Your cart is currently empty!
COUR D’APPEL
d’ANGERS
Chambre Sociale
ARRÊT N°
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/00483 – N° Portalis DBVP-V-B7E-EX6S.
Jugement Au fond, origine Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire d’ANGERS, décision attaquée en date du 26 Novembre 2020, enregistrée sous le n° F19/00102
ARRÊT DU 13 Octobre 2022
APPELANTE :
S.A.S. TESSI OUEST Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité audit siège.
[Adresse 4]
[Localité 6]
représentée par Maître Inès RUBINEL, avocat postulant au barreau d’ANGERS et par Maître David LONG, avocat plaidant au barreau de GRENOBLE
INTIMES :
Monsieur [M] [K]
[Adresse 8]
[Localité 6]
Madame [X] [F]
[Adresse 2]
[Localité 7]
Monsieur [P] [A]
[Adresse 11]
[Localité 6]
Monsieur [H] [W]
[Adresse 3]
[Localité 9]
représentés par Me Nicolas ORHAN de la SCP OUEST DEFENSE & CONSEIL, avocat postulant au barreau de SAUMUR – N° du dossier 1811066 et par Maître Hugo SALQUAIN, avocat plaidant au barreau d’ANGERS
S.A. CNP ASSURANCES prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette quailté audit siège et prise en son établissement d'[Localité 6], sis centre de clientèle, [Adresse 1]
[Adresse 5]
[Localité 10]
représentée par Maître Philippe LANGLOIS, avocat postulant au barreau d’ANGERS et par Maître Nicolas de SEVIN et Christophe PLAGNIOL, avocats plaidants au barreau des HAUTS-DE-SEINE
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 07 Juin 2022 à 9 H 00, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame GENET, conseiller chargé d’instruire l’affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Président : Madame Estelle GENET
Conseiller : Madame Marie-Christine DELAUBIER
Conseiller : Mme Nathalie BUJACOUX
Greffier lors des débats : Madame Viviane BODIN
ARRÊT :
prononcé le 13 Octobre 2022, contradictoire et mis à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame GENET, conseiller faisant fonction de président, et par Madame Viviane BODIN, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
*******
FAITS ET PROCÉDURE
Le groupe Tessi est un groupe international spécialisé dans le secteur d’activité du traitement de données et plus généralement dans la gestion de l’ensemble des processus documentaires et relation client. La société par actions simplifiée Tessi Ouest, filiale du groupe Tessi a été immatriculée le 6 février 2014 au RCS de Nanterre et a déclaré une activité de traitement de données, hébergement et activités connexes. Elle emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale du personnel des prestataires de service dans le domaine du secteur tertiaire du 13 août 1999.
La société anonyme CNP Assurances exerce pour sa part une activité d’assurances, emploie plus de onze salariés et applique la convention collective nationale des sociétés d’assurances du 27 mai 1992.
Suite à un contrôle de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) sur la société CNP Assurances, une procédure disciplinaire a été ouverte le 18 octobre 2013 pour manquement aux obligations d’identifier les assurés décédés et de rechercher les bénéficiaires des contrats d’assurance-vie. Le 31 octobre 2014, l’ACPR a notifié un blâme à la société CNP Assurances ainsi qu’une amende de 40 000 000 d’euros.
Dans ce contexte et pour apurer le stock des contrats d’assurance-vie en déshérence, un contrat de prestation de service a été conclu le 11 juillet 2014 pour une durée de 3 ans à compter du 6 janvier 2014 entre les sociétés Tessi Documents Services, appartenant au groupe Tessi, et CNP Assurances. Le terme initial de ce contrat de prestation de service prévu le 5 janvier 2017 a été prorogé jusqu’au 31 décembre 2019 par différents avenants.
En avril 2018, l’inspection du travail d’Angers a procédé à une enquête sur les sociétés Tessi Ouest et CNP Assurances laquelle a conclu le 11 mars 2019 à l’imputabilité à ces deux sociétés des délits de prêt de main d”uvre illicite et de marchandage en bande organisée et du délit de travail dissimulé.
Le 3 juillet 2018, la société Tessi Ouest notifiait à ses salariés la fin du contrat de prestation de service la liant à la société CNP Assurances prévue le 5 janvier 2019 laquelle impliquait un déménagement des locaux de la société CNP Assurances et le licenciement d’une cinquantaine de salariés en contrat à durée déterminée.
Le 18 mars 2019, l’inspecteur du travail a déposé plusieurs procès-verbaux auprès du procureur de la République dénonçant à l’encontre des sociétés Tessi Ouest, Tessi Documents Services et CNP Assurances les délits d’opération illicite de prêt de main d”uvre, de marchandage et de travail dissimulé, tous commis en bande organisée. L’inspecteur du travail dénonçait également à l’encontre des sociétés Tessi Ouest et Tessi Documents Services les délits de conclusion de contrats de travail à durée déterminée pour un emploi durable et habituel, la conclusion de contrats de travail à durée déterminée hors des cas autorisés et le recours à un contrat à durée déterminée ou à un contrat de travail temporaire avant l’expiration d’un délai de carence. Un procès-verbal a enfin été déposé pour ‘défaut de déclaration d’activité et d’établissement au registre du commerce et des sociétés d’Angers, malgré les multiples injonctions de l’inspection du travail, concernant une activité de prestation de services effectuée par plusieurs dizaines de salariés de manière exclusive et permanente et pendant près de 5 années consécutives à Angers’.
Le 1er avril 2019, l’ensemble des requérants s’est joint à cette procédure pénale en déposant plainte à l’encontre des sociétés Tessi Ouest, Tessi Documents Services et CNP Assurances pour les faits précités. Le 2 mai 2019, le syndicat FO49 s’est également joint à la procédure pénale.
Parallèlement et par requêtes des 4 février, 27 février et 12 mars 2019,74 salariés de la société Tessi Ouest, ont saisi le conseil de prud’hommes d’Angers afin qu’il constate l’existence des délits d’opération illicite de prêt de main d”uvre, de marchandage et de travail dissimulé commis par la société Tessi Ouest et la société CNP Assurances. Ils sollicitaient ensuite l’application de la convention collective nationale des sociétés d’assurances du 27 mai 1992 et un rappel de salaires sur trois ans en application de l’article L. 3245-1 du code du travail. Ils demandaient également le versement d’une indemnité pour travail dissimulé et des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral subi.
Le conseil de prud’hommes a joint ces requêtes en 4 instances principales réparties comme suit : 41 anciens contrats à durée déterminée, 6 anciens contrats à durée déterminée avec périodes d’intermission, 23 contrats à durée indéterminée actuels et 4 anciens contrats à durée indéterminée.
La présente affaire concerne Mme [X] [F], M. [P] [A], M. [H] [W] et M. [M] [K], anciens salariés de la société Tessi Ouest dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée.
Par jugement en date du 26 novembre 2020, le conseil de prud’hommes d’Angers a :
– ordonné la jonction des instances inscrites sous les n° 19/142, 19/145, 19/185 au 19/102;
– rejeté la demande de sursis à statuer soulevée par la société CNP Assurances et par la société Tessi Ouest ;
– s’est déclaré incompétent pour examiner les chefs de demandes des requérants à l’encontre de la société CNP Assurances au profit du tribunal judiciaire d’Angers ainsi que toutes les demandes de la société CNP Assurances ;
– rejeté l’ensemble des demandes de prescription d’actions, fin de non-recevoir ou exception de procédure, soulevées par la société Tessi Ouest à l’encontre de l’ensemble des requérants ;
– dit et jugé que la société Tessi Ouest a commis des faits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite au préjudice de chacun des requérants, en application des articles L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail ;
– condamné la société Tessi Ouest à verser à Mme [F], M. [A], M. [W] et M. [K] la somme de 4000 euros chacun en indemnisation du préjudice moral subi suite aux faits de marchandage ainsi que la somme de 4000 euros chacun en indemnisation du préjudice moral subi suite aux faits de prêt de main d’oeuvre illicite ;
– débouté les requérants de leur demande de dire et juger que leur salaire moyen aurait dû être a minima égal à la somme brute mensuelle de 3232 euros, soit la somme annuelle de 38 783 euros brut ;
– débouté les requérants de leurs demandes de rappel de salaires vis-à-vis de la société Tessi Ouest ;
– dit qu’il n’y a pas lieu à rectification des bulletins de salaire et à astreinte ;
– dit que les condamnations de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil ;
– condamné la société Tessi Ouest à verser à Mme [F], M. [A], M. [W] et M. [K] la somme de 1500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision à intervenir en application de l’article 515 du code de procédure civile ;
– débouté les parties de toutes leurs autres demandes ;
– condamné la société Tessi Ouest au dépens.
La société Tessi Ouest a interjeté appel de ce jugement par déclaration transmise par voie électronique au greffe de la cour d’appel le 30 décembre 2020.
Les 4 anciens salariés de la société Tessi Ouest dans le cadre de contrats de travail à durée indéterminée ont constitué avocat en qualité d’intimés le 3 février 2021 et la société CNP Assurances le 10 février 2021.
Par ordonnance du 29 juin 2021, le conseiller de la mise en état a constaté le désistement d’appel partiel de la société Tessi Ouest à l’encontre de la société CNP Assurances et l’extinction de l’instance devant la cour d’appel entre ces deux sociétés.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le 18 mai 2022 et le dossier a été fixé à l’audience du conseiller rapporteur de la chambre sociale du 7 juin 2022.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
La société Tessi Ouest, dans ses conclusions en réponse n°3, régulièrement communiquées et soutenues à l’audience, reçues au greffe le 17 mai 2022, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, demande à la cour de :
– constater la reprise d’instance dans les suites de la constitution de Maître Inès Rubinel, avocate au Barreau d’Angers, en qualité d’administratrice provisoire de Maître [B] [I].
In limine litis :
– Sur le sursis à statuer :
– constater que l’action publique concernant les faits de délits de marchandage et prêt illicite de main d”uvre a été mise en mouvement par la saisine du magistrat instructeur ;
– constater que l’action civile des intimés est une action en réparation du dommage causé par les infractions pour délit de marchandage, prêt illicite de main d”uvre et recours au contrat de travail à durée déterminée ;
– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a refusé de surseoir à statuer ;
– ordonner le sursis à statuer sur le fondement des dispositions des articles 2 et 4 du code de procédure pénale ;
– Sur la prescription de l’action :
– constater la prescription de l’action civile concernant M. [K], Mme [F], M. [A] et M. [W] ;
– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a rejeté les demandes tendant à constater la prescription de l’action de M. [K], Mme [F], M. [A] et M. [W] ;
– déclarer M. [K], Mme [F], M. [A] et M. [W] irrecevables comme prescrits en leurs actions et demandes par application de l’article L. 1471-1 du code du travail.
Sur le fond :
– juger que le contrat de prestation de services remplit les conditions légales et jurisprudentielles de validité ;
– juger que la demande de dommages et intérêts à hauteur de 4000 euros pour délit de marchandage n’est fondée ni dans son principe ni dans son quantum ;
– juger que la demande de dommages et intérêts à hauteur de 4000 euros pour prêt de main d”uvre illicite n’est fondée ni dans son principe ni dans son quantum ;
– juger que l’absence de transfert du lien de subordination a pour conséquence qu’elle ne peut être condamnée pour délit de marchandage ;
– juger que les intimés principaux et appelant incidents n’établissent pas le bien fondé de cette demande de voir appliquer un salaire moyen de 3232 euros brut ;
– juger que la demande tendant à voir appliquer un salaire moyen à hauteur de 3232 euros brut n’est pas fondée ni dans son principe ni dans son quantum ;
– confirmer le jugement attaqué qui a débouté les intimés et appelants incidents de cette demande de rétablissement dans leurs droits et de rappel de salaire afférents ;
– confirmer le jugement qui a débouté les salariés de voir rectifier les bulletins de salaire sous astreinte ;
Subsidiairement, en cas de reconnaissance d’un prêt de main d”uvre illicite et de délit de marchandage, juger que le salaire contractuel des intimés était supérieur au minimum conventionnel de la convention collective des sociétés d’assurances et :
– pour Mme [F] :
– la débouter de sa demande de rappel de salaire à hauteur de 50 349 euros ;
– juger, très subsidiairement, que cette demande de rappel de salaire est de 19831,57 euros ;
– pour M. [A] :
– le débouter de sa demande de rappel de salaire à hauteur de 56 349 euros ;
– juger, très subsidiairement, que cette demande de rappel de salaire est de 31090,50 euros ;
– pour M. [W] :
– le débouter de sa demande de rappel de salaire à hauteur de 41 568 euros ;
– juger, très subsidiairement, que cette demande de rappel de salaire est de 40394,52 euros ;
– pour M. [K] :
– le débouter de sa demande de rappel de salaire à hauteur de 3013,08 euros ;
– juger, très subsidiairement, que cette demande de rappel de salaire est de 2793,13 euros ;
– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a retenu un délit de marchandage et prêt illicite de main d’oeuvre à son encontre tout en se déclarant incompétent pour examiner les chefs des demandes des requérants à l’encontre de la société CNP Assurances en raison de l’absence de transfert du lien de subordination ;
– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a retenu que le contrat de prestation de services était constitutif d’un prêt illicite de main d’oeuvre et d’un délit de marchandage ;
– infirmer le jugement attaqué en ce qu’il a fait droit aux demandes de dommages et intérêts au titre du préjudice moral pour prêt illicite de main d’oeuvre et pour délit de marchandage ;
– réformer le jugement attaqué en ce qu’il l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– réformer le jugement en ce qu’il a ordonnée l’exécution provisoire sur le fondement de l’article 515 du code de procédure civile.
En conséquence,
– débouter M. [K], Mme [F], M. [A] et M. [W] de leur demande de dommages et intérêts d’un montant de 4000 euros pour délit de marchandage ;
– débouter M. [K], Mme [F], M. [A] et M. [W] de leur demande de dommages et intérêts d’un montant de 4000 euros pour prêt de main d’oeuvre illicite ;
– débouter M. [K], Mme [F], M. [A] et M. [W] de leur demande de 1500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Y ajoutant,
– condamner chaque intimé salarié à lui payer la somme de 1700 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner les mêmes aux entiers dépens de première instance et d’appel avec distraction au profit de l’avocat soussigné aux offres de droit.
In limine litis, la société Tessi Ouest précise que les demandes indemnitaires des salariés se fondent sur la commission des délits de prêt de main d”uvre illicite et de marchandage lesquels ont été découverts à l’issue des investigations de l’inspecteur du travail. Elle s’appuie alors sur la règle ‘le criminel tient le civil en l’état’ et les alinéas 1 et 2 de l’article 4 du code de procédure pénale pour justifier la nécessité d’un sursis à statuer dans l’attende de la décision définitive du juge pénal également saisi de ces délits. Elle précise que le magistrat instructeur a mis en examen deux de ses anciens dirigeants, à savoir MM. [S] [V] et [N] [Z]. Elle soutient à titre subsidiaire que cette demande est justifiée par l’intérêt d’une bonne administration de la justice en raison des liens étroits entre les demandes indemnitaires des salariés et les procès-verbaux transmis au procureur de la République par l’inspecteur du travail.
La société Tessi Ouest indique ensuite que l’action portant sur la licéité du contrat de prestation de service est une action relative à l’exécution du contrat de travail et que le délai de prescription applicable est de deux ans. Elle reprend une à une les dates d’engagement des salariés en contrat à durée indéterminée, lesquelles s’échelonnent du 2 juin 2014 au 4 avril 2015, et fait observer que l’action des salariés est prescrite puisque la saisine du conseil de prud’hommes a eu lieu plus de deux années après leur recrutement et donc la connaissance des conditions d’exécution de leur contrat de travail.
I – Sur la légalité du contrat de prestation de service
Sur le fond, la société Tessi Ouest fait valoir que le contrat de prestation de service conclu avec la société CNP Assurances est conforme aux exigences réglementaires et jurisprudentielles, c’est-à-dire exclusif des délits de prêt illicite de main d”uvre et de marchandage. Elle reprend ensuite un à un les principes gouvernant le contrat de prestation de service conclu avec la société CNP Assurances.
La société Tessi Ouest rappelle d’abord qu’elle fait partie du groupe Tessi dont le chiffre d’affaires s’élève à plusieurs centaines de millions d’euros de 2017 à 2020 et que ni la société Tessi Documents Services ni elle ne sont placées dans une situation de dépendance économique à l’égard de la société CNP Assurances. Elle souligne que ce contrat de prestation de service représente une part minime du chiffre d’affaires du groupe Tessi et de la société Tessi Documents Services. Elle ajoute que la poursuite de son activité au terme du contrat de prestation de service démontre l’absence de situation de dépendance économique. Elle fait ensuite observer que le terme du contrat de prestation de service était prévu plus de deux ans avant l’auto-saisine de l’inspection du travail et elle conteste ainsi avoir mis fin à ce contrat pour ‘maquiller les faits’.
La société Tessi Ouest soutient ensuite qu’il était normal d’utiliser le matériel informatique et les locaux de la société CNP Assurances en raison de la nature de la prestation de service à réaliser et de la nécessité pour ses salariés d’accéder à la base de données et aux documents papiers de la société utilisatrice. Elle fait observer que cette pratique était reconnue et admise par l’administration et par le ministre du travail.
La société Tessi Ouest affirme par ailleurs que ses salariés n’étaient pas intégrés dans les effectifs de la société CNP Assurances.
Elle indique d’une part que ses salariés réalisaient la prestation de services dans des locaux qui leurs étaient exclusivement réservés et qu’ils n’étaient pas en contact direct avec les salariés de la société CNP Assurances. Elle ajoute que leur environnement de travail était différent de celui des salariés de la société CNP Assurances puisqu’ils avaient leur propre salle de repos, leurs panneaux d’affichages et fiche d’entreprise pour le service de santé au travail.
La société Tessi Ouest estime d’autre part qu’il était normal que le règlement intérieur de la société CNP Assurances ait été porté à la connaissance de ses salariés puisqu’une partie de ce règlement leur était directement opposable notamment s’agissant des règles d’hygiène et de sécurité.
Elle souligne enfin que le fait de faire travailler ses salariés pendant les heures d’ouverture au public du bâtiment de la société CNP Assurances où s’effectue la prestation de service ne constituait pas une irrégularité de nature à lui faire perdre son pouvoir de direction. Elle assure en tout état de cause que les horaires de 9 heures à 17 heures sont des horaires classiques pour une activité tertiaire.
La société Tessi Ouest conteste ensuite avoir dissimulé son identité derrière la société CNP Assurances. Elle soutient qu’il était normal pour ses salariés d’indiquer qu’ils intervenaient pour le compte de la société CNP Assurances lorsqu’ils étaient en contact avec ses clients ou bénéficiaires et que la mention ‘externe’ dans les adresses électroniques de ses salariés caractérisait une absence d’appartenance à la société CNP Assurances.
La société Tessi Ouest prétend également qu’il n’y a eu aucun transfert du lien de subordination à la société CNP Assurances, lequel est pourtant nécessaire à la constatation des délits de prêt illicite de main d”uvre et de marchandage.
À ce titre, la société Tessi Ouest fait observer qu’elle a maintenu le lien de subordination à l’égard de ses salariés en assurant leur gestion administrative et leur encadrement par le biais de Mme [T] [E], responsable de site, laquelle établissait leurs plannings de travail, donnait les instructions de travail et veillait aux absences pour maladie ou congés des salariés. Elle ajoute qu’elle assurait seule la formation de son personnel, qu’elle exerçait de façon exclusive son pouvoir disciplinaire
à l’égard de ses salariés affectés à la réalisation de la prestation de service et qu’elle procédait également aux entretiens professionnels et aux entretiens d’intégration. Elle indique ensuite qu’elle a organisé les élections du comité social et économique auxquelles certains des salariés intimés se sont présentés et qu’elle possédait ses propres accords collectifs distincts de ceux de la société CNP Assurances. Elle prétend enfin qu’elle contrôlait l’exécution de la prestation réalisée par ses salariés et qu’elle s’assurait de leurs suivis par les services de santé au travail.
Outre la gestion administrative de ses salariés, la société Tessi Ouest soutient qu’elle assurait l’encadrement fonctionnel des responsables plateau, des superviseurs et des opérateurs Back Offices.
Elle fait enfin observer que la réception de courriels émanant des responsables de la société CNP Assurances n’est pas de nature à caractériser un pouvoir de direction de celle-ci à l’égard des salariés de la société Tessi Ouest affectés à la réalisation de la prestation de services. Elle assure en tout état de cause que ces courriers ne mentionnent aucune instruction mais de simples informations.
La société Tessi Ouest conclut sur ce point que ses relations avec la société CNP Assurances sont normales et ne constituent pas une atteinte à son pouvoir de direction mais permettent simplement de contrôler régulièrement l’avancement et la qualité de la prestation. Elle assure enfin qu’en l’absence de transfert du lien de subordination, aucun délit de marchandage ne peut être retenu à son encontre.
La société Tessi Ouest fait également valoir qu’elle possède un savoir-faire spécifique et que son activité de traitement de données, et notamment de digitalisation des flux d’information, est distincte de l’activité d’assureur de la société CNP Assurances. Elle prétend que ses missions de traitement de flux documentaires exercées dans le cadre de la prestation de service correspondait à son objet social. Elle ajoute que ses salariés sont des opérateurs de saisie devant analyser les clauses bénéficiaires des contrats d’assurance-vie en déshérence ce qui diffère des missions des gestionnaires de contrats d’assurances.
La société Tessi Ouest souligne ensuite qu’elle devait respecter des objectifs tant quantitatifs, en réalisant un volume mensuel de contrats à initier ou à reprendre dans les délais impartis, que qualitatifs. Elle ajoute qu’elle a mis en place une plate-forme industrielle début 2015 lui ayant permis de traiter un nombre important de contrats d’assurance-vie en déshérence dans un délai de réalisation précis. Elle prétend alors que son savoir-faire spécifique et sa technicité sont exclusifs de toute situation délictuelle de délit de marchandage, de prêt illicite de main d”uvre ou de travail dissimulé. Elle fait ensuite observer que le service ‘BG 24″ de la société CNP Assurances traitait les contrats d’assurance-vie en déshérence complexes et non industrialisables. Elle souligne en tout état de cause que la coexistence de services ayant pour fonction de traiter les contrats d’assurance-vie en déshérence ne caractérise pas une prestation de service illégale ou irrégulière.
Elle conclut sur ce point en indiquant que la rémunération de la prestation de service est en partie forfaitaire mais également déterminée en fonction d’un prix d’exploitation horaire.
II – Sur la demande d’indemnisation du prétendu préjudice moral :
La société Tessi Ouest rappelle que le contrat de prestation de service est valable de sorte que les demandes de dommages et intérêts des intimés en raison du préjudice moral subi suite aux faits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite est infondée. Elle indique en tout état de cause que les intimés n’apportent aucun élément de preuve justifiant une telle demande indemnitaire.
III – Sur la demande de rétablissement des salariés Tessi Ouest ex contrat à durée indéterminée dans leurs droits :
La société Tessi Ouest rappelle que les évolutions législatives relatives au traitement des contrats d’assurance-vie en déshérence ont eu pour conséquence l’apparition d’un volume conséquent de ce type de contrat lequel nécessitait le recours à des prestataires de service puisque la société CNP Assurances n’avait ni la compétence ni l’expérience pour les traiter. Elle soutient alors que la raison d’être du contrat de prestation de service conclu avec la société CNP Assurances était de traiter de façon industrielle et fiable, dans un délai limité, le stock important de contrats en déshérence. La société Tessi Ouest affirme alors que les salariés doivent être déboutés de leur demande de rétablissement dans leurs droits.
IV – Sur la demande de rappel de salaire dû à l’ensemble des intimés anciens salariés en contrat à durée déterminée :
La société Tessi Ouest fait valoir qu’en l’absence de situation de prêt de main d”uvre et de délit de marchandage, la demande de rappel de salaire des salariés intimés est infondée. Elle souligne en outre que ces salariés n’apportent aucun élément justifiant cette demande à hauteur de 3232 euros de salaire moyen lequel correspond à une ancienneté de 16,9 années au sein de la société CNP Assurances. Elle ajoute que les salariés n’apportent pas plus la preuve d’une équivalence de qualification et de salaires entres les postes des deux entreprises. Elle soutient enfin que la moyenne des salaires au sein de la société Tessi Ouest retenue par les salariés à 1550 euros ne correspond pas aux salaires réellement appliqués à chaque intimé.
La société Tessi Ouest soutient à titre subsidiaire que les salariés ne justifient pas que leur demande est fondée dans leur quantum. Elle reprend ensuite la situation individuelle de chacun des salariés et indique qu’ils ne démontrent pas en quoi les salaires revendiqués individuellement correspondent au salaire applicable à un salarié de même qualification au sein de la société CNP Assurances. Elle fait enfin observer que les salariés ne précisent pas la période visée par leur demande de rappel de salaires.
V – Sur la demande de remise de bulletins de salaire modifiés sous astreinte :
La société Tessi Ouest soutient enfin qu’il est matériellement et juridiquement impossible de modifier des bulletins de paie et que cette demande des salariés doit être rejetée par la cour.
*******
Les quatre anciens salariés en contrat à durée indéterminée dans la société Tessi Ouest, dans leurs conclusions d’intimés et d’appelants incidents récapitulatives et responsives, régulièrement communiquées et soutenues à l’audience, reçues au greffe le 13 mai 2022, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, demande à la cour de :
– les recevoir en leur constitution et appel incident ;
– confirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes d’Angers le 26 novembre 2020, en ce qu’il a :
– rejeté la demande de sursis à statuer soulevée par la société Tessi Ouest ;
– rejeté l’ensemble des demandes de prescription d’actions, fin de non-recevoir ou exception de procédure, soulevées par la société Tessi Ouest à l’encontre de l’ensemble des requérants ou d’un requérant en particulier ;
– dit et jugé que la société Tessi Ouest a commis des faits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite au préjudice de chacun des requérants, en application des articles L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail ;
– condamné la société Tessi Ouest à leur verser la somme de 4000 euros chacun en indemnisation du préjudice moral subi suite aux faits de marchandage ainsi que la somme de 4000 euros chacun en indemnisation du préjudice moral subi suite aux faits de prêt de main d’oeuvre illicite ;
– dit que les condamnations de nature indemnitaire porteront intérêts au taux légal à compter du prononcé du présent jugement en application des dispositions des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil ;
– condamné la société Tessi Ouest à leur verser la somme de 1500 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– ordonné l’exécution provisoire de la décision à intervenir en application de l’article 515 du code de procédure civile ;
– condamné la société Tessi Ouest aux dépens.
– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes en ce qu’il :
– les a déboutés de leur demande de dire et juger que le salaire moyen des requérants aurait dû être à minima égal à la somme brute mensuelle de 3232 euros, soit la somme annuelle de 38 783 euros brut ;
– les a déboutés de leurs demandes de rappel de salaire vis-à-vis de la société Tessi Ouest ;
– a dit qu’il n’y a pas lieu à rectification des bulletins de salaire et à astreinte.
Et statuant à nouveau de :
– dire et juger que leur salaire moyen aurait dû être a minima égal à la somme brute mensuelle de 3232 euros, soit la somme annuelle de 38 783 euros brut ;
– condamner la société Tessi Ouest à leur verser les rappels de salaire suivants sur 3 ans:
– M. [K] : 3013,08 euros ou subsidiairement 2793,13 euros ;
– Mme [F] : 50 349 euros ou subsidiairement, 19 613,57 euros ;
– M. [A] : 56 349 euros ou subsidiairement, 31 090,50 euros ;
– M. [W] : 41 568 euros ou subsidiairement, 40 394,52 euros.
En tous les cas :
– condamner la société Tessi Ouest à leur délivrer un bulletin de salaire correspondant sous astreinte de 20 euros par jour de retard, passé 8 jours suivant la notification de la condamnation à intervenir ;
– condamner la société Tessi Ouest à leur verser à chacun la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, en cause d’appel.
In limine litis, les intimés soulignent que la présente procédure est circonscrite aux demandes formulées à l’encontre de la société Tessi Ouest et ne concerne plus la société CNP Assurances.
Ils rappellent ensuite que la demande de sursis à statuer est une faculté utilisée par le juge civil lorsque l’issue de l’affaire pénale est de nature à avoir une influence sur la solution du litige. Ils soulignent en l’espèce que le juge prud’homal était suffisamment informé pour statuer sur leurs demandes et qu’il n’avait aucune raison de surseoir à statuer.
Les salariés affirment ensuite que l’ensemble de leurs actions porte sur l’exécution du contrat de travail lesquelles se prescrivent par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit. Ils font alors observer que les faits dénoncés n’ont été connus qu’à la suite de l’intervention de l’inspection du travail en décembre 2018 et qu’ils avaient alors jusqu’au mois de décembre 2020 pour agir. Ils soutiennent en conséquence que leurs demandes ne sont pas prescrites.
I – Sur les délits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite commis par la société Tessi Ouest au préjudice des salariés :
Les salariés rappellent qu’un contrat de prestation de service ne doit pas être un moyen de contourner la législation pour mettre en place des situations de prêt illicite de main d’oeuvre, marchandage et/ou travail dissimulé. Ils font observer que l’analyse des clauses mentionnées dans le contrat de prestation de service conclu entre la société Tessi Ouest et la société CNP Assurances, les avenants et les documents contractuels permettent de démontrer l’illégalité de ce contrat.
Ils prétendent ainsi que les délits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite sont caractérisés à partir d’un certain nombre d’indices concordants parmi lesquels la dépendance économique d’une entreprise vis-à-vis d’une autre, la fourniture par le donneur d’ordre des moyens nécessaires à l’exécution de la prestation par les travailleurs, la dissimulation de l’identité du sous-traitant derrière celle du donneur d’ordre, le lien de subordination entre les travailleurs et le donneur d’ordre, l’absence de savoir-faire spécifique du sous-traitant ou encore le caractère lucratif de l’opération au préjudice des salariés. Ils font observer que l’ensemble de ces indices sont réunis en l’espèce.
Les salariés soutiennent d’abord que la société Tessi Ouest est placée dans une situation de dépendance économique à l’égard de la société CNP Assurances laquelle a été son client unique pendant 5 ans. Ils rappellent que la société Tessi Ouest a été réactivée en 2014 et mise en activité uniquement pour l’exécution du contrat de sous-traitance passé avec la société CNP Assurances dans lequel elle n’est jamais mentionnée. Ils ajoutent que la société Tessi Ouest n’a jamais été immatriculée sur [Localité 6] pendant l’entière durée du contrat de sous-traitance alors qu’elle y exerçait l’intégralité de son activité depuis janvier 2014. Ils font ensuite observer que cette dépendance est totale et ce indépendamment de l’appartenance de la société Tessi Ouest au groupe Tessi comme le démontre le licenciement de plus des deux tiers des effectifs au terme du contrat de sous-traitance.
Les salariés affirment par ailleurs que la fourniture des moyens par la société CNP Assurances caractérise les délits de marchandage et de prêt de main d”uvre illicite. Ils précisent ainsi qu’ils ont exercé leur activité dans les locaux loués, meublés et entretenus par la société CNP Assurances et qu’ils utilisaient son matériel informatique alors que la prestation pouvait être externalisée compte tenu de son caractère informatisé. Ils ajoutent qu’ils ont été formés par les salariés de la société CNP Assurances durant les quatre premiers mois de la prestation.
Ils assurent également que la société Tessi Ouest a dissimulé son identité derrière celle de la société CNP Assurances, son donneur d’ordre, à l’égard de l’administration, des assurés et des bénéficiaires clients. Ils prétendent ainsi que la mention ‘Tessi Ouest’ n’apparaissait ni dans les locaux, ni sur les étiquetages ni sur leurs badges et qu’ils devaient se présenter comme étant CNP Assurances auprès des bénéficiaires clients. Ils ajoutent que l’activité de la société Tessi Ouest était maquillée tant physiquement que juridiquement compte tenu de l’absence d’immatriculation de la société sur [Localité 6] et de l’absence de mention de la société Tessi Ouest dans le contrat de prestation de service.
Les salariés relèvent ensuite l’existence d’un lien de subordination de fait entre eux et la société CNP Assurances laquelle leur donnait quotidiennement des directives et les encadrait. Ils assurent ainsi que l’organisation de la société Tessi Ouest est ‘calquée’ sur celle du service SR81 et BG24 de la société CNP Assurances avec un ‘responsable de site’, des ‘responsables de plateau’, des ‘superviseurs’ et des ‘gestionnaires’. Ils relèvent alors l’existence d’une identité de fonctions entre eux et ces services lesquels traitent également des contrats d’assurance-vie en déshérence et avaient un rôle de direction, de contrôle et de formation à leur égard. Ils soulignent également la réception du règlement intérieur de la société CNP Assurances et la rédaction tardive de celui de la société Tessi Ouest. Les salariés font également observer qu’aucun d’entre eux n’avaient le statut de
cadre et ne possédaient les ‘fonctions de direction, de pilotage et de responsabilité d’un service’ lesquels étaient directement exercées par les cadres de la société CNP Assurances. Ils ajoutent que l’ensemble des process et procédures pratiqués émanaient de la société CNP Assurances. Ils concluent alors que leurs activités, l’organisation de leur travail et la définition de leurs tâches quotidiennes étaient préalablement décidées par la société CNP Assurances.
Les salariés relèvent par ailleurs l’absence de savoir-faire spécifique de la société Tessi Ouest. Ils rappellent qu’aucun salarié ne travaillait pour la société Tessi Ouest avant le début de la prestation de service et que l’absence de savoir-faire spécifique avait été déjà dénoncée par le CHSCT dès janvier 2014. Ils ajoutent que l’activité de ‘saisie de données’ déclarée par la société Tessi Ouest ne correspondait ni aux activités indiquées dans le contrat de prestation de service, ni aux offres d’emploi destinées à leurs embauche, ni à leurs niveaux d’étude. Ils prétendent alors qu’ils exerçaient une activité d’assurances laquelle ne correspondait pas à l’objet social de la société Tessi Ouest. Ils reprennent ensuite les termes de l’inspecteur du travail selon lesquels ‘le contrat de prestation ne précise pas en quoi Tessi Documents Services apporte un savoir-faire spécifique et nécessaire à l’exécution de la prestation, dont ne disposerait pas CNP Assurances’. Ils assurent par ailleurs que la société Tessi Ouest, laquelle ne justifiait d’aucun process ‘d’industrialisation’ spécifique, se contentait d’appliquer les procédures de la société CNP Assurances sous le contrôle et les directives du service BG24. Ils soulignent également que 27 salariés étaient anciennement salariés de la société CNP Assurances et notamment au sein du service traitant les contrats en déshérence. Les salariés soutiennent que leurs postes de ‘gestion de dossiers d’assurances’ étaient identiques à ceux du service BG24. Ils ajoutent qu’ils effectuaient également une tâche d”entraide’ laquelle n’était pas prévue dans le cadre du contrat de prestation de service. Ils concluent que l’absence d’activité, de salariés et de chiffre d’affaires avant la conclusion du contrat de prestation de service caractérise l’absence d’un savoir-faire spécifique de la société Tessi Ouest.
Les salariés indiquent par ailleurs qu’ils étaient intégrés au quotidien dans les effectifs de la société CNP Assurances puisqu’ils partagent avec les salariés de celle-ci les mêmes locaux, un espace unique de restauration et les mêmes outils de travail. Ils soutiennent ainsi que le quotidien d’un salarié de la société Tessi Ouest est en tous points comparable à celui d’un salarié de la société CNP Assurances excepté le salaire perçu.
Ils indiquent ensuite que la rémunération de la prestation ne dépendait ni de la qualité ou quantité des résultats ni de l’atteinte d’objectifs mais seulement du nombre de salariés affectés à cette prestation. Ils assurent alors que le contrat de prestation n’a pas été conclu en raison d’une compétence particulière mais uniquement pour permettre d’embaucher les salariés dont la CNP Assurances n’avait plus besoin.
Les salariés font également observer le caractère lucratif de l’opération tant pour le groupe Tessi et les sociétés Tessi Ouest et Tessi Documents Services que pour la société CNP Assurances.
Ils concluent que la société CNP Assurances a recouru à un contrat de sous-traitance pour une activité relevant de son c’ur de métier et exercée auparavant en interne et que les tâches à accomplir correspondaient à l’activité normale et permanente de l’entreprise de sorte que le recrutement des salariés aurait dû intervenir en contrat à durée indéterminée. Ils assurent alors que le contrat de sous-traitance s’analyse comme une man’uvre concertée entre les sociétés Tessi Ouest et CNP Assurances laquelle caractérise les délits de marchandage et de travail dissimulé.
Ils assurent alors qu’ils ont subi un préjudice causé par la différence de rémunération avec leurs collègues du service BG24 de la société CNP Assurances et par l’absence de bénéfice des avantages internes de la société CNP Assurances et de ceux découlant de la convention collective nationale des sociétés d’assurances. Ils font enfin observer que leur salaire moyen annuel brut était de 18 600 euros alors que celui des salariés de la société CNP Assurances s’élevait à 38 783 euros avec une moyenne basse autour de 33 000 euros.
II – Sur le rétablissement des salariés Tessi Ouest anciennement en contrats à durée indéterminée dans leurs droits
Les salariés affirment que l’activité de gestion des contrats qu’ils exerçaient correspondait à l’activité normale et permanente de la société CNP Assurances. Ils soulignent alors qu’ils ont été privés des avantages dont ils auraient dû bénéficier de manière continue depuis février 2014 et sollicitent le même salaire moyen mensuel brut d’un salarié de la société CNP Assurances à savoir 3232 euros soit 38 783 euros annuels.
III – Sur les rappels de salaire dus à l’ensemble des requérants
Les salariés indiquent qu’ils n’ont connu les faits fondant leur demande de rappel de salaires qu’à la suite de l’enquête menée par l’inspecteur du travail de sorte qu’ils sont fondés à solliciter un rappel de salaire sur les trois dernières années lequel correspond à la différence entre le salaire qu’ils auraient perçu s’ils avaient été embauchés par la société CNP Assurances et celui versé par la société Tessi Ouest.
Ils soulignent que les salariés de la société CNP Assurances bénéficiaient des avantages de la convention collective nationale des sociétés d’assurances et des accords collectifs (salaire de base majoré, prime de 13ème et 14ème mois, 9 semaines de congés payés, intéressement, participation, comité d’entreprise de la CNP, tickets restaurant…) dont ils ont été privés. Ils assurent que le comparatif de leurs bulletins de salaires avec ceux de leurs homologues de la société CNP Assurances affectés aux mêmes postes de travail révèle une différence estimée à plus de 20 000 euros annuels.
IV – Sur l’indemnisation du préjudice moral subi par l’ensemble des requérants :
Les salariés font enfin valoir que le recours à l’emploi des salariés par le biais du marchandage et du prêt illicite de main d”uvre leur a causé un préjudice moral considérable indépendant de leur préjudice financier. Ils affirment que dans l’hypothèse d’infractions multiples, les juges du fond condamnent les sociétés coupables à verser des dommages et intérêts substantiels pour le préjudice subi relatif à chacune des infractions.
******
La société CNP Assurances, dans ses conclusions, régulièrement communiquées et soutenues à l’audience, reçues au greffe le 16 mai 2022, ici expressément visées et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé, demande à la cour de :
– constater le dessaisissement de la cour d’appel et l’extinction de l’instance devant la cour d’appel à son encontre ;
– statuer ce que de droit sur les dépens.
La société CNP Assurances souligne qu’elle a accepté le désistement d’appel à son égard et que ni la société Tessi Ouest ni les salariés ne formulaient de demandes à son encontre en cause d’appel. Elle reprend l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 29 juin 2021 laquelle a constaté le désistement d’appel partiel de la société Tessi Ouest à son encontre et l’extinction de l’instance devant la cour entre elle et la société Tessi Ouest. Elle sollicite alors la constatation de l’extinction de l’instance à son encontre.
MOTIVATION
Sans opposition des parties, il y a lieu de constater la reprise d’instance dans les suites de la constitution de Maître Inès Rubinel, avocate au Barreau d’Angers, en qualité d’administratrice provisoire de Maître [B] [I].
Sur la SA CNP Assurances
Aux termes des dispositions combinées des articles 907 et 787 du code de procédure civile, le conseiller de la mise en état constate l’extinction de l’instance, ce qu’il a fait par ordonnance en date du 29 juin 2021 à la demande de la SAS Tessi Ouest, acceptée par la SA CNP Assurances, cette décision n’ayant cependant pas l’autorité de la chose jugée.
Les parties conviennent de l’absence de demandes présentées à l’encontre de la SA CNP Assurances et acceptent qu’en cause d’appel les demandes de condamnation ne concernent que la SAS Tessi Ouest.
La cour constate l’extinction de la présente instance à l’égard de la SAS CNP Assurances.
Sur le sursis à statuer
La cour est compétente pour statuer sur la demande de sursis à statuer, sur laquelle le conseil de prud’hommes s’est aussi prononcé.
Aux termes des dispositions de l’article 4 du code de procédure pénale :
‘ L’action civile en réparation du dommage causé par l’infraction prévue par l’article 2 peut être exercée devant une juridiction civile, séparément de l’action publique.
Toutefois, il est sursis au jugement de cette action tant qu’il n’a pas été prononcé définitivement sur l’action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La mise en mouvement de l’action publique n’impose pas la suspension du jugement des autres actions exercées devant la juridiction civile, de quelque nature qu’elles soient, même si la décision à intervenir au pénal est susceptible d’exercer, directement ou indirectement, une influence sur la solution du procès civil.’
En l’espèce, il convient d’examiner les demandes indemnitaires et salariales qui sont présentées devant les juridictions prud’homales.
Dans le dernier état de leurs conclusions, les intimés sollicitent qu’il soit reconnu que la société Tessi Ouest a commis des faits de marchandage et de prêts de main d’oeuvre illicite en application des articles L. 8231-1 et L. 8241-1 du code du travail.
Il s’agit d’infractions pénales délictuelles punies d’une peine d’emprisonnement et d’une peine d’amende conformément aux dispositions des articles L. 8234-1 et L. 8243-1 du code du travail.
En raison de ces opérations illicites, les salariés requérants sollicitent la condamnation de la société Tessi Ouest à des dommages et intérêts mais également à un rappel de salaire qui correspond à la différence entre le salaire qu’ils auraient perçu s’ils avaient été embauchés par la CNP Assurances et celui versé par la société Tessi Ouest. Dans leurs écritures, ils reprochent d’ailleurs au conseil de prud’hommes de ne pas être allé jusqu’au bout du raisonnement alors qu’il ‘a pourtant reconnu sans détours les faits de marchandage et de prêt de main d’oeuvre illicite commis’.
En somme, la cour statuant en matière prud’homale comprend qu’elle est saisie d’une demande tendant à faire reconnaître la commission de deux infractions pénales puis à l’indemnisation du préjudice des salariés qui se prétendent victimes de telles infractions.
Cependant, la juridiction pénale est déjà saisie de ces faits sur la base des mêmes procès-verbaux versés aux présents débats, établis par l’inspection du travail. Cette juridiction est en tout état de cause seule compétente pour statuer sur l’existence des éléments constitutifs de l’infraction et par conséquent pour reconnaître éventuellement la qualité de victimes aux salariés.
Ainsi, le litige tel que présenté devant le conseil de prud’hommes et devant la cour entre dans les prévisions des dispositions de l’article 4 alinéas 1 et 2 du code de procédure pénale. Par conséquent, la cour doit bien évidemment surseoir à statuer dans l’attente d’une décision pénale définitive.
Le jugement est infirmé de ce chef.
Le surplus des demandes et les dépens sont réservés.
Le dossier est retiré du rôle et sera réinscrit à la demande d’une des parties après décision définitive sur l’action publique.
PAR CES MOTIFS
La COUR,
Statuant par arrêt contradictoire, prononcé publiquement et par mise à disposition au greffe
Constate la reprise d’instance dans les suites de la constitution de Maître Inès Rubinel, avocate au Barreau d’Angers, en qualité d’administratrice provisoire de Maître [B] [I] ;
Constate l’extinction de la présente instance à l’égard de la SAS CNP Assurances ;
Infirme le jugement du conseil de prud’hommes d’Angers du 26 novembre 2020 en ce qu’il a rejeté la demande de sursis à statuer présentée par la SAS Tessi Ouest ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant ;
Prononce un sursis à statuer dans l’attente de la décision définitive sur l’action publique;
Ordonne de ce chef le retrait de l’affaire du rôle de la chambre sociale de la cour d’appel d’Angers et dit qu’elle sera réenrôlée à l’initiative de la partie la plus diligente, après décision définitive sur l’action publique ;
Réserve le surplus des demandes et les dépens.
LE GREFFIER,LE PRÉSIDENT,
Viviane BODINEstelle GENET