Producteur délégué : décision du 28 janvier 2021 Cour d’appel de Paris RG n° 18/10758
Producteur délégué : décision du 28 janvier 2021 Cour d’appel de Paris RG n° 18/10758
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Copies exécutoiresREPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 7

ARRET DU 28 JANVIER 2021

(n° , 11 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/10758 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B6NTW

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 Septembre 2018 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 17/08020

APPELANT

Monsieur [Y] [K]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Me Emmanuel JARRY, avocat au barreau de PARIS, toque : P0209

INTIMEE

Société nationale de radiodiffusion RADIO FRANCE

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Frédéric SICARD, avocat au barreau de PARIS, toque : P0082

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Décembre 2020, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Hélène DELTORT, et Madame Bérénice HUMBOURG, Présidentes de chambre, chargées du rapport.

Ces magistrats, entendus en leur rapport, ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de Chambre,

Madame Marie-Hélène DELTORT, Présidente de chambre,

Madame Bérengère DOLBEAU, Conseillère.

Greffier, lors des débats : Madame Lucile MOEGLIN

ARRET :

– CONTRADICTOIRE,

– mis à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,

– signé par Madame Bérénice HUMBOURG, Présidente de chambre, et par Madame Lucile MOEGLIN, Greffière, à laquelle la minute a été remise par le magistrat signataire.

FAITS, PROC”DURE ET PR”TENTIONS DES PARTIES

M. [Y] [K] a travaillé pour la société nationale de radio diffusion Radio France, en qualité de chroniqueur journaliste, puis à compter de 2006, en qualité de collaborateur spécialisé d’émission ou de producteur délégué radio.

Des contrats d’auteur ont également été signés entre les parties sur la période de septembre 2006 à mai 2011.

Par courrier du 20 mai 2011, la société Radio France a informé M. [K] que son dernier contrat à durée déterminée d’usage ne serait pas reconduit.

M. [K] a, de nouveau, travaillé pour la société Radio France en qualité de producteur délégué en 2013/2014.

M. [K] a saisi le conseil de prud’hommes de Paris le 7 mai 2015 d’une demande de requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en un contrat à durée indéterminée à compter de décembre 1996 et de la rupture du contrat du 20 mai 2011 en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par jugement du 5 septembre 2018, le conseil a’débouté M. [K] de l’ensemble de ses demandes, l’a condamné au paiement des entiers dépens et a débouté la société Radio France de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

M. [K] a interjeté appel du jugement le 21 septembre 2018.

Par conclusions transmises par la voie électronique le 14 octobre 2020, M. [K] demande à la Cour d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il l’a débouté de l’ensemble de ses demandes,

Statuant à nouveau et y ajoutant :

– d’ordonner la requalification des contrats d’auteur en contrat à durée indéterminée avec la reconnaissance du statut de journaliste professionnel, depuis sa première embauche intervenue le 16 décembre 1996,

– d’ordonner la requalification des contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée avec la reconnaissance du statut de journaliste professionnel, depuis sa première embauche intervenue le 16 décembre 1996,

– de dire et juger qu’il était en droit de se voir appliquer au 20 mai 2011 une ancienneté professionnelle de 34 années et une ancienneté d’entreprise de 14 ans et 6 mois,

– de dire et juger que la rupture de la relation de travail a les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence,

– de condamner la société nationale de radio diffusion Radio France au paiement des sommes suivantes :

6 976,41 euros à titre d’indemnité de requalification,

13 952,82 euros à titre d’indemnité de préavis et 1 395,28 euros au titre des congés payés afférents,

104 646,15 euros à titre d’indemnité de licenciement,

41 858,46 euros pour travail dissimulé,

300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

250 000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination,

200 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et d’image,

– dire et juger que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir,

– dire et juger que la société nationale de radio diffusion Radio France devra régulariser sa situation auprès des organismes sociaux auxquels sont rattachés les journalistes, à compter du 16 décembre 1996,

– condamner la société nationale de radio diffusion Radio France à lui remettre les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi et reçu pour solde de tout compte) dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir,

– ordonner la remise des bulletins de paie conformes à la décision à intervenir à compter du 16 décembre 1996 et des documents sociaux dans un délai de deux mois à compter de la décision à intervenir,

– condamner la société nationale de radio diffusion Radio France au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,’ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

Par conclusions transmises par la voie électronique le 22 octobre 2020, la société nationale de radio diffusion Radio France demande à la Cour de’:

– confirmer pour le surplus le jugement entrepris en déboutant M. [K] de l’ensemble de ses demandes,

– le débouter en tout état de cause de l’ensemble de ses demandes en toutes fins contraires aux présentes, en tenant compte des calculs subsidiaires qu’elle propose, après avoir distingué la question de la requalification des contrats de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée, de celle de la revendication de la qualité de journaliste, de celle de la revendication d’un temps plein et de celle de l’assimilation des droits d’auteur à un salaire, ces quatre questions étant distinctes, sauf à préciser également que sont distinctes la question des droits d’auteur versés au titre des créations de celle des droits d’auteur versés au titre des rediffusions,

– condamner M. [K] aux entiers dépens.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, la Cour se réfère expressément aux conclusions notifiées par le RPVA.

L’instruction a été déclarée close le 4 novembre 2020.

MOTIFS

A titre liminaire, aux termes de l’article 954 du code de procédure civile, les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif et la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif. Il en découle que nonobstant les moyens et, le cas échéant, les demandes formulées dans le corps des conclusions de chacune des parties, la cour n’est saisie que des demandes figurant dans le dispositif des conclusions et pas de celles qui n’auraient pas été reprises dans ce dispositif, telle que la demande de prescription partielle de l’action du salarié évoquée par la société dans le corps de ses écritures.

Sur la requalification en contrat à durée indéterminée

M. [K] fait valoir qu’il a travaillé en qualité de chroniqueur journaliste au sein de la société Radio France depuis le 16 décembre 1996 et jusqu’au 20 mai 2011, selon des contrats à durée déterminée d’usage, qu’il a ainsi écrit et lu quotidiennement au micro ses chroniques, successivement pour les stations Radio Bleu, France Bleu Ile-de-France, puis France Bleu, soit 4.079 chroniques quotidiennes, outre l’écriture de 225 chroniques pour [Z] [G], l’écriture et la lecture de 60 épisodes de « Cinq jours une star » et de 15 épisodes des « Français parlent aux français », que la requalification de la relation contractuelle est encourue, d’une part, en l’absence de tout contrat écrit antérieurement à mars 2004 et, d’autre part, en raison de son emploi pendant la période de 15 années consécutives, lié à l’activité normale et permanente de la société.

La société Radio France rétorque notamment qu’elle ne retrouve la trace d’une collaboration de journaliste pigiste régulière qu’à partir de 2004, avec la réalisation de 217 piges en 2004, 226 piges en 2005 et 131 piges en 2006, qu’à partir du 21 décembre 2006, le statut contractuel de M. [K] a été modifié avec la signature de contrats écrits à durée déterminée en qualité de collaborateur spécialisé d’émission ou de producteur délégué radio, et pour des interventions à l’antenne totalement ciblées, soit en 2007 : 37 contrats, en 2008 : 40 contrats, en 2009 : 28 contrats, en 2010 : 21 contrats pour une rémunération totale de 3 780 euros et en 2011 : 8 contrats pour une rémunération totale de 2 070 euros. La société considère ainsi que les fonctions occupées relevaient bien des contrats de travail à durée déterminée d’usage, n’ayant été renouvelés que sur une période de moins de 5 ans, de décembre 2006 à mai 2011, à chaque fois avec des dates très précises et selon des formes qui ont toujours été respectées.

En application de l’article L. 1242-12 du code du travail, le contrat de travail à durée déterminée doit être établi par écrit et à défaut il est réputé conclu à durée indéterminée, l’employeur ne pouvant écarter cette présomption légale. En outre, les effets de la requalification, lorsqu’elle est prononcée, remontent à la date du premier contrat à durée déterminée irrégulier.

M. [K] produit ses ‘bulletins individuels de déclaration annuelle des salaires’ pour les années 1997 à 2000 mentionnant la société Radio France comme employeur, son relevé de carrière Audiens qui mentionne sa présence permanente au sein de la société Radio France à compter de décembre 1996 (rémunération perçue en janvier 1997) jusqu’en 2011 et les contrats à durée déterminée d’usage conclus entre mars 2004 et mai 2011.

Faute pour la société Radio France de produire les contrats écrits sur la période antérieure à mars 2004, alors qu’il est établi que le salarié a travaillé pour son compte depuis le 16 décembre 1996 la requalification de la relation de travail salariée en contrat à durée indéterminée est encourue de ce chef.

Par ailleurs, selon l’article L. 1242-1 du code du travail, ‘un contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise’.

Si l’article L.1242-2 du code du travail permet de recourir à des contrats à durée déterminée dits d’usage dans certains secteurs d’activité définis par décret, pour des emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir au contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois et notamment dans les secteurs du spectacle, de l’audiovisuel ou de la production cinématographique, le recours à l’utilisation de ces contrats doit être justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.

En l’occurrence, la société Radio France, qui a employé M. [K] exerce son activité dans le secteur de l’audiovisuel, lequel est mentionné par l’article D. 1242-1 du code du travail comme secteur dans lequel des contrats à durée déterminée d’usage peuvent être conclus. Pour autant, s’agissant des raisons objectives, la société ne produit aucun élément susceptible de démontrer le caractère temporaire des fonctions occupées par le salarié et il apparaît au contraire que celui-ci a travaillé pour la société régulièrement et quasiment tous les mois entre 1997 et 2011, d’abord en qualité de journaliste pigiste puis en qualité de collaborateur spécialisé. En outre, l’activité même de la société consiste à diffuser sur ses stations des programmes tout au long de l’année, qu’ils soient maintenus ou renouvelés au fil des saisons. Ainsi, les emplois occupés par le salarié relevaient manifestement de l’activité permanente et durable de l’entreprise.

Il découle de ces observations que la relation contractuelle doit être requalifiée en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 16 décembre 1996.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur la rupture du contrat de travail

La requalification a pour effet de soumettre la rupture du contrat aux règles gouvernant le licenciement, et l’arrivée du terme du contrat à durée déterminée ne peut suffire à justifier la rupture du contrat de travail.

Par courrier en date du 20 mai 2011, la société Radio France a informé M. [K] que son dernier contrat à durée déterminée ne serait pas reconduit, en lui indiquant notamment ‘Nous devons, comme vous le savez, toujours renouveler nos programmes ou les faire évoluer ‘Aussi, suite aux entretiens que vous avez eus avec la déléguée à la coordination aux ateliers de création, je vous confirme que dans le cadre de la nouvelle grille de rentrée 2011-2012, nous n’avons pas l’intention de poursuivre la série « Cette année-là ». En conséquence, la collaboration que vous apportiez en tant que collaborateur spécialisé d’émission pour la lecture des textes qui vous avaient été commandés pour la grille 2010-2011 ne sera pas poursuivie au-delà de l’enregistrement des derniers épisodes qui a lieu le 5 mai 2011″.

Ainsi, la seule mention de l’arrivée du terme du dernier contrat au 5 mai 2011 est insuffisante à caractériser une cause réelle et sérieuse de rupture, laquelle s’analyse donc en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par conséquent, M. [K] est bien fondé à réclamer le paiement des indemnités de rupture et d’une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur le statut de journaliste et les contrats d’auteur

M. [K] soutient que, nonobstant les qualifications mentionnées sur les fiches de paie, il a toujours occupé un poste de journaliste. Par ailleurs, il fait valoir que le statut social du journaliste relève du régime général des salariés (Urssaf) et que les sommes versées à un journaliste professionnel doivent être qualifiées de salaire, quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties à leurs relations de travail, qu’en conséquence, un journaliste exerçant sa profession ne peut être rémunéré sous le régime des droits d’auteur, que sa rémunération intervenue en droits d’auteurs à compter de septembre 2006 est donc illégale et qu’il convient d’ordonner la requalification des contrats d’auteur en contrat de travail à durée indéterminée sur la période de septembre 2006 à mai 2011.

La société rétorque que le fait que M. [K] puisse justifier de sa carte de journaliste ne signifie pas que son emploi salarié à Radio France ait été un emploi de journaliste, s’agissant d’une présomption qui accepte la preuve contraire, qu’en l’occurrence l’émission « Cette année-là » ou « un jour, un homme, une femme », n’est pas une émission d’information au sens journalistique mais une émission de divertissement à partir d’une thématique chronologique, qui correspond à l’activité d’un ‘collaborateur spécialisé’ d’émission, voire le cas échéant d’un producteur délégué et non celle de journaliste. La société considère en outre que la demande de requalification des contrats d’auteur ne saurait aboutir et précise qu’outre son salaire, M. [K] percevait deux autres rémunérations, à savoir des droits d’auteur pour les rediffusions réglés par la SCAM (société civile des auteurs multimédia) et des honoraires pour la rédaction d’inédits qui correspondaient à de strictes créations et dont les commandes faisaient l’objet de contrats très précis signés et relevant de son activité libérale.

– Sur le statut de journaliste

En application de l’article L. 7111-3 alinéa 1er du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.

M. [K] justifie être titulaire de la carte d’identité des journalistes professionnels depuis le 7 mai 1977 (depuis le 7 mai 1974 comme stagiaire), à l’exclusion de la seule année 2008, comme le certifient sa carte de Presse et l’attestation délivrée par le président de la Commission de la Carte d’Identité des Journalistes Professionnels du 15 mai 2018, versées aux débats.

En outre, il est mentionné sur ses bulletins individuels de déclaration annuelle de salaires sur les années 1997 à 2000 visant comme employeur la société Radio France, la qualification de ‘chroniqueur journaliste’. Cette même qualification est indiquée, entre mars 2004 et août 2006, sur ses bulletins de paie et sur les ‘lettres contrat’ , lesquelles indiquaient également l’application de la convention collective des journalistes. Si postérieurement, il est fait état de la qualification de ‘collaborateur spécialisé d’émission’, force est de constater que les fonctions de M. [K] au sein de Radio France sont demeurées inchangées, avec notamment la lecture de ses chroniques sur les stations de radio de l’entreprise, dont le détail par station, par période, par thème de chronique est précisé en page 5 des conclusions de l’appelant.

Il découle de ces observations que la qualification de journaliste, appliquée par l’employeur sur les premières années de collaboration, doit être reconnue à M. [K] sur l’ensemble de la relation contractuelle. Il appartiendra à la société de régulariser la situation du salarié auprès des organismes sociaux auxquels sont rattachés les journalistes.

– Sur les contrats d’auteur

La société Radio France produit les commandes ‘d’oeuvre originale inédite’ faites à M. [K] entre septembre 2005 et décembre 2010, en sa qualité non pas de salarié, journaliste ou collaborateur spécialisé mais en qualité d’ ‘auteur’, moyennant une prime d’inédit et faisant l’objet d’une déclaration à la SCAM. Ces contrats, qui mentionnaient l’objet de la commande ‘documentaire radiophonique’ sur un artiste ou un thème et le format (nombre d’épisodes, leur durée) précisaient seulement la date limite de remise du texte et ne peuvent être assimilés à un contrat de travail, ‘l’auteur’ restant libre dans la réalisation de la commande et non soumis à un lien de subordination vis à vis de la société Radio France.

Par ailleurs, les autres contrats produits aux débats, qu’ils s’agissent des ‘lettres contrat’ conclues avant septembre 2006 avec la qualification de chroniqueur journaliste et le paiement par pige ou les contrats à durée déterminée avec la qualification de collaborateur spécialisé et le paiement au cachet pour un nombre de jours travaillés, précisaient à leur article 8 que ‘les droits d’auteurs éventuellement dus au contractant étaient exclusivement réglés dans le cadre des accords existant et/ou à venir entre Radio France et les sociétés d’auteurs telles que la SCAM’. Une distinction était ainsi opérée entre le salaire dû au salarié par son employeur soit la société Radio France et les droits d’auteurs éventuellement versés par la SCAM, comme en attestent les différents relevés produits. Ces dernières sommes versées par une entité distincte, selon un régime propre, ont une nature différente du salaire.

Il découle de ces observations que M. [K] a travaillé au bénéfice de la société Radio France à la fois en qualité de salarié et en qualité d’auteur. Par conséquent, il n’y a pas lieu de requalifier les contrats d’auteur signés entre les parties en contrat de travail salarié.

Sur les demandes pécuniaires

Le salarié fonde le calcul des indemnités diverses qu’il réclame sur une rémunération mensuelle de 6.976,41 euros, en renvoyant à la ‘dernière déclaration annuelle des salaires et rémunérations’ (pièce n°71), qui selon lui, fait ressortir une rémunération annuelle brute de 83.717 euros. Or, cette pièce concerne sa rémunération annuelle pour l’année 2000, soit plus de 10 ans avant la rupture du contrat et était exprimée en francs et non en euros. Le montant de 6 976,41 euros, totalement erroné, ne peut donc être retenu.

Par ailleurs, il n’y a pas lieu de déterminer un salaire brut mensuel ou annuel de référence puisque les différentes indemnités sollicitées par le salarié ne sont pas calculées sur la même assiette.

– Sur l’indemnité de requalification

Aux termes de l’article L. 1245-2 alinéa 2 du Code du travail, si le juge fait droit à la demande du salarié tendant à la requalification de son contrat de travail à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, le salarié peut prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.

En l’occurrence, au mois de mai 2011, a été versé un salaire total de 450 euros brut. Eu égard également à la durée de la relation de travail, soit presque 15 années, l’indemnité de requalification sera fixée à la somme de 1 000 euros.

– Sur l’indemnité compensatrice de préavis

L’indemnité compensatrice de préavis doit, conformément à l’article L. 1234-5 du code du travail, correspondre à la rémunération brute que le salarié aurait perçue s’il avait travaillé pendant la période du délai-congé.

M. [K] vise l’article 46 de la Convention Collective des journalistes pour solliciter une indemnité égale à deux mois de salaire, alors que la société Radio France fait état d’un troisième mois de préavis si la qualité de journaliste lui était reconnue.

Eu égard à la moyenne des salaires versés sur les trois derniers mois (mai 2011 : 450 euros, avril 2011 : 180 euros et mars 2011 : 540 euros) et à la durée du préavis mentionnée par l’employeur, il sera allouée une indemnité compensatrice de préavis de 1 170 euros bruts et les congés payés afférents.

– Sur l’indemnité légale de licenciement

En application de l’article L. 7112-3 du code du travail, le salarié a droit à une indemnité de licenciement qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements, avec un maximum de 15 mensualités.

Eu égard à la moyenne des salaires versés sur les trois derniers mois et au calcul subsidiaire proposé par l’employeur, il sera allouée à M. [K] une indemnité de 6 370 euros à ce titre.

– Sur la demande pour travail dissimulé

M. [K] soutient que rémunérer un journaliste en droits d’auteur relève du travail dissimulé, au visa de l’article L. 8221-5 du code du travail et que le recours abusif au contrat de travail à durée déterminée d’usage par Radio France est intentionnel.

Aux termes de l’article L. 8221-5 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, applicable à la cause, est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour tout employeur :

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l’embauche ;

2° Soit de se soustraire intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2, relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;

3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l’administration fiscale en vertu des dispositions légales.

Ainsi, la dissimulation d’emploi salarié n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.

Comme précédemment développé, la cour n’a pas prononcé la requalification des contrats d’auteur de M. [K] et le seul fait de la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée ne saurait caractériser le travail dissimulé allégué.

Cette demande sera rejetée.

– Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

Pour solliciter la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, M. [K] fait valoir qu’il était âgé de 60 ans lorsque la société Radio France a rompu son contrat dans des conditions particulièrement brutales et vexatoires, du jour au lendemain, ayant pourtant accompli son travail sans aucun reproche, qu’il a travaillé pendant plus de 15 années sous un statut précaire, avec une rémunération au rabais (sans 13 ème mois et sans congés payés), qu’il a subi à la fois un préjudice financier important du fait de la rupture des relations contractuelles et de la baisse de ses revenus, et un préjudice professionnel du fait de la cessation brutale de la relation de travail en mai 2011, ayant eu des conséquences sur son avenir professionnel.

Conformément à l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, le salarié peut prétendre à une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire.

M. [K] ne justifie pas de sa situation financière et professionnelle postérieure à la rupture du contrat en mai 2011. Au regard de l’ancienneté du salarié, de son âge, du montant de la rémunération versée, le préjudice résultant du licenciement doit être arrêté à la somme de 7 000 euros. L’employeur sera condamné à payer cette somme.

En application de l’article L. 1235-4 du code du travail, l’employeur doit en outre être condamné à rembourser aux organismes intéressés les éventuels indemnités de chômage versées au salarié licencié du jour du licenciement au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d’indemnité de chômage.

– Sur les dommages et intérêts pour discrimination

Pour réclamer la somme de 250.000 euros à titre de dommages et intérêts pour discrimination, M. [K] fait valoir que pendant près de quinze ans, il n’a pu bénéficier des avantages réservés aux autres journalistes de la société Radio France et a subi de ce fait une discrimination, liée notamment à une protection sociale moindre, l’absence de couverture sociale, de complémentaire santé et de retraite, que l’employeur lui a infligé ‘un statut précaire manifestement discriminatoire’.

En application de l’article L. 1132-1 du code du travail visé par l’appelant, aucun salarié ne peut faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d’intéressement ou de distribution d’actions, de formation, de reclassement, d’affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat ‘en raison de son origine, de son sexe, de ses moeurs, de son orientation ou identité sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son appartenance physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou en raison de son état de santé ou de son handicap’.

En l’occurrence, M. [K] se borne à alléguer qu’il a fait l’objet d’une discrimination sans mentionner en raison de quel critère prohibé énuméré ci dessus.

La demande à ce titre du salarié sera donc rejetée.

– Sur les dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et d’image

Pour réclamer la somme de 200.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et d’image, M. [K] fait valoir que journaliste de renom ayant reçu la médaille d’argent 2010 du New York Festival et les Oscars de la Radio, pour sa série « Les Français parlent aux Français », la rupture abrupte et vexatoire de son contrat par Radio France lui a causé un préjudice d’image et moral important, auprès de ses fans.

En premier lieu, il n’est évoqué, ni établi, aucune circonstance vexatoire ayant entouré la fin de la collaboration entre le salarié et son employeur.

Par ailleurs, force est de constater qu’après la rupture de la collaboration en mai 2011, M. [K] a, de nouveau, travaillé pour la société Radio France, comme il le précise dans ses écritures, soit en 2013 et 2014 en qualité de producteur délégué radio.

Le préjudice allégué n’étant pas établi, la demande à ce titre sera rejetée.

Sur les demandes accessoires

La société Radio France qui succombe devra supporter les dépens et participer aux frais irrépétibles engagés par le salarié à hauteur de la somme de 2 000 euros.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a rejeté la demande pour travail dissimulé ;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

ORDONNE la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée avec le statut de journaliste professionnel, à compter du 16 décembre 1996;

DIT que la rupture de la relation de travail le 20 mai 2011 produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société nationale de radio diffusion Radio France à payer à M. [K] les sommes suivantes :

– 1 000 euros à titre d’indemnité de requalification,

– 1 170 euros bruts à titre d’indemnité de préavis et 117 euros bruts au titre des congés payés afférents,

– 6 370 euros à titre d’indemnité de licenciement,

– 7 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que les créances salariales sont productives d’intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l’employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation et que les créances indemnitaires sont productives d’intérêts au taux légal à compter de la présente décision ;

ORDONNE le remboursement par la société aux organismes intéressés des éventuelles indemnités de chômage versées au salarié du jour de la rupture du contrat au jour du présent arrêt dans la limite de six mois d’indemnité de chômage ;

REJETTE la demande de requalification des contrats d’auteur et les demandes de dommages et intérêts pour discrimination et pour préjudice moral et d’image ;

DIT que la société Radio France devra régulariser la situation de M. [K] auprès des organismes sociaux auxquels sont rattachés les journalistes, à compter du 16 décembre 1996 ;

CONDAMNE la société Radio France à remettre les documents de fin de contrat (certificat de travail, attestation Pôle Emploi et reçu pour solde de tout compte) et un bulletin de paie récapitulatif, conformes à la décision dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

CONDAMNE la société Radio France au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,’ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.

LA GREFFIERE LA PRESIDENTE

 


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