7 juin 2023
Cour d’appel d’Aix-en-Provence
RG n°
21/10972
COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE
Chambre 1-8
ARRÊT AU FOND
DU 07 JUIN 2023
N° 2023/ 262
N° RG 21/10972
N° Portalis DBVB-V-B7F-BH25H
[B] [D]
C/
S.C.I. SCI 15 VINTIMILLE
[X] [H] épouse [D]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Constance DAMAMME
Me Véronique BENTOLILA
Décision déférée à la Cour :
Jugement du Juge des contentieux de la protection de MARSEILLE en date du 22 Juin 2021 enregistrée au répertoire général sous le n° 19-004341.
APPELANT
Monsieur [B] [D]
né le [Date naissance 5] 1960 à [Localité 8] (MAROC), demeurant [Adresse 1]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/009130 du 22/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
représenté par Me Constance DAMAMME, membre de la SCP BOURGLAN-DAMAMME-LEONHARDT, avocat au barreau de MARSEILLE substituée et plaidant par Me Z’hor BOULAHBAL, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
SCI 15 VINTIMILLE
prise en la personne de son représentant légal en exercice domiciliés en cette qualité au siège social sis [Adresse 2]
représentée par Me Véronique BENTOLILA, avocat au barreau de MARSEILLE substitué par Me Manon CAMOIN, avocat au barreau de MARSEILLE
PARTIE INTERVENANTE
Madame [X] [H] épouse [D]
(bénéficie d’une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/009186 du 22/10/2021 accordée par le bureau d’aide juridictionnelle de AIX-EN-PROVENCE)
née le [Date naissance 4] 1975 à [Localité 6], demeurant [Adresse 1]
représenté par Me Constance DAMAMME, membre de la SCP BOURGLAN-DAMAMME-LEONHARDT, avocat au barreau de MARSEILLE substituée et plaidant par Me Z’hor BOULAHBAL, avocat au barreau de MARSEILLE
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 14 Mars 2023 en audience publique devant la cour composée de :
Monsieur Philippe COULANGE, Président
Madame Céline ROBIN-KARRER, Conseillère
Monsieur Jean-Paul PATRIARCHE, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Maria FREDON.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2023.
ARRÊT
Contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Juin 2023, signé par Monsieur Philippe COULANGE, Président et Madame Maria FREDON, greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
***
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE ANTÉRIEURE
Suivant contrat conclu sous signatures privées, la SCI 15 VINTIMILLE a donné à bail à usage d’habitation et à titre précaire à Monsieur [B] [D] des locaux situés [Adresse 3]), moyennant un loyer mensuel de 350 euros. Il était stipulé que le bail était consenti et accepté pour une durée de 24 mois commençant à courir le 1er janvier 2008 pour se terminer le 31 décembre 2009, sans qu’il soit nécessaire pour le bailleur de donner congé.
À l’expiration de ce bail, le preneur a néanmoins été laissé dans les lieux, sans qu’un nouvel écrit ait été établi entre les parties.
Par ordonnance rendue le 20 novembre 2018, le juge de l’expropriation du tribunal de grande instance de Marseille a prononcé l’expropriation de l’immeuble au profit de l’Etablissement public d’aménagement EUROMÉDITERRANÉE, dans le cadre de l’aménagement de la ZAC LITTORALE.
Par exploit d’huissier du 18 mars 2019, la SCI 15 VINTIMILLE a signifié à son locataire un commandement de payer un arriéré de loyer de 23.125,03 euros, visant la clause résolutoire stipulée au contrat. Il était mentionné audit acte que le bail avait été tacitement renouvelé à compter du 1er janvier 2010 moyennant un loyer mensuel de 600 euros.
Le bailleur a ensuite saisi le juge des référés aux fins d’entendre constater l’acquisition de ladite clause et ordonner l’expulsion de l’occupant, désormais sans droit ni titre. Toutefois, par ordonnance du 5 décembre 2019, ce magistrat a renvoyé la cause et les parties devant le juge du fond en raison de l’existence de contestations sérieuses élevées par le défendeur.
Aux termes d’un jugement prononcé le 22 juin 2021, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Marseille a déclaré irrecevables les demandes de la SCI 15 VINTIMILLE tendant à voir constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail et ordonner l’expulsion de l’occupant, en l’état de l’ordonnance d’expropriation ayant opéré transfert de la propriété des locaux.
Il a retenu en revanche que, jusqu’au paiement effectif de l’indemnité d’expropriation, la SCI conservait la jouissance du bien et était en droit de percevoir un loyer jusqu’au 20 novembre 2018, puis une indemnité d’occupation pour la période postérieure.
Il a ensuite considéré que la preuve d’une réévaluation du loyer dans les formes prévues par l’article 17 de la loi du 6 juillet 1989 n’était pas établie, et que celui-ci était donc demeuré fixé à 350 euros par mois.
Enfin, le premier juge a estimé que, par l’effet du transfert de propriété, la SCI 15 VINTIMILLE ne pouvait être tenue responsable de l’indécence du logement alléguée par le locataire, et dont la preuve reposait uniquement sur des éléments postérieurs à l’ordonnance d’expropriation.
En conséquence le tribunal a :
– condamné Monsieur [B] [D] à payer la somme de 6.732,20 euros au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation échus jusqu’au mois de janvier 2020, outre une indemnité d’occupation mensuelle de 350 euros pour la période postérieure jusqu’au versement de l’indemnité prévue par l’article L 222-1 du code de l’expropriation,
– débouté celui-ci de sa demande en réparation d’un préjudice de jouissance,
– dit que chacune des parties conserverait à sa charge ses propres dépens et frais irrépétibles,
– et dit n’y avoir lieu d’ordonner l’exécution provisoire de sa décision.
Monsieur [B] [D], qui a reçu signification de cette décision le 12 juillet 2021, a interjeté appel par deux déclarations successivement adressées les 20 et 23 juillet 2021au greffe de la cour, et qui ont fait l’objet d’une jonction.
Son épouse Madame [X] [H] est intervenue volontairement à l’instance en sa qualité de cotitulaire du bail.
Entre-temps, l’expropriant est entré en jouissance à compter du 16 janvier 2021, et une convention de relogement temporaire a été conclue le 23 juin 2021 avec les époux [D].
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par conclusions notifiées le 23 octobre 2021, les époux [D] approuvent le premier juge d’avoir considéré que le loyer était demeuré fixé à 350 euros par mois, faute pour le bailleur d’avoir respecté la procédure de révision d’ordre public prévue par l’article 17 c) de la loi du 6 juillet 1989, dans sa rédaction en vigueur au 1er janvier 2010.
Ils contestent en revanche être débiteurs de la somme retenue par le tribunal, faisant valoir qu’ils n’ont signé une reconnaissance de dette que par crainte d’être expulsés, qu’il n’a pas été tenu compte de l’ensemble des versements effectués par la CAF au titre de l’allocation de logement, et que celle-ci a été par la suite suspendue par le fait du bailleur. Ils contestent également les charges de consommation d’eau qui leur sont réclamées au motif qu’elles correspondraient à l’ensemble de l’immeuble.
Ils affirment d’autre part avoir subi un préjudice de jouissance important en raison de l’indécence du logement, dont ils sollicitent l’indemnisation pour la période de 2008 à 2018.
Ils demandent en conséquence à la cour, infirmant de ces chefs le jugement entrepris,
– de débouter la société 15 VINTIMILLE de sa demande en paiement,
– de la condamner en revanche à leur verser la somme de 15.000 euros en réparation de leur préjudice de jouissance,
– et de condamner en outre l’intimée au paiement d’une somme totale de 4.000 euros en application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.
Par conclusions notifiées le 23 septembre 2022, la société 15 VINTIMILLE maintient que les parties avaient convenu verbalement de porter le montant du loyer à 600 euros à compter du 1er janvier 2010, cette réévaluation ayant été déclarée à la CAF pour le calcul de l’allocation de logement.
Elle soutient que les locataires ont cessé de payer ce loyer à compter du mois d’avril 2010, et que Monsieur [D] a signé le 9 décembre 2014 un protocole d’accord fixant les modalités d’apurement de l’arriéré.
Elle indique ne pas avoir reçu communication du décompte de la CAF invoqué par la partie adverse, et soutient que la suspension de l’allocation logement ne procède pas de son fait.
Elle ajoute que les charges de consommation d’eau réclamées correspondent au relevé du compteur individuel de l’appartement.
Elle affirme enfin que les troubles de jouissance allégués par les époux [D] résultent des travaux de transformation des locaux qu’ils ont eux-mêmes entrepris sans son accord, et fait observer que les éléments de preuve produits par les appelants sont tous postérieurs à la résiliation du bail.
Elle conclut à la confirmation du jugement déféré, et réclame en outre paiement d’une somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture est intervenue le 28 février 2023.
DISCUSSION
Sur la dette locative :
La cour relève en premier lieu que la société 15 VINTIMILLE ne remet pas en cause la décision entreprise en ce qu’elle a retenu que le montant du loyer était demeuré fixé à 350 euros par mois durant tout le cours du bail.
Elle observe d’autre part que les époux [D] ne rapportent pas la preuve, qui leur incombe en vertu de l’article 1353 du code civil, d’autres paiements que ceux pris en compte par le premier juge, étant précisé à cet égard que le nouveau relevé de la CAF produit par les appelants ne fait pas état de plus amples versements au titre de l’allocation de logement qui auraient été effectués par l’organisme social directement entre les mains du bailleur.
Monsieur [D] n’établit pas davantage l’exercice par son cocontractant d’une violence ou d’une contrainte qui devrait conduire à annuler la reconnaissance de dette qu’il a souscrite le 9 décembre 2014.
Enfin, les charges d’abonnement et de consommation d’eau sont justifiées par des factures établies sur la base des relevés du compteur individuel de l’appartement, et non pas d’un compteur général à l’immeuble.
Le jugement doit être en conséquence confirmé en ce qu’il a condamné Monsieur [B] [D] à payer la somme de 6.732,20 euros au titre des loyers, charges et indemnités d’occupation échus au 31 janvier 2020, outre une indemnité d’occupation de 350 euros par mois pour la période postérieure jusqu’au versement de l’indemnité d’expropriation.
Sur la demande en réparation d’un préjudice de jouissance :
En application des articles 1719 et 1720 du code civil et de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, le bailleur est tenu de délivrer au preneur un logement décent s’il s’agit de son habitation principale, d’entretenir la chose louée en état de servir à son usage et d’en faire jouir paisiblement le locataire. Il doit y faire toutes les réparations qui peuvent devenir nécessaires pendant la durée du bail, autres que les réparations locatives.
En l’espèce, il incombe aux époux [D], qui poursuivent le paiement d’une indemnité au titre du préjudice de jouissance qu’ils prétendent avoir subi entre le 1er janvier 2008, date de leur entrée dans les lieux, et le 20 novembre 2018, date de la résiliation du bail, de démontrer la réalité des manquements qu’ils imputent au bailleur. Or ils ne produisent aucun élément de preuve antérieur à l’arrêté de péril imminent pris le 17 août 2018 par le maire de [Localité 7], ni aucune mise en demeure afin de réclamer la réalisation de travaux de remise en état.
Au contraire, la société 15 VINTIMILLE soutient, sans être contredite sur ce point, que Monsieur [D] aurait entrepris des travaux importants de modification des lieux loués sans son accord, ayant consisté dans un premier temps à transformer la salle de séjour en magasin de plomberie, puis dans un second temps à aménager une chambre à l’emplacement des anciens sanitaires.
D’autre part, c’est à bon droit que le premier juge a refusé de tenir compte de la mise en demeure adressée au bailleur par le service d’hygiène et de santé de la Ville de [Localité 7], ainsi que du rapport de visite de l’association des Compagnons Bâtisseurs, comme étant postérieurs à la date de résiliation du bail.
Il convient en définitive de cantonner l’indemnisation des époux [D] à la période du 24 août au 26 octobre 2018, durant laquelle ils ont été contraints d’évacuer le logement par suite de l’arrêté de péril imminent susvisé, ayant prescrit la réalisation de travaux de mise en sécurité de la toiture et de purge des parties instables du bâtiment. Ils leur sera alloué à ce titre la somme de 2.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré, sauf en ce qu’il a débouté Monsieur [B] [D] de sa demande en réparation d’un préjudice de jouissance,
Statuant à nouveau de ce chef, condamne la société 15 VINTIMILLE à payer aux époux [D] la somme de 2.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Y ajoutant,
Condamne les époux [D] aux dépens de l’instance d’appel, lesquels seront recouvrés conformément aux règles régissant l’aide juridictionnelle dont ils sont bénéficiaires,
Rejette la demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile,
Rejette la demande fondée sur l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
LA GREFFIERE LE PRESIDENT