Prêt illicite de main d’oeuvre : 11 mai 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/03035

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Prêt illicite de main d’oeuvre : 11 mai 2022 Cour d’appel de Versailles RG n° 19/03035
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COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

17e chambre

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MAI 2022

N° RG 19/03035

N° Portalis DBV3-V-B7D-TLOI

AFFAIRE :

[G] [U]

C/

Société AALBERTS LYON

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 24 juin 2019 par le Conseil de Prud’hommes de VERSAILLES

Section : E

N° RG : F16/00143

Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :

Me Martine DUPUIS

Me Claire RICARD

Me Jean-Luc LETENO

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE VINGT DEUX,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :

Monsieur [G] [U]

né le 30 août 1952 à [Localité 9]

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Thibault ROULLET de la SCP ELATHA, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 568

APPELANT

****************

Société AALBERTS LYON

N° SIRET : 488 552 951

[Adresse 6]

[Localité 4]

Représentant : Me Marion SIMONET de la SELAS EPILOGUE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1733 et Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

Société CLESSE INDUSTRIES

N° SIRET : 392 285 664

[Adresse 11]

[Adresse 8]

[Localité 7]

Représentant : Me Jean-Luc LETENO, Plaidant/ Constitué, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1051

SA COMAP

N° SIRET : 302 304 068

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Marion SIMONET de la SELAS EPILOGUE AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de LYON, vestiaire : 1733 Me Claire RICARD, Constitué, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 622

INTIMÉES

***************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 10 Mars 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Clotilde MAUGENDRE, Présidente,

Monsieur Laurent BABY, Conseiller,

Madame Nathalie GAUTIER, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Dorothée MARCINEK

Par jugement du 24 juin 2019, le conseil de prud’hommes de Versailles (section encadrement) a :

– dit ses demandes recevables,

– débouté M. [G] [U] de sa demande de résiliation judiciaire,

– dit que le licenciement pour inaptitude de M. [U] était licite,

– dit qu’il n’existait pas de situation de co-emploi entre la société Comap et la société Clesse Industries,

– mis la société Clesse Industries hors de cause,

– débouté M. [U] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société Comap,

– condamné la société Aalberts Industries Lyon à verser à M. [U] les sommes suivantes :

. 56 160 euros au titre du rappel des primes d’objectifs 2015,

. 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné M. [U] à verser la somme de 500 euros à la société Clesse Industries au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté la société Aalberts Industries Lyon de sa demande reconventionnelle,

– débouté la société Comap de sa demande reconventionnelle,

– mis les éventuels dépens à la charge de la société Aalberts Industries Lyon.

Par déclaration adressée au greffe le 24 juillet 2019, M. [U] a interjeté appel de ce jugement.

Une ordonnance de clôture a été prononcée le 4 janvier 2022.

Par dernières conclusions remises au greffe le 8 avril 2020, M. [U] demande à la cour de :

– déclarer recevable l’appel qu’il a formé,

– infirmer le jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Versailles le 24 juin 2019 en ce qu’il a :

. l’a débouté de sa demande de résiliation judiciaire,

. dit que le licenciement pour inaptitude est licite,

. dit qu’il n’existe pas de situation de co-emploi entre la société Comap et la société Clesse Industries,

. mis la société Clesse Industries hors de cause,

. l’a débouté de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société Comap,

. l’a condamné à verser la somme de 500 euros à la société Clesse Industries au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant de nouveau,

– constater la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la société Aalberts Lyon (anciennement dénommée Aalberts Industries Lyon),

– dire que la situation de co-emploi est établie à l’encontre des sociétés Comap et Clesse Industries,

en conséquence,

– condamner in solidum la société Aalberts Lyon, la société Comap et Clesse Industries à lui verser les sommes suivantes :

. 94 970,00 euros au titre du solde de l’indemnité de licenciement,

. 53729,75 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

. 350 000 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

. 100 000 euros au titre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

. 50 000 euros en réparation du préjudice lié au prêt illicite de main d”uvre auprès de la société Clesse Industries,

– constater que la société Comap s’est rendue coupable de travail dissimulé avec la complicité de la société Aalberts Lyon,

en conséquence,

– condamner la société Comap à lui verser la somme de 70 200 euros au titre du travail dissimulé,

à titre subsidiaire,

– constater que le licenciement pour inaptitude est nul,

en conséquence,

– condamner la société Aalberts Lyon à lui verser les sommes de :

. 94 970,00 euros au titre du solde de l’indemnité de licenciement,

. 53 729,75 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis et de l’indemnité compensatrice de congés payés afférents,

. 175 500,00 euros au titre du rappel de salaires du mois d’août 2016 à novembre 2017 (date de l’audience),

. 350 000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice subi par la rupture du contrat de travail,

. 100 000 euros au titre des dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

en tout état de cause,

– débouter les sociétés Aalberts Lyon, Comap et Clesse Industries de l’ensemble de leurs demandes,

– condamner solidairement les sociétés Aalberts Lyon, Comap et Clesse Industries à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– les condamner solidairement aux entiers dépens de l’instance.

Par dernières conclusions remises au greffe le 17 janvier 2020, la société Aalberts Lyon et la société Comap demandent à la cour de :

– confirmer la décision entreprise en ce qu’elle a :

. débouté M. [U] de sa demande de résiliation judiciaire,

. dit que le licenciement pour inaptitude de M. [U] était licite,

. dit qu’il n’existait pas de situation de co-emploi entre les sociétés Comap et Clesse Industries,

. débouté M. [U] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de la société Comap,

– infirmer pour le surplus, en ce que la décision entreprise a :

. condamné la société Aalberts Lyon à verser à M. [U] les sommes suivantes :

. 56 160 euros au titre du rappel des primes d’objectifs 2015,

. 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

à titre principal,

– débouter M. [U] de ses demandes au titre de la prime sur objectifs,

subsidiairement,

– limiter le montant de la prime d’objectifs 2015 à la somme de 28 080 euros,

y ajoutant,

– condamner M. [U] à verser à la société Aalberts Lyon la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [U] à verser à la société Comap la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner M. [U] aux dépens de l’instance.

Par dernières conclusions remises au greffe le 17 janvier 2020, la société Clesse Industries demande à la cour de :

– confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Versailles en ce qu’il a mis hors de cause la société Clesse Industrie et a condamné M. [U] à lui verser la somme de 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté M. [U] de toutes ses demandes, fins et conclusions,

– condamner le salarié au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens.

LA COUR,

M. [G] [U] a été engagé par la société Comap en qualité de Directeur Export par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er février 1988.

La société Comap a rejoint le groupe néerlandais Aalberts Industrie.

Le groupe Aalberts Industries Nederland BV, dénommée désormais société Aalberts, possédait des parts de la SNC Aalberts Industries Lyon, devenue la société Aalberts Lyon, située à [Localité 10].

La société mère Aalberts Lyon avait pour filiales la SA Comap, située à Lyon et la SAS Clesse Industries, située à [Localité 7].

L’effectif de la société Aalberts Lyon était de deux salariés lors de la rupture : M. [C], président directeur général (PDG) de la société Aalberts Lyon et de la SA Comap, et

M. [U].

Les relations contractuelles étaient régies par la convention collective ingénieurs et cadres de la métallurgie.

M. [U] percevait une rémunération brute mensuelle de 11 700 euros.

Le 29 novembre 2013, M. [U] a signé un contrat de travail à durée indéterminée avec la société Aalberts Lyon, qui était qualifié d’avenant et prévoyait qu’il occuperait le poste de Directeur du Développement de la société Clesse Industries sur le site de [Localité 7] sous l’autorité de M. [C].

Le 20 décembre 2013, la société Comap, seule associée de SAS Clesse Industries, a pris acte de la démission de M. [C] de ses fonctions de président de la SAS Clesse Industries et a nommé M. [U] en remplacement.

A cette date, M. [U] disposait donc d’un mandat social et d’un contrat de travail.

En fin d’année 2014, le groupe néerlandais Aalberts Industries a annoncé la vente de la SAS Clesse Industries.

Le 18 décembre 2014, M. [U] a démissionné de son mandat de président de la société Clesse Industries et a été remplacé par la SAS Class Invest.

Également le 18 décembre 2014, M. [U] a signé avec la société Aalberts Lyon un contrat de mise à disposition temporaire auprès de la société Clesse Industries, représentée par la SAS Class Invest, pour y exercer les fonctions de Directeur du Développement et conseiller de la direction générale aux fins d’accompagner le repreneur et ce du 19 décembre 2014 au 31 décembre 2015.

La convention de mise à disposition prévoyait en son article 10 qu’au moment de sa réintégration il lui serait proposé un ‘poste emploi similaire à celui qu’il occupait précédemment assorti d’une rémunération équivalente.’, l’article 5 offrant notamment au salarié une faculté de résiliation trimestrielle de la mise à disposition.

Par lettre du 22 mai 2015, M. [U] a mis fin de manière anticipée à son contrat de mise à disposition à effet du 30 juin 2015.

Par lettre du 7 juillet 2015, la société Aalberts Industries a pris acte de la décision unilatérale de M. [U] de mettre fin à son mandat de directeur général de la société Clesse et lui a confirmé qu’une rencontre était prévue en septembre pour évoquer de nouvelles opportunités professionnelles au sein du groupe Aalberts Lyon.

Entre septembre et novembre 2015, la société Aalberts Lyon a présenté trois offres de postes déclinées par M. [U].

Le 3 février 2016, M. [U] a saisi le conseil de prud’hommes de Versailles d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat avec la société Aalberts Lyon.

M. [U] a été en arrêt maladie du 4 mars 2016 jusqu’au 26 avril 2016.

Le 26 avril 2016, lors de la visite médicale de reprise, M. [U] a été déclaré ‘inapte définitif au poste et à tous poste dans l’entreprise – Une seule visite est faite car danger immédiat pour la santé du salarié à reprendre le travail.’

Par lettre du 10 juin 2016, la société Aalberts Lyon a proposé à M. [U] un reclassement au sein de la société Comap en qualité de directeur analyse et développement business, avec rattachement au PDG de la société Compas.

M. [U] a refusé cette proposition de reclassement le 17 juin 2016.

Par lettre du 27 juin 2016, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable en vue d’un éventuel licenciement, fixé le 7 juillet 2016.

M. [U] a été licencié par la société Aalberts Lyon par lettre du 15 juillet 2016 pour inaptitude dans les termes suivants :

« En raison de l’avis d’inaptitude à votre poste de travail rendu par le médecin du travail le 26 avril 2016, nous avons recherché, en concertation avec le Médecin du travail, les possibilités de reclassement existant dans toutes les sociétés du groupe AALBERTS INDUSTRIE.

Par courrier du 10 juin 2016, nous vous avons proposé, après validation par le Docteur [P], Médecin du travail, le poste de Directeur Analyse et Développement Business directement rattaché au Président-Directeur Général de COMAP SA.

Par courrier du 17 juin 2016, vous avez refusé ce poste.

En l’absence de toute autre poste disponible à ce jour, correspondant à votre profil et aux préconisations du Médecin du travail, votre reclassement s’avère impossible au sein de notre Groupe de sorte que nous sommes contraints de vous notifier par la présente, votre licenciement pour inaptitude.

La rupture de votre contrat de travail prendra effet dès la première présentation de cette lettre et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis. »

Le 26 juin 2018, le procureur de la République de Lyon a classé sans suite la plainte de

M. [U] pour travail dissimulé à l’encontre de la société Aalberts Lyon et la SA Comap.

Sur le prêt illicite de main d’oeuvre commis par la société Aalberts Industries Lyon :

M. [U] expose que la société Aalberts Lyon l’a engagé pour qu’il travaille exclusivement pour le compte de la SAS Clesse Industries en occupant un poste de dirigeant tout en exerçant également des fonctions au sein de la société Aalberts Lyon qui lui fixait des objectifs à atteindre et qui retirait des bénéfices du prêt puisque ses salaires, charges et frais de déplacement étaient pris en charge par la SAS Clesse Industries et qu’il travaillait également pour le compte de la société Aalberts Lyon.

Il explique que cette mise à disposition est « officialisée » par un contrat temporaire en décembre 2014 et que cela lui cause un préjudice puisqu’à partir du moment où la société SAS Clesse Industries a estimé ne plus avoir besoin de ses services elle a conclu un contrat de mise à disposition pour éviter à la société Aalberts Lyon une procédure de licenciement coûteuse compte tenu de ses années d’ancienneté.

Il ajoute que ce montage juridique a eu pour objectif d’organiser sa mise ‘ au placard ‘ progressive et que l’exercice d’un mandat social ne permet pas d’éluder les règles du droit du travail et notamment celle de la mise à disposition.

La société Aalberts Lyon réplique qu’il ne peut pas être question de mise à disposition jusqu’ au 18 décembre 2014 et qu’ensuite, il n’est pas nécessaire de faire la démonstration de l’absence de tout but lucratif à la lecture de l’accord.

L’article L. 8241-2 du code du travail, dans sa version applicable au litige, dispose que :

« Les opérations de prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif sont autorisées.

Dans ce cas, les articles L. 1251-21 à L. 1251-24, L. 2313-3 à L. 2313-5 et L. 5221-4 du présent code ainsi que les articles L. 412-3 à L. 412-7 du code de la sécurité sociale sont applicables.

Le prêt de main-d’oeuvre à but non lucratif conclu entre entreprises requiert :

1° L’accord du salarié concerné ;

2° Une convention de mise à disposition entre l’entreprise prêteuse et l’entreprise utilisatrice qui en définit la durée et mentionne l’identité et la qualification du salarié concerné, ainsi que le mode de détermination des salaires, des charges sociales et des frais professionnels qui seront facturés à l’entreprise utilisatrice par l’entreprise prêteuse ;

3° Un avenant au contrat de travail, signé par le salarié, précisant le travail confié dans l’entreprise utilisatrice, les horaires et le lieu d’exécution du travail, ainsi que les caractéristiques particulières du poste de travail. »

Sont interdits les prêts de main d’oeuvre exclusifs à but lucratif.

Il n’est pas discuté qu’étant salarié de la SA Comap, M. [U] a été engagé par la société Aalberts Lyon pour être nommé Directeur du Développement au sein de la SAS Clesse Industries puis a été désigné mandataire social.

La société Aalberts Lyon explique que le contrat de travail du 29 novembre 2013 était destiné à protéger le salarié en cas de révocation de son mandat, ce que ne conteste pas ce dernier, lequel a ensuite assuré la transition lors de la cession de la SAS Clesse Industries suivant convention de mise à disposition.

S’agissant de la période du 1er décembre 2013 au 18 décembre 2014, M. [U] a signé un contrat à durée indéterminée par avenant avec la société mère avec exercice de son activité professionnelle au sein de la SAS Clesse Industries, filiale, le salarié étant rémunéré par la société Aalberts Lyon, comme en attestent les bulletins de paye et restant sous la subordination de M. [C], en sa qualité de PDG de la société Aalberts Lyon selon les dispositions contractuelles.

La désignation du salarié en qualité de directeur de la filiale de la SAS Clesse Industries dans le cadre d’un contrat à durée indéterminée n’entre pas dans le champ du prêt de main- d”uvre.

Sa rémunération et tous les avantages, sont pris en charge par la société Aalberts Lyon et non par la SAS Clesse Industries.

Les règles spécifiques du prêt de main d’oeuvre ne trouvent donc pas ici à s’appliquer.

La désignation de M. [U] en qualité de mandataire social est également sans conséquence, le prêt de main d”uvre ne se concevant que dans le cadre d’un contrat de travail et non d’un mandat social.

S’agissant de la période du 19 décembre 2014 au 30 juin 2015, il est établi qu’une convention de prêt de main d’oeuvre a été conclue entre les sociétés Aalberts Lyon et Clesse Industries pour une mission précise et définie pendant une année, afin d’aider le repreneur de la SAS Clesse Industries, convention prévoyant la mise à disposition de M. [U].

La convention de mise à disposition temporaire prévoit que la société Aalberts Lyon demeure l’employeur de M. [U] et le rémunère à ce titre, en ce compris les avantages en nature et qu’en contrepartie, la SAS Clesse Industries paye à la société Aalberts Lyon ‘ 100% du salaire et charges’ de M. [U].

M. [U] ne communique aucune pièce démontrant qu’il travaillait également pour la société Aalberts Lyon lorsqu’il était mis à disposition de la SAS Clesse Industries.

Le caractère lucratif pour la société Aalberts Lyon de la mise à disposition temporaire à la SAS Clesse Industries pendant six mois n’est pas rapporté.

Pas davantage le salarié ne justifie que la société Aalberts Lyon a cherché à contourner les règles du code du travail pour en tirer un bénéfice puisque depuis le 29 novembre 2013 elle était la seule compétente pour prononcer un licenciement, y compris pendant la période de mise à disposition.

M. [U] n’établit donc pas que la mise à disposition a eu pour objet de contourner les dispositions du contrat du 29 novembre 2013 ni que cette situation a eu pour objet de l’écarter petit à petit de la société Aalberts Lyon pour le licencier sans coût.

En tout état de cause, le ‘ transfert ‘ évoqué par M. [U] de la SA Comap à la société Aalberts Lyon avec mise à disposition à la SAS Clesse Industries a toujours été fait aux termes d’un contrat de travail régulier protégeant les droits du salarié et il n’existe aucune ambiguïté pour déterminer depuis le 29 novembre 2013 son employeur et les règles de droit applicables.

Confirmant le jugement, M. [U] sera débouté de sa demande de dommages et intérêts à l’encontre de la société Aalberts Lyon pour prêt illicite de main d’oeuvre auprès de la SAS Clesse Industries, y ajoutant le salarié sera débouté de ses demandes de dommages et intérêts formées à l’encontre de la SA Comap et la SAS Clesse Industries à ce titre.

Sur le travail dissimulé commis par la société Comap :

M. [U] soutient que la SA Comap admet que ses services généraux gèrent toutes les questions intéressant les salariés rattachés à la société Aalberts Lyon, en ce comprise sa propre situation. Il explique qu’il était affilié au service de santé au travail de proximité auquel la SA Comap adhère, que le DRH de la société Comap lui a intimé l’ordre de prendre en charge les missions qui lui ont été confiées démontrant un lien de subordination effectif et que le matériel de fonction appartenait également à la SA Comap.

M. [U] indique que tous ces éléments démontrent qu’il a travaillé pour le compte de la SA Comap sans être déclaré et recevoir le moindre bulletin de paye de juillet 2015 à juillet 2016, l’infraction de travail dissimulé étant caractérisée.

La société Aalberts Lyon et la SA Comap indiquent que les éléments caractérisant la dissimulation d’emploi ne sont pas rapportés par le salarié.

La dissimulation d’emploi salarié prévue par l’article L. 8221-5 du code du travail n’est caractérisée que s’il est établi que l’employeur s’est soustrait intentionnellement à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 1221-10 relatif à la déclaration préalable d’embauche ou à l’accomplissement de la formalité prévue à l’article L. 3243-2 relatif à la délivrance d’un bulletin de paie, ou de mentionner sur ce dernier un nombre d’heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d’une convention ou d’un accord collectif d’aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.

M. [U], qui indique au soutien de sa demande de résiliation judiciaire n’avoir eu aucune activité professionnelle durant cette période et s’être retrouvé malgré lui sans fonction, ne peut valablement soutenir qu’il a exercé une activité non déclarée.

Il est également établi que M. [U] a refusé, même temporairement, d’exercer une mission au sein de la SA Comap à compter de septembre 2015.

De juillet 2015 à juillet 2016, la société Aalberts Lyon était constituée de deux salariés,

M. [U] et M. [C], le PDG de la société mais également de la SA Comap.

Il n’est donc pas surprenant que les services Logistique et Ressources Humaines de la SA Comap aient été mis en ‘uvre pour les contrats de ces deux seuls salariés en apportant leur assistance par une mutualisation des moyens.

L’intervention du directeur des Ressources Humaines de la SA Comap, à la demande de

M. [C], est cohérente avec cette organisation pour tout lien avec la médecine du travail, la remise du matériel de fonction par M. [U] lors de la rupture.

Le maintien d’une adresse mail au profit du salarié au sein de la SA Comap à compter du mois de janvier 2016 n’emporte pas davantage conséquence, ce dernier n’ayant plus aucune affectation et devant pouvoir professionnellement être identifié.

Il convient de constater que M. [U] a d’ailleurs adressé tous ces mails sur son adresse personnelle et non avec l’adresse mail de la SA Comap, confirmant également qu’il ne se trouvait pas dans les locaux de la société depuis septembre 2015.

Le mail d’injonction de rejoindre la SA Comap par le directeur des Ressources Humaines est justifié par le fait qu’il était demandé à M. [U] d’effectuer une mission temporaire en novembre 2016 au sein de la SA Comap et confirme d’autant plus que M. [U] n’y était alors pas encore salarié.

La lettre du 18 décembre 2015 de M. [U] faisant part à l’employeur de la situation qu’il estime injuste a été adressée au gérant de la société Aalberts Lyon.

En tout état de cause, M. [U] ne produit aucune pièce démontrant qu’il a effectué une tâche spécifiquement pour la SA Comap.

La demande de congé produit par M. [U] à l’entête de la SA Comap n’est pas signée par la société et les envois directement à cette dernière au sujet de sa situation ont fait l’objet d’une réponse avec un papier à entête de la société Aalberts Lyon, aucune confusion n’étant possible entre les deux entités ni le rôle de M. [C] intervenant toujours en qualité de PDG de la société Aalberts Lyon, le gérant de celle-ci répondant également au salarié sur interpellation de la SA Comap.

Tous les mails proposant un poste au salarié émanaient de la société Aalberts Lyon de sorte qu’il n’existait aucun lien de subordination entre la SA Comap et le salarié.

La mention par le médecin du travail que le salarié travaillait au sein de la SAS Clesse Industries

ne porte également pas à conséquence, cette mention ayant pu être portée sur indication du salarié.

Enfin, le salarié était toujours rémunéré par la société Aalberts Lyon à compter de juillet 2015, puis en arrêt de travail, et les lettres de reclassement puis afférentes à la rupture lui ont été adressées par cette dernière en ce compris la lettre de remise des documents de rupture.

De ces éléments de fait, il découle que la SA Comap ne s’est pas intentionnellement soustraite à ses obligations déclaratives, M. [U] n’ayant pas travaillé pour cette société.

Il convient en conséquence de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté le salarié de ce chef de demande.

Sur le co-emploi :

M. [U] affirme qu’il démontre la situation de co-emploi qu’il a subie par un faisceau d’indices, ce que contestent la société Aalberts Lyon, la SA Comap et la SAS Clesse Industries.

– sur le co-emploi entre la société Aalberts Lyon et la société Comap

Le salarié se prévaut d’interactions manifestes entre les deux sociétés dans la gestion de leur personnel puisque la société Aalberts Lyon est un centre de frais avec deux uniques employés et qu’il a été transféré entre les trois société indifféremment au sein du groupe sans que les formalités de rupture du contrat soient respectées, précisant que l’employeur apparent semblant être la société Aalberts Lyon mais qu’en pratique il travaillait sous la direction de la SA Comap et de son PDG, M. [C].

Il allègue qu’il existe ainsi une confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre ces deux sociétés se traduisant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de la société Aalberts Lyon, lui-même se trouvant sous la subordination effective des deux sociétés.

La société Aalberts Lyon et la SA Comap exposent que la jurisprudence a désormais clairement circonscrit la notion de co-emploi aux situations anormales d’immixtion, Elle réfute toute immixtion de la SA Comap dans la gestion de la société mère, la société Aalberts Lyon.

M. [U] prétend avoir en réalité travaillé sous la dépendance de la SA Comap dont il recevait des instructions et excipe de l’existence d’un lien de subordination.

Entre le 29 novembre 2013 et le 30 juin 2015, le salarié a exercé son activité professionnelle au sein de la SAS Clesse Industries.

Durant cette période, la société Aalberts Lyon ne conteste pas que les services de la DRH de la SA Comap sont intervenus pour le compte de la société Aalberts Lyon.

M. [U] a donc reçu un mail du DRH de la SA Comap le 17 décembre 2014 lors de l’évocation de sa mise à disposition après la vente par la société Aalberts Lyon de la SAS Clesse Industries.

Les envois à compter de la demande de résiliation anticipée du salarié de sa mise à disposition temporaire le 22 mai 2015 sont principalement effectués par le gérant de la société Aalberts Lyon, à l’exception d’un mail du 15 octobre 2015 de M. [C] adressé en qualité de PDG de la SA Comap, qui prend acte de son refus d’occuper un poste proposé au sein de cette société et lui en propose un autre.

Les envois à caractère officiel ont été effectués directement au salarié par la société Aalberts Lyon et les échanges avec M. [C] sont intervenus dans le cadre de propositions de poste plus informelles, reformulées ensuite également par la société Aalberts Lyon.

Le maintien d’un bureau pour M. [U] au sein de la SA Comap n’établit pas davantage le lien de subordination alors qu’il n’est justifié aucun travail effectif ou présence sur site à [Localité 3].

A compter du mois de juillet 2015, il a été précédemment retenu aucun lien de subordination entre la SA Comap et M. [U] au titre du travail dissimulé.

La remise au salarié de deux certificats de travail lors de la rupture le 16 juillet 2016, l’un de la SA Comap pour la période antérieure au 29 novembre 2013 et un autre de la société Aalberts Lyon pour la période suivante ne fait que confirmer la situation à savoir que la SA Comap a cessé d’être l’employeur du salarié à compter de 2013.

Il n’existe donc aucune confusion sur toute la période contractuelle depuis le 29 novembre 2013 sur la qualité d’employeur du salarié, la mutualisation des moyens de la SA Comap avec la société Aalberts Lyon étant expliquée par le nombre réduit de salariés de cette dernière.

Pas davantage, la preuve de l’ingérence de la SA Comap dans la gestion de la société Aalberts Lyon ne peut être rapportée par la remise d’une demande de congés en décembre 2015, fait précédemment évoqué, et signée par aucun responsable.

L’implication entre les deux sociétés ne ressort également pas de la mention sur la fiche d’inaptitude que le salarié est inapte à tout poste de la SA Comap alors qu’il est indiqué que le salarié occupe un poste de directeur de développement de l’activité Clesse, ce qui n’était alors plus le cas, de sorte que le médecin du travail a commis une erreur sur le nom de l’employeur et l’intitulé du poste du salarié.

La mention que M. [U] était sous la subordination hiérarchique de M. [C] dans le contrat signé le 29 novembre 2013, lui-même PDG de la société Aalberts Lyon, ne démontre pas qu’il intervenait au titre de sa fonction de PDG de la SA Comap dans ses relations avec

M. [U].

Dès lors, M. [U], qui ne caractérise pas l’existence d’un pouvoir de direction exercé sur lui par la SA Comap, ne peut se prévaloir d’une quelconque ambiguïté sur la détermination de son employeur.

Hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être qualifiée de coemployeur du personnel employé par une autre société que s’il existe, au-delà de la nécessaire coordination des actions économiques appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer une immixtion permanente de cette société dans la gestion économique et sociale de la société employeuse, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière.

Le salarié n’apporte aucun élément à ce titre.

Enfin, M. [U] a quitté volontairement la SA Comap pour rejoindre la société Aalberts Lyon le 29 novembre 2013.

La mobilité acceptée par le salarié a été accompagnée d’une reprise d’ancienneté et les congés payés acquis, outre la rémunération variable.

L’absence de licenciement ne laisse pas supposer que M. [U], qui n’était plus soumis à un lien de subordination avec la société Comap, était resté sous contrat de la SA Comap jusqu’au 16 juillet 2016, date du licenciement pour inaptitude, les dispositions contractuelles organisant son transfert.

Ainsi, M. [U] ne justifie pas que la SA Comap s’est immiscée dans la gestion économique et commerciale de la société mère ni qu’il a été sous le lien de subordination des deux sociétés.

La situation de co-emploi entre la société Aalberts Lyon et la SA Comap n’existe pas.

– sur la situation de co-emploi entre la société Aalberts Lyon et la SAS Clesse Industries

M. [U] se prévaut du prêt illicite de main- d’oeuvre, précédemment développé, la SAS Clesse Industries s’étant d’après lui comportée comme co-employeur, le montage juridique ambigu entre les deux sociétés démontrant que les dirigeants de la SAS Clesse Industries, société filiale de la SA Comap, étaient parvenus à imposer à la société Aalberts Lyon la signature d’un avenant pour qu’il cesse d’exercer ses fonctions.

Toutefois, le salarié n’apporte aucun élément au soutien de sa prétention alors que le contrat signé le 29 novembre 2013 puis la convention de mise à disposition signé en décembre 2014 ont été régulièrement établis, sans contrevenir aux dispositions légales.

Comme indiqué précédemment, la signature de l’avenant puis de la mise à disposition n’ont pas eu pour effet d’écarter le salarié de la SA Comap, puisque plusieurs postes en retour lui ont été proposés à compter de septembre 2015.

M. [U] ne peut pas davantage affirmer que la mise à disposition a permis à la société Aalberts Lyon d’échapper au paiement des charges, aucune irrégularité n’étant rapportée dans le dossier à ce titre.

En tout état de cause, la SAS Clesse Industries n’étant plus une filiale de la société Aalberts Lyon, seule une convention de mise à disposition permettait d’y détacher M. [U] pour qu’il apporte son expertise.

Cette situation écarte de fait toute notion d’immixtion dans la gestion économique et sociale, les liens entre la société Aalberts Lyon et la SAS Clesse Industries étant rompus.

La situation de co-emploi du salarié entre la société Aalberts Lyon et la SAS Clesse Industries n’est également pas justifiée par la preuve d’une immixtion permanente.

Dès lors, la situation de co-emploi entre la société Aalberts Lyon et la SAS Clesse Industrie n’existe pas.

En conséquence, confirmant le jugement, il convient de débouter M. [U] de ses demandes de condamnations in solidum de nature salariales et indemnitaires au titre du co-emploi à l’encontre de la SA Comap et de la SAS Clesse Industries.

Sur la mise hors de cause de la SAS Clesse Industries :

Compte tenu de ce qui précède, en l’absence de situation de co-emploi et de prêt illicite de main d’oeuvre, il convient, confirmant le jugement, de mettre hors de cause la SAS Clesse Industries.

Sur la rémunération variable :

Les premiers juges ont alloué au salarié la somme de 56 160 euros au titre de la rémunération variable pour l’année 2015 et ont rejeté la demande pour l’année 2016.

Le salarié ne sollicite pas dans le dispositif de ses conclusions l’infirmation du jugement en ce qui concerne la rémunération variable 2016, mais la société Aalberts Lyon demande l’infirmation en ce qui concerne sa condamnation au titre de l’année 2015.

La cour n’a donc à statuer que sur cette demande d’infirmation.

Le contrat prévoit le versement d’une prime sur objectifs dont le contenu et les modalités sont déterminés chaque année.

La convention de mise à disposition applicable à compter du 19 décembre 2014 jusqu’au 31 décembre 2015 précise que la rémunération du salarié continuait à lui être réglée par la société Aalberts Lyon.

Le salarié se prévaut de ce qu’aucun objectif personnel pour 2015 ne lui a été fixé pour solliciter un rappel de prime sur l’année entière.

L’employeur ne le conteste pas mais rappelle que le salarié a mis fin unilatéralement à la mise à disposition à compter du 30 juin 2015 et qu’il n’a plus fourni de prestation de travail après cette date, après avoir refusé trois propositions de postes, l’employeur indiquant qu’à titre subsidiaire la seule somme de 28 080 euros est due.

L’employeur n’établit donc pas avoir fixé les objectifs personnels du salarié pour l’année 2015, lequel n’a pas eu effectivement de réelle activité professionnelle à compter du mois de septembre 2015 faute de proposition d’un poste similaire à celui qu’il occupait précédemment.

Faute pour l’employeur d’avoir fixé au salarié les objectifs annuels, la rémunération variable, dont le calcul n’est pas utilement discuté, est due pour la totalité de l’année 2015.

Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné l’employeur à payer au salarié la somme de 56 160 euros bruts à titre de rappel de prime d’objectifs pour l’année 2015.

Sur l’exécution déloyale du contrat de travail :

M. [U] expose qu’après la fin de sa mise à disposition de la SAS Clesse Industries, il a été relégué au second plan pour des missions qui ne correspondaient pas à ses compétences professionnelles alors qu’il justifiait de 28 années d’ancienneté, la société Aalberts Lyon n’ayant pas respecté son obligation de reclassement, les trois propositions de poste étant déloyales.

La société Aalberts Lyon réplique avoir formulé plusieurs propositions, toutes déclinées par le salarié et réfute toute déloyauté de sa part en ne lui ayant pas fourni un poste similaire à celui qu’il occupait au sein de la SAS Clesse Industries lors de sa mise à disposition.

Elle ajoute que le salarié, en se retranchant derrière les dispositions de la convention de mise à disposition, a adopté une attitude délibérément attentiste et n’a pris aucune initiative, se plaignant d’une inactivité prolongée dont il est le seul artisan.

L’article L. 1222-1 du code du travail prévoit que le contrat de travail est exécuté de bonne foi.

Au cas présent, l’article 10 de la mise à disposition prévoit que ‘ au moment de sa réintégration, le salarié se verra proposer un poste similaire à celui qu’il occupait précédemment assorti d’une rémunération équivalente.’ .

M. [U] devait donc retrouver un poste similaire à celui de Directeur de Développement qu’il occupait au sein de la SAS Clesse Industries et ne devait pas subir une régression à l’issue de la mission temporaire après 28 années d’exercice au sein du groupe.

Sa progression professionnelle avait d’ailleurs été saluée par la revue industrie.mag qui a présenté la nomination de M. [U] au poste de directeur général de la SAS Clesse Industries comme une promotion, la société Aalberts Lyon communiquant elle-même cet article.

M. [U] a sollicité le 22 mai 2015 la résiliation anticipée de la mise à disposition à effet du 30 juin 2015 en respectant les termes de la convention qui prévoyait qu’il pouvait mettre fin à la mission de manière anticipée, ce que ne peut pas lui reprocher la société Aalberts Lyon.

La société Aalberts Lyon ne comptait que deux salariés, M. [U] et M. [C], de sorte que sa réintégration devait s’organiser en dehors de la société mère.

Le salarié est conscient des difficultés posées par sa réintégration, indiquant notamment dans sa lettre du 22 mai 2015 à M. [C] ‘ à partir de juillet, il conviendra d’examiner les conditions de ma réintégration au sein d’Aalberts Industries dans une fonction similaire à celle que j’exerce depuis près de vingt mois chez Clesse.’.

En filigrane se pose également la question d’une rupture conventionnelle alors que M. [U] indique dans sa lettre du 22 mai 2015 avoir eu une discussion avec M. [S], le DRH de SA Comap qui lui a fait part des possibilités de postes très limitées au sein de la société Aalberts.

Le salarié mentionne dans cette lettre que M. [S] lui a proposé ‘ de mettre fin au contrat de travail qui me lie avec Aalberts et présenté une ébauche d’accompagnement financier, il devait revenir vers moi avec une proposition plus complète mais je n’ai pas eu de nouvelle.’.

Cette éventualité n’a pas été suivie d’effet et il ne ressort pas de ce message que le salarié a tenté d’obtenir son départ définitif de l’entreprise en mettant fin prématurément à sa mission dans le cadre de la convention de mise à disposition.

Entre septembre et novembre 2015, la société Aalberts Lyon a proposé trois postes à M. [U] avec maintien de sa rémunération.

Les parties ne communiquent pas la fiche de poste de M. [U] en qualité de Directeur de Développement de la SAS Clesse Industries mais il n’est pas discuté que M. [U] exerçait alors des fonctions managériales et de direction.

Au 31 décembre 2014, avant sa reprise, la SAS Clesse Industries comptait 162 ETP, la SA Comap sur l’ensemble de la France comptait 249 ETP et était dirigée par M. [C], les autres filiales à l’étranger étant réparties sur 6 pays, soit 7 sites, pour un total en ETP de 144, la plus importante en Italie comprenant 43 ETP.

Dans ce contexte, hormis le poste de M. [C], aucun autre poste dans la société Aalberts Lyon et ses filiales n’était de fait comparable ou équivalent à celui qu’occupait M. [U].

M. [U] indique que le poste de directeur général de la SA Comap a été pourvu en décembre 2015 et ne lui a pas été proposé, ce que ne réfute pas la société Aalberts Lyon qui ne s’en explique pas.

Le premier poste et le second poste proposés au salarié en septembre et octobre 2015 n’offraient pas le même positionnement hiérarchique qu’il occupait précédemment et n’étaient en réalité que des missions temporaires sans management.

Ils ne correspondaient pas à des postes pré-existants et n’étaient donc pas indispensables puisqu’ils n’ont pas été ensuite créés et pourvus, ce qui n’est pas contesté par la société Aalberts Lyon.

Le dernier poste proposé, visant à l’acquisition d’une nouvelle entreprise par la SA Comap, correspond, comme l’indique elle- même la société Aalberts Lyon, à un poste déjà occupé par M. [U] dans l’attente d’une autre opportunité.

Ce poste, dont l’importance et l’intérêt sont vantés par la société Aalberts Lyon dans le mail de proposition, n’a jamais été créé et l’acquisition projetée n’a pas été effectuée.

Il s’ensuit que les trois propositions ont été de circonstances, aucun autre poste similaire au précédent n’ayant été proposé au salarié à qui il n’appartenait pas d’effectuer cette recherche à la place de l’employeur.

En tout état de cause, aucun autre poste au sein du groupe néerlandais Aalberts qui compte près de 14 000 salariés n’a été présenté au salarié.

Dès lors, M. [U] établit que la société Aalberts Lyon ne lui a pas proposé de postes correspondant réellement à ses anciennes fonctions et n’a pas respecté les engagements conventionnels quand bien même elle a maintenu le salaire de ce dernier, il s’est retrouvé toutefois dans une situation précaire professionnellement.

Par mail du 9 novembre 2015, la société Aalberts Lyon a indiqué que les postes à profil étaient rares.

L’absence d’opportunités équivalentes était connue par la société Aalberts Lyon.

Il lui appartenait donc d’anticiper cette situation avant de s’engager lors de la signature de la convention temporaire si le reclassement du salarié n’était pas réalisable en raison des fonctions de haut niveau qu’il exerçait.

Alors que le salarié a refusé ces postes qui ne correspondaient pas à ce qu’il était en droit d’attendre en raison de leur positionnement hiérarchique dégradé, la société Aalberts Lyon l’a sommé de reprendre ses fonctions sur l’un des postes sous peine de se voir infliger une sanction disciplinaire, considérant que la proposition du 16 novembre 2015, le projet d’acquisition, était en réalité une instruction émanant du groupe, le refus du salarié constituant alors une insubordination.

M. [U], s’est ainsi retrouvé sans poste de travail, sauf à ce qu’il lui soit proposé en 7 mois trois postes dont deux temporaires, et intimé d’occuper une fonction sans équivalence avec elle précédemment occupée, sans aucune perspective d’avenir, portant ainsi atteinte à sa perspective de carrière.

Dès lors, les agissements de l’employeur, l’absence de respect des dispositions conventionnelles, constituent des manquements à son obligation d’exécution loyale du contrat de travail qui ont eu pour effet de contribuer à une dégradation de l’état de santé du salarié (pièces S 12 à 17) et de ses conditions de travail.

Infirmant le jugement, il sera alloué à M. [U] en réparation du préjudice subi la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.

Sur la résiliation judiciaire :

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire, M. [U] se prévaut du harcèlement moral subi, la dégradation de son état de santé résultant de la souffrance morale endurée en raison de l’attitude déloyale de la société Aalberts Lyon, la concomitance entre les manoeuvres de l’employeur et son anxiété attestant de la causalité des troubles.

Il explique qu’il n’était plus en mesure de poursuivre une relation de travail avec la société Aalberts Lyon dont les manoeuvres ont atteint ses perspectives de carrière mais aussi sa santé, tous ces éléments caractérisant l’existence d’un harcèlement moral et justifiant la résiliation judiciaire de son contrat prononcée aux torts de l’employeur produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

La société Aalberts Lyon considère que le salarié ne cite qu’un exemple précis qui caractériserait, selon lui, des faits de harcèlement moral, la seule l’injonction faite au salarié de remplir une mission relative à l’acquisition de filiales pour le compte de la SA Comap, ce qui n’avait rien d’anormal en contrepartie de la rémunération qui lui était versée alors qu’il se trouvait sans activité depuis plusieurs mois.

Elle affirme qu’aucun manquement ne saurait justifier le prononcé de la résiliation judiciaire du contrat de M. [U] et qu’il convient de s’interroger sur les motivations qui ont conduit le salarié à écourter la mise à disposition puis à refuser avec entêtement les offres de postes et à ne pas évoquer la moindre piste de reclassement.

Aux termes de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En application de l’article L. 1154-1 dans sa version applicable à l’espèce, interprété à la lumière de la directive n 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, lorsque survient un litige relatif à l’application de ce texte, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le salarié dénonce plusieurs faits comme contribuant selon lui au harcèlement moral allégué :

– l’absence de respect par l’employeur de ses obligations contractuelles de lui proposer un poste similaire à l’emploi qu’il occupait auprès de la SAS Clesse Industries,

– son abandon sans poste déterminé, sans objectif à atteindre pendant près de cinq mois pour qu’il se résigne à quitter l’entreprise lui-même.

Il a été précédemment établi l’exécution déloyale du contrat pour manquements de la société Aalberts Lyon.

Il est également établi que faute de poste compatible, le salarié a sollicité la rupture du contrat par sa résiliation, le salarié expliquant après chaque proposition de poste par de longs mails qu’il attendait le respect des dispositions contractuelles ‘distinctes d’une quelconque mission et/ ou solution de travail, temporaire, même d’un niveau inférieur au poste occupé chez Clesse.’ (piece 8).

Par mail du 18 décembre 2015, le salarié a indiqué que la situation obérait son état de santé et dégradait également sa situation sociale, professionnelle et personnelle.

L’ensemble des documents médicaux produits par M. [U], l’arrêt de travail du 4 mars 2016, ensuite prolongé et le certificat médical du docteur [E] du 14 avril 2016, psychiatre, établissent la dégradation de l’état de santé du salarié à la suite d’une profonde souffrance morale en lien avec son activité professionnelle et l’existence d’un état dépressif réactionel, nécessitant plusieurs consultations.

Les faits dénoncés par le salarié sont établis et laissent présumer l’existence d’un harcèlement.

Il revient à l’employeur d’établir que ses décisions étaient justifiées par des raisons étrangères à tout harcèlement moral.

Par mail du 4 janvier 2016, le DRH de la SA Comap a répondu à M. [U] qu’il avait mis en échec tous les projets et n’avait pas formulé de proposition, de sorte que ‘ si cette situation obère votre état de santé, cela ne peut être de notre responsabilité’ et l’a invité à consulter rapidement son médecin traitant ou la médecine du travail informée de la situation.

A compter de cette date, la société Aalberts Lyon ne produit aucune pièce rapportant qu’elle a communiqué avec le salarié ou qu’elle a organisé un entretien de sorte que M. [U] a pu ressentir à juste titre une ‘placardisation’ voire une éviction programmée.

La société Aalberts Lyon ne prouve donc pas que les faits étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

M. [U] a donc subi les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

En raison du harcèlement moral subi et de l’exécution déloyale du contrat, la poursuite de ce contrat au sein de la société Aalberts Lyon était impossible.

Il convient donc, infirmant le jugement, de prononcer la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de M. [U], résiliation judiciaire qui, dans les limites de la demande, produira les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur les conséquences du licenciement abusif :

Au titre des demandes salariales, M. [U] sollicite le versement de sommes complémentaires à celles déjà perçues, la société Aalberts Lyon s’y opposant.

M. [U] a notamment perçu lors du solde de tout compte le 19 juillet 2016 :

. 136 971 euros à titre d’indemnité légale de licenciement et il sollicite en complément la somme de 94 970 euros : il n’apporte aucune explication pour comprendre le motif de sa demande. La société Aalberts Lyon a calculé cette indemnité conformément à l’article 29 de la convention collective, ce que ne conteste pas M. [U] de sorte qu’il ne sera pas fait droit à la demande au titre du solde réclamé sans justificatif,

. 23 490,25 euros à titre indemnité compensatrice de congés payés pour 43,5 jours ouvrés et il sollicite en complément la somme de 53 729,75euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés afférents : le salarié a effectivement perçu l’indemnité compensatrice de congés payés à hauteur de 45 jours sur le bulletin de paye de juillet 2016. Il est bien fondé à demander en outre l’indemnité compensatrice de préavis et les congés payés pour la somme réclamée, non utilement contestée.

En ce qui concerne la demande indemnitaire à hauteur de 350 000 euros, la société Aalberts Lyon à la date du licenciement, comptait moins de 10 salariés et sorte que M. [U], en application de l’article L. 1235-5 dans sa version applicable à l’espèce, a droit à l’indemnisation du préjudice subi.

Au regard de son âge au moment du licenciement, 63 ans, de son ancienneté d’environ 28 ans dans le groupe, du montant de la rémunération qui lui était versée, soit 11 700 euros, de ce qu’il ne justifie pas de sa situation et de ses ressources après la rupture, il convient, infirmant le jugement, d’allouer à M. [U] , en réparation du préjudice matériel et moral subi, la somme de 130 000 euros.

Confirmant le jugement, M. [U] sera débouté de sa demande au titre de l’indemnité légale de licenciement.

Il convient, infirmant le jugement, d’allouer à M. [U] la somme de 130 000 euros à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 53 729,75 euros au titre de indemnité compensatrice de préavis, congés payés compris.

Sur la demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile :

La société Aalberts Lyon qui succombe principalement conservera la charge des dépens.

Il est inéquitable de laisser à la charge de M. [U] les frais par lui exposés en première instance et en cause d’appel non compris dans les dépens à hauteur de 4 000 euros, la société Aalberts Lyon étant seule condamnée à lui verser cette somme.

Confirmant le jugement, il convient de condamner M. [U] à verser à la SAS Clesse Industries la somme de 500 euros au titre des frais irrépétibles et de le condamner en cause d’appel à la somme de 1 000 euros.

PAR CES MOTIFS :

Statuant publiquement et contradictoirement, en dernier ressort et par mise à disposition au greffe, la cour :

INFIRME partiellement le jugement,

Statuant à nouveau,

PRONONCE la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la SNC Aalberts Lyon,

CONDAMNE la SNC Aalberts Lyon à payer à M. [G] [U] les sommes suivantes :

. 130 000 euros à titre d’indemnité pour abusif,

. 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour inexécution déloyale du contrat de travail,

. 53 729,75 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis, comprenant les congés payés afférents,

CONFIRME pour le surplus le jugement,

Ajoutant au jugement,

DÉBOUTE M. [G] [U] de ses demandes de dommages et intérêts formées à l’encontre de la SA Comap et la SAS Clesse Industries au titre du prêt illicite de main d”uvre auprès de la SAS Clesse Industries,

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

CONDAMNE la SNC Aalberts Lyon à payer à M. [G] [U] la somme de 4 000 euros sur le fondement de l=article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en cause d=appel,

CONDAMNE M. [G] [U] à payer à la société Clesse Industries la somme de

1 000 euros au titre des frais exposés en cause d’appel,

REJETTE les demandes de la SNC Aalberts Lyon et la SA Comap,

CONDAMNE la SNC Aalberts Lyon aux entiers dépens.

– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Madame Clotilde Maugendre, présidente et par Madame Dorothée Marcinek, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

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La Greffière La Présidente

 


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