vous n’avez jamais caché votre « hostilité envers notamment Madame [Y] [R], Docteur [H], Madame [U] [E], Madame [M] [IW] et d’autres. Ces personnes ont « régulièrement été attaquées, voire humiliées, devant tous les participants aux différentes réunions ». Suite aux premiers témoignages et alertes de salariés de l’établissement, nous avons donc décidé de mettre en place une mission d’écoute. La société AMVE, en charge de cette mission, nous a alerté en cours de déroulement sur la « très grande souffrance vécue parles salaries interrogés du fait de votre management autocratique base sur la crainte et la division et de votre gestion du personnel qui favoriserait l’instabilité et la précarité ».

En conséquence, il apparaît que votre comportement au fil des mois a généré un sentiment d’insécurité pour vos collaborateurs, ce qui est totalement inacceptable au regard de vos fonctions de Directeur d’établissement. Comme je vous 1’ai signalé lors de votre entretien préalable, j’ai été touchée par les courriers de ces personnes en détresse et effrayées par le climat de peur que vous faites régner, qui génère un turn over particulièrement élevé et inhabituel au sein de nos institutions. Lors de l’entretien que nous avons eu le 2 avril, vous avez réfuté les témoignages donnés en exemple, sans fournir d’autre argument que : « c’est leur parole contre la mienne ».

En second lieu, il apparaît que vous avez « prêté » du personnel, en parfaite contradiction avec les règles en vigueur. Par courrier du 26 mars 2019, Madame [P] [K], Qualiticienne, nous a indiqué que vous lui avez demandé, en février 2018, d’aider la directrice de la Fondation Condé dans sa démarche qualité en vue de la préparation de la visite de certification. Vous avez signé des ordres de mission pour que Madame [K] travaille pour cette Fondation Condé alors même que le CRAR était également dans une période de certification. Ces missions supplémentaires empêchant Madame [K] de mener à bien son travail au sein du CRAR, elle indique avoir été contrainte de travailler le soir et le samedi matin pour Condé et vous en a informée. Cependant, quand elle a été appelée par le siège pour expliquer cette situation, vous lui auriez dit que « vous ne vouliez pas être impliquée dans cette histoire ». Madame [K] nous a expliqué qu’il lui était « impossible de vous dire non » car cela aurait engendré une situation conflictuelle avec vous qu’elle n’était pas en mesure de supporter. Comme vous le savez ce « prêt ” de personnel est inacceptable. J’ai reçu cette salariée en pleurs qui craignait de recevoir une sanction pour ces faits. Vous avez affirmé, lors de l’entretien préalable, n’avoir jamais pratiqué de prêt de personnel au bénéfice de la Fondation Condé. Votre explication est pourtant contredite par plusieurs courriers reçus indiquant que Monsieur [Z] [C] a également travaillé pour le compte de la Fondation Condé, à votre demande, durant 3 semaines fin 2016.

Enfin, à la lecture des écrits que nous avons reçus, vos propos quant aux relations que vous entretenez avec le siège semblent de nature à particulièrement déformer et tronquer la réalité. En effet, vous faites porter aux services du Siège la responsabilité de décisions qu’ils ignorent mais que vous n’avez pas le courage d’assumer, et vous répandez des propos inexacts et négatifs sur des responsables du siège.

En troisième lieu, nous vous reprochons également de ne pas respecter les procédures en vigueur au sein de la fondation. En effet, suite à l’audit du 15 février 2019 effectué au sein de l’établissement par Monsieur [L] [EN], Secrétaire Général, les points suivants ont été relevés :

– En violation des règles de la Fondation, habituellement respectées par les autres Directeurs, vous ne faites pas signer vos notes de frais par votre responsable hiérarchique (Directrice Générale), que ce soit pour les remboursements de frais de communications téléphoniques ou les indemnités kilométriques liées à vos déplacements. En outre, vos déplacements en 2018 (et donc vos absences) n’ont pas été systématiquement justifiés par les ordres de missions normalement signés au niveau de la Direction Générale.

– L’audit a mis en évidence que vous avez fait régler par l’établissement 2 factures d’un montant supérieur à 2 000 euros aux fournisseurs suivants :

-« Juste pour le dire » : FA 20 0418 pour 350 sacs à dos, soit 2 253,90 € TTC.

-« Cavavin » : FA 1937 du 28 novembre 2018 pour 150 bouteilles de champagne, soit 2 842,50 € TTC. Cette facture a été payée en 3 fois en espèces pour 1 000 €, par chèque CCP n° 7550064 le 5 décembre 2018 pour 1 000 € et le solde par chèque CCP n°7550065 le 18 décembre 2018.

Or, en application de votre délégation de pouvoir, le directeur peut « signer les chèques ou utiliser la carte de crédit professionnelle pour des montants inférieurs à 1 000 € correspondant à des dépenses de fonctionnement urgentes ». Vous avez contesté ce montant de 1 000 euros et précisé que la délégation de pouvoirs vous permettait de signer jusqu’à 1 500 euros, (ce qui fait référence à une délégation très antérieure à ces achats). En outre, concernant votre délégation de pouvoirs et votre refus de prendre en compte le seuil de dépenses autorisé, je rappelle que la Responsable des Ressources Humaines du siège, vous a adressé le 3 juillet 2018 un courriel de relance ayant pour objet « délégation de pouvoirs ” dans lequel elle demandait que la délégation déjà signée par le siège lui soit retournée scannée et par courrier. Vous avez répondu, le 3 juillet 2018 à 17H59 « bonjour, je vais relire la délégation, je vous l’enverrai très prochainement, cordialement ». Or, le 20 mars 2019, vous avez adressé un mail au secrétariat de la Direction Générale « je découvre la délégation de pouvoirs le 20 mars 2019 suite à votre mail de relance »

Cette réponse, manifestement mensongère, est inacceptable de la part d’un Directeur d’établissement.

Mais surtout, le caractère « urgent » de ces dépenses n’est nullement fondé et ces factures pouvaient et auraient dû être payées en fonction des process internes applicables aux fournisseurs de l’établissement. Le paiement en 3 fois par 2 moyens de paiement différents (espèces et chèques) est généralement symptomatique d’une volonté de masquer le dépassement du seuil d’autorisation délégué.

En ce qui concerne l’achat de bouteilles de champagne en fin d’année et en juin, vous avez argué que cet achat était destiné en cadeau aux salariés et aux fournisseurs. Il s’avère que nombreux salariés n’en bénéficiaient pas. Vous avez d’ailleurs été dans l’incapacité de fournir la liste des salariés bénéficiaires, liste qui vous a pourtant été demandée, vous contentant de répondre que 60 bouteilles étaient encore stockées dans votre bureau.

L’audit a également mis en évidence que des factures ont été émises en 2018, à tort, pour un montant de plus de 90 K€. La responsable des admissions a indiqué qu’il s’agissait de factures « hors dotation » et qu’elles n’auraient jamais dû être éditées. Lors de l’entretien préalable, vous avez prétendu que ces factures « hors dotation » n’existaient pas au CRAR et que le contrôle de ces travaux de facturation ne relevait pas de votre responsabilité.

En juillet 2015, vous avez renégocié le contrat de maintenance de 5 portes automatiques avec la société SDM1 à laquelle vous avez confié des prestations dont : la signalétique et le remplacement de moteurs, pour un montant cumulé de 80 K€ entre juillet 2015 et fin 2018.

Nous avons été informés que, de notoriété publique, le directeur technique de SDMI est votre compagnon : il fréquente les bureaux de l’établissement, se fait ouvrir la piscine de la balnéo de nuit pour nager, et vous l’avez d’ailleurs présenté aux salariés à l’occasion de la fête du CE. Vous avez ainsi fait preuve d’un conflit d’intérêt manifeste au mépris des obligations déontologiques.

Vous avez indiqué lors de votre entretien ne pas vous souvenir avoir traité le marché de la signalétique avec cette société.

Nous vous avons signalé avoir eu connaissance d’achat de 2 boîtes à outils auprès du fournisseur « Foussier » et de différents achats de luminaires, tapis, au fournisseur « Castorama » payés par le CRAR et dont la livraison a été faite à votre secrétariat sans que le responsable immobilier ait jamais reçu ce matériel qui n’est pas entré en sa possession : nous ignorons ce que sont devenus ces achats qui ne se trouvent pas dans l’établissement.

Vous ne respectez pas non plus les procédures RH relatives aux congés, au budget de formation ou la réglementation relative aux aménagements de poste : ainsi, le 18 janvier 2019 vous avez adressé un mail à [T] [O], Cadre de soins, lui proposant de prévoir une semaine de congés en récupération « en toute discrétion ». Même si ce cadre avait peut-être droit à récupération, il est étonnant de pratiquer ce genre de terminologie.

Par ailleurs, des formations décidées uniquement par vous (hors plan validé par le siège et hors procédures normales) n’ont, de ce fait pas été déclarées en 2018 auprès de notre organisme de formation UNIFAF. Il a fallu que le siège rattrape ce manque début 2019 pour tenter d’obtenir la prise en charge financière de ces formations.

Il est tout autant inacceptable de découvrir que vous refusez un mi-temps thérapeutique à un salarié sans aucun motif valable et sans prendre conseil du service RH du siège qui vous aurait rappelé à nos obligations vis-à-vis des salariés, et vous aurait aidé à chercher le mi-temps complémentaire.

Concernant l’ensemble des griefs, vous n’avez pu fournir, au cours de l’entretien préalable du 2 avril, aucune explication ni délivrer de justification nous permettant de modifier notre point de vue quant aux faits qui vous sont reprochés. Compte tenu de la gravité des faits qui vous sont reproches, le maintien dans votre poste au sein de la Fondation [5] est impossible, y compris pendant la durée du préavis. En conséquence, nous sommes contraints de vous notifier par la présente votre licenciement pour faute grave. Nous vous précisons que votre licenciement prend effet immédiatement, sans indemnité ni préavis de licenciement.»

Contestant la légitimité de la mesure, Mme [I] a saisi le conseil de prud’hommes de Creil le 25 octobre 2019, qui par jugement du 9 septembre 2021 notifié le 10 septembre, a :

constaté que les faits reprochés n’étaient pas prescrits et que le management autocratique et vexatoire de Mme [I] était parfaitement établi ;

dit que le licenciement pour faute grave était fondé ;

débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

condamné Mme [I] à payer à la fondation [5] la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

dit n’y avoir lieu à exécution provisoire et intérêts au taux légal ;

condamné Mme [I] aux entiers dépens.

Par déclaration électronique du 6 octobre 2021, Mme [I] a interjeté appel à l’encontre de cette décision en l’ensemble de ses dispositions.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 21 décembre 2021, elle demande à la cour d’infirmer le jugement déféré et de :

– à titre principal, qualifier le licenciement pour faute grave intervenu le 16 avril 2019, de licenciement sans cause réelle ni sérieuse et condamner la fondation [5] à lui verser les sommes de :

– 6 835,52 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire;

– 683,55 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire de mise à pied conservatoire ;

– 51 736,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 5 173,65 euros à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

– 23 473,04 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

– 86 227,50 euros à titre d’indemnité nette pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ; ou à titre subsidiaire, requalifier le motif de licenciement en cause réelle et sérieuse et condamner la fondation [5] à lui verser les sommes de :

– 6 835,52 euros à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire ;

– 683,55 euros à titre de congés payés sur rappel de salaire de mise à pied conservatoire ;

– 51 736,50 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis ;

– 5 173,65 euros à titre de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis ;

– 23 473,04 euros à titre d’indemnité de licenciement ;

– 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

– en toute hypothèse, fixer des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud’hommes, et leur capitalisation.

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 21 mars 2022, la fondation [5] demande à la cour de :

– à titre principal, confirmer la décision déférée ;

– à titre subsidiaire, constater que les demandes de dommages et intérêts de Mme [I] sont totalement infondées et manifestement excessives et l’absence de toute nécessité d’ordonner la capitalisation des intérêts, et en conséquence la débouter de l’intégralité de ses demandes de ces chefs;

– en tout état de cause :

– débouter Mme [I] du surplus de ses demandes et la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre sa condamnation aux entiers dépens ;

– dire et juger que les sommes s’entendent comme des sommes brutes avant précompte des charges sociales, dans l’hypothèse où la cour ferait droit aux demandes à caractère salarial formulées par Mme [I] et que les dommages et intérêts alloués à ce titre s’entendent comme des sommes brutes avant CSG CRDS dans l’hypothèse où la cour considérerait que les demandes de dommages et intérêts sont fondées.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 14 septembre 2022 et l’affaire a été fixée à l’audience du 20 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la rupture du contrat de travail

Pour demander l’infirmation de la décision entreprise, Mme [I] soulève la prescription des faits reprochés relatifs aux actes de gestion du Centre de réadaptation et aux dossiers RH critiqués, notamment la rupture conventionnelle conclue en mai 2017 avec une directrice adjointe. Elle ne soulève pas la prescription des faits de management inadaptés reprochés, mais conteste le comportement allégué par l’employeur et soutient qu’en tout état de cause la fondation [5] a attendu plus de 6 mois après des courriers ayant porté à sa connaissance en juin 2018 des difficultés rencontrées par les membres de l’équipe pour diligenter des audits et ensuite plus d’un mois pour engager une procédure de licenciement disciplinaire à son encontre. Elle estime que les deux audits sollicités par l’employeur étaient orientés et partiaux, et n’ayant servi que « d’alibi au licenciement sans indemnités de la directrice d’établissement »), ce qui empêche de considérer ces faits comme étant constitutifs d’une faute grave.

La fondation [5] réplique en substance qu’aucun des faits reprochés à la salariée ne n’est prescrit puisqu’elle a appris les violations retenues dans la lettre de licenciement à l’occasion d’un rapport d’audit déposé en février 2019. Elle affirme qu’elle rapporte la preuve de la réalité de l’ensemble des faits reprochés et de leur imputation à la salariée, notamment en ce qui concerne un management inadapté pendant plusieurs années dont elle a eu connaissance à l’occasion de courriers de plusieurs salariés dénonçant des méthodes de management particulièrement autoritaires de la salariée et une situation de souffrance au travail. Elle précise avoir alors diligenté une enquête par un organisme externe qui a confirmé cette situation et que le comportement de la directrice, au regard de son poste de travail, caractérise tout à fait la faute grave.

Or, l’article L.1232-1 du code du travail subordonne la légitimité du licenciement à l’existence d’une cause réelle et sérieuse.

La faute grave privative du préavis prévue à l’article L.1234-1 du même code est celle qui rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise. La charge de la preuve de la faute grave repose exclusivement sur l’employeur. Le doute profite au salarié.

En application de l’article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales. Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l’engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l’employeur d’apporter la preuve qu’il n’en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l’engagement de ces poursuites. Il est constant que ce n’est pas la date des faits qui constitue le point de départ du délai mais celle de la connaissance par l’employeur des faits reprochés. Cette connaissance par l’employeur s’entend d’une « connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l’ampleur des fait ». Cette connaissance peut dépendre de la réalisation de vérifications auxquelles l’employeur doit procéder pour s’assurer de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits reprochés.

Néanmoins, ces dispositions ne s’opposent pas à la prise en considération d’un fait antérieur à deux mois si le comportement du salarié s’est poursuivi ou a été réitéré dans ce délai.

Selon l’article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir des agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Peuvent caractériser un harcèlement moral les méthodes de gestion mises en ‘uvre par l’employeur ou un supérieur hiérarchique, dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L’article L. 1152-4 précise que l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les agissements de harcèlement moral.

En l’espèce, le licenciement de Mme [I] est motivé par les griefs suivants:

– un management autoritaire et humiliant inapproprié,

– le prêt de personnel non autorité en violation des dispositions applicables en février 2018,

– le non respect des procédures en vigueur au sein de la fondation entre 2015 et le 18 janvier 2019, détaillé en plusieurs sous-griefs.

[5] tant dans la lettre de licenciement que dans ses conclusions. Si le point de départ du délai de prescription de deux mois se situe au jour où l’employe

Mme [I] soulève la prescription du dernier grief. Or, seuls des faits anciens sont évoqués par la fondation qui a eu personnellement et officiellement connaissance des faits fautifs reprochés au salarié sanctionné, la fondation soutient sans aucun élément à l’appui n’avoir eu connaissance des manquements de Mme [I] qu’à l’occasion du dépôt d’un rapport d’audit le 15 février 2019 qui n’est cependant pas versé aux débats, et aucun autre élément produit permet de vérifier que l’employeur n’a eu que tardivement connaissance des manquements allégués. A défaut de tout élément sur une découverte tardive de la commission des faits reprochés par l’employeur, ils sont prescrits, de sortes que ces faits étaient prescrits lorsque la procédure de licenciement a été initiée et ne pourront donc être retenus au titre des griefs.

Mme [I] ne soulève pas la prescription des faits allégués concernant un management inadapté de sa part mais conteste tant le manquement reproché que sa gravité au regard du temps important mis par l’employeur pour réagir qu’elle estime déraisonnable.

Il est avéré qu’en juin 2018, la direction de la fondation a reçu un signalement anonyme des «salariés du CRAR» dénonçant «une direction humiliante et malveillante» qui n’est cependant aucunement circonstancié dès lors qu’il ne précise ni les noms ou à tout le moins les fonctions ou le service des salariés du CRAR concernés, ni aucune date des faits dénoncés, le ou les personnes de la direction en cause alors (le Centre comptant un directeur et un directeur adjoint) ni enfin la description détaillée des manquements. En revanche, en février et mars 2019, la fondation [5] a reçu des courriers et un courriel nominatifs de plusieurs salariés dénonçant clairement un comportement managérial autoritaire et inadapté de Mme [I].

A nouveau informé, mais cette fois précisément et nominativement, de l’existence de faits susceptibles de constituer un harcèlement moral des salariés quelques mois après la première dénonciation bien trop imprécise pour permettre de cibler Mme [I], la fondation [5] a pris les mesures immédiates propres à le faire cesser en diligentant une mission d’écoute au sein du Centre confiée à une société extérieure spécialisée, la société AMVE, et en convoquant dès le 20 mars la directrice à l’entretien préalable au licenciement avec mise à pied à titre conservatoire, de telle sorte que non seulement les faits reprochés ne sont effectivement pas prescrits mais encore le temps de réaction raisonnable de l’employeur ne saurait faire perdre leur gravité aux faits s’ils sont établis.

A ce titre, il est de droit qu’en matière prud’homale, la preuve est libre et qu’il appartient aux juges du fond, dès lors qu’il n’a pas été mené par l’employeur d’investigations illicites d’en apprécier la valeur probante, et la cour relève que l’intervention de la société AMVE, chargée par la fondation [5] de la mission d’écoute, ne fait l’objet d’aucune critique pertinente fondée et appuyée sur des éléments concrets. Mme [I] a eu connaissance des éléments, et a pu s’expliquer.

Un pré-rapport a en effet été remis à l’employeur le 6 avril 2019 afin de l’ «alerter dès maintenant en amont du rendu de mon rapport final» nommant expressément des comportements inappropriés de la directrice et évoquant un «sentiment de soulagement suite à la mise à pied de la directrice actuelle» évoqué spontanément par «la majorité des participants énonçant la possibilité de revenir travailler sereinement» alors que plus de 76% des 93 personnes constituant le personnel avait été entendu, ce qui est une participation importante s’expliquant selon la société chargée de la mission, par un «fort besoin de faire entendre et reconnaître sa souffrance et les difficultés rencontrées depuis plusieurs années». Ce document objectif destiné à signaler des facteurs de risque sur le plan collectif, fait ainsi état sans équivoque d’un management dysfonctionnel de la salariée ayant eu des répercussions graves sur les conditions de travail des personnes travaillant sous sa hiérarchie directe et indirecte.

Le pré-rapport révèle une très grande souffrance au CRAR, soulignant que lors des entretiens, «de nombreuses personnes ont été submergées par leurs émotions à l’évocation de ces difficultés durant les entretiens tout en souhaitant poursuivre leur exposé.»

Dans ce document, il est souligné des relations inter professionnelles dégradées et visé à ce titre notamment un style de management très autocratique basé sur la crainte et la division et une gestion des effectifs favorisant l’instabilité, certaines expressions frappantes employées par les salariés auditionnés sans citer de nom étant reprises à titre d’illustration, en particulier : «la manière de fonctionner de la directrice crée de l’incertitude», «la direction critique les gens ouvertement, les humilie en public, pendant les réunion», «elle sais où ça fait mal et continue jusqu’à ce qu’on craque», «on ne sais jamais si cela va être un jour de bonne humeur ou si on va se faire attraper au milieu du couloir», «et ça tourne…c’est triste mais quand ça tombe sur quelqu’un d’autre, on est soulagé et on fait le dos rond jusqu’à ce que ça nous tombe dessus», «il m’arrive de faire un grand détour pour éviter de la croiser dans un couloir», «la directrice m’a dit le code du travail c’est moi», «le ton employé ne permet pas de discuter», «regardez moi quand je vous parle!», «la directrice adorait recruter du personnel en situation de précarité – maman célibataire, divorcée…- et à temps partiel parce que c’était des gens plus malléables», «un jour j’ai dit à la directrice que je m’étonnais du nombre de démissions, elle m’a répondu que c’était des histoires personnelles et qu’elle préférait avoir des personnes seules comme moi avec des enfants».

Ces témoignages dans le cadre de la mission d’écoute sont corroborés par les différents courriels et courriers produits par l’employeur. S’agissant des pressions et humiliations subies par les salariés du Centre de la part de Mme [I], de la dévalorisation de leur travail, l’employeur produit en particulier les éléments concordants suivants :

– un courriel de Mme [J] du 10 août 2018 adressé à Mme [I] dans lequel elle signale qu’elle lui a, dans un courrier (également produit par la fondation [5]) reproché d’avoir eu « un comportement primitif » ce qui constiue un langage familier, excessif et qui caractérise de l’agressivité ;

– un courrier du 12 mars 2019 complété par un courrier du 15 mars de Mme [E], ancienne salariée responsable des admissions, qui explique les motifs de sa démission qu’elle lie au comportement inadapté de Mme [I] en rapportant qu’il a eu un impact sur son état de santé physique et psychique en ce que : « (…) en septembre 2018, je me suis arrêtée (en maladie) suite à de nombreuses agressions verbales de Mme [N] qui se présentait régulièrement dans mon bureau pour me faire des reproches incessants devant ma collègue et en présence des patients. J’ai vécu ces accusations que je considère injustifiées comme une atteinte à ce que je suis professionnellement et humainement (…) Lors d’une réunion CAC, la cadre de santé présente ce jour là a abordé le dossier d’un patient. J’ai voulu donner des informations administratives concernant ce dossier. Mme [N] m’a coupé la parole et m’a dit qu’il fallait que je me taise et que ce que je disais n’était pas intéressant», et la salariée souligne par ailleurs les propos inappropriés suivants lors d’un rendez-vous au cours duquel ont été évoqués les «nombreux départs (démissions) au sein du CRAR», la directrice lui répondant «qu’elle préférait avoir dans son personnel des personne comme moi : seule avec des enfants dont la situation ne leur permet pas de démissionner», et Mme [E] concluant «les attitudes de Mme [N] m’ont poussé à démissionner car je venais au travail la «boule au ventre» avec une angoisse permanente (…)» ;

– un document réalisé le 26 mai 2020 par Mme [S] démontrant que le taux de turn-over (sorties d’effectifs en contrat à durée indéterminée/ effectifs encore en place en N-1) au sein du CRAR a plus que doublé entre 2015 et 2018 ;

– un courrier de Mme [IW], ancienne directrice adjointe de décembre 2014 à janvier 2017, dans lequel elle précise que Mme [I] lui a fait comprendre dès son embauche qu’elle ne la désirait pas sur ce poste, la présentant notamment aux équipes en qualité de cadre administratif, ce qui était repris sur son badge ; elle précise également ne pas avoir disposé d’un bureau pendant 1 an et demi, travaillant ainsi dans le bureau des ressources humaines avec l’assistance RH, ou encore qu’elle travaillait «sous une telle pression» qu’elle a ensuite demandé à récupérer un bureau éloigné qui lui a «permis de craquer sans que les salariés puissent en être témoin. Une manière également pour moi de me protéger de la présence nocive de Mme [N] (…) De manière générale, Mme [N] était tellement cassante à mon égard que je n’osais pas intervenir en réunion. J’avais peur de Mme [N]. Mme [N] communiquait très souvent avec moi par mail, très peu oralement, et m’avait indiqué qu’elle pourrait se resservir de ses écrits contre moi dans un contexte disciplinaire. J’avais toujours mal au ventre, j’étais toujours sous pression et elle m’avait fait intégrer que j’étais incompétente (…)» ; Mme [IW] précise que Mme [I] lui a dit un jour «Vous me coûtez cher, vous ne méritez pas votre salaire», que «ce management par les reproches était également exercé sur d’autres salariés : M. [LA], (…) Mme [N] poussait à bout les salariés (…)» et que «pendant toutes ces années à travailler aux côtés de Mme [N], je me suis sentie rabaissée, dénigrée (…) Avec du recul, après quelques années, je peux aujourd’hui affirmer que Mme [N] manage par la terreur. Ma situation professionnelle était tellement difficile à vivre au quotidien que j’ai été suivie médicalement pour dépression. Ce mal être permanent a également impacté ma vie personnelle. Je me suis coupée de mes proches et je passais mes soirées à pleurer. (…)» ;

– un courrier du 21 mars 2019 de Mme [W], nouvelle directrice adjointe, dans lequel elle décrit les tensions entretenues par Mme [I] et dont il ressort notamment qu’à l’issue du dernier comité de direction intervenu en février 2019, celle-ci lui a demandé « si elle pouvait parler de [leur] relation », et lui a parlé à cette occasion de la façon suivante, lui disant «qu’elle n’avait pas besoin d’un directeur adjoint. Que le poste de directeur adjoint était le souhait du siège, pas le sien.» Que «c’était compliqué avec moi, que je faisais beaucoup de mail». Que «j’avais un schéma mental particulier» Mme [N] m’a également dit que le rôle d’un directeur adjoint était d’être un fusible. Mme [N] m’a également menacée de sanctions à l’occasion d’un mail dans le cadre duquel je la sollicitais pour une meilleure anticipation dans sa communication quant à mon rôle dans la cellule de crise de l’établissement (…) Lorsque Mme [N] se rend dans mon bureau, elle a pour habitude de faire le tour de mon bureau pour se positionner à côté de moi face à l’écran de mon ordinateur. Elle reste debout et scrute systématiquement ma boîte mails ainsi que mon téléphone portable. Elle se positionne de cette manière et interrompt mes RDV lorsque je ne suis pas seule (…)» ;

– un courrier du 1er avril 2019 de M. [LA], responsable d’atelier, témoignant de plusieurs échanges tendus et secs avec Mme [I] et de la pression anormale subie, notamment en ce que le 16 décembre 2016, elle lui a «hurlé dessus pour me demander de finir immédiatement l’installation des décorations de Noel dans l’établissement.» alors que ce jour-là de nombreuses tâches lui incombaient et que «toutes ces tâches à réaliser en urgence dans le même temps ont généré une surcharge de travaux difficilement réalisables» ; le salarié s’étant cassé les trois tendons de l’épaule gauche à la fin de cette journée surchargée, a été placé en arrêt de travail, et il indique que «dès ma reprise, Mme [N] m’a considéré responsable d’un dysfonctionnement du groupe électrogène qui était défaillant depuis 6 mois. Ce reproche que j’ai vécu comme une injustice car non justifié m’a d’ailleurs valu un avertissement de la part de la directrice (…) Que j’ai vécu comme une attaque personnelle à mon égard. Ce que je regrette c’est que Mme [N] ne laisse la place à aucun dialogue, aucun échange et prend des décisions sans aucune concertation. Mme [N] ne s’adresse à l’équipe que pour faire des reproches (…) Ces dernières années et ces derniers mois ont été de plus en plus difficiles d’un point de vue physique mais aussi d’un point de vue moral. L’attitude de Mme [N] qui s’exprime essentiellement par mails sur un ton de reproche permanent génère pour moi du stress. Il est très difficile de travailler dans un tel contexte et climat. Je souffre de l’absence de reconnaissance de la part de la directrice ainsi que de l’absence de rapport humain»

– un courriel de Mme [RD], diététicienne, du 8 février 2019, dont il ressort que Mme [I] l’a interpellée publiquement dans un couloir en lui faisant des reproches sur la prise en charge de sa mère placée dans l’établissement, avec une violence de ton et en la rabaissant, la salariée expliquant que la directrice ne l’écoutait pas et parlait « au dessus de ma voix toujours sur un ton agressif», et que lorsqu’elle a essayé de se défendre, «elle m’a coupé en me criant : «Mais vous comprenez ce que je suis en train de vous dire’ Maman ne mange pas! On ne va quand même pas l’alimenter par perfusion! C’est comme ça que vous faites avec vos patients’ Vous attendez de les perfuser pour qu’ils mangent! (…) Alors faites le nécessaire, si je vous paie un temps plein, ce n’est pas pour avoir ce type de prise en charge qui ne fait rien avancer», la salariée précisant qu’elle n’a «pu retenir [ses] larmes toute l’après-midi (…) Je me suis sentie rabaissée, agressée et dans l’obligation d’accepter sa requête qui est de prioriser la prise en charge de sa mère» ajoutant « Je vous écrit ce mail pour vous exprimer à quel point j’ai été choquée par les propos de Mme [N] » et signalant dans un courriel suivant du 7 mars 2019, avoir été interpellée par la directrice le 5 mars lui demandant de passer la voir dans la journée, ce qui a provoqué chez elle une angoisse, ayant notamment «peur qu’elle réitère la façon dont elle [lui a] parlé lors du précédent rendez-vous (…)» ;

– un courrier de Mme [K] du 26 mars 2019 confirmant les propos tenus à l’employeur lors d’un échange du 15 mars, dont il ressort que cette salariée en poste depuis septembre 2016 a indiqué avoir constaté et avoir eu connaissance «des pratiques de Mme [N] vis à vis de certains salariés», précisant également «je n’étais pas en mesure de refuser une quelconque demande de Mme [N]. Lui dire non était inenvisageable pour moi car cela engendrerait une relation conflictuelle avec la directrice que je ne suis pas en mesure de supporter. D’ailleurs par le passé j’ai également fait l’objet de reproches injustifiés de la part de Mme [N] et je ne veux pas revivre la même situation».

Les éléments restants ainsi retenus convergent sur la description d’une cheffe n’écoutant pas, communiquant de manière inadaptée, discréditant son adjointe, et imposant à ses subordonnés des mouvements d’humeur, un comportement imprévisible et agressif les conduisant à travailler dans la crainte de ses réactions, ses subordonnés n’osant pas refuser les demandes leur étant faites par Mme [I], y compris celles estimées injustifiées ou anormales, et ce même à les considérées formulées courtoisement. Il en ressort également la dégradation des conditions de travail de plusieurs salariés du Centre, ayant plus particulièrement altéré la santé de Mmes [RD] et [W].

En réponse, Mme [I] fait valoir plusieurs moyens et arguments dont aucun n’est fondé. Alors que les faits révélés concernent son comportement managerial et ne remettent pas en cause ses autres qualités professionnelles, elle ne verse pas le moindre document permettant de contredire les reproches énoncés dans la lettre de licenciement et ci-dessus repris, aucun élément du dossier ne permettant de douter de la sincérité tant de ce rapport d’alerte intervenu dans le cadre de la mission d’écoute diligentée par l’employeur ultérieurement complété que des témoignages.

Elle produit en effet les attestations de deux anciennes salariées, Mme [A] et Mme [G] qui concernent la période antérieure à 2016, ou encore une attestation de M. [D] qui non seulement n’est pas circonstanciée dès lors qu’elle ne relate aucun faits précis, mais en outre ne présente pas de garanties

suffisantes pour permettre à la cour de se forger une conviction sur la valeur et la portée des élément qu’elle contient puisque le salarié a fait l’objet de plusieurs sanctions infligées par l’employeur en 2018 et 2019 qu’il a pour certaines contesté devant le conseil de prud’hommes qui l’a débouté de ses demandes le 2 mars 2019. Il s’ajoute encore que cette attestation est rédigée sans la mesure et l’impartialité crédibilisant ce type de témoignage, l’intéressé évoquant sans plus de détail des «pratiques douteuses pour obtenir des témoignages défavorables» de la part de la fondation [5].

La directrice produit également un test de personnalité constatant ses qualités professionnelles et plus particulièrement ses qualités managériales inopérant dès lors que d’une part rien ne permet de vérifier les conditions dans lesquelles ce test a été réalisé, la fondation [5] soutenant qu’il aurait été effectué en 20 minutes sur internet, et que d’autre part ce test n’est pas propre à contredire les témoignages concrets de salariés portant sur leur vécu auprès de Mme [I] pendant plusieurs mois pour certains et plusieurs années pour d’autres.

Il en va de même des décisions de la Haute Autorité de Santé des 13 janvier 2018 et 7 mai 2019 imposant à la fondation [5] une obligation d’améliorations en faisant référence à un rapport qui n’est pas communiqué, tout aussi inopérantes.

Les autres pièces communiquées par Mme [I] ne sont pas non plus de nature à remettre en cause la démonstration par l’employeur qui précède et si le pré-rapport sus visé évoque d’autres difficultés dans le Centre, si le courrier de la directrice de transition lui ayant succédé met en exergue des difficultés avec le siège social et si le signalement collectif du médecin du travail du 7 octobre 2019 évoque la souffrance au travail de certains salariés, il n’en demeure pas moins que le contexte général (encore moins le contexte général postérieur à son départ) n’est nullement exclusif d’un management inapproprié de la part de Mme [I].

L’appelante occupait un poste de responsabilité et d’encadrement. Le comportement décrit plus haut a provoqué une situation de stress et de souffrance au travail chez une partie des salariés placés sous son autorité ou avec lesquels elle était en contact. Dans ces conditions, et sans même qu’il soit utile d’évoquer les autres problèmes retenus dans la lettre de licenciement, ni la qualité du travail de Mme [I] qui n’est pas en cause, il convient de retenir que les agissements tels qu’ils sont matérialisés sont à eux seuls constitutifs d’une faute grave rendant impossible le maintien de la salariée dans l’entreprise, étant précisé que l’absence de sanction antérieure ne permet pas d’atténuer la gravité de la faute.

Le jugement déféré, qui a considéré que le licenciement pour faute grave est fondé et a débouté la salariée de ses demandes subséquentes, sera donc confirmé.

Sur les dépens et frais irrépétibles

Le sens du présent arrêt conduit à confirmer le jugement déféré en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles.

Mme [I], qui succombe, sera condamnée aux dépens d’appel et à payer 500 euros à la fondation [5] au titre de l’article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition au greffe,

Confirme le jugement déféré en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne Mme [I] à payer à la fondation [5] la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamne Mme [I] aux entiers dépens d’appel.

LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE.

 


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