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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 4-6
ARRÊT MIXTE
DU 24 MARS 2023
N°2023/ 94
Rôle N° RG 19/04217 – N° Portalis DBVB-V-B7D-BD6HM
[Y] [X] EPOUSE [E]
C/
[S] [V]
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4]
Copie exécutoire délivrée
le :24/03/2023
à :
Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON
Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de TOULON en date du 25 Janvier 2019 enregistré(e) au répertoire général sous le n° 17/00839.
APPELANTE
Madame [Y] [X] épouse [E], demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Danielle DEOUS, avocat au barreau de TOULON substitué par Me Christophe LOPEZ, avocat au barreau de TOULON
INTIMES
Maître [S] [V] Es qualité de mandataire liquidateur de la SARL COOL CONDUITE., demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON
Association UNEDIC DELEGATION AGS CGEA DE [Localité 4] , [Adresse 3]
représentée par Me Isabelle PIQUET-MAURIN, avocat au barreau de TOULON
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 804 et 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 17 Janvier 2023 en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. Philippe SILVAN, Président de chambre, et Madame Estelle de REVEL, Conseiller, chargé du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des demandes des parties dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SILVAN, Président de chambre
Madame Dominique PODEVIN, Présidente de chambre
Madame Estelle de REVEL, Conseiller
Greffier lors des débats : Mme Suzie BRETER.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2023..
ARRÊT
contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 24 Mars 2023.
Signé par M. Philippe SILVAN, Président de chambre et Mme Suzie BRETER, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme [Y] [X] a été engagée en qualité de monitrice d’auto-école par la SARL Cool Conduite en vertu d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet du 2 juin 1986.
Le 9 novembre 2017, la salariée a saisi le conseil de prud’hommes de Toulon aux fins de résiliation du contrat de travail aux torts de l’employeur en raison du non paiement de salaires et d’heures supplémentaires.
Parallèlement, la société a été placée en redressement judiciaire le 2 mai 2013 et a fait l’objet d’une liquidation judiciaire le 31 octobre 2017. Maître [V] a été désigné mandataire liquidateur.
Mme [X] a été licenciée pour motif économique par le mandataire liquidateur le 15 novembre 2017.
Par jugement du 25 janvier 2019, le conseil de prud’hommes de Toulon a :
– prononcé dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, la jonction des procédures;
– rejeté la demande de résiliation judiciaire aux torts de l’employeur;
dit que la rupture du contrat de travail de Mme [X] est la conséquence de son licenciement économique,
– débouté Mme [X] de l’ensemble de ses demandes;
– rejeté la demande d’exécution provisoire;
– condamné Mme [X] aux entiers dépens.
Mme [X] a relevé appel du jugement le 13 mars 2019.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, Mme [X] demande à la cour de :
‘INFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de TOULON dans toutes ses dispositions critiquées,
FIXER au passif de la liquidation judiciaire de la société COOL CONDUITE représentée par son liquidateur Me [S] [V] la créance de Mme [E] née [X] [Y] aux sommes suivantes :
– 485 € net au titre du solde de salaires de juillet 2017 (chèque impayé)
– 8 662,83 € au titre des heures supplémentaires non rémunérées sur la période d’octobre 2014 à octobre 2017,
– 866.28 € à titre de congés payés sur ce rappel d’heures supplémentaires,
– 11 673.30 € au titre de l’indemnité pour travail dissimulé,
PRONONCER la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [E] née [X] [Y] aux torts de l’employeur pour fautes graves de ce dernier,
FIXER au passif de la liquidation judiciaire de la société COOL CONDUITE représentée par son liquidateur Me [S] [V] la créance de Mme [E] née [X] [Y] aux sommes suivantes :
– 45 000 € à titre de dommages et intérêts au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse, abusif et vexatoire,
SUBSIDIAIREMENT sur le licenciement,
JUGER que le licenciement de Mme [E] née [X] [Y] prononcé pour motif économique est dépourvu de cause réelle et sérieuse
FIXER au passif de la société COOL CONDUITE le paiement des sommes suivantes :
– 45 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait du licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En toute hypothèse,
ORDONNER la remise des documents revenant à la salariée sous astreinte de 200,00 € par jour de retard :
– Les fiches de paie régularisées d’octobre 2014 à octobre 2017,
– L’attestation Pôle Emploi régularisée,
Juger que l’AGS CGEA DE [Localité 4] devra relever et garantir les sommes fixées au passif de la liquidation judiciaire dans la limite des plafonds applicables.’
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, le liquidateur demande à la cour de :
‘A TITRE PRINCIPAL;
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de TOULON le 25 janvier 2019 en ce qu’il a débouté Madame [X] de l’ensemble de ses demandes au titre du rappel de salaire du mois de juillet 2017, du solde des salaires de septembre à novembre 2017, des heures supplémentaires outre congés payés afférents d’octobre 2014 à octobre 2017, d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DECLARER prescrites les demandes formulées au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents portant sur une période antérieure au 09/11/2014;
DEBOUTER Madame [X] de ses demandes de rappel de salaire de juillet 2017, de septembre à novembre 2017, les sommes dues ayant été réglées ;
DEBOUTER Madame [X] de ses demandes d’heures supplémentaires outre congés payés y afférents ;
DEBOUTER Madame [X] de sa demande de résiliation judiciaire ;
DIRE ET JUGER fondé le licenciement pour motif économique et impossibilité de reclassement prononcé le 15.11.2017 par le mandataire liquidateur ;
En conséquence, DEBOUTER Madame [X] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse;
DEBOUTER Madame [X] de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
DEBOUTER Madame [X] de ses demandes d’astreinte et d’article 700 du CPC.
SUBSIDIAIREMENT
DECLARER prescrites les demandes formulées au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents portant sur une période antérieure au 09.11.2014;
REDUIRE la somme allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
DEBOUTER Madame [X] de ses demandes d’astreinte et d’article 700 du CPC.’
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 8 juin 2022, auxquelles il est expressément renvoyé pour l’exposé détaillé des moyens, l’Unédic Délégation AGS CGEA demande à la cour de :
‘EN TOUTE HYPOTHESE :
DIRE ET JUGER que l’AGS a procédé à l’avance d’une somme totale de 29 942.63 € décomposée comme suit :
– 1 903.47 € au titre du salaire du 01 au 30.09.2017 ;
– 1 826.89 € (1 765.99 € + 60.90 €) au titre du salaire du 01 au 31.10.2017 ;
– 843.07 € au titre du salaire du 01 au 13.11.2017 ;
– 129.69 € au titre du salaire du 14 au 15.11.2017 ;
– 1 047.60 € au titre des congés payés du 01.06.2016 au 31.05.2017 ;
– 1 403.04 € au titre des congés payés du 01.06.2017 au 15.01.2018 ;
– 3 891.10 € au titre des congés payés du 16.11.2017 au 15.01.2018 ;
– 18 897.77 € au titre de l’indemnité de licenciement;
DIRE ET JUGER que les demandes d’astreinte et d’article 700 du CPC ne rentrent pas dans
le cadre de la garantie de l’AGS;
A TITRE PRINCIPAL;
CONFIRMER le jugement rendu par le Conseil de Prud’hommes de TOULON le 25 janvier 2019 en ce qu’il a débouté Madame [X] de l’ensemble de ses demandes au titre du rappel de salaire du mois de juillet 2017, du solde des salaires de septembre à novembre 2017, des heures supplémentaires outre congés payés afférents d’octobre 2014 à octobre 2017, d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, de résiliation judiciaire aux torts de l’employeur, de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
DECLARER prescrites les demandes formulées au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents portant sur une période antérieure au 09.11.2014;
DEBOUTER Madame [X] de ses demandes de rappel de salaire de juillet 2017, de septembre à novembre 2017, les sommes dues ayant été réglées ;
DEBOUTER Madame [X] de ses demandes d’heures supplémentaires outre congés payés y afférents ;
DEBOUTER Madame [X] de sa demande de résiliation judiciaire ;
DIRE ET JUGER fondé le licenciement pour motif économique et impossibilité de reclassement prononcé le 15.11.2017 par le mandataire liquidateur ;
En conséquence, DEBOUTER Madame [X] de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse;
DEBOUTER Madame [X] de sa demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
SUBSIDIAIREMENT;
DECLARER prescrites les demandes formulées au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents portant sur une période antérieure au 09.11.2014;
Si la Cour fait droit à la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail et lui fait produire les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse, DIRE ET JUGER que la rupture du contrat de travail est intervenue à l’initiative du salarié durant l’une des périodes visées par l’article L. 3253-8 2° du Code du travail ;
En conséquence, EXCLURE de la garantie de l’AGS les sommes éventuellement allouées à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et indemnité forfaitaire pour travail dissimulé ;
INFINIMENT SUBSIDIAIREMENT ;
DECLARER prescrites les demandes formulées au titre des heures supplémentaires outre congés payés afférents portant sur une période antérieure au 09.11.2014;
REDUIRE la somme allouée à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;
LIMITER la garantie de l’AGS au plafond 6, toutes créances avancées pour le compte du salarié confondues;
EN TOUT ETAT DE CAUSE;
En tout état de cause, fixer toutes créances en quittance ou deniers;
Dire et juger que l’AGS ne devra procéder à l’avance des créances visées aux articles L.3253-6 à 8 (anciens articles L. 143.11.1 et suivants) du Code du travail que dans les termes et les conditions résultant des dispositions des articles L. 3253-15 (ancien article L. 143.11.7) et L. 3253-17 (ancien article L. 143.11.8) du Code du travail;
Dire et juger que la garantie de l’AGS est plafonnée, toutes créances avancées pour le compte du salarié, à un des trois plafonds définis à l’article D3253-5 du code du travail;
Dire et juger que l’obligation du CGEA de faire l’avance de la somme à laquelle serait évalué le montant total des créances garanties, compte tenu du plafond applicable, ne pourra s’exécuter que sur présentation d’un relevé par mandataire judiciaire et justification par celui-ci de l’absence de fonds disponibles entre ses mains pour procéder à leur paiement.’
Le 15 mars 2023, la cour d’appel a invité les parties à présenter leurs observations sur’la nécessité de surseoir à statuer sur la demande de Mme [X] tendant à voir garantir par l’AGS-CGEA les créances nées au titre de la rupture du contrat de travail dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne saisie, selon cinq de la cour d’appel d’Aix en Provence du’24 février 2023 d’une question préjudicielle sur l’interprétation de’la Directive 2008/ 94/ CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur.
Les parties ont déféré à cette demande le 20 Mars 2023.
MOTIFS DE LA DECISION
I. Sur l’exécution du contrat de travail
1) Le retard dans le paiement des salaires
Mme [X] soutient qu’à partir de 2017, l’employeur lui a réglé ses salaires avec retard et que les salaires de septembre, octobre et novembre 2017 n’ont été payés qu’en décembre par le mandataire liquidateur.
Le liquidateur soutient avoir régularisé les paiements des salaires.
Les articles L.3241-1 et suivants du code du travail n’imposent pas une date de paiement des salaire mais une règle de périodicité minimale de paiement qui est mensuelle pour la plupart des salariés et qui est d’ordre public.
C’est à l’employeur, débiteur de l’obligation, de rapporter la preuve du paiement des salaires afférents au travail effectivement accompli.
En l’espèce, Mme [X] justifie de l’envoi à la gérante de la société Cool Conduite de plusieurs courriers recomandés (les 22 août 2017, 20 septembre 2017, 26 octobre 2017) aux fins d’obtenir le paiement de ses salaires à bonne date.
Elle justifie par la production d’un tableau récapitulatif des dates de règlement corroborés par ses relevés bancaires des retards allégués.
Il est établi que le CGEA a procédé au paiement des salaires de septembre, octobre et novembre 2017 en décembre 2017.
Les difficultés économiques et financières de la société ne sauraient justifier ces retards qui n’avaient pas à peser sur la salariée .
Les retard apportés au paiement des salaires dus du 1er janvier au 30 novembre 2017 constituent des manquements de l’employeur à ses obligations contractuelles.
2) Le rappel de salaire du mois de juillet 2017
Mme [X] soutient qu’il lui reste dû la somme de 485 euros au titre du salaire du mois de juillet 2017. Elle produit son relevé bancaire dont il ressort une remise d’un chèque de 485 euros le 22 août puis le même montant débité le 1er septembre au motif de chèque impayé, ainsi que ledit chèque en original dans ses pièces.
Le liquidateur fait valoir que la salariée ne prouve pas que le paiement du salaire de juillet 2017 a été rejeté. Il soutient, à l’instar de l’AGS-CGE, qu’elle a été réglée de l’intégralité de ses salaires.
Faute pour le liquidateur de démontrer que le salaire a été effectivement payé, la demande est justifiée et, par infirmation du jugement, la somme de 485 euros doit être fixée au passif de la liquidation de la société.
3) Les heures supplémentaires
Moyens des parties
Mme [X] fait valoir l’existence d’heures supplémentaires impayées à hauteur de 8 662,83 euros à fixer au passif de la liquidation pour la période d’octobre 2014 à octobre 2017.
Elle explique qu’elle était payée pour 39 heures par semaine et produit un relevé pour les heures réalisées au delà de cette durée ainsi que ses agendas et attestations de témoins
Elle soutient que la demande portant sur le mois d’octobre 2014 n’est pas prescrite au vu de la date de règlement des salaires, et que si c’est le cas, il suffit de soustraire au décompte qu’elle produit la somme de 145,91 euros.
Elle indique que l’employeur ne produit aucun décompte contradictoire pour contester sa demande.
Le liquidateur, à l’instar de l’AGS-CGEA répond que la demande portant sur le mois d’octobre au 9 novembre 2014 est prescrite, que les bulletins de salaire mentionnent le paiement régulier d’heures supplémentaires, que les plannings et agendas ne sont pas probants car ils pouvaient être modifiés si les rendez-vous étaient annulés et qu’ils ne sont pas visés ni contresignés ; et que la salariée n’a jamais adressé de réclamation.
Réponse de la cour
– Sur la prescription
L’action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
ll résulte des articles L. 3245-1, L. 3242-1 et L. 3141-22 du code du travail que le délai de prescription des salaires court à compter de la date à laquelle la créance salariale est devenue exigible, que pour les salariés payés au mois, la date d’exigibilité du salaire correspond à la date habituelle du paiement des salaires en vigueur dans l’entreprise et concerne l’intégralité du salaire afférent au mois considéré, notamment les heures supplémentaires et que, s’agissant de l’indemnité de congés payés, le point de départ du délai de la prescription doit être fixé à l’expiration de la période légale ou conventionnelle au cours de laquelle les congés payés auraient pu être pris.
La salariée ayant saisi le conseil de prud’hommes le 9 novembre 2017 et le règlement des salaires dans l’entreprise se situant entre le 5 et la fin du mois suivant tel que constaté par la cour, il convient de dire qu’aucune fin de non recevoir n’existe à l’encontre de la demande en paiement de créances salariales du mois d’octobre 2014.
– Sur le fond
L’article L.3171-4 du code du travail dispose qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, l’employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié.
Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l’appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles.
Il résulte de ces dispositions, qu’en cas de litige relatif à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l’appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d’y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l’ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l’une et l’autre des parties, dans l’hypothèse où il retient l’existence d’heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l’importance de celles-ci et fixe les créances salariales s’y rapportant.
A l’appui de sa demande, Mme [X] produit :
– un décompte journalier suffisamment précis et détaillé couvrant la totalité de la période objet de sa réclamation, mentionnant les heures accomplies
– complété par des tableaux établis par un expert comptable, récapitulatifs comparatifs des heures payées/ heures effectuées réalisées sur la période d’octobre 2014 à octobre 2017,
– et ses agendas professionnels (original et copie)
– des attestations de deux clients affirmant avoir pris des leçons de conduite avec Mme [X] entre 19h et 20 h pour l’un et à 20h pour l’autre;
– ses bulletins de paie qui mentionnent le paiement d’heures supplémentaires jusqu’à 39 heures de travail effectuées mais pas au-delà .
Ce faisant, Mme [X] présente des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’elle prétend avoir accomplies afin de permettre à l’employeur d’y répondre utilement.
Le liquidateur ne contredit pas sérieusement les éléments apportés par Mme [X] sur les heures effectuées au delà de 39 heures, au moyen de ses propres éléments considérés dans leur ensemble, ne faisant que critiquer les éléments de preuve et affirmer que des heures supplémentaires avaient été payées, ce qui n’est pas contesté.
Par infirmation du jugement, la cour retient que la salariée a effectué des heures supplémentaires entre le 1er octobre 2014 et le 9 novembre 2017, conformément à la demande, soit à hauteur de 8 662,83 euros, outre 866,28 euros au titre des congés payés afférents.
Ces sommes doivent être fixées au passif de la liquidation judiciaire.
4) Le prêt illicite de main d’oeuvre
Il y a prêt illicite de main d’oeuvre lorsque la convention a pour objet la fourniture de main d’oeuvre moyennant rémunération pour faire exécuter une tâche permanente de l’entreprise utilisatrice, sans transmission d’un savoir-faire ou mise en oeuvre d’une technicité qui relève de la spécificité propre de l’entreprise prêteuse.
En l’espèce, Mme [X] soutient qu’à partir du mois de juin 2017, elle et les autres employés de la société Cool Conduite travaillaient pour la société Auto Ecole située en face et gérée par la mère de la gérante de Cool Conduite et étaient payés par celle-ci.
Elle produit des attestations, des plannings émis par la secrétaire, des dossiers de clients transportés dans les locaux de Auto Ecole.
Cependant, la cour relève que les éléments constitutifs du prêt illicite de main d’oeuvre ne sont pas démontrés par les pièces produites et particulièrement aucun élément sur la rémunération de l’entreprise.
Le manquement n’est pas établi.
5) Le travail dissimulé
L’article L.8221-5-2° du code du travail dispose notamment qu’est réputé travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli.
Toutefois, la dissimulation d’emploi salarié prévue par ces textes n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur a agi de manière intentionnelle.
En l’espèce, si l’employeur a démontré sa négligence dans le suivi de la charge de travail de Mme [X], il ne peut en être déduit qu’il a entendu dissimuler son activité au vu du nombre d’heures de travail concernées réparties sur trois années.
Dès lors, Mme [X] doit être déboutée de sa demande indemnitaire forfaitaire formée sur le fondement de l’article L.8223-1 du code du travail.
II. Sur la rupture du contrat de travail
Mme [X] soutient que les manquements contractuels de son employeur (défaut de paiement de salaire, retard, défaut de paiement des heures supplémentaires) justifient la résiliation judiciaire du contrat de travail et qu’elle peut prétendre au versement de dommages et intérêts à hauteur de 45 000 euros.
Le liquidateur et l’AGS CGEA de [Localité 4] soutiennent que les manquements reprochés à l’employeur ont été régularisés par le paiement des salaires, avant la saisine de la juridiction prud’homale, que la salariée ne prouve pas ne pas avoir été payée au titre des heures supplémentaires et, le cas échéant, que ce manquement est ancien.
A titre subsidiaire, ils font valoir que l’entreprise avait un effectif de moins de 11 salariés, que Mme [X] ne peut donc pas bénéficier de dommages et intérêts à hauteur de sa demande en considération des barèmes applicables et qu’elle ne pourra dès lors être indemnisée qu’en fonction de la réalité du préjudice réellement subi et démontré et qu’il conviendra de réduire la demande indemnitaire dans d’importantes proportions.
Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail en raison de faits qu’il reproche à son employeur et que ce dernier le licencie postérieurement, le juge doit d’abord rechercher si la demande de résiliation judiciaire était justifiée avant de se prononcer sur le licenciement. Le juge examine l’ensemble des faits intervenus jusqu’au jour du jugement pour déterminer si la demande de résiliation est ou non fondée.
La Cour a constaté que l’employeur avait agi de manière déloyale en lui réglant son salaire avec retard et pas en totalité, et en ne lui réglant pas ses heures supplémentaires. Ces manquements ont été tardivement régularisés par l’employeur et pour certains par le liquidateur.
L’exécution déloyale du contrat de travail par l’employeur s’est poursuivie jusqu’à la notification du licenciement de Mme [X] le 15 novembre 2017.
Les manquements de l’employeur caractérisant une exécution fautive du contrat de travail, qui s’est poursuivie jusqu’au licenciement, laissant la salariée dans l’incertitude quant au paiement de ses salaires pendant plusieurs mois, sont suffisamment graves pour justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail présentée par Mme [X] aux torts exclusifs de l’employeur.
En conséquence, la cour prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [X], à effet de la date de notification du licenciement pour motif économique, le 15 novembre 2017.
Mme [X] sollicite le paiement d’une indemnité pour licenciement abusif d’un montant de 45 000 euros au regard de son ancienneté de 31 ans et de sa situation personnelle difficile indiquant percevoir le RSA et ayant dû faire valoir ses droits à la retraite sans disposer de tous ses trimestres pour en bénéficier à taux plein (attestation Pôle Emploi de refus de refus d’allocation 7/12/2017 et calcul de sa retraite).
En considération des éléments versés sur son préjudice, de son ancienneté de 31 ans dans l’entreprise occupant moins de 11 salariés et du montant de son salaire mensuel brut (1 945,55 euros) la Cour accorde à Mme [X] la somme de 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, en vertu de l’article L.1235-5 du code du travail dans sa version applicable au présent litige.
III. Sur la remise des documents de fin de contrat
Il convient d’ordonner la remise par le mandataire liquidateur, exerçant pendant toute la durée de la procédure collective les droits et actions de la SARL Cool Conduite dessaisie dans tous les actes concernant l’administration et la disposition de ses biens et devant répondre des obligations auxquelles la société était tenue, des bulletins de paie et de l’attestation Pôle Emploi conformes aux dispositions du présent arrêt.
Aucune astreinte n’a lieu d’être ordonnée.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Infirme le jugement entrepris sauf s’agissant du travail dissimulé,
Statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Ordonne la résiliation judiciaire du contrat de travail de Mme [Y] [X], produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse à la date de notification du licenciement le 15 novembre 2017,
Fixe la créance de Mme [Y] [X] au passif de la liquidation judiciaire de la SARL Cool Conduite aux sommes suivantes :
– 485 euros à titre de rappel de salaire,
– 8 662,83 euros au titre des heures supplémentaires sur la période du 1er octobre 2014 au 9 novembre 2017,
– 866,28 euros à titre de congés payés afférents,
– 15 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Dit que le jugement d’ouverture de la procédure collective a arrêté le cours des intérêts légaux et conventionnels,
SURSEOIT à statuer sur la demande de Mme [X] tendant à la prise en charge par l’AGS-CGEA des sommes qui lui ont été allouées au titre de la rupture du contrat de travail dans l’attente de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne saisi par cinq arrêts du 24 février 2023 d’une question préjudicielle portant sur l’interprétation de la Directive 2008/ 94/ CE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2008 relative à la protection des travailleurs salariés en cas d’insolvabilité de l’employeur’;
ORDONNE le retrait de l’affaire du rôle des affaires en cours’;
DIT qu’il sera procédé à sa réinscription à la requête de la partie la plus diligente sur production de la décision de la Cour de justice de l’Union européenne’;
RESERVE les dépens.
Le Greffier Le Président