Production Audiovisuelle : 1 mars 2016 Cour d’appel de Versailles RG n° 15/00592

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Production Audiovisuelle : 1 mars 2016 Cour d’appel de Versailles RG n° 15/00592

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 01 MARS 2016

R.G. N° 15/00592

AFFAIRE :

[X] [W]

C/

Société D8

Société D8 FILMS, anciennement dénommée DIRECT PRODUCTION

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Janvier 2015 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de Boulogne Billancourt

Section : Activités diverses

N° RG : F14/00213

Copies exécutoires délivrées à :

Me Annabelle SEVENET

SCP AUGUST & DEBOUZY et associés

Copies certifiées conformes délivrées à :

[X] [W]

Société D8

Société D8 FILMS, anciennement dénommée DIRECT PRODUCTION

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE PREMIER MARS DEUX MILLE SEIZE,

La cour d’appel de VERSAILLES, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Madame [X] [W]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Comparante

Assistée de Me Annabelle SEVENET, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Société D8

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS

Société D8 FILMS, anciennement dénommée DIRECT PRODUCTION

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentée par Me Eric MANCA de la SCP AUGUST & DEBOUZY et associés, avocat au barreau de PARIS

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L’affaire a été débattue le 15 Décembre 2015, en audience publique, devant la cour composée de :

Madame Catherine BÉZIO, président,

Madame Sylvie FÉTIZON, conseiller,

Madame Sylvie BORREL-ABENSUR, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE

EXPOSE DU LITIGE

Mme [W] a été employée à temps plein, en qualité d’opératrice synthétiseur ou prompteur pour le tournage et la diffusion de programmes télévisés, sur la base d’une succession de contrats à durée déterminée (CDD) d’usage, à compter du 22 novembre 2010 et jusqu’au 4 juillet 2012 par la société DIRECT PRODUCTION (devenue D8 FILMS ), puis alternativement par la société DIRECT PRODUCTION et la société prestataire EUROMEDIA pour la période du 5 septembre 2012 au 28 février 2013, et enfin pour la période comprise entre le 5 mars 2013 et le 21 juin 2013, successivement par les sociétés D8 FILMS, DIRECT8 et D8.

Les relations contractuelles sont soumises à la convention collective d’entreprise de [Adresse 3], dont la société DIRECT PRODUCTIONS à présent dénommée D8 FILMS est devenue une filiale en 2012.

Les sociétés DIRECT PRODUCTION et DIRECT8 (devenue D8) apparaissent sous le même numéro de Siret.

La fonction d’opérateur prompteur (ou synthétiseur pour répondre à l’intitulé prévu par la convention collective) consiste à intégrer dans un logiciel spécifique les textes des présentateurs, animateurs et intervenants, mettre en forme les textes et qualités de chacun pour qu’ils apparaissent à l’écran de manière fluide en suivant le débit de paroles de chacun.

Affectée à différentes émissions au début de la relation contractuelle, Mme [W] a finalement été affectée exclusivement aux émissions ‘Touche pas à mon poste’ et ‘le grand 8’, et a participé au lancement de la nouvelle chaîne D8 en octobre 2012.

A partir d’avril 2013, elle a constaté une baisse d’environ 25 % de sa rémunération, son salaire forfaitaire de 197 euros brut par jour passant à 155 €, ce qui l’a conduite à solliciter un entretien avec ses responsables hiérarchiques au sein des sociétés D8 FILMS et D8, au cours duquel il lui a été indiqué que si cette rémunération ne lui convenait pas elle pouvait cesser de travailler.

Souhaitant dénoncer ce qu’elle considérait comme une injustice, elle est intervenue le 30 mai sur le plateau de l’émission ‘Touche pas à mon poste’ présentée par Mr [P] pour dire que le groupe [Adresse 3], qui venait de racheter la société D8, imposait des baisses de salaire des intermittents, alors que son chiffre d’affaires s’élevait à 5 milliards d’euros ; à la suite de cette intervention, et malgré le soutien d’une pétition, la société n’a plus fait appel à ses services.

C’est ainsi que le 27 janvier 2014, Mme [W] a saisi le conseil des prud’hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT pour solliciter principalement la requalification de ses contrats de travail à durée déterminée en un contrat de travail à durée indéterminée, et qu’il soit jugé que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse, et ainsi obtenir des sociétés D8 FILMS et D8 le paiement de diverses indemnités.

Par jugement du 20 janvier 2015, dont Mme [W] a formé appel, le conseil l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes.

Vu les écritures soutenues oralement à l’audience du 15 décembre 2015, et auxquelles la cour se réfère en application de l’article 455 du code de procédure civile, les parties ont conclu comme suit :

Mme [W] sollicite la condamnation solidaire des sociétés D8 FILMS et D8, en qualité de co-employeurs, à lui payer, avec le bénéfice de la capitalisation des intérêts, les sommes suivantes, sur la base d’un travail à durée indéterminée à temps complet avec un salaire mensuel brut de référence de 3846,90 € :

– 3846,90 € à titre d’indemnité de requalification,

– 10 342,50 € à titre de rappel de salaires sur RTT,

– 96 956,70 € à titre de rappel de salaires pour les périodes interstitielles sur la base d’un salaire à temps plein, outre celle de 9695,60 € au titre des congés payés afférents,

– 23 081,40 € à titre de dommages et intérêts, tant pour la privation des avantages réservés aux salariés sous contrat à durée indéterminée, que pour l’exécution déloyale du contrat de travail,

– 7693,80 € à titre d’indemnité de préavis, outre celle de 796,38 € au titre des congés payés afférents,

– 1923,45 € à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement,

– 46 162,80 € à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse,

– 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés D8 et D8 FILMS concluent à titre principal à la confirmation du jugement et au débouté de Mme [W], et à sa condamnation à lui payer la somme de 1000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

A titre subsidiaire, en cas de requalification, elles demandent que les indemnités réclamées soient évaluées sur la base d’un salaire de référence à temps partiel fixé à 990,83 €, et que la demande de rappel de salaires sur un travail à temps plein soit rejetée, ainsi que les demandes en dommages et intérêts.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La société D8 (anciennement DIRECT 8) et la société D8 FILMS (anciennement DIRECT PRODUCTION) ont le même président, les même siège social et établissement secondaire, ainsi que des activités à la fois similaires et complémentaires, la première éditant des services télévisés, la seconde produisant, vendant et diffusant des films et des programmes télévisés; elles ont été rachetées par le groupe [Adresse 3] en 2012, époque à laquelle elles ont pris respectivement leur dénomination actuelle.

Les sociétés D8 et D8 FILMS ne contestent pas leur qualité de co- employeurs, mais considèrent que leur recours à l’emploi intermittent de Mme [W] était justifié par l’usage constant propre au secteur de l’audiovisuel (contrat à durée déterminée d’usage).

En revanche, elles précisent que la société EURO MEDIA STUDIO est distincte d’elles et n’a pas été attraite à la procédure, de sorte qu’il faut écarter la période pendant laquelle Mme [W] a travaillé pour cette société.

Mme [W] soutient que pour certaines périodes aucun contrat n’a été établi par écrit, que les contrats écrits ou lettres d’engagement ne respectent pas les conditions de forme requises, leur motif et leur date (souvent ils sont antidatés) n’étant pas toujours indiqués, et leur remise étant faite le dernier jour de leur terme (non respect de la remise du contrat dans les 2 jours de sa signature).

Elle estime que ces sociétés lui ont abusivement imposé sur une durée de 3 ans une succession de contrats à durée déterminée, alors que son emploi était de nature permanente et qu’elle n’avait pas travaillé pour d’autres employeurs, se tenant à leur disposition permanente.

Sur la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée

En application des articles L. 1242-1, L. 1242-2 et L. 1242-12 du code du travail, un contrat de travail à durée déterminée, qui ne peut avoir pour effet ou pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire, et seulement dans les cas déterminés par la loi, et doit être établi par écrit et comporter la définition précise de son motif, à défaut de quoi il est réputé conclu pour une durée indéterminée.

L’article L.1242-2 du même code dispose que, sous réserve des contrats spéciaux prévus à l’article L.1242-3, un contrat de travail à durée déterminée ne peut être conclu que pour l’exécution d’une tâche précise et temporaire et seulement dans les cinq cas qu’il énumère, parmi lesquels figurent le remplacement d’un salarié (1), l’accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise (2) et les emplois saisonniers ou pour lesquels, dans certains secteurs d’activité définis par décret ou par convention ou accord collectif étendu, il est d’usage de ne pas recourir au contrat de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois (3).

Aux termes de l’article D.1242-1 du Code du travail, les secteurs d’activité dans lesquels peuvent être conclus des contrats à durée déterminée sont (…) 6° les spectacles, l’action culturelle, l’audiovisuel, la production cinématographique, l’édition phonographique (…).

La possibilité de conclure des contrats à durée déterminés d’usage est certes prévue et encadrée par la convention collective de la production audiovisuelle en date du 13 décembre 2006 étendue le 24 juillet 2007 et l’accord national de branche de la télédiffusion et de la production audiovisuelle en date du 22 décembre 2006 (et étendu par arrêté du 5 juin 2007), dont relève l’ensemble des sociétés du groupe [Adresse 3], mais il appartient au juge de contrôler tant le formalisme des contrats que le motif par nature temporaire des contrats, qui doit être apprécié concrètement.

En l’espèce, Mme [W] expose qu’elle ne peut pas produire tous ses contrats qui lui ont été volés le 30 mai 2013 dans les locaux de la société D8.

Les seuls contrats ou lettres d’engagement qu’elle produit sont :

– d’une part ceux qui l’ont liée à la société EURO MEDIA STUDIO, pendant 18 jours répartis sur la période de 24 septembre au 20 décembre 2012, pour travailler dans l’émission ‘touche pas à mon poste’ diffusée par la société DIRECT PRODUCTION (devenue D8 FILMS ),

– d’autre part 4 lettres d’engagement qui l’ont liée à la société D8, pour l’émission ‘le grand 8’ pendant 19 jours, entre le 2 avril et le 21 juin 2013.

Elle produit également des certificats d’emploi de la caisse des congés spectacles qui viennent corroborer l’existence de la relation de travail chaque mois à compter du 16 décembre 2010 jusqu’au 4 juillet 2012 avec la société DIRECT PRODUCTION.

Les sociétés D8 et D8 FILMS ne contestent pas, suite aux changements de leur dénomination, leur relation de travail avec Mme [W], à l’exception de la période pour laquelle Mme [W] a travaillé pour la société EURO MEDIA STUDIO, et produisent les contrats de travail à durée déterminée d’usage mensuel entre Mme [W] et la société DIRECT PRODUCTION, du 22 novembre 2010 au 25 mai 2012, et du 9 novembre 2012, et les lettres d’engagement liant les mêmes en décembre 2012 et janvier 2013, puis les lettres d’engagement en février et mars 2013 émanant de la société D8 FILMS.

Comme le soutiennent les sociétés, la période pour laquelle Mme [W] a travaillé pour la société EURO MEDIA STUDIO, du 24 septembre au 20 décembre 2012, ne peut être prise en compte, faute de mise en cause de cette société et de preuve de la confusion entre cette société et la société DIRECT PRODUCTION.

Les contrats de travail émanant de la société DIRECT PRODUCTION pour la période du 22 novembre 2010 au 25 mai 2012, et du 9 novembre 2012 respectent le formalisme légal, de même que les lettres d’engagement à compter du 21 décembre 2012, sur lesquelles le motif (émission) sous l’intitulé ‘particularités’est mentionné.

Il y a donc lieu d’examiner la question du respect des règles de fond des contrats de travail pour toute la période contractuelle, en recherchant si les contrats sont conclus pour un emploi par nature temporaire ou s’ils pourvoient durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Il ressort des quatre attestations émanant d’opérateurs de prise de vue, salariés de la société D8, que la fonction d’un ou plusieurs (selon les jours) opérateurs prompteurs est nécessaire de manière quotidienne, du lundi au vendredi, sur les plateaux pour assurer les émissions ‘touche pas à mon poste’ , ‘le grand 8’, le journal télévisé de D8, ‘enquête réalité’ et ‘ direct auto’.

Les sociétés D8 FILMS et D8, au vu d’un registre unique du personnel (dont on ne sait à quelle société il appartient) communiqué sur une période limitée de 7 mois, ont engagé régulièrement selon des contrats à durée déterminée (au vu des dates d’entrée et de sortie) une dizaine d’opérateurs prompteurs sur la période du 1er novembre 2012 au 30 juin 2013, ce qui démontre qu’elles les emploient de manière précaire, alors qu’elles ont un besoin récurrent d’opérateurs prompteurs pour leurs émissions télévisées quotidiennes et pourraient en employer moins mais selon un contrat à durée indéterminée.

Quant à Mme [W], elle a régulièrement travaillé, soit plusieurs jours chaque mois, du 22 novembre 2010 au 4 juillet 2012 pour la société DIRECT PRODUCTION, pour différentes émissions de plateaux, puis à compter du 21 décembre 2012 et jusqu’au 21 juin 2013 pour les émissions ‘touche pas à mon poste’ et ‘le grand 8’ successivement pour les sociétés DIRECT PRODUCTION, D8 et D8 FILMS, avec une période d’interruption formelle (travail pour la société EURO MEDIA STUDIO, du 24 septembre au 20 décembre 2012) mais sans changer de travail puisqu’elle était toujours en charge de la même émission ‘touche pas à mon poste’.

En définitive, la seule période de réelle interruption de travail est située sur un temps court, correspondant aux vacances d’été, entre le 5 juillet et le 4 septembre 2012.

Il s’avère donc que depuis le début des relations contractuelles entre Mme [W] et les différentes sociétés susvisées, Mme [W] a occupé un emploi qui n’est pas temporaire par nature, mais dont les sociétés ont un besoin quotidien tant pour les journaux télévisés que les émissions de plateau depuis de nombreuses années, à l’instar de l’émission ‘touche pas à mon poste’ encore diffusée à ce jour du lundi au vendredi et à laquelle Mme [W] a régulièrement collaboré.

Il s’ensuit que la relation contractuelle sera requalifiée en contrat à durée indéterminée à compter du 22 novembre 2010, date du premier contrat entre Mme [W] et la société DIRECT PRODUCTION produit par les sociétés, et jusqu’au 21 juin 2013.

Ce contrat à durée indéterminée s’est poursuivi jusqu’à la rupture des relations contractuelles après le 21 juin 2013, la société D8 refusant de donner du travail à Mme [W], et motivant ce refus par l’intervention du 30 mai 2013 de cette dernière sur le plateau de l’émission ‘touche pas à mon poste’.

Or, il ne peut être reproché à Mme [W] cette intervention, par laquelle elle dénonçait en son nom et au nom des nombreux intermittents la baisse unilatérale de leur rémunération, alors que la société D8 venait de modifier la structure de sa rémunération (baisse de salaire) sans justification légale et sans accepter de négociation, et que l’animateur de l’émission l’avait autorisée à intervenir.

En outre, cette intervention a eu peu de conséquences sur le public et l’audimat, la chaîne ayant censuré les rediffusions et ‘replay’.

La rupture des relations contractuelles n’étant donc pas justifiée, est imputable à la société D8 et produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la qualification de travail à temps plein ou partiel

Selon l’article L.3123-14 du code du travail, le contrat de travail à temps partiel doit mentionner la qualification du salarié, les éléments de rémunération, la durée hebdomadaire ou mensuelle du travail, la répartition de la durée du travail entre les jours de la semaine ou les semaines du mois, les modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée sont communiqués par écrit au salarié, outre les limites dans lesquelles peuvent être accomplies des heures complémentaires au delà de la durée de travail prévue par le contrat.

L’absence d’une de ces mentions entraîne la requalification en contrat de travail à temps complet, et il incombe à l’employeur qui le conteste de rapporter la preuve qu’il a prévenu le salarié suffisamment à l’avance.

En l’espèce les différents contrats et lettres d’engagement de Mme [W] comportent toutes les mentions sus-énoncées, sauf celle relative aux modalités selon lesquelles les horaires de travail pour chaque journée travaillée lui sont communiqués par écrit.

Les sociétés D8 FILMS et D8 font valoir que Mme [W] n’a effectivement travaillé qu’à temps partiel pour elles, et a travaillé depuis 2004 pour FRANCE TELEVISIONS, comme cela ressortirait de son profil sur Linkedin, de sorte qu’elle ne se tiendrait pas à leur disposition permanente.

Mme [W] précise qu’elle était avertie de ses jours et horaires de travail quelques jours avant par téléphone, sans pouvoir prévoir par avance d’un mois sur l’autre son rythme de travail, ni le nombre de jours par mois où elle allait travailler  ; elle conteste avoir eu une activité parallèle, sa collaboration avec FRANCE TELEVISIONS étant antérieure au début de sa collaboration avec les sociétés du groupe [Adresse 3].

Or, comme cela ressort de l’analyse des jours de travail dans le mois, ces jours n’étaient pas régulièrement les mêmes chaque mois, bien que les émissions sur lesquelles elle travaillait soient récurrentes, car les sociétés D8 FILMS et D8 disposaient d’un ‘volant’ d’une dizaine d’intermittents opérateurs prompteurs comme Mme [W] qu’elles pouvaient alternativement solliciter (ainsi que cela résulte du registre du personnel produit après sommation).

Selon Mme [W], les plannings lui étaient remis d’une semaine sur l’autre  ; cette connaissance tardive de son planning de travail est confirmée par la date de signature des contrats, signés, soit, le plus généralement, le premier jour de travail de la période concernée, soit postérieurement (lettre d’engagement signée le 1er juin 2013 pour un travail en mai 2013, et celle signée le 11 juin 2013 pour un travail du 3 au 7 juin).

Une lettre d’engagement a même été signée mais n’est pas datée (celle d’avril 2013).

Les sociétés D8 FILMS et D8, sur lesquelles repose la charge de la preuve que la salariée était prévenue par écrit, tant de ses jours de travail que de ses horaires de travail, n’établissent pas ces modalités de prévenance, ni contractuellement, comme l’impose l’article L.3123-14 du code du travail pour le travail à temps partiel, ni dans la réalité de la relation contractuelle.

Cette précarité, qui ne permettait pas à Mme [W] de s’organiser pour compléter par un autre travail et de manière prévisible et régulière ce travail à temps partiel pour les sociétés D8 FILMS et D8, induisait que de fait Mme [W] attendait d’être sollicitée et d’avoir les plannings, ce qui la mettait dans un état de disponibilité permanente.

Par ailleurs, les sociétés D8 FILMS et D8 ne prouvent pas que Mme [W] travaillait de manière régulière pour un autre employeur sur la période de fin 2010 à juin 2013, la mention sur son profil linkedin étant imprécise et remontant en tout état de cause à une période antérieure au début de la collaboration de Mme [W] avec les sociétés du groupe [Adresse 3].

Dès lors, qu’il n’est ainsi pas démontré que Mme [W] travaillait à temps partiel, il convient de faire droit à ses demandes de requalification à temps plein, sur la base d’un salaire horaire de 24,62 € brut (soit 197 € divisé par 8h, temps de travail habituel à la journée), représentant un salaire de 3734,87 € brut/mois, qui après majoration conventionnelle de 3 %, s’élèvera à 3846,90 € brut/mois.

Sur les rappels de salaire

Au titre des périodes interstitielles :

Dans la mesure où Mme [W] se tenait à la disposition permanente des sociétés D8 FILMS et D8, il sera fait droit à sa demande de rappel de salaire au titre des périodes interstitielles non travaillées entre les contrats, de décembre 2010 à juin 2013, sur la base d’un temps plein, et selon les calculs indiqués dans ses conclusions en page 30.

Les sociétés D8 FILMS et D8 devront donc lui payer la somme de 96 956,70 €, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception par les sociétés de leur convocation en bureau de jugement, soit le 30 janvier 2014.

Au titre des jours de RTT :

Mme [W] soutient qu’elle a été privée, du fait de l’absence d’emploi à durée indéterminée, du bénéfice des dispositions de l’article 1.1 de l’avenant à l’accord d’entreprise relatif à la durée et l’aménagement du temps de travail en date du 30 juin 2005, lequel octroie 21 jours de RTT par an, afin qu’en moyenne la durée du travail n’excède pas 35h/semaine.

Or, le fait que Mme [W] puisse percevoir, suite à la requalification, un salaire pour les périodes interstitielles non travaillées entre les contrats, participe de manière indirecte à compenser notamment le non paiement de périodes de congés, de sorte que l’octroi de 21 jours de RTT par an reviendrait à indemniser deux fois Mme [W].

Elle sera donc déboutée de cette demande.

Sur la demande d’indemnité de requalification

Sur le fondement de l’article L. 1245-2 du code du travail, quand la juridiction fait droit à la demande du salarié en requalifiant la relation contractuelle, elle lui accorde une indemnité qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

Au regard de la précarité qui lui a été imposée par ses employeurs pendant 2 ans et demi années, il convient d’allouer à Mme [W] une indemnité de 3846,90 €.

Sur les indemnités dues au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse

Du fait de la requalification de la relations contractuelle, Mme [W] est fondée à demander le paiement des indemnités dues au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur la base d’un salaire de référence de 3846,90 €/mois brut, et au vu de la convention collective d’entreprise de [Adresse 3], soit :

– l’indemnité compensatrice de préavis :

Eu égard à l’ancienneté de Mme [W], qui est supérieure à 2 ans, l’indemnité est égale à 2 mois de salaire, soit 7693,80 €, outre 769,38 € de congés payés afférents.

– l’indemnité conventionnelle de licenciement :

Elle est égale à 2/10ème d’un mois de salaire par année de présence pour la tranche de présence de moins de 10 ans : vu son ancienneté d’environ 2 ans et demi, elle a donc droit à une indemnité de 3846,90 x 2/10 x 2,5 ans, soit 1923,45 €.

Ces sommes porteront intérêt à compter du 30 janvier 2014.

– l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

En application de l’article L 1235-3 du code du travail, cette indemnité est au moins égale aux 6 derniers mois des salaires bruts avec prise en compte d’un salaire de référence de 3846,90 €, et peut être majorée en cas de préjudice supplémentaire prouvé.

En l’espèce, Mme [W] ne justifie pas de ses revenus depuis la rupture des relations contractuelles, ce qui ne permet pas d’apprécier ce préjudice supplémentaire éventuel.

Lui sera donc allouée, au vu de son ancienneté limitée à 2 ans et demi, la somme de 24 000 € à titre d’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

Mme [W] excipe de l’abus des sociétés D8 FILMS et D8, qui lui ont imposé, au surplus sans l’en avertir ni l’informer du changement d’employeur de la société D8 FILMS à la société D8, une baisse de sa rémunération à compter de mai 2013, dans un contexte de précarité de son emploi.

Ces éléments de préjudice étant avérés, il y a lieu d’allouer à Mme [W] la somme de 1000 € à titre de dommages et intérêts.

Sur les demandes accessoires

La capitalisation des intérêts sera ordonnée en application de l’article 1154 du code civil.

Il sera alloué à Mme [W] la somme de 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Les sociétés D8 et D8 FILMS seront condamnées in solidum aux dépens de première instance et d’appel.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR,

STATUANT contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à la disposition des parties au greffe,

INFIRME le jugement du conseil des prud’hommes de BOULOGNE- BILLANCOURT du 20 janvier 2015, et statuant à nouveau :

REQUALIFIE en contrat à durée indéterminée à temps plein la relation contractuelle conclue à compter du 22 novembre 2010 et jusqu’au 21 juin 2013, entre alternativement la société D8 FILMS (anciennement société DIRECT PRODUCTIONS) et la société D8 (anciennement DIRECT 8) et Mme [W] ;

CONDAMNE in solidum les sociétés D8 et D8 FILMS à payer à Mme [W] les sommes suivantes, sur la base d’un salaire de référence de 3846,90 € brut/mois :

– 96 956,70 € au titre des rappels de salaires au titre des années 2010 à 2013, outre 969,56 € au titre des congés payés afférents ;

– 7693,80 € d’indemnité de préavis, outre 769,38 € au titre des congés payés afférents ;

– 1923,45 € d’indemnité conventionnelle de licenciement ;

avec intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 2014,

– 3846,90 € à titre d’indemnité de requalification ;

– 24 000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

– 1000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat

de travail ;

– 3000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;

ces sommes portant intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;

DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

CONDAMNE in solidum les sociétés D8 et D8 FILMS aux dépens de première instance et d’appel.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

– signé par Catherine BÉZIO, président, et par Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,

 


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