La cour a jugé que les demandes de Monsieur [B] [I] concernant la condamnation de la société O’KUMPIR’LAND en paiement de sommes au titre de l’exécution et de la rupture d’un contrat de travail sont irrecevables en application du principe de l’arrêt des poursuites individuelles. En effet, dès l’ouverture de la procédure collective, toute demande tendant à la condamnation de l’employeur est irrecevable et il revient au salarié de solliciter la fixation de sa créance au passif de la procédure collective de l’employeur.
Concernant l’existence d’un contrat de travail entre Monsieur [B] [I] et la société O’KUMPIR’LAND, la cour a considéré que Monsieur [B] [I] n’a pas démontré l’existence d’un tel contrat. En l’absence de contrat de travail apparent et de preuves suffisantes de l’existence d’un lien de subordination, Monsieur [B] [I] a été débouté de toutes ses demandes à l’encontre de la société O’KUMPIR’LAND.
En conséquence, Monsieur [B] [I] a été condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel, sans qu’il y ait lieu à une condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
23 JANVIER 2024
Arrêt n°
CHR/SB/NS
Dossier N° RG 21/01742 – N° Portalis DBVU-V-B7F-FU4M
L’UNEDIC, Delegation AGS, CGEA d'[Localité 8], Association declaree,
/
[B] [I], S.E.L.A.R.L. MANDATUM LJ de la SAS O’KUMPIR’LAND
jugement au fond, origine conseil de prud’hommes – formation paritaire de clermont ferrand, décision attaquée en date du 07 juillet 2021, enregistrée sous le n° f 19/00517
Arrêt rendu ce VINGT TROIS JANVIER DEUX MILLE VINGT QUATRE par la QUATRIEME CHAMBRE CIVILE (SOCIALE) de la Cour d’Appel de RIOM, composée lors du délibéré de :
M. Christophe RUIN, Président
Mme Frédérique DALLE, Conseiller
Mme Karine VALLEE, Conseiller
En présence de Mme Séverine BOUDRY greffier lors des débats et du prononcé
ENTRE :
L’UNEDIC, Delegation AGS, CGEA d'[Localité 8], Association declaree, representee par sa Directrice Nationale, Madame [M] [Z],
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Représentée par Me Emilie PANEFIEU, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
APPELANTE
ET :
M. [B] [I]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Naïma IZZIR suppléant Me Mohamed KHANIFAR, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/08219 du 27/08/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de CLERMONT-FERRAND)
S.E.L.A.R.L. MANDATUM és qualité de liquidateur judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND
[Adresse 4]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Représentée par Me Philippe CRETIER de la SELARL CLERLEX, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
INTIMES
Mr RUIN, Président en son rapport, après avoir entendu les représentants des parties à l’audience publique du 16 Octobre 2023, la Cour a mis l’affaire en délibéré, Monsieur le Président ayant indiqué aux parties que l’arrêt serait prononcé, ce jour, par mise à disposition au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450 du code de procédure civile.
FAITS ET PROCÉDURE
La SAS O’KUMPIR’LAND (RCS CLERMONT-FERRAND 828 156 711) exploitait un commerce de restauration rapide (type sandwicherie et salon de thé) sous l’enseigne O’FRENCHY’S sis [Adresse 1] à [Localité 7] (63).
Monsieur [B] [I], né le 25 février 1985, prétend avoir été embauché par la SAS O’KUMPIR’LAND à compter du 4 septembre 2017, en qualité d’employé polyvalent, suivant un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet.
Le 12 octobre 2018, Monsieur [B] [I] a envoyé un courrier recommandé daté du 10 octobre 2018 (avec accusé de réception signé le 17 octobre 2018), à la SAS O’KUMPIR’LAND qui est rédigé en ces termes :
‘[F],
Tu m’as embauché par contrat de travail à durée indéterminée le 4 septembre 2017.
J’ai travaillé du matin au soir (10h/minuit) du lundi au dimanche.
J’ai été en arrêt de travail du 4 juin 2018 au 10 septembre 2018.
Tu sais bien que je me suis blessé au restaurant le 4 juin 2018.
Les pompiers sont venus me chercher pour m’amener au CHU.
Depuis mon embauche en septembre 2017, tu m’as pas payé mes salaires.
Au mois de juillet et août 2017, j’ai travaillé. Tu m’as pas payé mes salaires.
Tout ça est de ta faute.
Quand je suis revenu d’arrêt maladie, tu as refusé que je reprenne mon poste de travail.
Tout ça est de ta faute.
J’attends le paiement de mes salaires et heures supplémentaires.
Cette lettre t’est adressée pour te faire comprendre que je prends acte de la rupture de mon contrat de travail à tes torts exclusifs.
J’attends mes documents, certificat de travail et attestation pôle emploi.
[B] [I]’
Le 5 novembre 2018, Monsieur [B] [I] a saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND d’une demande de rappel de salaires.
Par ordonnance du 12 décembre 2018, la formation de référé du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND a :
– dit qu’il y a lieu à référé ;
– constaté et pris acte que la SAS O’KUMPIR’LAND ne rapporte pas la preuve du versement des salaires et que Monsieur [I] a pris acte de la rupture de son contrat de travail le 10 octobre 2018 aux torts exclusifs de son employeur ;
– ordonné à la SAS O’KUMPIR’LAND à verser à Monsieur [I] les sommes suivantes à titre de provision :
* 14.897,77 euros brut au titre des salaires impayés de septembre 2017 au 10 octobre 2018, outre 1.489,77 euros brut au titre des congés payés afférents,
* 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné à la SAS O’KUMPIR’LAND de remettre à Monsieur [I] les documents suivants : attestation Pôle Emploi, certificat de travail et reçu pour solde de tout compte, le tout sous astreinte de 30 euros par jour de retard à compter du 15ème jour suivant la notification de la présente décision et limitée à 30 jours, la formation de référé se réservant le droit de procéder à sa liquidation ;
– débouté Monsieur [I] du surplus de ses demandes et renvoyé les parties à mieux se pourvoir, si elles l’estiment utile, devant le juge du fond ;
– mis les frais et dépens à la charge de la SAS O’KUMPIR’LAND, lesquels seront recouvrés comme en matière d’aide juridictionnelle.
Par jugement du 19 septembre 2019, sur saisine de Monsieur [B] [I] faisant état de l’ordonnance de référé du 12 décembre 2018, le tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND a ouvert la procédure de liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND (non représentée à l’audience du tribunal de commerce), fixé au 12 décembre 2018 la date de cessation des paiements, désigné la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [X] [S], en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 20 janvier 2020,l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8] a formé un recours (tierce opposition) contre l’ordonnance de référé du 12 décembre 2018.
Par ordonnance en date du 5 juin 2020, la formation de référé du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND a :
– déclaré irrecevable la tierce opposition formée par l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8] à l’encontre de l’ordonnance de référé rendue le 12 décembre 2018 ;
– débouté la SELARL MANDATUM en qualité de liquidateur judiciaire de la société O’KUMPIR’LAND et Monsieur [I] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
– renvoyé les parties à mieux se pourvoir, si elles l’estiment utile, devant le juge du fond en déposant une demande devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes ;
– dit que les dépens seront supportés par l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8].
Le 12 juin 2020,l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8] a interjeté appel contre l’ordonnance de référé du 5 juin 2020.
Par arrêt rendu contradictoirement le 2 février 2021 (RG 20/00692), la chambre sociale de la cour d’appel de RIOM a :
– réformé l’ordonnance entreprise, sauf en ce qu’elle a rejeté les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile et renvoyé les parties à se pourvoir au fond, si elles l’estiment utile, devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes ;
Statuant à nouveau,
– déclaré la tierce opposition formée par l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8] recevable ;
– dit n’y avoir lieu à référé dans les rapports entre Monsieur [B] [I] et l’UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8] ;
– condamné Monsieur [B] [I] aux dépens de première instance ;
Y ajoutant,
– débouté la SELARL MANDATUM en qualité de liquidateur judiciaire de la société O’KUMPIR’LAND et Monsieur [B] [I] de leur demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné Monsieur [B] [I] aux dépens d’appel ;
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Le 4 novembre 2019, Monsieur [B] [I] a saisi le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND aux fins notamment, suite à sa prise d’acte du 10 octobre 2018, de voir condamner la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [X] [S], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND, à lui payer des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, des dommages-intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement, une indemnité de licenciement et une indemnité compensatrice de préavis.
L’affaire a directement été portée devant le bureau de jugement du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND (convocation des défendeurs les 7 et 8 novembre 2019).
Au cours de la procédure prud’homale, Monsieur [B] [I] a également demandé un rappel de salaire pour la période du 4 septembre 2017 au 10 octobre 2018.
Par jugement rendu contradictoirement le 7 juillet 2021 (RG F 19/00517), le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND a :
– dit et jugé recevables et bien fondées les demandes de Monsieur [B] [I] ;
– dit que la relation de travail entre Monsieur [I] et la SAS O’KUMPIR’LAND est
un contrat de travail à durée indéterminée et que Monsieur [I] avait le statut de salarié ;
– dit et jugé que Monsieur [I] n’a perçu aucune rémunération depuis son embauche ;
– dit et jugé que la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur s’apparente à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les mêmes effets ;
– fixé la créance de Monsieur [I] à la liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND aux sommes suivantes :
* 14. 897,77 euros au titre de rappel des salaires impayés du 04/09/2017 au 10/10/2018, outre 1.489,77 euros au titre des congés payés afférents,
* 1.480,03 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif,
* 370 euros au titre de l’indemnité de licenciement,
* 1.480,03 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, outre 148 euros au titre des congés payés afférents ;
– débouté Monsieur [B] [I] de sa demande au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;
– dit et jugé que le présent jugement sera opposable au CGEA d'[Localité 8] dans les limites fixées par la loi et que le présent jugement ne prononce aucune condamnation à leur encontre,
– dit et jugé que l’AGS procédera à l’avance des créances visées aux articles L.3253-6 et suivants du Code du Travail, que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L.3253-15 et suivants du Code du Travail ;
– dit et jugé que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle est évaluée le montant total des créances garanties, compte-tenu du plafond applicable, ne s’exécutera que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire ;
– dit et jugé que le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux ;
– dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire pour les condamnations qui
ne le sont pas de droit ;
– condamné la SELARL MANDATUM, liquidateur judiciaire, aux entiers dépens
Le 30 juillet 2021, l’UNEDIC, Délégation AGS CGEA d'[Localité 8] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié à sa personne le morale le 12 juillet précédent.
Vu les conclusions notifiées à la cour le 20 octobre 2021 par l’UNEDIC, délégation AGS CGEA d'[Localité 8],
Vu les conclusions notifiées à la cour le 7 décembre 2021 par la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [X] [S], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND,
Vu les conclusions notifiées à la cour le 11 janvier 2022 par Monsieur [B] [I],
Vu l’ordonnance de clôture rendue le 18 septembre 2023.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, l’UNEDIC, Délégation AGS CGEA d'[Localité 8], demande à la cour de :
A TITRE PRINCIPAL, infirmer le jugement (sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [B] [I] de sa demande au titre du non-respect de la procédure de licenciement, dit et jugé que le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux, dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire pour les condamnations qui ne le sont pas de droit) et, statuant à nouveau, de :
In limine litis :
– Déclarer irrecevables les demandes de condamnations de la SAS O’KUMPIR’LAND en application de l’article L.622-21 du Code de Commerce ;
– Déclarer la garantie de l’UNEDIC, AGS/CGEA exclue en l’absence de demandes formulées à son encontre ;
A titre principal :
– Déclarer que Monsieur [B] [I] avait la qualité de dirigeant de fait ;
– Débouter Monsieur [B] [I] de l’intégralité de ses fins, demandes et conclusions.
A titre subsidiaire, si la qualité de salariée devait être reconnue à Monsieur [I] :
– Débouter Monsieur [B] [I] de sa demande de cumul de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages et intérêts pour non-respect de la procédure de licenciement ;
– Débouter Monsieur [B] [I] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
– Déclarer l’article 700 du Code de Procédure Civile exclu de la garantie de l’UNEDIC, AGS/CGEA ;
– Débouter Monsieur [B] [I] de l’intégralité de ses fins, demandes et conclusions.
A TITRE SUBSIDIAIRE
– Voir déclarer l’arrêt à intervenir opposable à l’A.G.S et au C.G.E.A. d'[Localité 8] en qualité de gestionnaire de l’A.G.S, dans les limites prévues aux articles L.3253-1 et suivants (Article L.3253-8), D.3253-5 du Code du travail et du Décret n° 2003-684 du 24 juillet 2003 ;
– Voir dire et juger que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, au plafond défini à l’article D.3253-5 du Code du Travail ;
– Voir dire et juger que les limites de leur garantie sont applicables ;
– Voir dire et juger que l’arrêt à intervenir ne saurait prononcer une quelconque condamnation à leur encontre ;
– Voir dire et juger que l’A.G.S ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-1 et suivants du Code du Travail (article L.3253-8 du Code du Travail) que dans les termes et conditions résultant des dispositions des articles L.3253-1 et suivants du Code du
Travail (article L.3253-8 du Code du Travail);
– Voir dire et juger que l’obligation du C.G.E.A de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafonds applicables, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par le mandataire judiciaire ;
– Voir dire et juger que le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux (article L.622-28 et suivants du Code de Commerce).
L’appelante conclut tout d’abord à l’irrecevabilité des demandes du salarié tendant à la condamnation de l’employeur en personne, dès lors que seule une demande de fixation au passif de la liquidation judiciaire peut présentement être déclarée recevable à raison de la liquidation judiciaire de la société O’KUMPIR’LAND. Elle ajoute, au vise des dispositions de l’article R. 1453-5 du code du travail, que le conseil de prud’hommes ne peut statuer que sur les demandes présentées au dispositif des dernières conclusions des parties en sorte qu’en l’espèce, en l’absence de demande de garantie de sa part en première instance et de fixation au passif de la liquidation judiciaire de l’employeur, les premiers juges ne pouvaient statuer sur ces points de contestation. Elle considère enfin que les premiers juges ont statué ultra petita en mentionnant dans le dispositif de leur décision une fixation au passif de la société des condamnations prononcées alors même que Monsieur [B] [I] se contentait de solliciter la condamnation de l’employeur à lui verser les sommes afférentes.
Sur le fond, elle conteste que Monsieur [B] [I] ait eu la qualité de salarié de la société O’KUMPIR’LAND mais relève qu’il en était au contraire le dirigeant de fait avec une procuration générale sur les comptes. Elle fait remarquer que celui-ci était associé minoritaire de la société, qu’il ne justifie pas de l’existence d’un contrat de travail signé par les parties et ce alors même que l’ensemble des conventions passées entre un associé et l’entreprise doivent être préalablement approuvées en assemblée générale des associés conformément à l’article 18 des statuts, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Elle rappelle qu’en l’absence de contrat de travail apparent, il appartient à celui qui se prévaut de l’existence d’un tel contrat d’en rapporter la preuve. Elle soutient à cet égard que Monsieur [B] [I] est défaillant à démontrer qu’il aurait effectué une prestation de travail pour le compte de la société employeur dans le cadre d’un lien de subordination.
Elle relève au contraire que :
– dans le cadre d’une instance en référé, le dirigeant de droit avait indiqué que Monsieur [B] [I] gérait l’entreprise ;
– le 13 décembre 2017, le dirigeant de droit à accordé à Monsieur [B] [I] une procuration générale à effet de ‘régir et administrer, tant activement que passivement pour lui-même et en son nom, tous les comptes et contrats actuels et futurs, sans exception, ouvert à son nom auprès de la banque’ ;
– Monsieur [B] [I] a omis d’indiquer son accident du travail et son indemnisation par la CPAM ;
– Monsieur [B] [I] était l’interlocuteur du comptable de l’entreprise ;
– Monsieur [B] [I] n’a jamais émis la moindre réclamation durant une année quant à la non perception des salaires telle qu’alléguée dans le cadre du présent litige ;
Dans ses dernières écritures, la SELARL MANDATUM, en qualité de liquidateur judiciaire de la société O’KUMPIR’LAND, demande à la cour de juger l’appel, de réformer le jugement déféré et, en conséquence, de :
In limine litis, dire et juger en l’état irrecevables les demandes en condamnation présentées par Monsieur [I] ;
A titre subsidiaire, dire et juger prescrites les demandes présentées par Monsieur [I] afférentes à son contrat de travail ;
A titre infiniment subsidiaire, dire et juger que Monsieur [I] avait la qualité de dirigeant de fait ;
– Rejeter dès lors l’intégralité des demandes, fins et conclusions de ce dernier ;
A titre très infiniment subsidiaire, et votre Cour devait reconnaître la relation de travail, alors :
– Lui donner acte qu’elle s’en remettrait à droit s’agissant de la requalification de la rupture ;
– Strictement limiter les dommages et intérêts susceptibles d’être octroyés à Monsieur [I] suite à la requalification de la rupture en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, à la seule somme de 749,00 euros ;
– Débouter par ailleurs Monsieur [I] de sa demande indemnitaire pour non-respect de la procédure de licenciement en l’absence de démonstration d’un quelconque préjudice ;
– Donner acte à la SELARL MANDATUM, es-qualité, que celle-ci s’en remet à droit s’agissant de l’indemnité de préavis, des congés payés afférents et de l’indemnité de licenciement ;
– Débouter Monsieur [I] de sa demande au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
– Statuer ce que de droit sur les dépens.
La SELARL MANDATUM relève, in limine litis, l’irrecevabilité des demandes présentées par le salarié et tendant à la condamnation de l’employeur en personne en application des dispositions de l’article L. 622-21 du code du commerce, lesquelles disposent en effet que le jugement d’ouverture de la procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice, notamment la condamnation du débiteur au paiement d’une somme d’argent. Elle précise qu’il s’agit d’une fin de non-recevoir d’ordre public devant être relevée d’office par le juge. Elle fait enfin remarquer que Monsieur [B] [I] n’a pas formulé de demande de fixation au passif lors de ses conclusions de première instance et que les premiers juges ont manifestement statué ultra petita en mentionnant, au sein de leur dispositif, la fixation au passif des créances salariales pourtant non réclamée par le demandeur.
Elle relève ensuite la prescription des demandes présentées par Monsieur [B] [I] au motif qu’en ayant pris acte de la rupture de son contrat de travail le 10 octobre 2018, il pouvait valablement saisir la juridiction prud’homale d’une contestation relative à la rupture de son contrat de travail jusqu’au 10 octobre 2019, ce qu’il n’a présentement pas fait dans le délai imparti puisque sa requête introductive date du 4 novembre suivant. Elle conteste à cet égard que la procédure de référé ait interrompu le délai de prescription dès lors que cette saisine n’avait pas pour effet de contester la rupture de son contrat de travail, demande qu’il défère en revanche à la présente cour.
Sur le fond, elle fait valoir que Monsieur [B] [I] était associé minoritaire de la société, qu’il produit un contrat de travail écrit non signé et n’ayant pas été soumis à l’approbation de l’assemblée générale des associés alors même qu’il s’agit d’une convention réglementée par l’article 18 de ses statuts. Elle en déduit que Monsieur [B] [I] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un contrat de travail. Elle soutient enfin que celui-ci exerçait en réalité les fonctions de dirigeant de fait de la société O’KUMPIR’LAND lorsque son dirigeant de droit était à l’étranger. Elle conclut ainsi au débouté de Monsieur [B] [I] s’agissant de l’ensemble des demandes qu’il formule au titre de l’existence d’un contrat de travail et subséquemment, de la rupture de la relation contractuelle de travail.
Dans ses dernières écritures, Monsieur [B] [I] demande à la cour de :
– Déclarer ses demandes salariales et indemnitaires recevables et écarter toute argumentation contraire,
– Déclarer ses demandes salariales et indemnitaires non-prescrites et écarter toute argumentation contraire,
-Confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de CLERMONT-FERRAND le 07/07/2021 en ce qu’il a :
– Dit et jugé recevables et bien fondées ses demandes ;
– Dit que la relation de travail le liant à la SAS O’KUMPIR’LAND est un contrat de travail à durée indéterminée et qu’il avait le statut de salarié,
– Dit et jugé qu’il n’a perçu aucune rémunération depuis son embauche,
– Dit et jugé que la rupture du contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur s’apparente à un licenciement sans cause réelle et sérieuse et en produit les mêmes effets,
– Fixé sa créance à la liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND aux sommes suivantes : 14 897,77 euros au titre de rappel des salaires impayés du 04/09/2017 au 10/10/2018, 1489,77 euros au titre des congés payés afférents, 370 euros au titre de l’indemnité de licenciement, 1480,03 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis, 148 euros au titre des congés payés afférents,
– Infirmer le jugement en ce qu’il a fixé sa créance à la liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND la somme de 1480,03 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif et l’a débouté de sa demande au titre du non-respect de la procédure de licenciement ;
– Fixer sa créance à la liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND à la somme de 3000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif, sans cause réelle et sérieuse, outre 1500 euros à titre de dommages-intérêts pour non-respect de la procédure ;
– Condamner la SELARL MANDATUM prise en la personne de son représentant légal à lui payer la somme de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de Procédure Civile eu égard à l’équité et au travail accompli, en sachant qu’il s’engage à
renoncer au bénéfice de l’aide juridictionnelle en application de l’article 37 de la loi du 31 juillet 1991 relative à l’aide juridique,
– Condamner l’UNEDIC et la SELARL MANDATUM aux entiers dépens.
Monsieur [B] [I] fait valoir qu’en application des dispositions de l’article 561 du code de procédure civile, la cour se trouve saisie de l’entier litige en sorte qu’il lui appartient de se prononcer sur le bien fondé de sa demande de fixation de sa créance salariale au passif de la liquidation judiciaire de la société O’KUMPIR’LAND.
S’agissant ensuite de la prescription, il rappelle que l’action en paiement des salaires se prescrit par trois ans, que l’action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit quant à elle par douze mois à compter de la notification de la rupture, et que toute demande en justice, en ce compris en référé, a pour effet d’interrompre le cours du délai de prescription ainsi que celui du délai de forclusion. Il précise avoir au cas présent saisi la formation de référé du conseil de prud’hommes le 5 novembre 2018, cette requête ayant de la sorte interrompu le délai de prescription de douze mois, lequel a recommencé à courir le 12 décembre 2018, date de l’ordonnance de référé. Il en déduit qu’en ayant saisi au fond le conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND selon une requête introductive datée du 4 novembre 2018 où il contestait déjà la rupture, sa demande indemnitaire est parfaitement recevable car non prescrite. Il relève en tout état de cause que la SELARL MANDATUM ne sollicite pas la réformation des demandes précitées.
Sur le fond, il soutient qu’il appartient à l’UNEDIC et au liquidateur judiciaire, lesquels invoquent l’existence d’un contrat de travail fictif, d’en rapporter la preuve. Il prétend à cet égard que la circonstance selon laquelle il était associé minoritaire de la société n’est pas de nature à caractériser la fictivité du contrat de travail. Il réfute ainsi avoir eu la qualité de dirigeant de fait de l’entreprise O’KUMPIR’LAND, l’existence notamment d’une procuration lui ayant conféré le pouvoir de régir et administrer, tant activement que passivement pour lui-même et en son nom, tous les comptes et contrats actuels et futurs, sans exception, ouvert au nom de l’entreprise auprès de la banque n’est pas suffisante à établir qu’il aurait eu la qualité de dirigeant de fait. Il relève enfin l’existence d’un contrat de travail écrit le liant à la société et réfute que celui-ci aurait dû être soumis à l’approbation de l’assemblée générale des associés. Il souligne enfin que la déclaration préalable à l’embauche a été effectuée auprès de l’URSSAF d’AUVERGNE. Il revendique ainsi sa qualité de salarié et réclame le rappel de salaires afférent.
Monsieur [B] [I] considère ensuite que le non paiement des salaires par l’employeur constitue un manquement particulièrement grave de nature à justifier le bien fondé de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur, celle-ci devant dès lors produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il s’estime subséquemment bien fondé à percevoir les indemnités de rupture afférentes outre l’indemnisation du préjudice subi, et réclame ainsi la fixation de leurs montants au passif de la liquidation judiciaire de la société O’KUMPIR’LAND.
Pour plus ample relation des faits, de la procédure, des prétentions, moyens et arguments des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il y a lieu de se référer à la décision attaquée et aux dernières conclusions régulièrement notifiées et visées.
MOTIFS
– Sur la recevabilité des demandes de Monsieur [I] –
L’article L. 622-21 I du Code de commerce énonce le principe de l’interdiction de toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n’est pas mentionnée au I de l’article L. 622-17 du Code de commerce et tendant à la condamnation du débiteur en paiement d’une somme d’argent ou à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent. Ce principe de l’arrêt des poursuites individuelles concerne tous les créanciers, y compris les salariés, et s’applique dès lors que la créance est antérieure à l’ouverture de la procédure collective. Par conséquent, à compter du jugement prononçant l’ouverture d’une procédure collective, l’instance prud’homale conduit uniquement à la fixation de la créance du salarié au passif de la procédure collective de l’employeur et non pas à la condamnation de l’entreprise en difficulté. Dès lors, pour une créance née avant l’ouverture de la procédure collective, toute demande tendant à la condamnation de l’employeur est irrecevable en application du principe de l’arrêt des poursuites individuelles. Ce faisant, dans ce cas, il appartient au salarié de solliciter expressément la fixation de sa créance au passif de la procédure collective de l’employeur.
Devant la cour d’appel de Riom, Monsieur [B] [I] demande la fixation de ses créances, au titre de l’exécution comme de la rupture d’un contrat de travail, au passif de la liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND.
En première instance, une fois prononcé et notifié le jugement de liquidation judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND (jugement du 19 septembre 2019 du tribunal de commerce de CLERMONT-FERRAND), Monsieur [B] [I] a notifié de nouvelles conclusions pour demander au conseil de prud’hommes de condamner la SAS O’KUMPIR’LAND, prise en la personne de son représentant légal, la SARL MANDATUM, représentée par Maître [X] [S], à lui payer des sommes au titre de l’exécution comme de la rupture d’un contrat de travail l’ayant lié à la SAS O’KUMPIR’LAND.
S’agissant des instances prud’homales, la chambre sociale de la Cour de cassation a adopté une application souple et favorable aux salariés des principes susvisés, jugeant notamment que ‘dès lors que, dans le cadre d’une instance en cours devant la juridiction prud’homale à la date du jugement d’ouverture d’une procédure collective, une cour d’appel constate que les organes de la procédure étaient dans la cause, il lui appartenait de se prononcer d’office sur l’existence et le montant des créances alléguées par le salarié en vue de leur fixation au passif de la procédure collective, peu important que les conclusions du salarié aient tendu à une condamnation au paiement’ (10 novembre 2021 / pourvoi n° 20-14529).
La Cour de cassation semble considérer ainsi que même en présence de demandes du salarié visant la condamnation de la personne morale sous procédure collective (et non la fixation au passif de la procédure collective), le juge prud’homal, dès lors qu’il constate que les organes de la procédure collective sont régulièrement dans la cause, doit se prononcer d’office sur l’existence et le montant des créances alléguées par le salarié en vue de leur fixation au passif de la procédure collective.
La décision du conseil de prud’hommes sera donc confirmée en ce qu’il a été jugé que la formulation des demandes de Monsieur [B] [I] est conforme aux dispositions du code de commerce.
L’association UNEDIC, délégation AGS, CGEA d'[Localité 8], et la SELARL MANDATUM, représentée par Maître [X] [S], en qualité de liquidateur judiciaire de la SAS O’KUMPIR’LAND, seront déboutées de leur demande afin de déclarer irrecevables les demandes en condamnation de Monsieur [B] [I].
– Sur l’existence d’un contrat de travail entre Monsieur [I] et la société O’KUMPIR’LAND –
Relèvent de la compétence prud’homale les litiges s’élevant à l’occasion du contrat de travail, qu’ils soient nés au cours de l’exécution du contrat de travail, voire avant un début d’exécution du contrat de travail, ou après la cessation du contrat de travail s’ils se rattachent à celui-ci, ou à l’occasion de l’application d’une convention accessoire au contrat de travail. Relèvent de la compétence prud’homale les litiges entre employeur et salarié, ou entre salariés à l’occasion du travail.
La compétence du juge prud’homal est subordonnée à l’existence d’un contrat de travail au sens de la législation du travail. Il n’est pas nécessaire que le contrat de travail ait reçu un début d’exécution. Une promesse de contrat de travail (ou d’embauche), même non suivie d’effet, suffit pour que la juridiction prud’homale soit compétente.
Le juge prud’homal est compétent pour statuer sur l’existence d’un contrat de travail et sur la détermination de la qualité d’employeur.
En l’absence de définition légale du contrat de travail, la jurisprudence considère qu’il y a contrat de travail quand une personne (salarié) s’engage à travailler pour le compte et sous la direction d’une autre (employeur, personne morale ou physique) moyennant rémunération.
Cette définition jurisprudentielle du contrat de travail fait apparaître trois éléments :
– la prestation de travail, qui peut avoir pour objet les tâches les plus diverses (travaux manuels, intellectuels, artistiques…), dans tous les secteurs professionnels ;
– la rémunération, contrepartie de la prestation de travail, peu importe qu’elle soit versée en argent ou en nature et calculée au temps, aux pièces ou à la commission ;
– la subordination juridique du salarié qui accepte de fournir une prestation de travail vis-à-vis de l’employeur qui le rémunère en conséquence (critère décisif).
Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.
La subordination juridique est un critère spécifique et fondamental du contrat de travail.
La dépendance économique ou les liens économiques ne caractérisent pas à eux-seuls l’existence d’un contrat de travail, la subordination économique ne pouvant être assimilée à la subordination juridique.
Le pouvoir de direction, de contrôle et de sanction de l’employeur, qui marque l’existence d’un lien de subordination, peut apparaître à travers différentes contraintes ou obligations imposées par l’employeur (lieu de travail, horaires, fourniture du matériel, mise à disposition du personnel, intégration à une service organisé etc.) qui constituent des simples indices en la matière.
L’existence d’une relation de travail salariale ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. C’est en principe à celui qui se prévaut d’un contrat de travail d’en établir l’existence. Toutefois, en présence d’un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d’en rapporter la preuve. Mais des bulletins de paie établis par un tiers ne créent pas l’apparence d’un contrat de travail. La preuve du contrat de travail est libre. Tous les procédés de preuve peuvent donc être utilisés et tout élément matériel peut être pris en compte.
La qualité de dirigeant de fait d’une société est caractérisée par l’immixtion dans des fonctions déterminantes pour la direction générale de l’entreprise. Est dirigeant de fait celui qui est le véritable animateur de la société. Le dirigeant de fait se définit comme celui qui en toute indépendance et liberté exerce une activité positive de gestion et de direction et se comporte, sans partage, comme maître de l’affaire. Il va exercer cette activité positive de gestion et de direction de l’entreprise sous le couvert et au lieu et place du représentant légal. Le dirigeant de fait va exercer toutes les attributions qui sont dévolues au dirigeant de droit.
L’attribution de la qualité de dirigeant de fait à une personne suppose que celle-ci a indûment participé à la gestion de la société, qu’elle a violé le principe de non immixtion dans la gestion de cette société. L’immixtion dans la gestion de la société est l’exercice indu, par une personne, du pouvoir que le droit reconnaît normalement au dirigeant social régulièrement désigné.
La Cour de cassation a donné la définition suivante des dirigeants de fait : ‘Les personnes tant physiques que morales qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées dans la gestion, l’administration ou la direction d’une société, celles qui en toutes souveraineté et indépendance, ont exercé une activité positive de gestion et de direction engageant la société sous couvert ou au lieu et place de ses représentants légaux.’
Pour retenir une direction ou gérance de fait de l’entreprise, les juges ne considèrent pas un seul critère qui serait déterminant mais un faisceau d’indices (direction des affaires sociales, signature des documents commerciaux et administratifs, engagements bancaires, réalisation d’opérations ou d’acquisitions importantes etc.). La notion de dirigeant de fait nécessite la réunion d’un faisceau d’indices concordants, comme la signature bancaire, la signature des documents commerciaux et administratifs ou la gestion effective de contrats d’importance avec les clients.
Le dirigeant de fait peut avoir un lien avec la société, rémunéré ou non (salarié, associé, actionnaire,’) ou être en relation avec elle (fournisseur, client) ou bien encore être juste un proche du dirigeant de droit.
Le dirigeant de fait peut être aussi bien une personne physique qu’une personne morale. La qualité de dirigeant de fait ne se présumant pas, il appartient à celui qui en soutient l’existence d’en apporter la preuve.
Être associé minoritaire de l’entreprise ne vaut pas présomption de gérance ou direction de fait ni d’absence de lien de subordination.
En l’espèce, Monsieur [B] [I] soutient qu’il a été salarié par la SAS O’KUMPIR’LAND du 4 septembre 2017 au 10 octobre 2018, en qualité d’employé polyvalent, suivant un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Il ajoute qu’il était le seul salarié employé au sein du commerce de restauration rapide sis [Adresse 1] à [Localité 7]. Il affirme n’avoir géré ou cogéré, en droit ou en fait, la société O’KUMPIR’LAND.
À la lecture des statuts de société O’KUMPIR’LAND, signés le 22 février 2017 par Messieurs [F] [J], [W] [J] et [B] [I], déposés le 7 mars 2017, il apparaît que :
– l’objet de l’entreprise est l’exploitation d’un commerce de restauration rapide (type sandwicherie et salon de thé) sous l’enseigne O’FRENCHY’S sis [Adresse 1] à [Localité 7] ;
– le capital est de 1.000 euros ;
– les seuls trois associés de la société sont [F] [J] (51%), [W] [J] (30%) et [B] [I] (19%) ;
– selon l’article 18, les conventions entre la société O’KUMPIR’LAND et ses dirigeants ou associés doivent donner lieu à un rapport sur lequel les associés statuent lors de la décision collective statuant sur les comptes de l’exercice écoulé.
Les statuts de la société O’KUMPIR’LAND mentionnent la désignation de Monsieur [F] [J] comme président et de Monsieur [W] [J] comme directeur général. Il n’est pas fait mention d’une fonction de direction ou d’un statut de salarié (présent ou à venir) pour Monsieur [B] [I]. Il n’est pas justifié d’une décision des associés autorisant ou statuant sur un contrat de travail entre Monsieur [B] [I] et la société O’KUMPIR’LAND.
Selon un extrait Kbis en date du 22 juillet 2019, la société O’KUMPIR’LAND, créée en mars 2017, avait alors pour président [F] [J] et pour directeur général [W] [J].
Le 13 décembre 2017, la société O’KUMPIR’LAND, représentée par Monsieur [F] [J] en qualité de président, a donné mandat général à Monsieur [B] [I] pour régir et administrer, tant activement que passivement, tous les comptes et contrats actuels et futurs, sans exception, ouverts au nom de la société à la banque Lyonnaise de Banque. Ce document est signé conjointement par Monsieur [F] [J] et Monsieur [B] [I].
À la lecture d’un mail produit par l’appelante, Monsieur [F] [J] a indiqué le 10 janvier 2018 au comptable de la société que ‘comme convenu, je vous autorise à avoir comme interlocuteur au sein de la société O’KUMPIR’LAND, [B] [I]’.
Le 26 juin 2018, la société O’KUMPIR’LAND, représentée par Monsieur [F] [J] en qualité de président, a révoqué la procuration générale bancaire donnée à Monsieur [B] [I] le 13 décembre 2017.
Le 11 juillet 2018, la société O’KUMPIR’LAND, représentée par Monsieur [F] [J] en qualité de président, a donné mandat général à Monsieur [R] [V] pour régir et administrer, tant activement que passivement, tous les comptes et contrats actuels et futurs, sans exception, ouverts au nome de la société à la banque Lyonnaise de Banque. Ce document est signé conjointement par Monsieur [F] [J] et Monsieur [R] [V].
Monsieur [B] [I] produit un document intitulé ‘contrat de travail à durée indéterminée à temps complet’ qui porte la date du 4 septembre 2017 et mentionne Monsieur [F] [J] en tant que président de la société O’KUMPIR’LAND et Monsieur [B] [I] en tant que salarié, mais ce document n’est pas signé et son origine comme son rédacteur ne sont pas déterminés.
Sont produits des bulletins de paie, pour la période de septembre 2017 à décembre 2018 (septembre 2017 à juin 2018 produits par Monsieur [B] [I] / juin 2018 à décembre 2018 produits par l’AGS), portant mention de la société O’KUMPIR’LAND comme employeur et de Monsieur [B] [I] comme salarié. Toutefois, alors qu’avec un ordinateur quiconque peut désormais établir un contrat de travail ou des bulletins de paie de belle apparence, les bulletins de paie produit ne sont pas visés ou approuvés par le prétendu employeur ni n’ont donné lieu au moindre règlement justifié quant à la rémunération correspondante. Le bulletin de paie de juin 2018 mentionne une absence pour accident du travail du 4 au 30 juin 2018, celui de juillet 2018 mentionne une absence pour accident du travail du 1er au 31 juillet 2018, celui d’août 2018 mentionne une absence pour accident du travail du 1er au 5 août 2018 et des congés payés pris du 6 au 31 août 2018, les bulletins de paie de septembre, octobre, novembre et décembre 2018 mentionnant une absence injustifiée du 1er septembre au 31 décembre 2018.
Monsieur [B] [I] produit la lettre précitée datée du 10 octobre 2018 qu’il a adressée en recommandé à la société O’KUMPIR’LAND mais, vu notamment l’absence de réponse ou d’établissement de documents de fin de contrat de travail, il ne peut être déduit aucune conséquence juridique d’une telle démarche unilatérale de prise d’acte de rupture.
Monsieur [B] [I] produit une attestation de paiement d’indemnités journalières pour la période du 5 juin 2018 au 2 juillet 2018 suite à un accident du travail du 4 juin 2018, et pour la période du 3 juillet 2018 au 14 septembre 2018 suite à un arrêt maladie. Ce document, établi le 4 janvier 2022, mentionne Monsieur [B] [I] mais pas la société O’KUMPIR’LAND. Le numéro SIRET employeur (828 156 711 00016) mentionné peut toutefois correspondre à celui de la SAS O’KUMPIR’LAND (RCS CLERMONT-FERRAND 828 156 711). Mais aucun document relatif à un accident du travail survenu le 4 juin 2018 ou à un arrêt de travail pour maladie du 3 juillet 2018 au 14 septembre 2018 n’est versé aux débats. De même, s’agissant des causes d’absence, les mentions de l’attestation précitée ne sont pas totalement en concordance avec les mentions des bulletins de paie produits par Monsieur [B] [I].
Les parties tirent argument, dans des sens opposés, des mentions de l’ordonnance de référé rendue le 12 décembre 2018 par la formation de référé du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND.
À titre liminaire, il échet de rappeler, d’une part, qu’une telle ordonnance n’a pas d’autorité de la chose jugée au fond, notamment quant à l’existence d’un contrat de travail, d’autre part qu’elle a été infirmée, particulièrement en ses dispositions sur l’exécution et la rupture d’un contrat de travail ayant pu exister entre Monsieur [B] [I] et la société O’KUMPIR’LAND, par un arrêt de la chambre sociale de la cour d’appel de Riom du 2 février 2021 (RG 20/00692) qui apparaît aujourd’hui définitif puisqu’il n’est pas justifié ni même prétendu qu’il aurait fait l’objet d’un pourvoi.
Les parties invoquent, en tirant des conséquences contraires, les déclarations qui auraient été faites (sans avocat ni défenseur syndical) par Monsieur [F] [J], en qualité de président de la société O’KUMPIR’LAND, lors de l’audience du 6 décembre 2018 de la formation de référé du conseil de prud’hommes de CLERMONT-FERRAND. Elles font état d’un ‘aveu judiciaire’ mais dans des directions opposées (gérance de fait versus contrat de travail).
Le procès-verbal des débats de l’audience du 6 décembre 2018 n’est pas produit dans le cadre de la présente procédure.
Dans l’ordonnance de référé du 12 décembre 2018, il est mentionné que la société O’KUMPIR’LAND (représentée par Monsieur [F] [J]) résiste à la demande de Monsieur [B] [I] quant à l’existence d’un contrat de travail entre les parties et un rappel de salaires dû au requérant, conclut au débouté, indiquant que ‘Monsieur [I] gérait l’entreprise pendant que son représentant légal était à LONDRES pendant 6 mois ; que Monsieur [I] a été régulièrement destinataire de ses salaires’.
L’aveu est la déclaration par laquelle une personne reconnaît pour vrai un fait de nature à produire contre elle des conséquences juridiques. Il peut être judiciaire ou extrajudiciaire. L’aveu extrajudiciaire purement verbal n’est reçu que dans les cas où la loi permet la preuve par tout moyen ; sa valeur probante est laissée à l’appréciation du juge. L’aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté ; il fait foi contre celui qui l’a fait ; il ne peut être divisé contre son auteur ; il est irrévocable, sauf en cas d’erreur de fait.
Le sens des déclarations Monsieur [F] [J] à l’audience du 6 décembre 2018 n’est pas très clair. Ces paroles, rapportées par le conseil de prud’hommes dans sa décision sur référé infirmée par la cour d’appel de Riom, permettant diverses interprétations, parfois contraires, celles-ci ne sauraient être retenues comme un élément objectif d’appréciation dans le cadre du présent litige, encore moins comme un aveu judiciaire.
Il n’est finalement pas justifié, voire même prétendu, que Monsieur [B] [I] aurait reçu la moindre somme de la société O’KUMPIR’LAND à titre de salaire ou de rémunération d’une prestation. Or, Monsieur [B] [I], qui soutient pourtant avoir travaillé comme salarié de la SAS O’KUMPIR’LAND du 4 septembre 2017 au 10 octobre 2018 en qualité d’employé polyvalent, ne s’est apparemment pas inquiété de cette situation avant octobre 2018 lorsqu’il a envoyé un courrier de prise d’acte.
La cour considère que Monsieur [B] [I] a géré de fait, à tout le moins cogéré avec Monsieur [F] [J], la société O’KUMPIR’LAND, en tout cas entre décembre 2017 et juin 2018. Par la suite, les relations se sont dégradées entre ces deux associés.
Surtout, en l’absence de contrat de travail apparent, il appartient à Monsieur [B] [I] de démontrer l’existence d’un tel contrat l’ayant lié à la société O’KUMPIR’LAND, preuve qu’il ne rapporte pas en l’espèce. Monsieur [B] [I] échoue notamment à démontrer l’existence d’un lien de subordination en ce qu’il aurait exécuté un travail sous l’autorité de la société O’KUMPIR’LAND (ou de ses représentants) qui aurait eu le pouvoir de lui donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de le sanctionner en cas de manquements.
En conséquence, Monsieur [B] [I] ne peut qu’être débouté de toutes ses demandes à l’encontre de la société O’KUMPIR’LAND, désormais représentée par un liquidateur judiciaire, en rapport avec l’existence alléguée d’un contrat de travail.
Si l’existence d’un contrat de travail n’est pas reconnue par le juge prud’homal, celui-ci n’a pas compétence pour statuer et, la question de la compétence n’étant en l’espèce pas mentionnée par les parties ni soulevée d’office, il n’a pas l’obligation pour le surplus de qualifier les relations ayant existé entre Monsieur [B] [I] et la société O’KUMPIR’LAND.
Monsieur [B] [I] sera débouté de toutes ses demandes et le jugement sera infirmé en ce que le conseil de prud’hommes a fait droit aux demandes de Monsieur [B] [I].
Pour le surplus, les autres demandes de l’AGS et du liquidateur judiciaire sont en conséquence sans objet.
– Sur les dépens et frais irrépétibles –
Monsieur [B] [I] bénéficie de l’aide juridictionnelle totale dans le cadre de cette instance d’appel.
Monsieur [B] [I], qui succombe en toutes ses prétentions, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d’appel. Il n’y a pas lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en l’espèce.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi,
– Infirme le jugement, sauf en ce que le conseil de prud’hommes a dit recevables les demandes de Monsieur [B] [I], débouté Monsieur [B] [I] de sa demande au titre du non-respect de la procédure de licenciement, dit que le jugement d’ouverture arrête le cours des intérêts légaux, dit qu’il n’y a pas lieu d’ordonner l’exécution provisoire pour les condamnations qui ne le sont pas de droit ;
– Statuant à nouveau, déboute Monsieur [B] [I] de toutes ses demandes ;
– Condamne Monsieur [B] [I] aux dépens de première instance et d’appel ;
– Déclare sans objet les autres demandes de l’AGS et du liquidateur judiciaire.
Ainsi fait et prononcé lesdits jour, mois et an.
Le Greffier, Le Président,
S. BOUDRY C. RUIN