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Le licenciement d’un journaliste de France 24 pour cause réelle et sérieuse a été confirmé en appel. Lors d’une interview médiatisée, ce dernier, présenté comme le rédacteur en chef de France 24 avait tenu des propos excessifs sur les conflits au moyen orient, laissant penser qu’il s’exprimait au nom de la rédaction, en violation du principe de neutralité de la chaine.
Le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
La liberté d’expression est protégée tant en droit interne (article L. 1121-1 du code du travail) qu’en droit international et européen, soit notamment dans le cadre du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la convention européenne des droits de l’homme en consacrant le principe (article 10).
Néanmoins, l’importante protection dont doivent profiter certaines professions, dont celle du journaliste, est subordonnée à la condition du respect des devoirs et responsabilités liés à cette fonction et à l’obligation corollaire de pratiquer un ‘journalisme responsable’, étant rappelé que ‘dans un monde dans lequel l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue'(CEDH Stoll c/ Suisse, 10 décembre 2007), l’irrespect d’une directive éditoriale pouvant notamment donner lieu à licenciement (CEDH Nenkova- Lalova c/ Bulgarie, 11 décembre 2012).
Des restrictions particulières à la liberté sont induites par l’obligation de loyauté envers l’employeur et de cohérence avec la ligne éditoriale ou idéologique de la publication pour laquelle le journaliste travaille, l’article 3 de la convention collective nationale des journalistes régissant le contrat de travail du salarié visant le droit pour les journalistes d’avoir leur liberté d’opinion mais rappelant que ‘l’expression publique de cette opinion ne doit en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise dans laquelle ils travaillent’.
L’accord d’entreprise France Médias Monde régissant également les rapports entre cette société et ses salariés retient, en son article 1/3.7, le droit d’expression directe du salarié dans et hors de l’entreprise tout en précisant que ce dernier ne peut abuser de cette liberté en tenant notamment des propos ‘excessifs’.
La société France Médias Monde est, pour sa part, une société de l’audiovisuel public et, à ce titre, tenue de respecter un certain nombre de règles dont le principe de neutralité et l’obligation de donner une information libre, indépendante et pluraliste.
Elle diffuse une offre de service de télévision déclinée dans le cahier des charges de la société nationale de programmes en charge de l’audiovisuel extérieur de la France (AEF) issu du décret n°2012-85 du 25 janvier 2012.
L’article 9 de ce cahier des charges vise que la société nationale met à disposition du public une information de qualité, rigoureuse et nourrie par la confrontation des opinions favorisant des regards croisés sur l’actualité internationale tout en offrant un regard spécifiquement français sur celle-ci, l’article 19 listant un certain nombre d’obligations de la société en termes de respect de l’expression pluraliste des différents courants de pensée et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information.
L’article 20 de cette charte précise que la société veille à ce que le bien-fondé et les sources de l’information soient vérifiés, que dans la mesure du possible, l’origine de l’information doit être indiquée, l’information incertaine étant présentée au conditionnel, qu’il doit être fait preuve de rigueur dans sa présentation et son traitement.
La déclaration des droits et des devoirs des journalistes de Munich des 23 et 24 novembre 1971 contient une déclaration des devoirs des journalistes visant le respect de la vérité, la publication d’informations dont l’origine est connue ou dans le cas contraire la nécessité de les accompagner des réserves nécessaires.
Au regard de ces éléments, les termes de l’interview établissaient à plusieurs moments, des propos sur les révolutions arabes dont celle de Lybie, éloignés de l’obligation de neutralité se déduisant de la ligne éditoriale de France 24.
Si l’intéressé énonce alors qu’il ‘y a unanimité dans l’opinion publique (algérienne) et au sein de la classe politique sur la condamnation de tout projet d’intervention ou d’action militaire’, ses propos, après la diffusion de l’interview prenaient une connotation personnelle et orientée.
Le fait que l’interview contienne quelques propos plus généraux sur la transformation des soulèvements populaires en conflits à caractère religieux ou confessionnel n’a pu venir masquer le caractère excessif des affirmations ainsi prononcées sans réserves ou références à d’autres courants de réflexion sur les révolutions arabes et le conflit syrien.
Or, ces propos étaient énoncés par le salarié en tant que rédacteur en chef de France 24, ce qui portait atteinte à l’image de neutralité de la société France Médias Monde.
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REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE VERSAILLES
Code nac : 80A
6e chambre
ARRET DU 20 MAI 2021
N° RG 18/02909 – N° Portalis DBV3-V-B7C-SPXP
AFFAIRE :
SA FRANCE MEDIAS MONDE
C/
F X
Syndicat SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES CGT (SNJ-CGT)
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 21 Juin 2018 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° Section : E
N° RG : F 16/01268
Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :
Me LAFON Franck
Me DE CARFORT Chantal
le : 21 Mai 2021
LE VINGT MAI DEUX MILLE VINGT ET UN,
La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
SA FRANCE MEDIAS MONDE
N° SIRET : 501 524 029
[…]
Représentée par Me Elisabeth LAHERRE de la SCP COBLENCE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0053 ; et Me Franck LAFON, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618
APPELANTE
****************
Monsieur F X
né le […] en ALGERIE
De nationalité algérienne
[…]
[…]
Représenté par Me Sylvain ROUMIER de la SELEURL CABINET ROUMIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2081; et Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 334
INTIME
****************
SYNDICAT NATIONAL DES JOURNALISTES CGT (SNJ-CGT)
[…]
[…]
Représenté par Me Sylvain ROUMIER de la SELEURL CABINET ROUMIER, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2081; et Me Chantal DE CARFORT de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 334
PARTIE INTERVENANTE
Composition de la cour :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 16 Mars 2021, devant la cour composée de :
Madame Isabelle VENDRYES, Président,
Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier lors des débats : Mme Elodie BOUCHET-BERT
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
La société France Médias Monde (société FMM) est une société nationale placée sous la tutelle des ministères de la culture et des affaires étrangères qui regroupe les enseignes France 24, RFI et MCD.
La convention collective nationale applicable est celle des journalistes du 1er novembre 1976, refondue le 27 octobre 1987.
M. F X, né le […], a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée par la société Audiovisuel Extérieur de la France, devenue France Médias Monde, le 10 septembre 2012, en qualité de rédacteur en chef, statut cadre dirigeant, à la direction de l’information, des programmes et des magazines, au sein de la rédaction arabophone de France 24.
Par lettre du 13 mai 2016, la société FMM a convoqué M. X à un entretien préalable qui s’est déroulé le 24 mai 2016.
Par lettre en date du 6 juin 2016, la société FMM a notifié à M. X son licenciement pour cause réelle et sérieuse dans les termes suivants :
« (‘) France Medias Monde est une entreprise réunissant des médias libres et défendant des valeurs humanistes qui s’attache à un journalisme exigeant et respectueux de la déontologie, qui défend la liberté d’informer et d’être informé, sans se laisser manipuler ou instrumentaliser.
Il en est ainsi de France 24, chaîne française de service public, qui promeut une information libre et indépendante, non dogmatique, mettant en avant la diversité des points de vue, la confrontation intellectuelle et le débat d’idées.
C’est parce que France 24 défend un certain nombre de principes dont la laïcité, la liberté des consciences et des croyances, l’égalité des hommes et des femmes, la promotion de la diversité, que nous sommes en mesure d’accueillir des invités de toute confession et de tout bord politique afin de donner une information complète et objective.
C’est précisément le sens du cahier des charges qui nous lie au ministère de la Culture et au ministère des Affaires Étrangères et qui prévoit notamment le respect des différentes sensibilités politiques, culturelles et religieuses du public.
Pour toutes ces raisons, nous avons depuis plusieurs années bâti une ligne éditoriale claire, visant à donner au public une information aussi objective et impartiale que possible, qui ne doit pas laisser la place à l’expression de l’opinion personnelle de chacun des journalistes.
En effet, une telle attitude au nom de France 24 laisserait penser aux téléspectateurs que France 24 est de parti pris notamment sur des sujets politiques et/ou religieux. Et c’est le rôle de la direction de la chaîne et plus particulièrement de ses rédacteurs en chef de veiller au respect, au surplus par eux-mêmes, d’une information sans manipulation ou instrumentalisation. En ce qui vous concerne, nous sommes dans le regret de constater que vous vous êtes placé en divergence par rapport à cette vision de la ligne éditoriale de France 24, puisque vous n’avez pas hésité à tenir des propos n’ayant pas pour objet d’informer, mais d’exprimer votre opinion personnelle.
Tel a été le cas au cours de l’émission « Le Débat de l’heure » de la chaîne de télévision libanaise Almayadeen, relayée notamment sur YouTube le 22 avril 2016, date à laquelle nous avons pris connaissance du contenu de votre interview. Il ressort très clairement de cet enregistrement que vous avez tenu des propos en totale opposition avec la ligne éditoriale de France 24, alors que vous étiez présenté, par deux fois en direct par la présentatrice comme Rédacteur en Chef de France 24, sans réaction de votre part.
Vous avez en effet exprimé votre opinion personnelle sur un sujet très sensible sans qu’à aucun moment vous ne vous soyez démarqué, lors de cette interview, de votre qualité de Rédacteur en Chef représentant France 24 pour préciser que c’est en votre nom personnel que vous vous exprimiez et que vos propos n’engageaient aucunement la rédaction.
Ce faisant, vous avez représenté sur cette chaîne d’opinion une théorie laissant penser qu’elle est l’expression de la ligne éditoriale de France 24, alors même qu’elle en est aux antipodes et que nous avons comme ligne de conduite de nous placer sur le terrain de l’information et non sur le terrain de l’opinion.
Sachant que votre intervention sur cette chaîne pouvait vous amener à exprimer une position sur un sujet très débattu et très sensible (les conflits au Moyen-Orient), le minimum eût été d’échanger préalablement avec la rédaction de France 24 sur le contenu et la finalité du message que vous souhaitiez délivrer, afin de vous assurer qu’ils étaient conformes à la ligne éditoriale qu’elle adopte.
En n’informant pas votre direction du contenu des propos que vous alliez tenir en direct en tant que Rédacteur en Chef de France 24, vous avez rendu impossible tout contrôle préalable de la conformité de ceux-ci avec la ligne éditoriale que vous représentiez.
La manière dont s’est déroulée cette émission fait apparaître une incompatibilité entre votre discours et votre fonction de Rédacteur en Chef requérant le respect de la ligne éditoriale que vous représentez. Enfin, rien ne nous garantit qu’à l’occasion d’une autre émission en direct, vous ne serez pas amené à exprimer votre opinion personnelle au nom de France 24.
En outre, cette confusion ainsi créée entre vos opinions personnelles et la ligne éditoriale de France 24 porte gravement atteinte aux efforts menés par l’ensemble de la rédaction pour tenir cette ligne éditoriale claire et justifiée par nos exigences de service public.
La manifestation publique de ce désaccord sur notre ligne éditoriale est d’autant plus préjudiciable qu’elle rejaillit en interne sur l’ensemble des relations avec d’autres de nos journalistes, eux aussi tenus au respect de cette ligne et qui ne partagent pas nécessairement votre opinion personnelle exprimée sur le plateau de la chaîne libanaise Almayadeen, pour le compte de France 24.
Pour mémoire, notre chaîne France 24 compte 35 nationalités et France Médias Monde 66, donc autant d’avis différents sur la manière d’appréhender tel ou tel conflit international.
Faire apparaître France 24 comme le porte-parole de l’une de ces positions ne peut que créer de graves tensions internes.
Pour ces raisons, nous ne pouvons pas accepter l’expression d’une telle divergence sur la ligne éditoriale, ni votre attitude au regard des règles de service public.
Ce désaccord et l’expression de cette différence de vision rendue publique sur la ligne éditoriale de France 24, alors que vous représentiez la chaîne, empêchent la poursuite de votre contrat de travail et nous conduisent à prononcer votre licenciement pour cause réelle et sérieuse.”
Par requête reçue au greffe le 16 juin 2016, M. X a saisi le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt aux fins de voir prononcer la nullité de son licenciement et voir condamner la société France Médias Monde au versement de diverses sommes indemnitaires et salariales.
Le syndicat national des journalistes CGT (SNJ CGT) est intervenu volontairement à l’instance.
Par jugement rendu le 21 juin 2018, le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt a :
— prononcé la nullité du licenciement intervenu le 6 juin 2016,
— fixé le salaire de M. X à la somme mensuelle brute de 7 163 euros et son ancienneté dans la profession au 27 mai 1999,
— ordonné la réintégration de M. X au sein de la SA France Médias Monde (SA FMM) au jour du jugement sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du 15e jour après sa notification et ce pendant 40 jours, le conseil se réservant la liquidation de l’astreinte,
— condamné la SA France Médias Monde (SA FMM) prise en la personne de son représentant légal à verser à M. X les sommes de :
* 45 600 euros au titre de rattrapage de salaire pour les années 2013, 2014 et 2015,
* 4 560 euros au titre des congés payés afférents au rattrapage de salaire,
* 157 586 euros au titre de rappel de salaire du jour du licenciement au 5 avril 2018, jour de l’audience du conseil,
* 15 758,60 euros au titre des congés payés afférents au rappel de salaire,
* 45 000 euros au titre de dommages et intérêts pour violation d’une liberté fondamentale et licenciement nul,
* 1 500 euros au titre de dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle,
* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— ordonné à la SA France Médias Monde (SA FMM) :
* d’établir au profit de M. X un bulletin de salaire récapitulatif par an pour les années 2013, 2014, 2015, 2016 et 2017, puis un bulletin de salaire par mois à compter du 1er janvier 2018 en conformité avec les termes du jugement sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter du 15e jour après sa notification et ce pendant 40 jours, le conseil se réservant la liquidation de l’astreinte,
* de régulariser la situation du salarié auprès des organismes sociaux, de la CNAV et de la caisse complémentaire,
— condamné la SA France Médias Monde (SA FMM) prise en la personne de son représentant légal à verser au syndicat national des journalistes CGT (SNJ CGT) les sommes de :
* 1 500 euros au titre des dommages et intérêts pour atteinte aux droits de la profession,
* 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— ordonné :
* l’exécution provisoire dans le cadre de l’article 515 du code de procédure civile pour les éléments de salaire avec capitalisation des intérêts à compter de la saisine du conseil,
* l’exécution provisoire dans le cadre de l’article 515 du code de procédure civile sur l’ensemble des autres sommes allouées avec capitalisation des intérêts à compter du prononcé du présent jugement,
— mis les dépens de l’instance à la charge de la partie défenderesse,
— débouté M. X du surplus de ses demandes,
— débouté le SNJ CGT du surplus de ses demandes,
— débouté la SA France Médias Monde (SA FMM) de sa demande.
La société FMM a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 4 juillet 2018.
Par conclusions adressées par voie électronique le 23 février 2021, la société France Médias Monde demande à la cour de :
— la recevoir en ses appels principaux et incidents et l’en déclarer bien fondée,
— juger mal fondés les appels principaux et incidents de M. X et du SNJ-CGT,
— infirmer le jugement rendu le 21 juin 2018 par le conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt en toutes ses dispositions,
— juger que le licenciement de M. X repose sur des faits objectifs étrangers à toute discrimination et constitutifs d’une cause réelle et sérieuse, et qu’il ne viole pas une liberté fondamentale,
— débouter M. X de ses demandes de nullité du licenciement, de réintégration, de rappel de salaires à compter de juin 2016, de congés payés incidents et de dommages-intérêts,
— débouter M. X de ses demandes de fixation de son ancienneté à compter de 1990 et de ses demandes de rappel de prime d’ancienneté et congés incidents,
— juger prescrites les demandes de rappel de salaire sur la période antérieure au 16 juin 2013,
— le débouter de ses demandes de fixation de salaire à hauteur de 6 900 euros en 2012 et de ses demandes consécutives de rappel de salaire et congés incidents,
— le débouter de ses demandes de dommages-intérêts pour déloyauté contractuelle et de dommages-intérêts pour violation de la liberté fondamentale d’expression et signalements de pratiques discriminatoires,
— débouter M. X et le SNJ-CGT de l’ensemble de leurs demandes,
— les condamner à rembourser à la société France Médias Monde les sommes versées au titre de l’exécution provisoire,
— les condamner à payer à la société France Médias Monde la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
très subsidiairement,
— juger prescrites les demandes de rappel de salaire pour la période antérieure au 14 juin 2013,
— limiter à 30 020 euros brut la condamnation au titre de rappel de salaire majoré de 3 002 euros de congés payés incidents,
— débouter M. X et le SNJ-CGT de toutes leurs autres demandes,
— condamner M. X et le SNJ-CGT aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Franck Lafon, avocat, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par conclusions adressées par voie électronique le 25 février 2021, M. X et le syndicat national des journalistes SNJ-CGT demandent à la cour de :
— confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 21 juin 2018, en ce qu’il a :
* prononcé la nullité du licenciement de M. X,
* ordonné la réintégration de M. X sous astreinte, sans préjudice du montant octroyé au titre de l’astreinte,
* condamné la société France Médias Monde à verser des sommes à M. X au titre :
— des rappels de salaire pour les années 2013 à 2015,
— des congés payés sur rappels de salaire pour les années 2013 à 2015,
— des rappels de salaire du jour du licenciement au jour de l’audience,
— des congés payés sur rappels de salaire du licenciement au jour de l’audience,
— des dommages-intérêts pour violation d’une liberté fondamentale et licenciement nul,
— des dommages-intérêts pour déloyauté contractuelle,
— de l’article 700 du code de procédure civile,
* ordonné à la société France Médias Monde d’établir des bulletins de salaire conformes au jugement,
* ordonné à la société France Médias Monde de régulariser la situation du salarié auprès des organismes sociaux, de la CNAV et de la caisse complémentaire,
* condamné la société France Médias Monde à verser des sommes au syndicat SNJ-CGT au titre’:
— des dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la profession,
— de l’article 700 du code de procédure civile,
sans préjudice des montants octroyés,
— infirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Boulogne-Billancourt du 21 juin 2018, en ce qu’il a :
* fixé le salaire moyen de M. X à la somme de 7 163 euros par mois sur 13 mois, au lieu de 8 279,01 euros,
* fixé l’ancienneté professionnelle de M. X au 27 mai 1999,
* limité les montants des condamnations de la société France Médias Monde au profit de M. X aux sommes suivantes :
— 45 600 euros au titre de rattrapage de salaire pour les années 2013, 2014 et 2015,
— 4 560 euros de congés payés afférents au rattrapage de salaire,
— 45 000 euros de dommages-intérêts pour violation d’une liberté fondamentale et licenciement nul,
— 1 500 euros de dommages-intérêts pour déloyauté contractuelle,
* limité le montant des condamnations de la société France Médias Monde au profit du syndicat SNJ-CGT à la somme de 1 500 euros de dommages-intérêts pour atteinte aux droits de la profession,
* limité les astreintes à un montant de 150 euros par jour de retard et à une durée s’écoulant à partir du 15e jour et pendant 40 jours,
statuant à nouveau,
— débouter la société France Média Monde de ses demandes fins et prétentions notamment relative à la prescription des demandes,
— fixer le salaire mensuel brut de M. X à 7 163 euros de salaire de base et 479,16 euros de prime d’ancienneté sur 13 mois, soit un salaire mensuel de base de 7 759,92 euros sur 12 mois et un salaire mensuel total sur 12 mois de 8 279,01 euros brut,
— juger nul le licenciement de M. X du fait de la violation par France Médias Monde de la liberté fondamentale d’expression du salarié journaliste et du fait du signalement de pratiques discriminatoires, reconnues comme telles en violation de l’article L. 1132-3 du code du travail,
en conséquence,
— ordonner la réintégration de M. X dans son poste de rédacteur en chef à Paris au sein de la rédaction arabophone dans les mêmes conditions d’exercice que précédemment,
— condamner la société FMM à payer à M. X un rappel de salaire de juin 2016 jusqu’au jour de l’audience (16 mars 2021), soit 57,5 mois de salaire de base à la date de rédaction des dernières conclusions d’appel, soit au total 446 195,40 euros auxquels s’ajoutent 44 619,54 euros de congés payés y afférents,
en tout état de cause,
— juger que l’ancienneté professionnelle de M. X doit être fixée à compter de l’année 1990,
en conséquence,
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X un rappel de prime d’ancienneté de septembre 2012 au jour de l’audience :
* Septembre-décembre 2012 : 1 916,65 euros et 191,67 euros de congés payés afférents,
* 2013 : 4 983,29 euros et 498,33 euros de congés payés afférents,
* 2014 : 4 983,29 euros et 498,33 euros de congés payés afférents,
* Janvier-juin 2015 : 2 299,98 euros et 230 euros de congés payés afférents,
* Juillet-décembre 2015 : 3 354,12euros et 335,41 euros de congés payés afférents,
* 2016 : 6 229,08 euros et 622,91 euros de congés payés afférents,
* 2017 : 6 229,08 euros et 622,91 euros de congés payés afférents,
* 2018 : 6 229,08 euros et 622,91 euros de congés payés afférents,
* 2019 : 6 229,08 euros et 622,91 euros de congés payés afférents,
* 2020 : 6 229,08 euros et 622,91 euros de congés payés afférents,
* 2021 (16 mars 2021, jour de l’audience) : 1 677,06 euros et 167,70 euros de congés payés afférents,
— condamner la société France Médias Monde à régulariser ces sommes année par année auprès des organismes sociaux, et à établir des bulletins de salaire année par année,
— juger que la société France Médias Monde a gravement manqué à ses engagements contractuels en ne réglant pas le salaire de base de M. X à hauteur de 6 900 euros en 2012, comme elle s’y était engagée,
en conséquence,
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X les rappels de salaires non payés depuis septembre 2012 à juin 2016, soit 55 156 euros, auxquels s’ajoutent les congés payés afférents aux rappels de salaires, soit 5 515 euros,
— condamner la société France Médias Monde à régulariser ces sommes années par année auprès des organismes sociaux, et à établir des bulletins de salaire année par année,
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X des dommages et intérêts pour violation de la liberté fondamentale d’expression et sanction nulle de signalement de pratiques discriminatoires, prévus aux articles L.’2281-3 du code du travail et 1240 du code civil, soit 198 696,24 euros (24 mois de salaire),
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X des dommages et intérêts pour déloyauté contractuelle conformément aux articles L.’1222-1 du code du travail et articles 1104, 1193, 1217 et 1231-1 et suivants du code civil à hauteur de 50 000 euros,
— ordonner à la société France Médias Monde de remettre M. X les documents conformes suivants :
* bulletins de paie conformes année par année depuis le mois septembre 2012,
* le tout sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant le droit de liquider l’astreinte,
— ordonner à la société France Médias Monde de régulariser la situation de M. X auprès des organismes sociaux, caisse de retraite CNAV, caisse de retraite complémentaire, sous astreinte de 250 euros par jour de retard et par document, la cour se réservant la liquidation de l’astreinte.
— juger que la société France Médias Monde n’a pas satisfait aux obligations mises à sa charge par le jugement du conseil de prud’hommes du 21 juin 2018, à peine d’astreinte fixée à 150 euros par jour de retard à compter du 15e jour après sa notification, et ce pendant 40 jours, et notamment à l’obligation de fournir les bulletins de salaire année par année, et au moins le mois à compter du 1er janvier 2018, et celle relative à la réintégration de M. X,
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X le montant des astreintes ainsi liquidées en leur maximum, à hauteur de 2 x 6 000 euros, soit 12 000 euros,
— prononcer de nouvelles astreintes comme suit :
* 2 000 euros par jour de retard, jusqu’à la réintégration effective de M. X dans son emploi de rédacteur en chef, tel qu’il l’exerçait avant le licenciement,
* 2 000 euros par jour de retard et par document, tant que la société France Médias Monde n’a pas fourni à M. X les bulletins de salaire année par année pour les années 2013 à 2017, puis au mois le mois, à partir du 1er janvier 2018 jusqu’à la date du jugement du conseil de prud’hommes,
— condamner la société France Médias Monde à payer au syndicat SNJ CGT, à titre de dommages et intérêts compensant le préjudice subi du fait de l’atteinte aux droits et libertés fondamentales régissant la profession de journaliste, dont la liberté d’expression, la somme de 25 000 euros sur le fondement de l’article 1240 du code civil,
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X les intérêts sur les intérêts dus au taux légal (anatocisme) conformément à l’article 1343-2 du code civil,
— condamner la société France Médias Monde à payer à M. X ainsi qu’au syndicat SNJ CGT la somme de 6 500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
— condamner la société France Médias Monde aux entiers dépens ainsi qu’aux éventuels frais d’exécution.
Par ordonnance rendue le 3 mars 2021, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la clôture de l’instruction et a fixé la date des plaidoiries le 16 mars 2021.
En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
MOTIFS
– sur la lettre de licenciement
M. X relève ici le caractère vague des griefs énoncés dans la lettre de licenciement.
Aux termes de cette lettre du 6 juin 2016, qui fixe les limites du litige, il est reproché à M. X de ne pas avoir respecté les valeurs de la société France Médias Monde dans le cadre d’une interview donnée en septembre 2013 au cours de l’émission ‘le débat de l’heure’ sur la chaîne de télévision libanaise Almayadeen, relayée sur le site ‘you tube’ le 22 avril 2016.
La société France Médias Monde relève qu’il ressort très clairement de l’enregistrement que M. X a tenu des propos en totale opposition avec la ligne éditoriale de France 24 dans le même temps où il avait été présenté, par deux fois en direct par la présentatrice et sans réaction de sa part, en sa qualité de rédacteur en chef de cette chaîne française.
L’employeur énonce que M. X a exprimé son opinion personnelle sur un sujet très sensible sans préciser qu’il s’exprimait en son nom personnel et que ses propos n’ engageaient pas sa rédaction, que le minimum aurait été d’échanger préalablement avec la rédaction de France 24 sur le contenu et la finalité du message qu’il souhaitait délivrer afin de s’assurer qu’ils étaient conformes à la ligne éditoriale.
Il en déduit que M. X a présenté sur la chaîne d’opinion libanaise une théorie laissant penser qu’elle était l’expression de la ligne éditoriale de France 24 alors même que la théorie explicitée était aux antipodes des valeurs de la chaîne.
La société France Médias Monde fait par ailleurs valoir que la manifestation publique d’un désaccord sur la ligne éditoriale a rejailli en interne sur l’ensemble des relations avec d’autres journalistes de la rédaction ne partageant pas nécessairement l’opinion personnelle exprimée sur le plateau de la chaîne libanaise, étant rappelé que la chaîne France 24 compte 35 nationalités et France Médias Monde 66, soit autant d’avis différents sur la manière d’appréhender tel ou tel conflit international.
La lettre de licenciement en ce qu’elle se réfère explicitement à l’interview donnée par M. X lors de l’émission ‘le débat de l’heure’ sur la chaîne de télévision libanaise Almayadeen relayée sur le site ‘you tube’ le 22 avril 2016 et en ce qu’elle vise que les propos alors tenus par le rédacteur en chef sur un sujet très sensible n’ont pas respecté la ligne éditoriale de France 24 est suffisamment précise sur les faits et griefs à l’origine du licenciement.
– sur la prescription
M. X fait valoir à titre liminaire que la société France Médias Monde a eu connaissance de l’interview litigieuse dès septembre 2013 et non le 22 avril 2016, qu’il ne saurait être sanctionné trois ans après des faits dont son supérieur hiérarchique, M. H Z, était parfaitement informé puisqu’il en était le commanditaire direct et en avait opéré la validation a posteriori.
En vertu de l’article L. 1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales.
En l’espèce, il est produit aux débats l’attestation du 7 juillet 2016 de M. I Y, grand reporter à France 24, lequel rapporte que tandis que lui-même et M. X avaient rencontré un intermédiaire, le 5 septembre 2013 au soir, susceptible de leur faciliter l’obtention de visas pour se rendre en Syrie en vue d’un reportage, cet intermédiaire avait suggéré que M. X participe au nom de France 24 à une émission sur une chaîne de télévision libanaise proche du régime syrien afin de prouver que la chaîne n’avait pas de position ou de discours anti-syrien.
Ce journaliste énonce que M. X a téléphoné en sa présence et celle de l’intermédiaire en question à M. H Z, pour lui soumettre cette idée à laquelle le directeur adjoint chargé de la rédaction arabophone de France 24 a donné son aval.
M. Y ajoute que le lendemain de l’émission soit le 10 septembre 2013, M. X a reçu en sa présence un appel téléphonique dans le cadre duquel M. Z aurait énoncé avoir vu l’émission et que ‘c’était très bien’, le directeur adjoint demandant aux deux journalistes de le tenir au courant des réactions du côté syrien et de tout développement concernant les visas.
Ces éléments ne sont pas cependant rapportés dans des termes identiques par M. Z, lequel énonce, dans son attestation du 25 octobre 2016, avoir échangé à plusieurs reprises au téléphone avec M. X afin de s’assurer que ce dernier et M. Y avaient pénétré en territoire syrien en toute sécurité, avoir donné l’autorisation à M. X d’accorder une interview à la chaîne Almayadeen sans, en aucun cas, l’autoriser à se livrer à un quelconque marchandage avec le gouvernement syrien.
M. Z y vise n’avoir vu l’émission qu’au mois d’avril 2016, date à laquelle elle était accessible sur le territoire français, étant précisé qu’elle était diffusée en arabe et qu’il n’aurait pas pu la suivre sur un autre canal de diffusion antérieurement. Il conteste l’affirmation de M. X selon laquelle il aurait déclaré au téléphone que l’interview était ‘très bien’.
S’il ressort des éléments ainsi en présence que M. Z était au courant de l’interview donnée par M. X sur la chaîne libanaise Almayadeen, ils ne permettent pas de retenir que le directeur adjoint de la rédaction aurait connu en amont les argumentaires allant être développés par le journaliste.
Par ailleurs, M. Y n’était pas l’interlocuteur direct de M. Z lors de la conversation téléphonique du 10 septembre 2013 et son témoignage est dans ces conditions insuffisant pour remettre en cause celui du directeur adjoint indiquant ne pas avoir visionné l’interview dont la diffusion était restée régionale.
De même, la lettre (pièce 46-1 du salarié) de M. H Z, adressée le 3 septembre 2013 à la présidence de la république syrienne, aux termes de laquelle il est mentionné que la chaîne France 24 sollicite une interview télévisée du président Bachar al-Assad en vue de ‘mettre en lumière les visions éclairées du leadership syrien’ et d’ouvrir une nouvelle page entre France 24 et les autorités syriennes pour ‘pouvoir travailler depuis Damas en bonne intelligence dans un climat de confiance et de collaboration’ n’en vise pas moins explicitement le projet de France 24 de ‘contribuer toujours à donner une couverture objective et juste de la réalité des événements en Syrie et dans la région arabe’.
Cette lettre ne peut en tout état de cause venir établir la connaissance qu’aurait eue M. Z des propos qu’allait tenir M. X le 9 septembre 2013 en tant qu’interviewé et non d’intervieweur, ni son accord donné à ses propos a posteriori.
— sur les griefs opposés par l’employeur
— sur l’irrespect de la ligne éditoriale et la liberté d’expression du journaliste
Il est ici rappelé que le salarié jouit, dans l’entreprise et en dehors de celle-ci, de sa liberté d’expression à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées.
La liberté d’expression est protégée tant en droit interne (article L. 1121-1 du code du travail) qu’en droit international et européen, soit notamment dans le cadre du pacte international relatif aux droits civils et politiques et de la convention européenne des droits de l’homme en consacrant le principe (article 10).
Néanmoins, l’importante protection dont doivent profiter certaines professions, dont celle du journaliste, est subordonnée à la condition du respect des devoirs et responsabilités liés à cette fonction et à l’obligation corollaire de pratiquer un ‘journalisme responsable’, étant rappelé que ‘dans un monde dans lequel l’individu est confronté à un immense flux d’informations, circulant sur des supports traditionnels ou électroniques et impliquant un nombre d’auteurs toujours croissant, le contrôle du respect de la déontologie journalistique revêt une importance accrue'(CEDH Stoll c/ Suisse, 10 décembre 2007), l’irrespect d’une directive éditoriale pouvant notamment donner lieu à licenciement (CEDH Nenkova- Lalova c/ Bulgarie, 11 décembre 2012).
Des restrictions particulières à la liberté sont induites par l’obligation de loyauté envers l’employeur
et de cohérence avec la ligne éditoriale ou idéologique de la publication pour laquelle le journaliste travaille, l’article 3 de la convention collective nationale des journalistes régissant le contrat de travail de M. X,
visant le droit pour les journalistes d’avoir leur liberté d’opinion mais rappelant que ‘l’expression publique de cette opinion ne doit en aucun cas porter atteinte aux intérêts de l’entreprise dans laquelle ils travaillent’.
L’accord d’entreprise France Médias Monde régissant également les rapports entre cette société et ses salariés retient, en son article 1/3.7, le droit d’expression directe du salarié dans et hors de l’entreprise tout en précisant que ce dernier ne peut abuser de cette liberté en tenant notamment des propos ‘excessifs’.
La société France Médias Monde est, pour sa part, une société de l’audiovisuel public et, à ce titre, tenue de respecter un certain nombre de règles dont le principe de neutralité et l’obligation de donner une information libre, indépendante et pluraliste.
Elle diffuse une offre de service de télévision déclinée dans le cahier des charges de la société nationale de programmes en charge de l’audiovisuel extérieur de la France (AEF) issu du décret n°2012-85 du 25 janvier 2012.
L’article 9 de ce cahier des charges vise que la société nationale met à disposition du public une information de qualité, rigoureuse et nourrie par la confrontation des opinions favorisant des regards croisés sur l’actualité internationale tout en offrant un regard spécifiquement français sur celle-ci, l’article 19 listant un certain nombre d’obligations de la société en termes de respect de l’expression pluraliste des différents courants de pensée et de rigueur dans la présentation et le traitement de l’information.
L’article 20 de cette charte précise que la société veille à ce que le bien-fondé et les sources de l’information soient vérifiés, que dans la mesure du possible, l’origine de l’information doit être indiquée, l’information incertaine étant présentée au conditionnel, qu’il doit être fait preuve de rigueur dans sa présentation et son traitement.
La déclaration des droits et des devoirs des journalistes de Munich des 23 et 24 novembre 1971 contient une déclaration des devoirs des journalistes visant le respect de la vérité, la publication d’informations dont l’origine est connue ou dans le cas contraire la nécessité de les accompagner des réserves nécessaires.
Au regard de ces éléments visant la liberté d’expression et certaines règles la régissant, la cour observe que nonobstant les termes du courriel de l’intéressé adressé le 3 mai 2016 à ses collègues relevant que la vidéo diffusée sur le site you tube ‘est le résultat d’un montage tronqué et sélectif qui a délibérément amputé mon analyse sur les révoltes du ‘printemps arabe’ des éléments clés de mon argumentaire qui sont des arguments relevant de l’analyse géopolitique et non d’une quelconque ‘théorie du complot”, les termes de son interview justifient, à plusieurs moments, de propos sur les révolutions arabes dont celle de Lybie, éloignés de l’obligation de neutralité se déduisant de la ligne éditoriale de France 24.
L’interview dont la cour retient la traduction communiquée par l’intéressé (pièce 33-1) débute par celle de M. J A, secrétaire général du Front de libération nationale algérien, sur la position algérienne vis-à-vis de la crise en Syrie.
Si l’intéressé énonce alors qu’il ‘y a unanimité dans l’opinion publique (algérienne) et au sein de la classe politique sur la condamnation de tout projet d’intervention ou d’action militaire’, ses propos, après la diffusion de l’interview de M. A, prennent une connotation personnelle et orientée.
Ainsi, alors qu’il lui est demandé de commenter les propos de M. A, M. X s’exprime en ces termes :
traduction pièce 33-1 de l’intéressé : ‘Je dirais que ce qui caractérise le discours de M. B, comme il est de tradition chez tous les politiciens algériens, c’est cette façon directe de nommer les choses sans retenue ni détour. Je ne suis évidemment pas d’accord avec tout ce qu’il a dit.On ne peut pas mettre sur un pied d’égalité les révolutions en Tunisie et en Égypte et les événements survenus depuis lors en Libye. Ce qui a eu lieu en Tunisie était une révolution populaire, au sens le plus abouti et le plus noble du mot révolution. Et ce qui s’est passé en Égypte, ce soulèvement contre le régime déclinant et docile de Moubarak, était une révolution populaire glorieuse.
Et puis ces révolutions ont bousculé les projets de suprématie occidentale et sioniste dans la région. Il était improbable que les mouvements sionistes et les États-Unis, qui en sont les protecteurs dans la région, restent les bras croisés. Ainsi, à partir de ce qui s’est passé en Libye, lors de la révolution libyenne, ce printemps arabe a changé de trajectoire dans la mesure où l’alliance atlantique y est intervenue militairement.
De plus, il y a eu une guerre soutenue au nom du sionisme. O-P Q, ce philosophe français pro sioniste et proche du Likoud a pratiquement été le parrain de cette révolution. C’est lui qui a fait venir les leaders de l’opposition à Kadhafi en France, du temps de Sarkozy et les a accompagnés au palais de l’Élysée. Il a ainsi pu mener cette guerre. Ce qui a conduit à un changement de cap de ces révolutions’.
En parlant de ‘guerre soutenue au nom du sionisme’ dont ‘O-P Q, philosophe français pro sioniste et proche du Likoud a pratiquement été le parrain’, ‘ce qui a conduit à un changement de cap des révolutions’, M. X tient des propos personnels et orientés sans respecter l’obligation qu’il tient de son contrat de travail de respecter la ligne éditoriale de France 24 caractérisée par sa neutralité.
Par ailleurs, et en dehors de cet extrait, le salarié affirme encore : ‘il est évident que ceux qui mettent en oeuvre dans la région les projets de domination américains précédemment évoqués sont les satellites historiques de l’impérialisme américain, à savoir l’Arabie Saoudite et le Qatar’, et tient les propos suivants s’agissant de Nabil al-Arabi, secrétaire général de la ligue arabe : ‘observez-le lors des conférences de presse, il se comporte comme un subalterne. Nul besoin d’écouter ses discours, il apparaît clairement à travers sa démarche, sa posture qu’il est devenu semblable à un domestique de Hamad Bin Jassim’.
Le fait que l’interview contienne quelques propos plus généraux sur la transformation des soulèvements populaires en conflits à caractère religieux ou confessionnel ne peut venir masquer le caractère excessif des affirmations ainsi prononcées sans réserves ou références à d’autres courants de réflexion sur les révolutions arabes et le conflit syrien.
Or, ces propos sont énoncés par M. X en tant que rédacteur en chef de France 24, ce qui porte atteinte à l’image de neutralité de la société France Médias Monde.
Le caractère préjudiciable pour l’entreprise devient notable lors de la publicité qui est donnée à cette interview postée par All 4 Syria, média de l’opposition syrienne, sur le site YouTube en avril 2016, la diffusion donnant lieu à divers articles impliquant l’entreprise (pièces 49, 51 et 52 de l’appelante).
Dès lors, en ce qu’il est fondé sur l’irrespect de la ligne éditoriale de l’employeur et les propos excessifs et orientés tenus en tant que rédacteur en chef au sein de ce dernier, le licenciement de M. X ne constitue pas une atteinte à la liberté d’expression.
— sur la discrimination invoquée
M. X fait ici valoir que la société France Médias Monde a violé les dispositions des articles L. 1132-1 et suivants du code du travail, son licenciement procédant d’un acte discriminatoire.
Il fait valoir qu’il a été sanctionné au motif de ses opinions, à savoir la défense de la laïcité et de la liberté d’expression alors qu’il venait de signaler à la direction les dérives d’un autre journaliste M. K L ce, notamment dans le cadre de son courriel du 12 avril 2016.
Aux termes de ce courriel adressé à des salariés de France 24, M. X renonce à sa décision de siéger à la société des journalistes (SDJ) de France Médias Monde en énonçant les éléments suivants :
‘Je renonce (à siéger) même si je suis élu, en protestation contre les méthodes déloyales et détestables utilisées par certains de nos collègues qui, pour faire barrage à ma candidature au sein de la rédaction arabophone de France 24, ont recours aux mensonges, à la discrimination ethnico raciale et à l’incitation à la haine religieuse. Deux exemples parmi les plus choquants :
– M. K L, qui fait campagne pour la candidature de l’un de nos collègues, a approché certains de nos confrères connus pour leur piété religieuse, les incitant à ne pas me soutenir ou me faire confiance, arguant que moi et ceux qui me soutiennent sommes des athées et des communistes qui ne tolérons pas les croyants au sein de la rédaction. Est-il tolérable que dans le cadre de l’élection d’une instance dont la mission sera de contribuer au respect de l’éthique et de la déontologie, on attise ainsi la haine religieuse ‘
– M. M qui est lui-même candidat et qui, en copie comme vous tous de ce mail, a approché des collègues qu’il estime proches de moi (et qu’il prend visiblement pour des demeurés), leur disant : ‘n’oubliez pas de voter pour moi mardi car je suis sur la même liste que X’. Est-il admissible que dans le cadre de l’élection d’une instance dont la mission sera de contribuer au respect de l’éthique et de la déontologie, on use ainsi du mensonge et de la tromperie ‘
Je passe sur les manoeuvres à caractère raciste appelant à faire barrage à ma candidature et à celle de mon collègue L N au prétexte qu’il serait inacceptable que nous représentions la rédaction arabophone puisque nous sommes d’origine kabyle ! Et autres incitations discriminatoires non moins choquantes visant les candidatures de nos collègues (…) au nom de ce que certains à la rédaction arabophone appellent sarcastiquement le TSLL (tout sauf les Libanais)’.
La cour a cependant ici retenu l’existence d’éléments objectifs étrangers à toute discrimination et à l’origine du licenciement.
Par ailleurs, la société France Médias Monde justifie avoir mené une enquête suite aux accusations susvisées et dans ce cadre, par courrier du 4 mai 2016, avoir dispensé d’activité tant M. X que M. K L le temps de cette instruction.
Il ressort en effet des pièces produites que le courriel du 12 avril 2016 de l’intéressé a été suivi d’un courriel adressé le 15 avril 2016 par M. K L, chroniqueur en politique internationale, à la présidente-directrice générale de France Médias Monde, s’insurgeant contre les accusations formulées à son encontre à la suite duquel la directrice des ressources humaines, Mme C, a demandé à M. X le 19 avril 2016 d’apporter tous éléments de preuve venant au soutien de son courriel.
La société France Médias Monde justifie également d’une mise à pied conservatoire de M. K L le 24 juin 2016 et avoir saisi l’inspection du travail d’une demande d’autorisation de licenciement du salarié le 27 juillet 2016, cette demande comprenant un certain nombre de témoignages susceptibles d’être défavorables à M. K L et recueillis par l’employeur lui-même dans les termes d’un procès-verbal de constat établi par Me Maze, huissier de justice à Issy-les-Moulineaux le 26 mai 2016 (pièce 42 de la société).
Il est établi par les pièces produites que l’employeur a formé un recours devant le ministre du travail à l’encontre du refus d’autorisation de l’inspection du travail en date du 28 septembre 2016, qu’il a ensuite obtenu du tribunal administratif de Pontoise, un jugement le 7 février 2019 annulant tant les décisions de refus d’autorisation de l’inspection du travail et du ministre du travail mais qu’il s’est vu opposer une nouvelle fois un refus d’autorisation de licenciement le 5 avril 2019.
Ces éléments ne permettent pas de retenir que le licenciement de M. X serait intervenu au regard de sa dénonciation de faits relatifs à des collègues alors que la société a au contraire soumis ces faits à l’inspection du travail lors de la procédure visant à obtenir l’autorisation de licencier M. K L, lesquels sont notamment visés en page 3 de la décision de refus d’autorisation du 5 avril 2019 de cette inspection (pièce 124 de la société).
Le moyen sera donc écarté.
– sur la demande du salarié au titre du manquement de l’employeur à assurer sa défense morale et matérielle
M. X fait valoir qu’à la suite de la parution de l’interview sur YouTube et tandis que sa réputation professionnelle et son honneur étaient salis par un certain nombre de médias tant en France qu’à l’étranger, la société France Médias Monde n’a pas assuré sa protection et a donc manqué à ses obligations contractuelles et à son obligation de loyauté à son égard. Il retient aussi l’insuffisance des enquêtes.
Cependant, la société France Médias Monde doit être suivie en ce qu’elle ne pouvait défendre l’opinion personnelle exprimée par M. X alors même que les propos tenus par ce dernier dans l’interview alors diffusée étaient en contradiction avec son cahier des charges et sa ligne éditoriale.
L’enquête menée en interne concernant le conflit entre l’intéressé et M. K L a été menée par l’employeur dans les termes susvisés y compris par voie d’huissier.
Le licenciement de M. X est par ailleurs intervenu après que la société a visionné l’intégralité de l’interview, Mme C faisant état d’une traduction intégrale de celle-ci dans son courriel du 21 mai 2016 antérieur à l’entretien préalable à licenciement du 24 mai.
– sur la demande de réintégration et les demandes en paiement
La nullité du licenciement n’ayant pas été ici retenue, la demande de réintégration sera écartée par infirmation du jugement entrepris.
Les condamnations en paiement au titre du rappel de salaire et des congés payés afférents du jour du licenciement jusqu’à la réintégration, au titre des dommages-intérêts pour violation d’une liberté fondamentale, licenciement nul et manquements de l’employeur à assurer la défense du salarié seront également écartées par infirmation du jugement.
Compte tenu de cette infirmation, la restitution des sommes versées au titre de l’exécution provisoire de la décision contestée est de droit sans avoir lieu de l’ordonner.
– sur le rappel de salaires
S’agissant du rappel de salaires sollicité par M. X au regard de l’irrespect par la société France Médias Monde des engagements salariaux pris dans la lettre d’embauche, le salarié fait valoir
qu’il a été engagé à compter du 10 septembre 2012 en tant que rédacteur en chef à la rédaction arabophone, que sa promesse d’embauche faisait état d’une promesse salariale d’un montant de 6 900 euros par mois, que percevant un salaire mensuel d’un montant de 5 300 euros, il a subi, à compter de septembre 2012 et jusqu’en juin 2016, un préjudice de salaire de 1 600 euros par mois pendant 45 mois.
Il observe que l’engagement de solder son arriéré salarial n’a été honoré que tardivement et partiellement par la société appelante,
que ce rattrapage est intervenu le 15 juin 2016 soit 10 jours après son licenciement et n’a porté que sur les périodes de janvier à décembre 2015 (augmentation de 737 euros par mois) et de janvier à juin 2016 (augmentation supplémentaire de 863 euros par mois), le cumul de ces deux augmentations ramenant son salaire à 7 163 euros sur 13 mois, soit au montant visé dans la promesse salariale qui lui avait été faite à son embauche et étant tenu compte des progressions induites dans le cadre des NAO.
Il demande en conséquence de voir condamner la société France Médias Monde à lui régler la somme de 55 156 euros à titre de rappel de salaire de septembre 2012 à juin 2016 outre congés payés afférents.
La société France Médias Monde lui oppose la prescription de sa demande pour la période antérieure au 16 juin 2013 et vise que la direction n’a jamais pris l’engagement décliné par le salarié, lequel ne tient pas non plus compte d’augmentations et rappels de salaires dont il a bénéficié.
Le contrat de travail de M. X du 7 septembre 2012 retient un salaire mensuel brut d’un montant de 5 300 euros.
Le salarié produit cependant un certain nombre de pièces justifiant d’une promesse salariale lors de son engagement ayant donné lieu à des discussions avec sa hiérarchie tout au long de la relation de travail.
M. X produit ainsi aux débats son courriel du 7 février 2014 adressé à M. D, directeur de France 24, et M. H Z, aux termes duquel il rappelle l’engagement pris en septembre 2012 relativement au montant du salaire devant lui être versé. Le salarié y sollicite en conséquence, le versement d’une somme mensuelle de 1 100 euros à compter du 1er janvier 2013.
Par ailleurs, dans une lettre adressée à la direction des ressources humaines le 3 mars 2015, il explicite, dans des termes circonstanciés, que France 24 a fait appel à lui en tant que rédacteur en chef en septembre 2012 en lui demandant alors d’accepter un salaire brut de 5 300 euros correspondant au salaire maximum possible pour intégrer des fonctions sans passer par le contrôleur d’Etat ce qui aurait pris trop de temps, la direction s’engageant à réajuster son salaire à compter du 1er janvier 2013 pour le porter au niveau de la moyenne des salaires des rédacteurs en chef avec une augmentation de 1 600 euros bruts.
Il communique également le courriel de M. H Z en date du 21 juillet 2014 énonçant ‘effectivement, il y a eu cette promesse au moment de ton recrutement à l’époque de l’ancienne direction. Cela devait être réglé au 1er janvier 2013. Cela n’a pas pu se faire à cause du changement de direction même si à ma demande, tu as bien voulu patienter avec la promesse que lorsque cela allait être réglé, il y aurait un effet rétroactif à compter du début de l’année 2013. Malheureusement je suis au regret de t’informer que je ne suis plus en mesure de tenir cette promesse. Bien à toi’.
Les courriels échangés justifient que M. X et sa direction se sont rencontrés le 10 avril 2015, le salarié faisant état dans un courriel du 15 avril 2015 de ce qu’il lui a alors été énoncé par M. Z le chiffre de 1 200 euros et non de 1 600 euros, M. E, responsable des ressources humaines des
rédactions et des nouveaux médias, lui faisant, le 10 avril 2015, une proposition d’évolution de sa rémunération pluriannuelle de 5 % portant sa rémunération à 5 844 euros à partir du 1er janvier 2015 et de 6 136 euros à compter du 1er janvier 2016.
Ces éléments doivent conduire à retenir l’existence de la promesse salariale faite à M. X lors de son engagement, d’augmenter son salaire mensuel de 1 600 euros à compter du 1er janvier 2013 et compte tenu de la prescription applicable à compter du 16 juin 2013 à confirmer le jugement du conseil de prud’hommes en ce qu’il a, dans les termes d’un calcul ici validé, retenu une créance salariale d’un montant de 45 600 euros outre congés payés afférents.
– sur la prime d’ancienneté
M. X sollicite également un rappel de prime d’ancienneté sur la base d’une ancienneté professionnelle débutant le 1er juin 1990.
La société France Médias Monde fait valoir pour sa part que la justification n’est pas apportée de ce que le salarié aurait exercé une activité principale de journaliste à compter de 1990, le fait notamment qu’il a été détenteur d’une carte de presse étant inopérant, la carte d’identité professionnelle de journaliste ne lui ayant été délivrée, quant à elle, qu’à compter de 2012 par la commission de la carte et sans reprise d’une quelconque ancienneté professionnelle.
Il est ici rappelé qu’en vertu de l’article L. 7111-3 du code du travail, est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources.
Le correspondant, qu’il travaille sur le territoire français ou à l’étranger, est un journaliste professionnel s’il perçoit des rémunérations fixes et remplit les conditions prévues au premier alinéa.
Sont journalistes, au sens de cet article, ceux qui apportent une collaboration intellectuelle et personnelle à une publication périodique en vue de l’information, peu important qu’une carte professionnelle leur ait été remise.
L’article 23 de la convention collective des journalistes décline les modalités de calcul des primes d’ancienneté en fonction de ‘l’ancienneté dans la profession en qualité de journaliste professionnel’.
L’article 24 de cette convention énonce qu’on entend par présence pour le calcul de l’ancienneté du journaliste professionnel :
a) Dans la profession : le temps pendant lequel il a exercé effectivement son métier ;
b) Dans l’entreprise : le temps pendant lequel il est employé comme tel dans l’entreprise, quelles que puissent être les modifications survenant dans la nature juridique de celle-ci. Lorsqu’un journaliste remplaçant est titularisé sans qu’il y ait eu interruption de service, son ancienneté dans l’entreprise prend effet à la date de son remplacement.
En l’espèce, M. X produit aux débats :
— ses avis d’imposition de 1992 à 2007 hormis 2008,
— un contrat avec l’entreprise nationale d’édition de revues d’information et de magazines spécialisés Enerim Presse en date du 1er avril 1990 aux termes duquel il est engagé à fournir un travail de ‘collecte et de traitement d’information’ pour Parcours maghrébins et R S R T, une carte professionnelle lui étant délivrée le 22 juillet 1990 par le ministère de l’information visant cette
affectation,
— ses nominations en qualité de chef de rubrique le 14 mai 1991, de rédacteur en chef à compter du 1er octobre 1991 (R S R T) puis mars 1992 (Parcours maghrébins) jusqu’au mois de mai 1992,
— des ordres de paiement émanant de la société Saoudi Research and Marketing UK Ltd à compter du mois de septembre 1992 puis de la société Al Wasat sise à Londres à compter de 1994, ces ordres de paiement étant également justifiés pour les années 1996 à 2007,
— des ordres de paiement de la société Ass Press Tel News LTD courant 2008, 2009, 2010 et 2011,
— des ordres de paiement émanant de la société Egyptian R and TV Union en 2009 et de la radio and television Union Cairo en 2010,
— des ordres de paiement émanant de la société Akhbar Beyrouth SAL courant 2012,
— des cartes de presse étrangères délivrées par le ministère des affaires étrangères le 31 décembre 1999, le 31 décembre 2002, fin 2003 en qualité de correspondant d’Al Majalla, une carte de presse étrangère délivrée en 2011 en qualité de correspondant de la radiodiffusion télévision égyptienne,
— des bulletins de salaire délivrés par l’hebdomadaire Marianne en qualité de pigiste courant 2001, 2002, 2003 et 2008,
— des bulletins de salaire émanant de AGPI courant 2002, 2003, 2004, 2005, 2007, 2008 et 2010 en qualité de pigiste,
— un bulletin de salaire émanant de la société HFA en qualité de collaborateur extérieur au mois de janvier 2003,
— les bulletins de salaire émanant de la société Little Big Prod (convention collective de la production audiovisuelle), de novembre 2007 à juillet 2008, l’intéressé étant engagé en contrats à durée déterminée relativement à une émission Taraq Al Najah,
— une carte d’identité de journaliste professionnel délivrée pour les années 2015 et 2016.
L’examen des avis d’imposition de M. X et des pièces susvisées permet de retenir que l’intéressé a perçu en sa qualité de correspondant des rémunérations fixes et régulières par des entreprises de presse étrangères à compter de septembre 1992.;
A défaut de la justification de ses rémunérations et de l’objet précis de son travail dans ses fonctions antérieures de ‘collecte et traitement d’informations’, son ancienneté en qualité de journaliste professionnel sera retenue à compter de septembre 1992.
Dans les termes des articles 23 et 24 de la convention collective applicable, il lui était donc dû une prime d’ancienneté de 11% à compter de son engagement par la société France Médias Monde au mois de septembre 2012.
La base de calcul étant le salaire minimum de la fonction de rédacteur en chef et compte tenu de la prescription applicable, la société France Médias Monde sera condamnée à lui verser la somme de 8 222,37 euros outre congés payés afférents.
Le salaire mensuel brut de l’intéressé doit donc être retenu à la somme de 7 988,31 euros au regard des éléments ici retenus (rappel de salaires et de primes)
La société France Médias Monde devra remettre à M. X un bulletin de salaire conforme à la présente décision impliquant la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux, les circonstances de l’espèce ne nécessitant pas d’assortir ces obligations d’une astreinte.
La demande de liquidation des astreintes fixées par le conseil de prud’hommes relatives à la réintégration du salarié et à la délivrance de bulletins mensuels de salaire n’a pas lieu de prospérer eu égard aux infirmations ici prononcées de ces demandes.
Les créances salariales porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes.
La capitalisation des intérêts sollicitée sera ordonnée dans les conditions fixées à l’article 1343-2 du code civil.
– sur les demandes du syndicat des journalistes CGT
Ces demandes seront rejetées, la cour n’ayant fait droit ici qu’aux demandes salariales personnelles au salarié et sans qu’il ne soit retenu d’atteinte à l’intérêt collectif de la profession.
Il sera statué sur les dépens et frais irrépétibles dans les termes du dispositif.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris hormis en ce qu’il a condamné la société France Médias Monde à payer à M. F X la somme de 45 600 euros à titre de rappel de salaires outre 4 560 euros au titre des congés payés afférents ainsi que la somme de 1 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
FIXE le salaire mensuel brut de M. F X à la somme de 7 988,31 euros ;
CONDAMNE la société France Médias Monde à payer à M. F X la somme de 8 222,37 euros à titre de rappel de prime d’ancienneté et 822,23 euros au titre des congés payés afférents compte tenu d’une ancienneté de journaliste professionnel retenue à compter de septembre 1992 ;
DIT que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par la société de sa convocation devant le bureau de conciliation du conseil de prud’hommes ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions fixées à l’article 1343-2 du code civil ;
ORDONNE à la société France Médias Monde de remettre à M. F X un bulletin de salaire conforme à la présente décision impliquant la régularisation de sa situation auprès des organismes sociaux ;
DIT n’y avoir lieu d’assortir ces obligations d’une astreinte ;
REJETTE les autres demandes ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la société France Médias Monde à payer à M. F X la somme de 2 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
DÉBOUTE la société France Médias Monde de sa demande de ce chef ;
CONDAMNE la société France Médias Monde aux dépens.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour,les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code procédure civile et signé par Madame Isabelle VENDRYES, Président, et par Madame BOUCHET-BERT Elodie,Greffière,auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRESIDENT