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6 juin 2023
Cour d’appel de Chambéry
RG n°
21/00601
HP/SL
COUR D’APPEL de CHAMBÉRY
Chambre civile – Première section
Arrêt du Mardi 06 Juin 2023
N° RG 21/00601 – N° Portalis DBVY-V-B7F-GU36
Décision attaquée : Jugement du TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP d’ALBERTVILLE en date du 05 Février 2021
Appelant
M. [L] [F]
né le 23 Juillet 1946 à [Localité 2], demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Marc DEREYMEZ, avocat postulant au barreau de CHAMBERY
Représenté par la SELARL LEGI AVOCATS, avocats plaidants au barreau de LYON
Intimée
Mme [K] [M]
née le 07 Août 1929 à [Localité 4], demeurant [Adresse 3]
Représentée par la SCP MILLIAND THILL PEREIRA, avocats postulants au barreau d’ALBERTVILLE
Représentée par la SARL CM & L AVOCATS, avocats plaidants au barreau de PARIS
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Date de l’ordonnance de clôture : 20 Février 2023
Date des plaidoiries tenues en audience publique : 21 mars 2023
Date de mise à disposition : 06 juin 2023
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Composition de la cour :
Audience publique des débats, tenue en double rapporteur, sans opposition des avocats, par Mme Hélène PIRAT, Présidente de Chambre, qui a entendu les plaidoiries, en présence de Mme Myriam REAIDY, Conseillère, avec l’assistance de Sylvie LAVAL, Greffier,
Et lors du délibéré, par :
– Mme Hélène PIRAT, Présidente,
– Mme Inès REAL DEL SARTE, Conseillère,
– Mme Myriam REAIDY, Conseillère,
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Faits et Procédure
Par acte notarié établi au Maroc en date du 22 septembre 2016, Mme [K] [M] vendait à M. [L] [F] un appartement dont elle était propriétaire à Marrakech au prix de 135 000 euros et par acte sous seing privé du même jour, elle vendait à M. [L] [F] l’ensemble des meubles meublants et les éléments de décoration de cet appartement pour la somme de 35 000 euros payable par virement au plus tard le 31 décembre 2017.
Les parties s’adressaient des courriers au cours de l’année 2017, M. [L] [F] refusant de régler cette seconde somme, puis il réglait uniquement le 1er janvier 2018 la somme de 23 000 euros. La mise en demeure en date du 25 janvier 2018, adressée par Mme [K] [M] d’avoir à régler la différence, demeurait vaine, la mise en demeure de juin 2018 également.
Par jugement contradictoire en date du 5 février 2021, le tribunal judiciaire d’Albertville, avec le bénéfice de l’exécution provisoire,
– déboutait M. [L] [F] de ses demandes ;
– condamnait M. [L] [F] à payer à Mme [K] [M] la somme de 12 000 euros, outre intérêts au taux légal à compter du 16 juin 2018, outre une indemnité procédurale de 2 000 euros et les dépens de l’instance,
aux motifs notamment que :
‘ l’acte sous seing privé du 22 septembre 2016 ne constituait pas une contre-lettre et n’avait pas été signé par M. [L] [F] suite à un vice du consentement (erreur et dol),
‘ cet acte était causé.
Par déclaration au greffe de la cour en date du 17 mars 2021, M. [L] [F] interjetait appel de la décision.
Prétentions des parties
Par dernières écritures en date du 20 décembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, M. [L] [F] sollicite de la cour d’infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau, de :
A titre principal,
– débouter Mme [K] [M] de toutes ses demandes ;
– ordonner la répétition des sommes versées pour l’achat du mobilier avant la décision critiquée soit la somme de 23 000 euros ;
– ordonner le remboursement de la somme de 14 000 euros, outre intérêts à compter du 17 mars 2021, date de l’exécution du jugement entrepris ;
A titre subsidiaire,
– condamner Mme [K] [M] à lui verser la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices matériel et moral dont il a été victime ;
A titre très subsidiaire,
– juger qu’il est fondé à solliciter la réduction du prix des biens mobiliers à la somme de 23 000 euros eu égard au vice du consentement ;
A titre très très subsidiaire,
– juger qu’il est fondé à solliciter la réduction du prix des biens mobiliers à la somme de 23 000 euros eu égard au défaut partiel de cause,
En tout état de cause,
– débouter Mme [K] [M] de ses demandes ;
– condamner Mme [K] [M] à lui payer une indemnité procédurale de première instance et d’appel de 7 000 euros et les dépens de première instance et d’appel.
Au soutien de ses prétentions, M. [L] [F] fait valoir notamment que :
‘ les circonstances de fait, de temps et de lieu et le prix exorbitant confirment l’existence d’une contre-lettre en date du 22 septembre 2016 ayant pour but de dissimuler une partie du prix de l’appartement vendu par Mme [K] [M] de sorte qu’elle est nulle ;
‘ cette contre-lettre est nulle également en raison des manoeuvres dolosives auxquelles Mme [K] [M] a eu recours pour l’amener à contracter en lui dissimulant la valeur réelle des biens meubles vendus ;
‘ la réduction du prix de l’ensemble du mobilier vendu est fondée, et par conséquent de sa dette, à hauteur de 23 000 euros réglée préalablement à la décision critiquée et qui représente une somme bien supérieure à celle de l’ensemble des meubles cédés,
‘ les allégations de Mme [K] [M] l’ont conduit à commettre une erreur excusable sur la substance des biens meubles vendus, elle-même à l’origine d’une erreur sur la valeur de ces derniers, erreur qui constitue un vice du consentement de nature à entraîner la nullité de l’acte,
‘ la reconnaissance de dette invoquée par Mme [K] [M], fondée sur une erreur en altère en partie la cause, du fait que la valeur réelle des biens meubles, objet de la convention, ne correspond pas au montant indiqué dans la convention.
Par dernières écritures en date du 15 septembre 2021, régulièrement notifiées par voie de communication électronique, Mme [K] [M] sollicite de la cour de :
– confirmer le jugement entrepris ;
– débouter M. [L] [F] de l’intégralite de ses demandes, fins et pretentions plus amples et contraires ;
– condamner M. [L] [F] à lui payer une somme de 3 000 euros au titre de l’indemnité procédurale ;
– condamner M. [L] [F] aux dépens.
Au soutien de ses prétentions, Mme [K] [M] fait valoir notamment que :
‘ la convention conclue entre les parties est parfaitement claire et ne souffre d’aucune interprétation ;
‘ la reconnaissance de dette ne constitue en aucun cas une contre-lettre ayant eu pour objet d’augmenter le prix de l’appartement : elle n’était pas un acte secret et n’avait pas pour objet de modifier l’acte de vente de l’immeuble conclu le même jour ;
‘ la reconnaissance de dette est un contrat distinct de la vente de l’appartement ayant pour cause la cession de meubles meublants ;
‘ le compromis de vente portait sur la vente d’un appartement de 76 m² et non de 90 m², compromis dont M. [L] [F] avait eu connaissance avant sa signature en l’étude notariale ;
‘ la preuve du dol sur la valeur du mobilier cédé n’est pas établie ;
‘ l’erreur sur la qualité substantielle des meubles n’est pas une cause de nullité et tous les meubles ont été vendus pour un montant total de 35 000 euros, pas seulement les lustres.
‘ même à supposer qu’il y ait une fausseté partielle de cause, ce qui n’est pas le cas, M. [L] [F] ne peut pas, en tout état de cause, obtenir une réduction du prix sur ce fondement.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, la cour se réfère à leurs conclusions visées par le greffe et développées lors de l’audience ainsi qu’à la décision entreprise.
L’ordonnance de clôture était rendue le 20 février 2023 et l’affaire était appelée à l’audience du 21 mars 2023.
MOTIFS ET DÉCISION
À titre liminaire, la cour rappelle qu’en application des dispositions de l’article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif » et que les ‘dire et juger’ et les ‘constater’ ne sont pas des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile en ce que ces demandes ne confèrent pas de droit à la partie qui les requiert hormis les cas prévus par la loi ; en conséquence, la cour ne statuera pas sur celles-ci, qui ne sont en réalité que le rappel des moyens invoqués.
M. [L] [F] s’oppose au règlement intégral de la reconnaissance de dette qu’il a signée le 22 septembre 2016, lors de la signature de l’acte notarié d’achat de l’appartement de Mme [K] [M] au prix de 135 000 euros, au motif principal que cet acte constituait une contre-lettre ayant pour objet de porter le prix réel de l’appartement à 170 000 euros et aux motifs subsidiaires du vice du consentement, par manoeuvres frauduleuses et erreur, sur la valeur du mobilier acquis visé dans cette reconnaissance de dette ou encore d’absence partielle de cause.
I – Sur l’obligation de payer pesant sur M. [L] [F]
Aux termes de l’article 1134 du code civil, en vigueur au moment de la signature de l’acte de vente , ‘Les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel, ou pour les causes que la loi autorise.
Elles doivent être exécutées ‘de bonne foi’.
A – sur l’existence d’une contre-lettre
L’article 1321-1 du code civil, ancien, applicable aux faits de l’espèce, dispose : ‘Est nulle et de nul effet toute contre-lettre ayant pour objet une augmentation du prix stipulé dans le traité de cession d’un office ministériel et toute convention ayant pour but de dissimuler partie du prix d’une vente d’immeubles ou d’une cession de fonds de commerce ou de clientèle ou d’une cession d’un droit à un bail ou du bénéfice d’une promesse de bail portant sur tout ou partie d’un immeuble et tout ou partie de la soulte d’un échange ou d’un partage comprenant des biens immeubles, un fonds de commerce ou une clientèle’.
M. [L] [F] fonde son affirmation de l’existence d’une contre-lettre, outre sur le fait que l’acte notarié et l’acte sous seing privé ont été signés le même jour, sur la proposition d’achat préremplie par l’agence immobilière Marrakech-Luxury qui fait état d’un prix de vente de 165 000 euros dont 35 000 euros à verser hors comptabilité du notaire à déduire du prix de vente qui sera de 130 000 euros et sur un courriel de Mme [K] [M] en date du 18 septembre 2017 dans laquelle celle-ci a écrit : ‘d’un commun accord, l’appartement de 76 m² vous a été vendu : 135’000 euros » avant de reconnaître qu’« avec cette estimation, nous arrivons un prix total de 143’564 euros + 35’000 euros = 178’564 euros ( soit 8 564 euros de plus que votre prix d’achat)’ ».
Cependant, c’est par des motifs pertinents que la Cour adopte que le premier juge a considéré que :
– l’acte sous seing privé signé le 22 septembre 2016 entre les parties ne contient ni dans sa lettre ni dans son esprit une dissimulation du prix de vente de l’appartement conclue le même jour par acte notarié, l’acte contenant cession de meubles meublants est sans lien avec le prix de vente
– il résulte notamment du courrier adressé par M. [L] [F] le 3 septembre 2017 à Mme [K] [M] que la contrepartie au paiement du prix de 35’000 euros à savoir la cession de meubles est réelle et qu’il est effectivement en possession des meubles. Dans ce courrier, il se plaint d’une erreur sur le métré de l’appartement, bien que celui-ci figure expressément à hauteur de 76 m² dans le compromis de vente, et propose de rééquilibrer le prix de l’appartement en compensation des sommes qu’il doit encore en vertu de la reconnaissance de dette.
Il convient seulement de souligner et d’ajouter les points suivants :
– la proposition d’achat non signée de l’agence Marrakech-Luxury fait état d’un prix de vente de 175 000 euros et d’une offre d’achat de 165 000 euros dont 35 000 euros versées hors comptabilité du notaire et à déduire du prix de vente qui s’établira à 130 000 euros. Il s’agit d’une offre émanant d’un éventuel acheteur dont l’identité n’est pas renseignée et sa proposition n’est pas dissimulée mais officielle ;
– le courriel de Mme [K] [M] en date du 18 septembre 2017, cité par M. [L] [F], l’a été de manière tronqué, puisqu’elle affirme dans ce courriel que les parties se sont mises d’accord sur un prix de vente de 135 000 euros pour l’appartement et de 35 000 euros pour l’ameublement et les installations et qu’elle ne comprend pas les sommes invoquées par M. [L] [F] dans le mail auquel elle répond. Il ne résulte pas de ce document que Mme [K] [M] reconnaîtrait un prix réel de vente de l’appartement à 170 000 euros et l’existence d’une contre-lettre.
B – sur le vice du consentement : dol ou erreur
Selon l’article 1116 du code civil en vigueur au moment des actes, ‘ Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées par l’une des parties sont telles, qu’il est évident que, sans ces manoeuvres, l’autre partie n’aurait pas contracté. Il ne se présume pas et doit être prouvé’.
Selon l’article 1110 du même code, également applicable en l’espèce, ‘ l’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention’.
M. [L] [F] prétend que Mme [K] [M] a justifié le prix de 35 000 euros sollicité pour le mobilier et la décoration de l’appartement par l’existence de trois lustres de Murano, alors que le mobilier a été estimé à 6 911 euros, les lustres de Murano valant à peine 80 euros pièce. Il dit avoir été trompé par cette mention ‘Murano’ et avoir aussi commis une erreur sur la valeur substantielle de ces biens.
Cependant, le premier juge a justement rejeté ces fondements en retenant qu’une liste des biens cédés avait été établie et que M. [L] [F] avait visité l’appartement avant son achat, mais aussi que la mention ‘Murano’ pour la provenance des lustres était exacte.
Il sera rajouté également le fait que l’évaluation du mobilier présentée par un document à l’entête d’une société Weimar Attitude non signé n’est pas motivée ou référencée et que les photographies versées aux débats par M. [L] [F] montrent l’appartement de façon partielle, alors que les photographies versées par Mme [K] [M] montrent par exemple une cuisine équipée et encastrée et trois tableaux et que si véritablement, M. [L] [F] avait pensé que les trois lustres étaient des lustres de Murano de la valeur de ceux dont il a présenté des photographies (30 940 euros pièce), il aurait dû à l’inverse s’étonner que le prix pour l’ensemble des meubles meublant, des décorations et des trois lustres ne soit pas supérieur à 35 000 euros.
En conséquence, il n’est pas démontré de vice du consentement que ce soit par dol ou par erreur sur des qualités substantielles.
Il en est de même de l’absence de cause. L’article 1131 dispose que : ‘l’obligation sans cause, ou sur une fausse cause, ou sur une cause illicite, ne peut avoir aucun effet’. En l’espèce, la preuve d’aucun de ces cas n’existe et l’obligation de payer la somme de 35 000 euros est fondée sur la cession par Mme [K] [M] de l’ensemble de son mobilier présent dans l’appartement vendu, étant précisé, comme l’a souligné le premier juge, que le courriel de M. [L] [F], en date du 3 septembre 2017, alléguait un problème de métré et non pas une difficulté liée au mobilier. En outre, il est de principe qu’à supposer que la valeur des meubles ait été effectivement surévaluée, ce qui n’est toutefois pas démontré, la fausseté partielle de la cause, dans un contrat synallagmatique ne peut entraîner la réduction de l’obligation (Cass 31 mai 2007 pourvoi n°05-21.316).
Ainsi, la décision entreprise sera confirmée en ce qu’elle a condamnée M. [L] [F] à payer le solde de la somme due, qu’il avait effectivement commencé à régler, outre intérêts à compter de la mise en demeure justifiée du 16 juin 2018.
II – Sur les mesures accessoires
Succombant, M. [L] [F] sera tenu aux dépens de l’instance.
L’équité commande de faire droit à la demande d’indemnité procédurale sollicitée par Mme [K] [M] et de condamner M. [L] [F] à lui payer à ce titre de la somme de 3 000 euros.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et après en avoir délibéré conformément à la loi,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
Condamne M. [L] [F] aux dépens de l’instance d’appel,
Condamne M. [L] [F] à payer à Mme [K] [M] une indemnité procédurale en cause d’appel de 3 000 euros.
Arrêt Contradictoire rendu publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
et signé par Hélène PIRAT, Présidente et Sylvie LAVAL, Greffier.
Le Greffier, La Présidente,
Copie délivrée le 06 juin 2023
à
Me Marc DEREYMEZ
la SCP MILLIAND THILL PEREIRA
Copie exécutoire délivrée le 06 juin 2023
à
la SCP MILLIAND THILL PEREIRA