REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 6
ARRET DU 14 FEVRIER 2024
(n°2024/ , 7 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/09351 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGUM6
Décision déférée à la Cour :
– Jugement du 28 Mai 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° F17/02716 et 17/04268
– Arrêt du 12 novembre 2020 – Cour d’appel de Paris – Pôle 6 – Chambre 9 – RG n°18/10799
– Arrêt du 14 Septembre 2022 – Cour de cassation – Pourvoi n° B 21-11.930
APPELANT
Monsieur [Y] [S]
[Adresse 3]
CALIFORNIE / ETATS UNIS
Représenté par Me Nawal BAHMED, avocat au barreau de PARIS, toque : D1101
INTIMEE
S.A.S. MY FAMILY
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Leslie FONTAINE-LOUZOUN, avocat au barreau de PARIS, toque : A0443
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 19 décembre 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre, Président de formation
Monsieur Didier LE CORRE, Président de chambre
Monsieur Stéphane THERME, Conseiller
qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par Monsieur Stéphane THERME, Conseiller, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.
Greffier : Madame Julie CORFMAT, lors des débats
ARRÊT :
– contradictoire,
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
– signé par Monsieur Christophe BACONNIER, Président de chambre et par Madame Julie CORFMAT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE :
M. [Y] [S] a une activité de scénariste et de réalisateur de films cinématographiques.
A la fin de l’année 2015, M. [S] a rencontré M. [O] (connu sous son le nom de scène [B] [M]), actionnaire, via une autre société, de la société My family qui est une société de production de films pour 1e cinéma.
M. [S] a évoqué son souhait de réaliser un film intitulé ‘Carpe Noctem’. Des échanges ont eu lieu, notamment sur la réalisation d’un teaser, c’est à dire un premier support de courte durée destiné à présenter le projet.
M. [S] a été informé le 25 mai 2016 que la réalisation du teaser était annulée, faute de budget suffisant.
Par requête parvenue au greffe le 07 avril 2017, M. [S] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris de demandes à l’encontre de la société My family pour demander des rappels de salaire, des indemnités de rupture, indemnités et dommages-intérêts pour préjudice moral et d’image.
Par jugement du 28 mai 2018 le conseil de prud’hommes a :
– débouté M. [S] de ses demandes,
– débouté la société My family de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [S] aux dépens.
M. [S] a formé appel.
Par arrêt du 12 novembre 2020, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement, rejeté toutes autres demandes et condamné M. [S] aux dépens d’appel ainsi qu’à verser à la société My family une indemnité de 1 500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
M. [S] a formé un pourvoi en cassation.
Par arrêt du 14 septembre 2022 (21-11.930) la chambre sociale de la Cour de cassation a :
– cassé et annulé en toutes ses dispositions l’arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d’appel de Paris,
– remis l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée,
– condamné la société My family aux dépens,
– rejeté la demande formée par la société My family sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile et l’a condamnée à payer à M. [S] la somme de 3 000 euros.
M. [S] a saisi la cour de renvoi le 09 novembre 2022.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe par le réseau privé virtuel le 13 octobre 2023, auxquelles la cour fait expressément référence pour l’exposé des moyens, M. [S] demande à la cour de :
REFORMER le jugement dont appel en ce qu’il a :
o jugé insuffisants les éléments apportés par M. [S] dans la preuve de la relation contractuelle avec la société My family
o débouté M. [S] de l’ensemble de ses demandes, notamment au titre :
– du rappel de salaires ;
– de l’indemnité de rupture du contrat de travail ;
– de l’indemnité de travail dissimulé ;
– du remboursement des défraiements ;
– de l’indemnisation de son préjudice moral et d’image ;
– de remise des documents sociaux de rupture sous astreinte de 50 €/jour de retard et par document à compter de la décision ;
– de l’article 700 du code de procédure civile.
Statuant de nouveau :
DIRE ET JUGER qu’entre le 14 décembre 2015 et le 25 mai 2016, M. [S] a bénéficié de la présomption de salariat prévue aux articles L7121-2, 3 et 4 du code du travail ;
En conséquence :
CONDAMNER la société My family à payer à M. [S] les sommes suivantes :
44.553,63 € à titre de rappel de salaires ;
741.000 € à titre d’indemnité de rupture ;
48.603,96 € à titre d’indemnité de travail dissimulé ;
2.618,64 € au titre des défraiements ;
50.000 € en réparation du préjudice résultant des circonstances des relations contractuelles et leur rupture ;
50.000 € en réparation de son préjudice moral ;
50.000 € en réparation de son préjudice d’image ;
25.000 € à titre de dommages-intérêts en raison de la résistance abusive dont elle a fait preuve;
DIRE que les condamnations prononcées au titre des rappels de salaire produiront intérêt au taux légal à compter de l’introduction de la requête devant le conseil de prud’hommes (6 avril 2017) et que les autres condamnations produiront intérêt au taux légal à compter de l’arrêt à intervenir ;
CONDAMNER la société My family à payer à M. [S] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
ORDONNER la remise des documents sociaux de rupture (certificat de travail, solde de tout compte, attestation POLE EMPLOI) sous astreinte de 50 € par jour de retard et par document à compter de la décision à intervenir ;
CONDAMNER la société My family en tous les dépens.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe par le réseau privé virtuel le 13 novembre 2023, auxquelles la cour fait expressément référence pour l’exposé des moyens, la société My family demande à la cour :
A TITRE LIMINAIRE :
DIRE ET JUGER que la demande de voir condamner la société My family à payer à M. [S] la somme de 741.000 € à titre de dommages intérêts en réparation de la perte de chance de percevoir une rémunération de la réalisation du film « La Nuit » est une demande nouvelle en cause d’appel, et
‘ DIRE ET JUGER que la demande de voir condamner la société My family à payer à M. [S] la somme de 25.000 € à titre de dommages-intérêts en raison de la résistance abusive dont elle a fait preuve est également une demande nouvelle en cause d’appel ;
A TITRE PRINCIPAL :
‘ DIRE ET JUGER que M. [S] ne peut se prévaloir de l’article L712-2 du code du Travail et qu’en tout état de cause la présomption est renversée,
‘ DIRE ET JUGER que M. [S] n’était pas lié par un contrat de travail à la société My family ;
En conséquence:
‘ CONFIRMER le jugement du conseil de prud’hommes de Paris du 28 mai 2018 en toutes ses dispositions
A TITRE SUBSIDIAIRE :
‘ DIRE ET JUGER que les demandes indemnitaires de M. [S] sont infondées ;
‘ RAMENER le rappel de salaires à de justes proportions soit à la somme de 1.870,82 € bruts ;
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
‘ CONDAMNER M. [S] à payer à la société My family la somme de 7.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 21 novembre 2023.
MOTIFS
Sur la recevabilité des demandes d’indemnités au titre de la perte de chance et pour résistance abusive
Dans le cadre de l’instance devant la juridiction de renvoi, l’article 632 du code de procédure civile dispose que ‘Les parties peuvent invoquer de nouveaux moyens à l’appui de leurs prétentions.’
L’article 633 prévoit quant à lui que : ‘La recevabilité des demandes nouvelles est soumise aux règles qui s’appliquent devant la juridiction dont la décision a été cassée.’
Contrairement à ce qui est soutenu par l’intimée, M. [S] ne forme pas une demande nouvelle de dommages-intérêts pour perte de chance mais actualise sa demande au titre des indemnités de rupture et développe un moyen nouveau à l’appui de celle-ci. La demande est donc recevable.
L’article 564 du code de procédure civile, en sa version applicable à l’instance, dispose qu’à peine d’irrecevabilité relevée d’office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n’est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l’intervention d’un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d’un fait.
L’article 565 dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles lorsqu’elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
M. [S] n’avait pas précédemment formé de demande de dommages-intérêts pour résistance abusive. La demande est nouvelle et est en conséquence irrecevable.
Sur le contrat de travail
L’article L. 7121-3 du code du travail, en sa version applicable à l’instance, dispose que : ‘Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un artiste du spectacle en vue de sa production, est présumé être un contrat de travail dès lors que cet artiste n’exerce pas l’activité qui fait l’objet de ce contrat dans des conditions impliquant son inscription au registre du commerce.’
L’article L. 7121-4 dispose que : ‘La présomption de l’existence d’un contrat de travail subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération, ainsi que la qualification donnée au contrat par les parties.
Cette présomption subsiste même s’il est prouvé que l’artiste conserve la liberté d’expression de son art, qu’il est propriétaire de tout ou partie du matériel utilisé ou qu’il emploie lui-même une ou plusieurs personnes pour le seconder, dès lors qu’il participe personnellement au spectacle.’
M. [S] expose qu’il a exercé dans le cadre d’un contrat de travail avec la société My family pour la réalisation d’un teaser suivi d’un long métrage à compter du 1er septembre 2017 et bénéficie de la présomption prévue par l’article L. 7121-3 du code du travail.
Il produit des échanges de mails et messages dits SMS avec l’acteur envisagé pour tourner le film, associé au sein de la société My family, ainsi qu’avec la représentante légale de celle-ci. Ces échanges démontrent que le 17 novembre 2015 M. [S] a proposé un projet du film à l’acteur, qui s’est dit intéressé ; le scénario a également été adressé à la responsable de la société My family ainsi que d’autres films qui avaient déjà été réalisés par M. [S].
Après plusieurs échanges, une réunion de travail a eu lieu le 07 janvier 2016 au cours de laquelle le principe de la réalisation du teaser précédant le long métrage a été arrêté pour un budget de 10 000 euros. Par la suite de nouveaux échanges ont eu lieu concernant la mise en oeuvre du teaser, sur l’adaptation du scénario, sa durée, les acteurs et l’équipe technique, le lieu du tournage.
Par message du 26 mai 2016 M. [S] a été informé que le teaser ne serait pas réalisé, au motif invoqué de son coût global ainsi que de celui du film qui suivrait. M. [S] a eu des échanges avec les représentants de la société My family.
Le conseil de M. [S] a adressé à la société My family une facture de la société Shootmakers entertainment pour paiement des frais exposés et de la prestation réalisée.
La société My family justifie que M. [S] est gérant de la société Shootmakers entertainment dont l’activité est la production et la distribution de films cinématographiques, de long métrage et court métrage, immatriculée le 08 novembre 1991. Il avait déjà réalisé et produit plusieurs films lorsqu’il est entré en contact avec M. [O].
Comme le fait valoir l’intimée, dans le cadre des échanges par courriels versés aux débats M. [S] a toujours fait usage de son adresse de messagerie ‘[Courriel 5]’, ce qui le rattache à l’activité de la société dont il est gérant. L’appelant explique ne disposer que de cette adresse mail et l’utiliser de façon systématique, sans en justifier.
La convention collective indique dans la définition des fonctions de réalisateur cinéma : ‘Cadre collaborateur de création
En qualité de technicien salarié de la société du producteur délégué ou du producteur exécutif, il assure, indépendamment de son contrat d’auteur, la direction artistique et dirige la mise en scène et les acteurs, les prises de vue et de son. Dans le cadre de son contrat de travail, en accord avec le producteur délégué ou son représentant et en collaboration avec les techniciens cadres collaborateurs de création, il dirige et coordonne la préparation du tournage. Avec le producteur délégué, il choisit les acteurs et ses collaborateurs de création et détermine les lieux des décors. Il établit le découpage technique du film. Il collabore à l’établissement du plan de travail dans le cadre du devis prévisionnel. Il dirige les travaux de montage et de mixage et supervise les travaux de finitions jusqu’à la copie standard. Il accomplit sa mission dans le cadre des règles d’hygiène et de sécurité en vigueur.’
Les échanges entre M. [S] et l’intimée indiquent également la fourniture du scénario du film, l’adaptation de celui-ci pour un teaser et des modifications, c’est à dire sur des prestations plus larges que celles du réalisateur.
Les échanges ne font état d’aucune rémunération envisagée pour la prestation relative au teaser. Dans un long mail qu’il a adressé à M. [O] le 26 mai 2016, M. [S] indique expressément qu’il a accompli les activités gratuitement.
L’appelant indique dans ses conclusions qu’il y a une différence entre la rémunération convenue verbalement entre les parties, sur laquelle il avait accepté de faire des concessions, et la rémunération correspondant au travail effectué. Alors que M. [S] a été en mesure de faire des observations sur des aspects financiers, notamment le budget ou le coût du billet d’avion, il n’a adressé aucun message relatif au paiement de la prestation.
Lorsqu’il a été mis fin au projet, M. [S] a adressé un mail le 1er juin 2016 dans lequel il demande le remboursement des défraiements liés au tournage, précisant ‘Je pourrai bien évidemment si tu le souhaites te faire une note de frais ou bien encore une facture via ma société française qui pourrait passer ce montant en consulting (puisqu’il s’agit bien de cela au final). Tu trouveras joint à ce mail mon RIB perso ( je peux t’envoyer mon RIB pro si tu souhaites une facture le cas échéant).’ Il liste dans le message le coût du billet d’avion, de l’excédent de bagages, de l’Uber, du taxi et du loyer mensuel à [Localité 4]. Il lui a été répondu ‘Effectivement, il a toujours été question de rembourser des frais, liés uniquement à ton déplacement sur [Localité 6]…. Nous te proposons d’établir une facture sur ta société française pour ‘consulting’ sur ton projet de film CARPE NOCTEM de façon à te régler ces dépenses dans les plus brefs délais.’
Cet échange contredit le principe d’une rémunération qui aurait été convenue avec M. [S].
La facture de la société Shootmakers entertainment adressée à la société My family est datée du 15 juin 2016. Elle comprend les frais de déplacement ainsi que des ‘prestations de consulting teaser du long métrage Carpe Noctem/ La Nuit (scénario de [Y] [S] et [G] [D])’.
L’établissement d’une facture par la société de production n’a pas été imposée à M. [S], dans la mesure où c’est lui qui l’a proposée à son interlocuteur.
L’opération a ainsi été convenue entre une société de production et le gérant d’une autre société de production, sans rémunération prévue pour celui-ci. L’appelant explique que la présomption prévue par l’article L. 7121-4 du code du travail joue quelle que soit la qualification donnée au contrat par les parties. Cependant, contrairement à ce qu’il fait valoir, la question qu’une rémunération soit ou non envisagée n’est pas seulement un élément de la qualification du contrat, mais constitue une condition exigée par l’article L.7121-3 du code du travail pour que la présomption de salariat s’applique.
En l’absence de rémunération prévue par les parties, les conditions de la présomption édictée par l’article L. 7121-3 du code du travail ne sont pas remplies par M. [S].
M. [S] doit être débouté de ses demandes.
Le jugement sera confirmé de ce chef.
Sur les dépens et frais irrépétibles
M. [S] qui succombe supportera la charge de ses frais irrépétibles et les dépens, qui par application des dispositions de l’article 639 du code de procédure civile comprendront tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris ceux afférents à la décision cassée. Il sera condamné à payer à la société My family la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Dit irrecevable la demande de dommages-intérêts pour résistance abusive,
Confirme le jugement du conseil de prud’hommes en toutes ses dispositions,
Condamne M. [S] aux dépens qui comprendront tous les dépens exposés devant les juridictions du fond y compris ceux afférents à la décision cassée,
Condamne M. [S] à payer à la société My family la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT