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La prise d’acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il impute à l’employeur. Il convient d’apprécier les griefs reprochés par le salarié et de s’assurer qu’ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, la prise d’acte s’analyse en une démission.
C’est au salarié qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur qu’ils soient mentionnés dans l’écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions. La prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
En l’espèce, à compter de son entrée en jouissance du fonds de commerce, le nouvel employeur, n’a pas plus fourni de travail à une salariée qui s’est pourtant présentée au cabaret, pour y travailler. L’absence de travail donné à la salariée, associé au défaut de paiement de salaires emporte justification de la prise d’acte.
______________________________________________________________________
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE ROUEN
CHAMBRE SOCIALE ET DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE
ARRET DU 17 JUIN 2021
N° RG 18/04936 – N° Portalis DBV2-V-B7C-IAZP
DÉCISION
DÉFÉRÉE :
Jugement du CONSEIL DE PRUD’HOMMES DE ROUEN du 22 Octobre 2018
APPELANTE :
Madame C Z
[…]
[…]
représentée par Me I J, avocat au barreau de ROUEN
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/000393 du 22/02/2019 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Rouen)
INTIMES :
Maître E Y ès qualités de mandataire liquidateur de la Société EURL LE PUITS ENCHANTE
[…]
[…]
représenté par Me Emmanuelle DUGUE-CHAUVIN de la SCP EMO AVOCATS, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Clémence MOREAU, avocat au barreau de ROUEN
S.A.R.L. JMACD
[…]
[…]
représentée par Me Pascale ROUVILLE de la SELARL EPONA CONSEIL, avocat au barreau de ROUEN substituée par Me Cyril CAPACCI, avocat au barreau de ROUEN
CGEA ROUEN DELEGATION REGIONALE UNEDIC AGS CENTRE OUEST
[…]
[…]
représenté par Me Linda MECHANTEL de la SCP BONIFACE DAKIN & ASSOCIES, avocat au barreau de ROUEN
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 805 du Code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 12 Mai 2021 sans opposition des parties devant Madame POUGET, Conseillère, magistrat chargé du rapport.
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente
Madame BACHELET, Conseillère
Madame POUGET, Conseillère
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Madame LACHANT, Greffière
DEBATS :
A l’audience publique du 12 Mai 2021, où l’affaire a été mise en délibéré au 17 Juin 2021
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Prononcé le 17 Juin 2021, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile,
signé par Madame LEBAS-LIABEUF, Présidente et par Mme WERNER, Greffier.
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Mme C Z a été engagée par l’EURL «Au Puits enchanté » en qualité d’artiste de spectacle / directrice artistique, le 17 octobre 2015.
Le 2 septembre 2016, le fonds de commerce de l’EURL «Au Puits enchanté » a été cédé à la société JMACD, représentée par M. X.
Par jugement du tribunal de commerce du 25 octobre 2016, l’EURL «Au Puits enchanté» a été placée en liquidation judiciaire et Mme Y désignée en qualité de mandataire liquidateur.
Le 2 mai 2017, Mme C Z a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société JMACD.
Le 7 septembre 2017, Mme C Z a saisi le conseil de prud’hommes de Rouen, lequel, par jugement du 22 octobre 2018, a :
— jugé que la prise de fonction de Mme C Z en tant que présidente de la société SAS
OKS produisait les effets d’une démission auprès de l’EURL « Au Puits enchanté »,
— dit que l’EURL « Au Puits enchanté » a manqué à son obligation de payer les salaires de juin et août 2016 et de remettre les bulletins de salaire afférents à ces mois,
— donné acte à l’EURL « Au Puits enchanté », représentée par Mme Y en sa qualité de mandataire liquidateur, de ce qu’elle reconnaît devoir la somme de 2 948 euros au titre des salaires de juin et août 2016,
En conséquence,
— fixé la créance de Mme C Z à l’égard de Mme Y, mandataire liquidateur, à la somme 2 948 euros pour rappel de salaire de juin et août 2016 et « condamner Mme Y au taux d’intérêt légal sur cette somme », ainsi qu’à la somme de 500 euros au titre des dommages et intérêts pour absence de remise des bulletins de salaires,
— débouté les parties du surplus de leurs demandes,
— dit qu’il n’y avait pas lieu de prononcer l’exécution provisoire et mis les dépens à la charge de Mme Y, mandataire liquidateur de l’EURL « Au Puits enchanté », conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
Mme C Z a interjeté appel le 27 novembre 2018.
Par conclusions n° 2 remises le 19 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme C Z demande à la cour de :
— confirmer le jugement en ce qu’il a donné acte à l’EURL « Au puits enchanté » représentée par Mme Y, mandataire liquidateur, de ce qu’elle reconnaît lui devoir la somme de 2948 euros au titre des salaires de juin et août 2016 et a fixé la créance à l’égard de Mme Y, mandataire liquidateur, à cette somme et condamner Mme Y au taux d’intérêt légal sur cette somme, ainsi qu’à la somme de 500 euros de dommages et intérêts pour absence de remise de bulletins de salaire,
— réformer le jugement pour le surplus et en conséquence :
— juger que l’employeur a manqué à son obligation de fournir du travail, de payer les salaires de septembre 2016 à mai 2017 et de remettre les bulletins de salaire y afférents,
— juger que la prise d’acte doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse,
— mettre à la charge de l’EURL « Au puits enchanté » et de la société SARL JMACD, in solidum ou l’une à défaut de l’autre, les sommes suivantes :
• dommages et intérêts pour dispense d’activité abusive : 1 000 euros,
• rappel de salaire de septembre 2016 à mai 2017 : 11 991,81 euros,
• congés payés sur rappels de salaire de juin 2016 à mai 2017 : 1 493,81 euros,
• indemnité de licenciement : 456, 40 euros,
• indemnité compensatrice de préavis : 1481.82 euros bruts,
• congés payés sur préavis : 148,18 euros bruts,
• dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 15 000 euros,
• indemnité compensatrice de congés payés : 1 269,18 euros,
• article 700 du code de procédure civile : 1 500 euros,
— faire produire les intérêts au taux légal à ces sommes,
— ordonner la remise des certificat de travail, reçu pour solde de tout compte, attestation Pôle emploi conformes aux dispositions de l’arrêt à intervenir sous astreinte définitive de 100 euros par jour et par document à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte,
— ordonner la remise de bulletins de paie depuis le mois de juin 2016 conformes aux dispositions de l’arrêt à intervenir, le tout sous astreinte définitive de 100 euros, à compter du 15e jour suivant la notification du jugement, la cour d’appel se réservant le droit de la liquider,
— déclarer l’arrêt opposable au CGEA,
— condamner aux entiers dépens qui comprendront les éventuels frais et honoraires d’exécution du jugement à intervenir.
Par conclusions remises le 2 avril 2021, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société SARL JMACD demande, à titre principal, à la cour de confirmer le jugement entrepris et de débouter Mme C Z et toute autre partie succombant, de l’intégralité des demandes dirigées à son encontre,
Subsidiairement,
— infirmer le jugement entrepris et juger les demandes de Mme Z portant sur la requalification de la prise d’acte comme étant justifiées, et par conséquent :
— juger que la prise d’acte de rupture du contrat de travail résulte du comportement fautif de l’EURL « Au Puits enchanté » et prononcer les éventuelles condamnations à intervenir à l’encontre de Mme Y, mandataire liquidateur,
A titre infiniment subsidiaire,
— juger que Mme Y, mandataire liquidateur de l’EURL « Au Puits enchanté », devra garantir la société SARL JMACD des éventuelles condamnations à intervenir et réduire les demandes de Mme C Z à de plus justes proportions,
— déduire des sommes réclamées par Mme C Z au titre des congés payés sur la période de juin 2016 à mai 2017, la somme de 294,80 euros et laisser ces sommes définitivement à la charge de Mme Y, ès-qualités,
En tout état de cause,
— déclarer l’arrêt opposable au CGEA,
— condamner Mme C Z à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, cette demande étant formée deux fois.
Par conclusions remises le 10 mai 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, Mme Y, mandataire liquidateur de l’EURL « Au Puits enchanté » demande à la cour,
À titre principal, de :
— confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il a jugé que l’EURL « Au Puits enchanté » a manqué à son obligation de payer les salaires de juin et août 2016, de remettre les bulletins de salaire afférents et lui donner acte de ce qu’elle reconnaît devoir la somme de 2 948 euros au titre des salaires de juin et août 2016,
En conséquence,
— fixer la créance de Mme C Z à son égard à la somme de 2 948 euros pour rappel de salaire de juin et août 2016,
— débouter Mme C Z du surplus de ses demandes et la société SARL JMACD des siennes,
— infirmer le jugement en ce qui l’a condamnée au taux d’intérêt légal sur la somme de 2 948 euros et a fixé la créance de Mme C Z à son égard à la somme de 500 euros au titre de dommages et intérêts pour absence de remise des bulletins de salaire ;
Statuant à nouveau,
— débouter Mme C Z de sa demande au titre des intérêts légaux sur le rappel de salaires et d’indemnité de congés payés afférents au visa des articles L.643-1 et L.622-28 du code de commerce et de sa demande de dommages et intérêts pour absence de remise des bulletins de salaires,
Subsidiairement, limiter toute nouvelle condamnation de l’EURL « Au Puits enchanté » à sa quotepart de responsabilité afférente uniquement à la période antérieure à la cession intervenue le 2 septembre 2016 et correspondant aux deux bulletins de salaire,
— donner acte à l’EURL « Au Puits enchanté » de ce qu’elle reconnaît devoir la somme de 294,80 euros à titre d’indemnité de congés payés sur le rappel des salaires de juin et août 2016,
— débouter Mme C Z et la société SARL JMACD de leurs demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile et de la mise à sa charge des entiers dépens de première instance et d’appel,
— condamner la SARL JMACD à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, si le jugement est confirmé en ce qu’il a jugé que la prise de fonction de Mme C Z en tant que présidente de la société OKS produit les effets d’une démission de l’EURL « Au Puits enchanté » :
— l’infirmer en ce qu’il a jugé que l’EURL « Au Puits enchanté » a manqué à son obligation de payer les salaires de juin et août 2016, de remettre les bulletins de salaire de juin et août 2016, et l’a condamnée aux taux d’intérêt légal sur la somme de 2 948 euros pour rappel des salaires de juin et août 2016 et a fixé la créance de Mme C Z à son égard à la somme de 500 euros au titre des dommages et intérêts pour absence de remise des bulletins de salaires,
Statuant à nouveau,
— juger que l’EURL « Au Puits enchanté », représentée par Mme Y, ès-qualités, reconnaît devoir la somme de 1 474 euros au titre du seul salaire de juin 2016, outre celle de 147, 40 euros au titre des congés payés y afférents,
— débouter Mme C Z de sa demande de dommages et intérêts pour absence de remise du bulletin de salaire de juin 2016 et de celle formée au titre des intérêts légaux sur le rappel de salaire et indemnité de congés payés afférents, au visa des articles L. 643-1 et L.622-28 du code de commerce,
— débouter Mme C Z et la société SARL JMACD du surplus de leurs demandes.
Par conclusions remises le 26 avril 2019, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, l’Unedic délégation AGS CGEA de Rouen demande à la cour de :
A titre principal,
— confirmer le jugement en toutes ces dispositions et débouter Mme C Z de l’intégralité de ses demandes,
A titre subsidiaire, si la cour devait juger les demandes de Mme C Z portant sur la requalification de sa prise d’acte comme étant justifiées, il lui serait alors demandé de déclarer les condamnations opposables à la seule société in bonis soit à la charge de la société SARL JMACD, conformément à l’article 1317 du code civil,
A titre infiniment subsidiaire, si la cour devait juger les demandes de Mme C Z portant sur la requalification de sa prise d’acte comme devant être inscrites au passif de la liquidation judiciaire solidairement avec la société SARL JMACD, il lui serait alors demandé de mettre hors de cause le CGEA en ce qui concerne toutes les demandes se rattachant à la requalification de la prise d’acte de Mme C Z en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et pour les créances salariales dans la limite du 15 jours du prononcé de la liquidation judiciaire, soit les créances suivantes :
• rappel de salaire courant du 9 novembre 2016 au 2 mai 2017,
• congés payés afférents au rappel de salaire du 9 novembre 2016 au 2 mai 2017,
• indemnité de licenciement,
• indemnité compensatrice de préavis,
• congés payés afférents à l’indemnité compensatrice de préavis,
• dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
• indemnité compensatrice de congés payés,
En toute hypothèse,
— lui donner acte de ses réserves et statuer ce que de droit quant à ses garanties,
— déclarer la décision à intervenir opposable dans les limites de la garantie légale,
— dire que la garantie n’a qu’un caractère subsidiaire et lui déclarer la décision à intervenir opposable dans la seule mesure d’insuffisance de disponibilités entre les mains du mandataire judiciaire,
— dire que les demandes présentées quant à la remise d’un document sous astreinte et sur le paiement d’une indemnité fondée sur l’article 700 du code de procédure civile n’entrent pas dans le champ d’application des garanties du régime,
— débouter au visa de l’article L. 622 -28 du code de commerce Mme C Z de sa demande au titre des intérêts légaux,
— dire que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-6 et L.3253-8 et suivants du code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15 et L.3253-17 à L.3253-21 et D. 3253-5 du code du travail,
— juger qu’en tout état de cause la garantie est plafonnée toutes créances avancées pour le compte du salarié à un des trois plafonds définis à l’article D. 3253 -5 du code du travail,
— dire que l’obligation de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement,
— statuer ce que de droit quant aux dépens et frais d’instance sans qu’il puisse être mis à la charge de l’association concluante.
L’ordonnance de clôture de la procédure a été rendue le 22 avril 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du Code de procédure civile «la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif». Or, les «dire et juger» et les «constater» ne sont pas des prétentions en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi.
Aussi, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
Sur le transfert du contrat de travail
En application de l’article L. 1224-1 du code du travail, lorsque survient une modification dans la situation juridique de l’employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l’entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
Selon acte de cession notarié du 2 septembre 2016, l’EURL « Au Puits enchanté », représentée par son gérant, M. G H, a cédé son fonds de commerce à la SARL JMACD, dont le gérant est M. X.
S’il est exact que le 2 août 2016, Mme Z a créé la société OKS dont elle était la dirigeante, cet événement ne peut en aucun cas avoir valeur de démission de cette dernière de son emploi au sein de l’EURL « Au Puits enchanté ». En effet, la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail, de sorte qu’en l’absence de la moindre manifestation de la salariée à ce titre, celle-ci ne peut résulter de la prise de fonction de présidente de la société SAS OKS par Mme C Z, comme cela a été jugé à tort par les premiers juges.
Par ailleurs, les dispositions de l’acte notarié portent expressément à la connaissance du cessionnaire, la société JMACD, l’existence de deux salariés, dont l’appelante, travaillant dans le cadre de contrat à durée indéterminée, et rappelle les dispositions des articles L. 1224-1 et L. 1224-2. En application de ce dernier texte, le cédant s’est notamment engagé d’une part, « à assumer toutes les obligations qui lui incombent envers ses salariés jusqu’à l’entrée en jouissance », fixée au jour de l’acte, et d’autre part, à rembourser au cessionnaire les dettes qui resteraient impayées après cette date.
De plus, il doit être relevé que le cédant a informé le cessionnaire de l’existence d’une procédure de rupture conventionnelle en cours avec Mme Z et il a été également précisé ceci dans ledit acte : « [le cédant] s’engage à faire aboutir cette rupture conventionnelle. A cet égard, les parties conviennent que toutes les conséquences financières relatives à la procédure de licenciement, y compris la réintégration du salarié, seront prises en charge par le cédant, sans recours contre le cessionnaire. Le cessionnaire déclare être parfaitement informé qu’une procédure de licenciement ou qu’un échec de la procédure de rupture conventionnelle peut aboutir, le cas échéant, à la réintégration du salarié licencié, et qu’il en fera alors son affaire ».
Eu égard aux termes employés dans cet acte, il ne peut être sérieusement discuté que la procédure de rupture conventionnelle considérée n’avait pas abouti à la date de signature de l’acte de cession, étant observé, au surplus, qu’à ce document était annexé le contrat de travail et les bulletins de salaire des mois de mai et juin 2016 de l’appelante, mais aucun écrit portant preuve de l’existence d’une rupture conventionnelle la concernant.
Or, postérieurement à la date d’entrée en jouissance, par l’effet de l’article L. 1224-1, rappelé dans l’acte, l’EURL « Au Puits enchanté », n’était plus l’employeur de Mme Z, de sorte que la société JMACD ne peut valablement soutenir, comme elle le fait, qu’elle pensait que le contrat de travail de cette dernière avait bien été rompu.
Par conséquent, à défaut de démission et de rupture conventionnelle ayant abouti entre la salariée et l’EURL « Au Puits enchanté », son contrat de travail en cours au jour de la modification a été transféré à la société JMACD en application de l’article L. 1224-1, sans que cette dernière puisse valablement opposer au transfert automatique du contrat de travail les dispositions notariées ci-dessus reprises, lesquelles règlent les rapports entre l’ancien et le nouvel employeur.
Dans ces conditions, la société JMACD, en sa qualité de nouvel employeur de Mme Z, à compter du 2 septembre 2016, devait en assumer toutes les obligations.
Aussi, la décision déférée est infirmée sur ce point.
Sur la prise d’acte
La prise d’acte est un mode de rupture du contrat par lequel le salarié met un terme à son contrat en se fondant sur des manquements qu’il impute à l’employeur. Il convient d’apprécier les griefs reprochés par le salarié et de s’assurer qu’ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture de licenciement sans cause réelle et sérieuse. A défaut, la prise d’acte s’analyse en une démission.
C’est au salarié qu’il incombe d’établir les faits allégués à l’encontre de l’employeur qu’ils soient mentionnés dans l’écrit ou invoqués au soutien de ses prétentions.
Par courrier du 2 mai 2017, après avoir rappelé que tant son ancien employeur que le nouveau avait commis de « graves manquements», Mme Z a pris acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de la société JMACD en indiquant avoir « été privée de tout travail » et du paiement de ses salaires de juin 2016 à mars 2017, ainsi que de la remise de ses bulletins de paie à compter du mois de juin 2016.
Aux termes de ses écritures, Mme Y, ès-qualités, reconnaît que l’EURL « Au Puits enchanté » a manqué à ses obligations de payer les salaires de juin et août 2016, de lui remettre les bulletins de salaire afférents, et demande qu’il lui soit donné acte qu’elle lui doit la somme de 2 948 euros au titre des salaires de juin et août 2016, lequel montant n’est pas discuté dans son quantum.
De même, il n’est pas sérieusement contestable qu’à compter de son entrée en jouissance du fonds de commerce, le nouvel employeur, la société JMACD n’a pas plus fourni de travail à Mme Z qui s’est pourtant présentée au cabaret, le 3 septembre 2016, pour y travailler, comme cela résulte des attestations versées, dont celle de M. A, son ancien employeur, témoignant qu’il lui a demandé de « retourner chez elle » et lui a délivré, à sa demande, un écrit dans ce sens, contresigné par d’autres salariés. Ce dernier était effectivement en service ce soir-là pour le compte de M. X, mais n’ayant plus la qualité d’employeur, il ne pouvait engager à ce titre l’Eurl « Au Puits enchanté », comme le soutient à tort la société JMACD.
Si cette dernière société indique ne pas avoir eu connaissance de la venue de la salariée au cabaret, le 3 septembre 2016, les témoignages précédemment visés attestent du contraire puisqu’ils font état d’une conversation entre la salariée et M. X, sans que le témoignage de M. B puisse utilement les contredire.
Par ailleurs, si la société JMACD produit les photographies de la salariée prises vraisemblablement lors de shooting, d’une représentation de cirque ou en vacances, issues de ses comptes Facebook et Instagram, il n’est toutefois ni évoqué, ni justifié de l’impossibilité pour la salariée d’effectuer un autre travail en vertu d’une clause d’exclusivité.
La société JMACD ne peut pas plus en déduire que Mme Z ne se tenait pas à sa disposition, alors qu’elle ne rapporte aucune preuve sur ce point, pas plus que d’un éventuel refus de cette dernière d’exécuter son travail, l’employeur ne justifiant en effet de l’envoi d’aucune mise en demeure.
Au surplus, il résulte des échanges de sms entre la salariée et le gérant de la société JMACD qu’aux mois de septembre et novembre 2016, cette dernière l’a sollicité pour travailler et s’est présentée, sur sa demande, le 8 septembre suivant. Enfin, elle l’a saisi par le biais de son conseil au mois de mars 2017 pour que sa situation soit régularisée, sans plus obtenir de travail ou de salaire.
Dès lors, il est établi que les employeurs successifs n’ont ni fourni de travail, ni réglé ses salaires à Mme Z, pas plus qu’ils ne lui ont délivré ses bulletins de salaire, et ce durant plusieurs mois : deux mois pour l’EURL « Au Puits enchanté » et sept mois pour la société JMACD.
Toutefois, si les manquements de l’EURL «Au Puits enchanté » peuvent trouver une explication dans la situation financière précaire de celle-ci qui avait toutefois établi le bulletin du mois de juin 2016 et remis à Mme Z un chèque en règlement d’une partie dudit mois, lequel s’est révélé dépourvu de provision, ceux de la société JMACD ne trouvent aucun justification objective, d’autant qu’il s’infère des mentions de l’acte de cession qu’elle ne pouvait ignorer ses obligations d’employeur vis-à-vis de cette dernière.
Dès lors, la cour considère que les manquements de la société JMACD, affectant les obligations essentielles de l’employeur, et qui ont conduit la salariée à prendre acte de la rupture, sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail et ainsi, qualifier la rupture intervenue par courrier du 2 mai 2017 de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La décision déférée est infirmée sur ce chef.
Sur les conséquences de la rupture
La prise d’acte de la rupture produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il convient d’allouer à Mme Z les sommes suivantes :
• rappel de salaire de juin et août 2016 : 2 948 euros, outre les congés payés y afférents pour la somme de 294.80 euros,
• rappel de salaire de septembre 2016 à mai 2017 : 11 991,81 euros,
• congés payés sur rappels de salaire de septembre 2016 à mai 2017 : 1 199,18 euros,
• indemnité de licenciement : 456, 40 euros,
• indemnité compensatrice de préavis : 1481.82 euros bruts,
• congés payés sur préavis : 148,18 euros bruts.
Concernant l’indemnité compensatrice de congés payés sollicitée par l’appelante, il convient de relever que son bulletin de salaire de mai 2016 précise qu’elle a acquis 18.75 jours de congés payés auquel il convient d’ajouter ceux acquis au mois de juillet 2016, dont il n’est aucunement démontré qu’elle les ait pris ou en qu’il lui ait été réglés, de sorte que compte tenu de son salaire de référence, il
lui est dû à ce titre la somme de 1049,62 euros, étant rappelé que les congés payés de juin et août 2016 ont été précédemment pris en compte.
Eu égard aux dispositions de l’article L.1235-5 dans sa version applicable au litige, à l’ancienneté de la salariée (1 an et 7 mois), à son âge au moment de la rupture (25 ans), à son salaire mensuel brut, aux éléments produits par l’employeur concernant ses prestations à l’étranger démontrant qu’elle a retrouvé une activité postérieurement à la rupture, il convient de lui accorder la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts, la décision étant infirmée sur ce point.
En revanche, la salariée doit être déboutée de ses demandes de dommages et intérêts pour absence de remise de bulletin de salaire et dispense d’activité abusive, dans la mesure où celle-ci ne justifie d’aucun préjudice distinct à ces titres.
Enfin, étant rappelé qu’à la date de la prise d’acte de la rupture par la salariée, seule la société JMACD était employeur de cette dernière, les précédents développements ont permis de mettre en exergue la durée particulièrement longue des manquements graves commis par ladite société dans l’exécution de la relation de travail qui ont contribué au préjudice subi par la salariée, si bien qu’il n’y a pas lieu à condamnation in solidum avec Mme Y, ès-qualités, pour le paiement des sommes ci-dessus arrêtées.
Aussi, il y a lieu de fixer à la liquidation judiciaire de l’EURL «Au Puits enchanté » la créance de Mme Z pour les sommes suivantes :
• rappel de salaire de juin à août 2016 : 2 948 euros, outre les congés payés y afférents pour la somme de 294,80 euros,
• indemnité compensatrice de congés payés : 1 049,62 euros.
Compte tenu de la nature des sommes ci-dessus allouées, l’AGS-CGEA doit sa garantie, en l’absence de fonds disponibles, dans les termes des articles L. 3253’8 et suivants du code du travail.
En application des dispositions des articles L. 622-28 et L. 641-3 du code du commerce, la cour rappelle que le cours des intérêts légaux sur les sommes ci-dessus est arrêté par le jugement qui a ouvert la liquidation judiciaire de l’EURL «Au Puits enchanté ».
Par ailleurs, il convient de condamner la SARL JMACD à payer à Mme Z les sommes suivantes :
• rappel de salaire de septembre 2016 à mai 2017 : 11 991,81 euros,
• congés payés sur rappels de salaire de septembre 2016 à mai 2017 : 1 199,18 euros,
• indemnité de licenciement : 456,40 euros,
• indemnité compensatrice de préavis : 1481,82 euros bruts,
• congés payés sur préavis : 148,18 euros bruts,
• dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 000 euros.
Les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt.
Il appartiendra également à la SARL JMACD de remettre à Mme C Z un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif portant sur les salaires dûs pour la période de juin 2016 à mai 2017, conformes aux dispositions du présent arrêt, sans qu’il soit nécessaire d’assortir cette remise d’une astreinte provisoire.
La décision déférée est infirmée sur l’ensemble de ces chefs.
Enfin, concernant la demande de garantie formée par la société JMACD, il convient de rappeler que l’acte de cession dispose que le cédant prendra en charge « toutes les conséquences financières relatives à la procédure de licenciement, y compris la réintégration du salarié » et ajoute que le « cessionnaire déclare être parfaitement informé qu’une procédure de licenciement ou qu’un échec de la procédure de rupture conventionnelle peut aboutir, le cas échéant, à la réintégration du salarié licencié, et qu’il en fera alors son affaire ».
Il résulte de ces dispositions qui doivent être interprétées strictement que la garantie du cédant n’existe qu’en cas de procédure de licenciement, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, et au surplus, qu’en cas d’échec de la procédure de rupture conventionnelle, le cessionnaire en supportera les conséquences, de sorte que la société JMACD n’est pas fondée à solliciter la garantie de Mme Y, ès-qualités, pour les sommes mises à sa charge, nées postérieurement à son entrée en jouissance et résultant de son seul comportement fautif.
Cette demande est donc rejetée.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
En qualité de partie principalement succombante, la société JMACD est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et déboutée de sa demande formée au titre des frais irrépétibles.
Pour la même raison, elle est condamnée à payer à Mme I J, avocate de Mme Z, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sous réserve de l’application des dispositions de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’appelante étant bénéficiaire de l’aide juridictionnelle totale.
Eu égard à la solution du litige, il n’apparaît pas inéquitable de rejeter les demandes formées par la société JMACD et Mme Y, ès-qualités, au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Confirme la décision entreprise en ce qu’elle a fixé la créance de Mme C Z à l’égard de la liquidation de l’EURL « Au Puits enchanté », représentée par Mme Y, mandataire liquidateur, à la somme 2 948 euros au titre du rappel des salaires de juin et août 2016 ;
L’infirme en ses autres dispositions ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant,
Fixe la créance de Mme C Z à la liquidation judiciaire de l’EURL «Au Puits enchanté », représentée par Mme Y, ès-qualités, aux sommes suivantes :
• congés payés sur rappel des salaires de juin et août 2016 : 294,80 euros,
• indemnité compensatrice de congés payés : 1049,62 euros ;
Rappelle que le cours des intérêts légaux sur les sommes ci-dessus a été arrêté par le jugement de liquidation judiciaire de l’EURL «Au Puits enchanté » ;
Déclare l’AGS-CGEA de Rouen tenue à garantie pour ces sommes dans les termes des articles L.3253-8 et suivants du code du travail, en l’absence de fonds disponibles ;
Condamne la société JMACD à payer à Mme C Z les sommes suivantes :
• rappel de salaire de septembre 2016 à mai 2017 : 11 991,81 euros, outre les congés payés sur rappels de salaire y afférents pour la somme de 1 199,18 euros,
• indemnité de licenciement : 456, 40 euros,
• indemnité compensatrice de préavis : 1481,82 euros bruts,
• congés payés sur préavis : 148,18 euros bruts,
• dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 1 000 euros ;
Dit que les sommes à caractère salarial porteront intérêts au taux légal à compter de la convocation de l’employeur en conciliation et celles à caractère indemnitaire à compter du présent arrêt ;
Ordonne à la SARL JMACD de remettre à Mme C Z un certificat de travail, un reçu pour solde de tout compte, une attestation Pôle emploi et un bulletin de salaire récapitulatif pour les salaires dûs sur la période de juin 2016 à mai 2017, conformes aux dispositions du présent arrêt ;
Condamne la SARL JMACD à payer à Mme I J, avocate de Mme Z, la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, sous réserve de l’application des dispositions de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la SARL JMACD aux entiers dépens de première instance et d’appel, qui seront recouvrés selon les règles de l’aide juridictionnelle.
La greffière La présidente