M. [B] [V] a prêté 15 000 euros à son frère M. [Y] [V] en 2017, par deux remises en espèces de 7 500 euros. M. [Y] a créé la société Sarlu l’Usine, spécialisée dans le coworking, en mars 2017. En juillet 2019, M. [B] a demandé le remboursement de la somme, mais sans succès, ce qui l’a conduit à assigner son frère en avril 2021 devant le tribunal judiciaire de Nîmes. Parallèlement, il a saisi le conseil des prud’hommes de Rouen pour des salaires dus, mais a été débouté en septembre 2022. Le tribunal de Nîmes a déclaré recevable la demande de remboursement en juin 2023, mais a débouté M. [B] de ses demandes, le condamnant à payer 2 040 euros à M. [Y] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. M. [B] a interjeté appel de cette décision. M. [Y] conteste la recevabilité des demandes de M. [B], affirmant que le prêt n’existe pas et que les montants avancés étaient des investissements dans la société. Les deux parties ont formulé leurs prétentions respectives, M. [B] demandant le remboursement du prêt et des dommages-intérêts, tandis que M. [Y] cherche à voir ses demandes déclarées irrecevables.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 23/02218 –
N° Portalis DBVH-V-B7H-I33P
DD
Tribunal judiciaire
de NÎMES
13 juin 2023
RG : 21/01569
[V]
C/
[V]
Grosse délivrée
le 29/08/2024
à Me Lina Laplace-Treyture
à Me Clotilde Lamy
COUR D’APPEL DE NÎMES
CHAMBRE CIVILE
1ère chambre
ARRÊT DU 29 AOÛT 2024
Décision déférée à la cour : jugement du tribunal judiciaire de Nîmes en date du 13 juin 2023, N°21/01569
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
Mme Delphine Duprat, conseillère, a entendu les plaidoiries en application de l’article 805 du code de procédure civile, sans opposition des avocats, et en a rendu compte à la cour lors de son délibéré.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre,
Mme Delphine Duprat, conseillère,
Mme Audrey Gentilini, conseillère,
GREFFIER :
Mme Nadège Rodrigues, greffière, lors des débats, et Mme Audrey Bachimont, greffière, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 25 juin 2024, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 août 2024.
Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.
APPELANT :
M. [B] [V]
né le [Date naissance 4] 1966 à [Localité 8] (Algérie)
[Adresse 6]
[Localité 7]
Représenté par Me Jean-Christophe Garidou de la Scp MGH Avocats Associés, plaidant, avocat au barreau d’Eure
Représenté par Me Lina Laplace-Treyture, postulante, avocate au barreau de Nîmes
INTIMÉ :
M. [Y] [V]
né le [Date naissance 2] 1973 à [Localité 8] (Algérie)
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représenté par Me Clotilde Lamy de la Selarl Cabinet Lamy Pomies-Richaud Avocats Associés, plaidante/postulante, avocate au barreau de Nîmes
(bénéficie d’une aide juridictionnelle partielle numéro N°301892023004849 du 05/09/2023 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de Nîmes)
ARRÊT :
Arrêt contradictoire, prononcé publiquement et signé par Mme Isabelle Defarge, présidente de chambre, le 29 août 2024, par mise à disposition au greffe de la cour
M. [B] [V] expose avoir remis à son frère [Y] la somme de 15 000 euros au cours de l’année 2017 par le biais de deux remises en mains propres et en espèces de 7 500 euros chacune.
Le 15 mars 2017, M. [Y] [V] a immatriculé au RCS du tribunal de commerce de Rouen la Sarlu l’Usine spécialisée dans des activités de coworking.
Le 10 juillet 2019, M. [B] [V] a mis en vain en demeure son frère de lui restituer la somme de 15 000 euros avant de l’assigner le 13 avril 2021 devant le tribunal judiciaire de Nîmes aux fins de le voir condamner au remboursement de sommes prêtées et à l’indemnisation de son préjudice moral.
Parallèlement, le 13 juillet 2021, prétendant avoir été employé dans la société de son frère, il a saisi le conseil des prud’hommes de Rouen d’une demande de rappel de salaires et de remise des bulletins de salaire à l’encontre de la Sarlu l’Usine et par jugement du 19 septembre 2022, cette juridiction l’a débouté de l’ensemble de ses demandes aux motifs que la preuve de l’existence d’un lien de subordination n’était pas établie.
Par jugement du 13 juin 2023, le tribunal judiciaire de Nîmes :
– a déclaré recevable la demande en remboursement de prêt formulée par M. [B] [V] à l’encontre de M. [Y] [V],
– l’a débouté de ses demandes,
– a condamné M. [B] [V] à payer à M. [Y] [V] de la somme de 2 040 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens,
– a rappelé que la présente décision est de droit exécutoire à titre provisoire.
Par déclaration du 26 juin 2023 M. [B] [V] a interjeté appel de cette décision.
Par ordonnance du 7 mars 2023, la procédure a été clôturée le 11 juin 2024 et l’affaire fixée à l’audience du 25 juin 2024.
EXPOSÉ DES PRÉTENTIONS ET DES MOYENS
Par conclusions régulièrement notifiées le 27 septembre 2023, M. [B] [V] demande à la cour
– de déclarer son appel recevable et bien fondé,
– de confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré recevable sa demande en remboursement de prêt,
– de l’infirmer pour le surplus,
Statuant à nouveau
– de condamner M. [Y] [V] à lui payer les sommes de
– 15 000 euros à titre de remboursement du prêt opéré en 2017, avec intérêt au taux légal à compter du jour de la délivrance de l’assignation,
– 5 000 euros à titre de dommage et intérêt pour préjudice moral,
– 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de le débouter de toutes ses demandes plus amples ou contraires, et de tout appel incident.
Il prétend établir la matérialité et le montant du prêt consenti à son frère dont il entend obtenir remboursement, qui s’est accompagné d’aucun formalisme comme consenti entre membres d’une même famille et qu’il s’agit bien d’un prêt in personam et non d’un investissement dans une société lequel se serait traduit pas une acquisition de parts sociales.
Par conclusions régulièrement notifiées le 22 janvier 2024, M. [Y] [V] demande à la cour:
– d’infirmer le jugement en ce qu’il a déclaré les demandes de M. [B] [V] recevables,
Statuant à nouveau
– de déclarer les demandes formées par l’appelant irrecevables,
– de le débouter de ses demandes fins et conclusions
A titre subsidiaire
– de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté M [B] [V] de ses demandes fins et conclusions,
– de le débouter de l’intégralité de ses demandes, fins et prétentions à son encontre
A titre plus subsidiaire
– de lui accorder les plus larges délais de paiement afin de pouvoir s’acquitter des sommes qui seraient mises à sa charge en 24 mensualités égales.
En tout état de cause
– de condamner M. [B] [V] au paiement de la somme de 2 040 euros et au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il réplique que l’appelant ne justifie pas de son intérêt à agir, le véritable créancier au prêt étant la société l’Usine et non lui personnellement. Sur le fond, il considère que la preuve de l’existence d’un prêt entre eux n’est pas rapportée et soutient que les montants avancés par l’appelant constituaient un investissement dans la société, ayant eu la volonté de travailler ensemble et de créer le concept de la société l’Usine.
Il est fait renvoi aux écritures susvisées pour un plus ample exposé des éléments de la cause, des moyens et prétentions des parties, conformément aux dispositions des articles 455 et 954 du code de procédure civile.
Sur la fin de non -recevoir
L’intimé fait grief au jugement d’avoir retenu que le requérant avait intérêt à agir alors qu’il ne rapporte pas la preuve de sa qualité de créancier au titre d’un prêt personnel.
L’article 31 du code de procédure civile dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention ou pour défendre un intérêt déterminé.
En l’espèce, l’appelant expose avoir prêté la somme de 15 000 euros à l’intimé. Il produit à ce titre plusieurs écrits échangés entre les parties et leurs conseils faisant mention de divers mouvements de fonds. Sans présumer du bien fondé de l’action et de la nature des sommes en question, l’appelant dispose d’un intérêt légitime au succès ou au rejet de ses prétentions.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré recevable la demande en remboursement du prêt formulée par l’appelant.
Sur la demande en remboursement du prêt
Le tribunal a rejeté cette demande au motif que les différents échanges écrits produits par l’une et l’autre parties ne permettaient pas d’établir avec certitude si la remise des fonds litigieux avait été effectuée au profit de l’intimé en son nom personnel et en vertu d’un prêt.
L’appelant fait grief au jugement d’avoir statué ainsi alors qu’aucune pièce statutaire ou comptable ne permet d’établir que les fonds, remis en espèce, ont été versés à la personne morale de la société L’Usine gérée par son frère. Il soutient que les sommes ont biens été remises entre les mains de celui-ci en son nom personnel et que la matérialité du prêt ne peut être remise en question, son frère ayant reconnu à plusieurs reprises et par écrit être redevable financièrement à son égard de la somme de 15 000 euros.
L’intimé réplique que les sommes remises par son frère constituaient en réalité un investissement dans la société L’Usine et non un prêt personnel ; que les échanges SMS et le courrier adressé au conseil de l’appelant font seulement mention d’une dette sociale et ne peuvent caractériser la reconnaissance d’une dette à caractère personnel.
Aux termes des dispositions de l’article 1902 du code civil, l’emprunteur est tenu de rendre les choses prêtées, en même quantité et qualité, et au terme convenu.
Aux termes de l’article 9 du code de procédure civile, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Aux termes de l’article 1359 du code civil, l’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique.
Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique.
Celui dont la créance excède le seuil mentionné au premier alinéa ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande.
Cependant, en application de l’article 1360 du même code, ces règles reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit.
L’article 1366 du code civil donne à l’écrit électronique la même force probante que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantie l’intégrité.
En l’espèce, l’appelant produit au soutien de sa demande :
– la capture d’écran d’échanges par SMS datés du 12 juin 2019 entre l’appelant et le titulaire du numéro ‘[XXXXXXXX01] », attribué selon les pièces comptables fournies à M. [Y] [V],
– un courrier daté du 2 août 2019 adressé par l’intimé à son conseil.
Il ressort de ces écrits que l’intimé reconnaît avoir perçu la somme totale de 15 000 euros remise en deux fois et en espèces par son frère ; qu’il propose de procéder à un remboursement de 200 euros par mois en ces termes : ‘Je réitère ma proposition de verser à Monsieur [V] 200 euros par mois jusqu’à atteindre la somme de 15 000 € qu’il me réclame’.
Cependant, ces éléments ne permettent pas de déterminer si la remise de ces fonds a été effectuée au profit de la société L’Usine ou à M. [Y] [V] personne physique distincte.
En effet, tant les pièces visées par l’appelant que celles produites par l’intimé font mention de sommes remises à titre ‘d’apport personnel’.
L’intimé mentionne notamment dans son courrier du 2 août 2019 : ‘Monsieur [B] [V] ne m’a pas prêté d’argent. Il a choisi d’investir dans une société tout comme moi avec les risques que cela comporte.’
L’appelant, dans les SMS et mails versés par l’intimé, qualifie lui-même à plusieurs reprises d’ ‘apport’ la somme dont il réclame aujourd’hui le remboursement (pièce n°10 et pièce n°11).
Ainsi, les éléments de preuve soumis à la cour ne permettent pas de distinguer si la somme de 15 000 euros objet de la présente procédure a été remise à l’intimé en sa qualité de gérant de la société L’Usine et à titre d’apport au capital de celle-ci ou si elle constitue un prêt personnel relevant des dispositions de l’article 1902 du code civil.
L’appelant ne peut sans inverser la charge de la preuve faire peser sur l’intimé l’obligation de démontrer l’existence d’un investissement au sein de la société L’Usine.
En conséquence, le jugement sera confirmé en ce qu’il l’a débouté de ses demandes.
Sur les autres demandes
Succombant en appel, l’appelant sera condamné à supporter les dépens de l’instance en application de l’article 696 du code de procédure civile.
L’équité ne commande pas ici de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour,
Déclare recevable l’action de M. [B] [V],
Confirme en toutes ses dispositions le jugement dont appel,
Déboute M. [B] [V] de ses demandes, fins et conclusions,
Condamne M. [B] [V] aux entiers dépens de l’instance,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par la présidente et par la greffière.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,